Voyons maintenant comment les choses se sont passées lors de la première désobéissance de l’homme. « Quoi ? Dieu vous aurait-il défendu de manger absolument du fruit de tous les arbres du jardin ? » Telle est la première parole du tentateur. Dieu avait, permis à l’homme de manger librement de tous les arbres, sauf d’un seul. Le serpent dénature complètement cette défense en l’exagérant ; il veut amener la femme à douter de la sagesse et de la bonté de Dieu, et à se méfier du Créateur comme d’un être envieux qui veut maintenir ses créatures dans un état d’humiliante infériorité. Puis, au v. 4, il en vient à démentir formellement ce que Dieu a formellement déclaré. Ce n’est qu’après avoir ainsi donné l’éveil à l’amour-propre de la femme et l’avoir mis en conflit avec la volonté de Dieu, qu’au v. 6 il fait entrer en jeu la convoitise ; d’où il résulte que, d’après l’A. T., le principe réel du péché c’est l’incrédulité. Ne pas croire ce que Dieu a dit, mettre sa volonté propre au-dessus de la volonté de Dieu, enlever de sa propre autorité les barrières posées par Dieu, voilà le mal. La convoitise qui s’exerce au moyen des sens n’est qu’un élément secondaire dans la chute. Comment après cela peut-on dire, comment en particulier les Rabbins peuvent-ils prétendre, que l’A. T. fait de la matière, du corps, la source du péchéd ? C’est au contraire une des doctrines fondamentales de l’A. T., que le mal est primitivement la négation de la volonté de Dieu, et que le péché consiste pour l’homme à faire ce qu’il lui plaît plutôt que ce que Dieu veut. On peut s’amuser à dire que le péché est un simple retard dans le développement de la nature humaine, ou bien une simple faiblesse ; ou bien encore que les manquements des hommes les uns à l’égard des autres sont les seuls péchés dont ils puissent se rendre coupables ; tout autant de points de vue auxquels l’A. T. est directement opposé.
d – Voyez par ex. Maïmonides. More Neboch 3, 8. — On en a appelé à Genèse 6.3. Mais nous verrons § 77 que cette parole n’a rien à faire ici.
[Grau dit fort bien dans son livre sur les Sémites et les peuples indogermaniques, p. 94 : « Le péché ne consiste pas seulement à transgresser des lois naturelles : telle serait la notion purement terrestre et philosophique du péché ; telle est celle que ne parvient pas à dépasser la pensée indogermanique, qui demeure toujours une pensée humaine. — Non ! le péché est la transgression de la loi de Dieu ; par là la personnalité suprême, le moi absolu, est directement offensé. Si l’on se place au premier point de vue, on peut croire le péché réparé, effacé, du moment que la barrière renversée est relevée, et que le tort qui est résulté de l’offense est réparé. Si au contraire le péché est un affront fait à Dieu, il ne peut être réparé par celui qui l’a commis, il n’est pas quelque chose de fini, mais d’infini comme l’offensé.]
Mais si le péché est aux yeux de l’A. T. la transgression de la loi de Dieu, cela ne veut pourtant pas dire que Dieu soit un être envieux, comme les dieux des païens ; Il n’a aucune raison pour l’être, car Il est le maître absolu de l’univers entier. [Les dieux hellènes sont jaloux, car ils ne sont pas indiscutablement tout-puissants sur les hommes. Voyez le mythe de Prométhée : la jalousie des dieux joue certainement un grand rôle dans cette histoire. La lutte qui s’organise entre l’Olympe et la terre après le rejet de Prométhée est quelque chose de tout autre que celle que retrace l’A. T.] La jalousie de Dieu découle de sa sainteté ; la sainteté, nous l’avons vu, ne peut rien souffrir qui la contredise. Dieu dit bien (Genèse 3.22) : « l’homme est devenu comme l’un de nous ! » Mais ces mots ne renferment rien d’autre qu’une douloureuse ironie. « L’homme, par sa désobéissance, a réellement obtenu ce qu’il était destiné à obtenir, mais pour son malheur et tout au rebours de ce que je désirais pour lui. » A un certain point de vue, le serpent a dit vrai quand il a dit : « Vous serez comme Dieu ! » Car en effet l’homme est arrivé à l’indépendance vis-à-vis de Dieu. Mais le serpent n’en a pas moins trompé Adam, car c’est dans le cercle du mal qu’il jouit de l’indépendance. Au lieu d’être parvenu à une libre communion avec Dieu, il est libre loin de Dieu. Le péché est si peu une faute heureuse, comme on l’a appelé, il est si loin d’élever l’homme, que voilà tout au contraire l’homme soumis désormais à la malédiction et à la mort (§ 77).
Les autres livres de l’A. T. ne font que de rares allusions au récit de la chute. Osée 6.7, en renferme une, car il faut bien probablement traduire : « Ils enfreignent l’Alliance comme Adam, » et non pas : « à la façon des hommes » et encore moins : « comme on enfreint une alliance conclue avec un homme. » Job 31.33, en est une autre : « Si j’avais, comme Adam, caché mes péchés, si j’avais cherché à m’excuser comme lui. » Quant à Ésaïe 43.27 : « Ton, premier père a péché, » nous croyons qu’il est question ici de Jacob et non pas d’Adam.
La désignation la plus générale du péché est חטא (Chatta) et חטאת, qui se rencontre pour la première fois dans Genèse 4.7, et qui sert à désigner indifféremment les fautes commises par faiblesse et celles qui ont une méchanceté positive pour principe. Il y a dans ce mot l’idée que le péché est une erreure, que le pécheur manque son but et le but que Dieu lui proposait. C’est l’ἀμαρτία des Grecs. Pécher contre Dieu, חטא ל, c’est manquer à ce qu’on doit à Dieu.
e – Dans Juges 20.16, le verbe חטא est employé à propos d’habiles frondeurs qui « ne manquent jamais le but. »
עון signifie proprement perversion (pravitas), et ne désigne pas tant l’action en elle-même que la nature de l’action. Aussi David peut-il parler de la perversité de son péché, עון חטאתי (Psaumes 32.5). Dans la bouche des gens du monde, comme dans Osée 12.9, avôn signifie tout simplement injusticef. Mais comme il n’y a, aux yeux de l’A. T., aucune injustice qui ne soit en même temps un péché, avôn, dans le langage biblique, signifie la perversion loin de la loi de Dieu, ἀνομία, puis spécialement la dette contractée par le péché, la culpabilité. C’est dans Genèse 15.16, que le mot de avôn se trouve pour la première fois employé dans ce sens. — De là les expressions : enlever la faute, נשא עון, l’imputer, חשב עון, la pardonner, כפר עון.
f – « On ne trouvera en moi aucune injustice qui soit un péché ».
פשע (Pécha) est une troisième expression qui nous présente le péché comme quelque chose de plus grave encore, comme une rupture avec Dieu. Ce ne sont jamais des péchés de négligence ou de faiblesse qui sont ainsi désignés, mais toujours des péchés volontaires, prémédités, qui impliquent une révolte contre Dieu. Job 34.37, est un passage important à cet égard : Job risque d’ajouter à son péché (חטא) une révolte ouverte (פשע). Cependant il y a d’autres passages où ces deux expressions se trouvent tout simplement juxtaposées (Exode 34.7 ; Nombres 14.18).
Quatrièmement, quand le péché est devenu une habitude, une direction ordinaire du cœur et de la vie, il s’appelle רשע (Réscha,) bien que ce mot indique aussi parfois un acte isolé. Je crois que d’après Job 3.17 ; Ésaïe 57.20 et sq. on peut considérer l’excitation (voyez le verbe רגז, Ragaz) comme la notion fondamentale de ce mot.
Enfin און (Avèn) et שוא (Schave) désignent le mal comme la vanité par excellence.