C’est au récit éminemment symbolique de Gen. ch. 3 que nous allons nous adresser pour chercher à nous former une juste idée de ce qu’est le péché en soi ; après quoi, ce même chapitre nous dira comment les choses se sont passées lors de la première désobéissance.
Un être innocent ne peut arriver à la sainteté que par un acte de libre décision. Pour cela il faut tout d’abord qu’il fasse connaissance avec sa volonté propre, qu’il arrive à la distinguer du bien et du bon dont jusqu’alors son âme s’est trouvée remplie naturellement et à son insu ; il faut qu’il en vienne à avoir l’idée d’une chose qui ne soit pas bonne (Genèse 2.17, connaissance du bien et du mal). Le bien va donc être présenté objectivement à l’homme, sous la forme d’un commandement (Genèse 2.16)…
Or, à partir de ce moment, il est faux de dire que l’homme ait dû désobéir, comme si, pour connaître le bien, il fallait absolument s’en séparer et s’en éloigner. On peut parfaitement se distinguer du bien qui vous est objectivement présenté, sans pour cela du même coup se décider contre le bien. Voyez plutôt le récit de la Genèse : ce n’est pas l’homme qui de son chef réagit contre l’ordre qu’il a reçu ; l’impulsion première au mal, à une décision contraire au commandement, vient du dehors, et la femme, dans le principe, ne songe aucunement à contester l’autorité de la loi divine (Genèse 3.1-3). Ceci exclut également l’idée hégélienne qu’il n’y a conscience que là où il y a péché. Quand Ève cite la parole de l’Éternel et qu’elle se sent tenue de l’observer, elle n’a point encore péché, cependant elle montre bien qu’elle a une conscience. — Ainsi donc, d’après l’A. T., le péché n’entre point comme un élément indispensable dans l’histoire du développement de l’homme ; il est au contraire le résultat d’une libre décision. Et nous verrons plus tard cette même liberté proclamée, quoique ramenée alors à de moindres proportions, par Moïse disant aux Israélites qu’il a mis devant eux tant la vie et le bien, que la mort et le mal (Deutéronome 30.15). On a cité Job 4.17 ; 14.4 ; Psaumes 103.10-14, comme favorisant l’idée que le péché est la suite naturelle de la nature finie de l’homme. Mais ces passages doivent s’entendre de l’homme tel qu’il est depuis la chute, et non pas de l’homme tel qu’il était dans le principe.
L’impulsion première au mal vient du dehors. Donc le mal existait déjà précédemment quelque part. Où ? La Bible ne le dit pas. Voilà le serpent ; mais qu’est-ce que ce serpent ? Faut-il y voir Satan lui-même, ou simplement un instrument de Satan ? Ce qu’il y a de certain, c’est que ce passage ne suffit pas pour faire figurer la démonologie au nombre des doctrines du mosaïsme. Il est vrai que dans le § 140 nous verrons que Hazazel est bien probablement un mauvais esprit, mais ce n’est que beaucoup plus tard que la démonologie se développe dans l’A. T. Il faut descendre jusqu’à la Sapience (Sagesse 2.23), pour trouver la tentation de l’homme attribuée positivement à Satan, et telle sera du reste aussi la manière de voir du N. T.b
b – Je ne citerai pas ici Jean 8.44, car le mot de meurtrier peut, d’après 1 Jean 3.12,15, être une allusion au meurtre d’Abel aussi bien qu’à la tentation qui a amené la mort de tous les hommes. Mais je citerai Apocalypse 12.9 et Romains 16.20.
Ce qu’il importe de signaler et de maintenir avant tout, à propos de Gen. ch. 3, c’est que la tentation n’excédait point les forces de l’homme, qu’il pouvait résister, et que Satan n’a triomphé que parce que l’homme a librement renoncé à la résistance. — Il y a à cet égard un abîme entre l’A. T. et le Zend-avesta, qui fait du péché un mal physiquec.
c – De nos jours encore on a fait de l’arbre de la connaissance du bien et du mal un arbre empoisonné !