[1] A cette époque, florissait en Asie Polycarpe, compagnon des apôtres. Il avait été établi évêque de l'Église de Smyrne par ceux qui avaient vu et servi le Sauveur. [2] En ce temps, Papias, lui aussi évêque d'Hiérapolis, était en réputation, ainsi qu'Ignace, maintenant encore si connu. Celui-ci avait obtenu au second rang la succession de Pierre dans l'église d'Antioche. [3] On raconte qu'il fut envoyé de Syrie à Rome pour être exposé aux bêtes à cause de son témoignage en faveur du Christ. [4] Il fit ce voyage à travers l'Asie, sous la plus étroite surveillance de ses gardes. Dans les villes où il passait, il affermissait les églises par ses entretiens et ses exhortations. Il les engageait avant tout à se prémunir contre les hérésies, qui justement alors commençaient à abonder ; il les pressait de tenir fermement à la tradition des apôtres et, pour plus de sécurité, il jugea nécessaire de la fixer par écrit : il était déjà martyr. [5] Se trouvant ainsi à Smyrne où était Polycarpe, il adressa une lettre à l'église d'Éphèse où il fait mention d'Onésime, son pasteur. Il en envoya une autre à l'Église de Magnésie sur le Méandre, où il parle également de l'Évêque Damos ; une autre à celle de Tralles, dont il dit que Polybe était alors évêque. [6] Il écrivit en outre à l'église de Rome pour conjurer instamment qu'on ne fît pas de démarches en vue de le priver du martyre qui était son désir et son espérance. Il est bon de citer quelques courts passages de ces épîtres pour confirmer ce que nous avançons.
Voici donc ce qu'il dit en propres termes : « [7] Depuis la Syrie jusqu'à Rome, j'ai à lutter avec les bêtes sur terre et sur mer, la nuit et le jour ; je suis attaché à dix léopards, qui sont les soldats de mon escorte. Quand je leur fais du bien, ils deviennent pires ; à leurs injustices, je deviens de plus en plus disciple, mais je n'en suis pas pour cela justifié. [8] Du moins que je puisse jouir des bêtes qui me sont préparées ; je prie afin de les trouver le plus tôt possible. Je les caresserai afin qu'elles me dévorent rapidement, et qu'elles ne me fassent comme à certains, qu'elles ont eu peur de toucher ; si elles s'y refusent, je les y forcerai. [9] Pardonnez-moi, mais je sais ce qu'il me faut, et voici que je commence à être un disciple. Que les choses visibles ou invisibles n'occupent plus mon désir, afin que j'obtienne Jésus-Christ. Feu, croix, attaque des bêtes, rupture des os, séparation des membres, broiement de tout le corps, supplices du diable, que tout cela vienne sur moi, pourvu seulement que j'obtienne Jésus-Christ. »
[10] Voilà ce qu'il adressait de la ville dont nous avons parlé aux églises que nous avons énumérées. Étant déjà loin de Smyrne, il écrivit de nouveau de Troade aux chrétiens de Philadelphie, ainsi qu'à l'église de Smyrne et en particulier à Polycarpe, son évêque. Il le savait tout à fait homme apostolique, et il lui confiait, comme à un vrai et bon pasteur, son troupeau d'Antioche, dans la pensée qu'il en aurait un soin diligent. [11] S'adressant aux Smyrniens, il se sert de paroles empruntées je ne sais où, en disant ce qui suit du Christ :
« Je sais et je crois qu'après sa résurrection il existe dans sa chair. Et lorsqu'il vint auprès des compagnons de Pierre, il leur dit : « Prenez, touchez-moi, et voyez que je ne suis pas un esprit qui n'a point de corps. » Ils le touchèrent aussitôt et ils crurent. »
[12] Irénée connut lui aussi le martyre d'Ignace et il parle de ses lettres en ces termes :
« Comme dit un des nôtres, condamné aux bêtes pour le témoignage rendu à Dieu : « Je suis le froment de Dieu et je serai moulu par la dent des bêtes, afin de devenir un pain sans tache ».
[13] Polycarpe aussi mentionne les mêmes choses dans la lettre aux Philippiens qu'on a de lui. Il dit en propres termes :
« Je vous exhorte tous à obéir et à vous exercer à cette indéfectible patience que vous avez pu contempler de vos yeux, non seulement dans les bienheureux Ignace, Rufus et Zosime, mais encore en d'autres qui sont des vôtres, et en Paul lui-même et dans le reste des apôtres. Soyez convaincus que tous ceux-là n'ont pas couru en vain, mais dans la foi et la justice, et qu'ils sont à la place qui leur revenait de droit auprès du Seigneur, pour lequel ils ont souffert. Car ils n'ont pas aimé ce siècle, mais celui qui est mort pour nous, et que Dieu a ressuscité à cause de nous. »
[14] Et il ajoute ensuite :
« Vous aussi m'avez écrit, ainsi qu'Ignace, afin que si quelqu'un va en Syrie, il porte vos lettres. J'en aurai soin, si l'occasion favorable se présente, soit que j'y aille moi-même ou que j'envoie quelqu'un qui sera votre messager. [15] Quant aux épîtres qu'Ignace nous avait adressées et toutes celles que nous avions chez nous, nous vous les avons envoyées, comme vous l'avez demandé ; elles sont avec cette lettre. Vous pourrez en recueillir un grand profit ; vous y trouverez foi, patience et toute édification qui se rapporte à notre Seigneur. »
Voilà ce que j'avais à dire d'Ignace, Héros lui succéda comme évêque d'Antioche.