Ainsi finit la carrière terrestre de ce serviteur de Jésus-Christ. Son départ fut annoncé à la communauté par le son de la trompette, suivant un usage qui subsiste encore chez les Frères. On ne rencontrait à Herrnhout que des visages baignés de larmes. Chacun sentait la perte qu’il venait de faire et craignait d’en mesurer l’étendue. On avait vu s’éteindre le flambeau ardent et lumineux (Jean 5.35) dont l’éclat réjouissait l’Église. « La nature », dit un contemporain, semblait s’associer à notre tristesse. Bien qu’on fût au mois de mai, il faisait depuis la veille un brouillard si triste et si épais qu’en hiver même on n’en voit pas de pareil. » A trois heures de l’après-midi, on se réunit dans la salle commune, et Jean de Watteville raconta en détail les dernières heures du défunt. Puis l’assemblée s’agenouilla et bénit le Seigneur pour toutes les grâces qu’il lui avait accordées par la main de son serviteur. Le lendemain, la dépouille mortelle de Zinzendorf, revêtue de la tunique blanche que portent dans les actes solennels du culte les ministres de l’église des Frères, fut placée dans un cercueil tendu de violet et exposée dans le salon de sa maison. Tous les chœurs successivement, à commencer par les petits enfants, vinrent visiter ces restes. Le soir on ferma le cercueil ; mais, pendant plusieurs jours encore, de petits groupes de Frères et de sœurs continuèrent sans interruption à se réunir alternativement à l’entour, chantant des hymnes et s’entretenant de la vie à venir.
Les funérailles n’eurent lieu que le 16 mai. Plus de deux mille spectateurs, accourus des villes et villages voisins, regardaient en silence passer le convoi. Un détachement de grenadiers impériaux avait été envoyé de Zittau par le commandant de la place, pour maintenir l’ordre s’il en eût été besoin.
On se réunit à cinq heures du soir devant la maison commune. Les trompettes se firent entendre, on apporta le cercueil sur la place publique, et l’assemblée chanta quelques versets de cantique ; puis le cortège s’achemina vers le cimetière. Les élèves des établissements de Hennersdorf, de Nieski et de Herrnhout marchaient les premiers ; les plus jeunes étaient vêtus de blanc, ainsi que toutes les femmes.
Le cortège funèbre se composait de membres de l’église des Frères, au nombre de deux mille cent. Le cercueil était entouré de trente-deux pasteurs ou diacres de l’église qui se trouvaient alors à Herrnhout, arrivés de divers pays de l’Allemagne, de Hollande et d’Angleterre, de l’Amérique et du Groënland. Seize d’entre eux portaient le cercueil ; les seize autres se tenaient prêts à les remplacer.
Arrivé sur le Houtberg, où se trouve le cimetière de Herrnhout, on déposa le corps du comte dans une fosse creusée à côté du tombeau de sa première épouse. On chanta plusieurs cantiques, on récita les litanies d’usage, et le cortège redescendit en silence. Pendant toute la journée, un esprit de paix et de recueillement se fit sentir à Herrnhout, aussi bien chez les étrangers que chez les membres’ de la communauté. « C’était, » a dit une personne qui s’y trouvait, un sentiment pareil à celui qu’inspire la célébration d’un sacrement. »
Les Frères placèrent sur le tombeau de Zinzendorf une pierre plus grande que les autres, sur laquelle on grava l’épitaphe suivante :
Ici reposent les os d’un homme de Dieu dont le souvenir ne s’effacera pas, Nicolas-Louis, Comte et Seigneur de Zinzendorf et Pottendorf, très digne Ordinarius de l’Unité des Frères restaurée au XVIIIe siècle par la grâce de Dieu et par ses services fidèles et infatigables. Il naquit à Dresde le 26 mai 1700 et entra dans la joie de son Seigneur le 9 mai 1760, à Herrnhout. Il a été établi pour porter du fruit, et un fruit qui soit permanenta. »
a – Jean 15.16.
Le 11 juillet, on célébra un service funèbre en l’honneur du défunt dans l’église de Berthelsdorf. Le prédicateur qui en fut chargé prit pour texte de son discours ces paroles de saint Paul aux Corinthiens : Par la grâce de Dieu, je suis ce que je suis, et sa grâce envers moi n’a point été vaine, mais j’ai travaillé beaucoup plus qu’eux tous, toutefois non point moi, mais la grâce de Dieu qui est avec moi. (1 Corinthiens 15.10)
Zinzendorf avait eu de son premier mariage douze enfants, six fils et six filles ; la plupart moururent en bas âge. Trois filles seulement lui survécurent : Bénigna, femme de Jean de Watteville ; Marie-Agnès, qui épousa plus tard le comte Maurice de Dohna, membre aussi de l’église des Frères, et Élisabeth. Cette dernière épousa le baron Frédéric de Watteville, fils de Nicolas.
Une fille de Bénigna devint la femme du frère Jean-Chrétien-Alexandre de Schweinitz ; ses descendants, dont plusieurs sont ouvriers de l’église, sont tous établis dans les communautés américaines. C’est la seule postérité qui reste de Zinzendorf.
Sa seconde femme, Anna Nitschmann, ne lui survécut que peu de jours ; elle fut inhumée sur le Houtberg, à côté de son époux.