Ces livres contiennent une infinité de choses rares, divines, admirables ; mais les principales peuvent se réduire à ces quatre chefs : 1° La naissance, la généalogie et l’éducation de Jésus-Christ, avec toutes leurs circonstances, dont nous ne parlerons pas maintenant, pour être moins longs, et parce que nous en avons déjà fait mention dans notre première partie. 2° L’exercice de sa charge, confirmé par une infinité de miracles depuis son baptême jusqu’à son ascension. 3° Sa conduite et sa sainteté exercée en plusieurs manières, et brillante par plusieurs différentes actions. 4° Ses enseignements et ses prophéties. De ces quatre différents endroits sortent des rayons de vérité qui répandent un beau jour dans toute cette matière. Suivons-les par ordre ; et surtout n’oublions point notre méthode, qui est de former en passant le plus de difficultés que nous pourrons, et de les proposer dans toute leur force, afin que les incrédules ne se plaignent pas de nous.
On peut considérer dans les miracles de Jésus-Christ leur nombre, leur variété, leur grandeur, l’éclat qu’ils firent, et la manière dont ils furent reçus. Les évangélistes nous en font connaître le nombre, la variété et la grandeur, en nous apprenant qu’il changea l’eau en vin à Cana ; qu’il rendit la vue aux aveugles, l’ouïe aux sourds, la santé aux malades ; qu’il guérit des lépreux, des paralytiques, une personne qui avait la main sèche, un hydropique, une femme affligée d’une perte de sang ; qu’il jeta hors plusieurs diables, ressuscita plusieurs morts, calma les vents et la tempête, et rassasia miraculeusement les troupes dans le désert en diverses rencontres. Ces miracles sont en grand nombre, paraissent extraordinairement divers, et ne peuvent être produits que par une puissance divine.
Il faut encore ajouter qu’ils sont d’une nature à ne pouvoir être cachés, et à frapper nécessairement les yeux d’une infinité de témoins. De sorte que si les apôtres les avaient inventés, ils se seraient exposés à être contredits par une infinité de personnes.
Cependant il paraît que les plus mortels ennemis de Jésus-Christ n’osaient tout à fait en démentir l’évidence, puisqu’ils l’accusaient de guérir des malades au jour du sabbat, et qu’ils prétendaient qu’il jetait hors les diables par Béelzébut, prince des diables : cette manière de le calomnier étant un aveu forcé de sa puissance infinie, et un témoignage qu’ils rendaient en dépit d’eux-mêmes à la vérité de sa vocation.
Au reste, on croira facilement que les évangélistes n’ont pas inventé ce qu’ils font dire à cet égard aux scribes et aux pharisiens, puisqu’ils s’accordent tous dans le rapport qu’ils en font ; qu’ils représentent Jésus-Christ réfutant cette calomnie, et nous assurant à cette occasion que le blasphème contre le Saint-Esprit ne serait jamais pardonné aux hommes, ce qui n’est pas d’une nature à venir facilement dans l’esprit ; et qu’enfin les Juifs qui sont venus ensuite, étant contraints de reconnaître que Jésus-Christ avait fait divers prodiges, ont été obligés de dire qu’il avait trouvé la véritable manière de prononcer le grand nom de Jehova, et que c’est par la force de cette prononciation, dont il avait trouvé le modèle dans le temple, qu’il avait fait tant de vertus. Voyez dans quelles opinions extravagantes on s’engage, lorsqu’on fuit la vérité.
Mais sans s’arrêter à toutes ces chimères, il me semble qu’on ne peut raisonnablement nous contester ces deux vérités : l’une, que Jésus-Christ prétendait avoir fait divers miracles. C’est là, en effet, ce que ses ennemis lui reprochent, lorsque, étant autour de sa croix, ils disent : S’il a sauvé les autres, que ne se sauve-t-il lui-même ? Qu’il descende de la croix, et nous croirons en lui. L’autre est, que les disciples qui l’avaient suivi savaient fort bien s’il avait fait des miracles, ou s’il n’en avait pas fait : car s’agissant ici de miracles sensibles, éclatants, et qui étaient visiblement au-dessus des forces humaines, ils ne pouvaient ignorer ce qui en était.
Cela étant, je considère que d’un assez grand nombre de disciples qu’avait Jésus-Christ, il ne s’en trouve que deux qui lui soient infidèles ; mais on les voit bientôt tous deux donner gloire à la vérité, quoique d’une manière différente. L’un est touché d’un regret tendre, et pleure amèrement. L’autre est poursuivi par les remords de sa conscience, qui l’obligent à se donner la mort.
Je voudrais bien savoir d’où vient le repentir de saint Pierre, et le désespoir de Judas, si Jésus n’est qu’un imposteur ? Car s’il se vante à faux de faire des miracles, il est impossible que ces deux hommes, ces deux témoins perpétuels de ses actions, ne le sachent ; et s’ils savent que Jésus-Christ se vante à faux de faire des miracles, d’où peuvent venir le repentir de l’un, et le désespoir de l’autre ?
Il ne servirait de rien de chicaner sur l’histoire de Judas, que les écrivains du Nouveau Testament nous représentent comme publique et connue de tout le monde. Lui donc, dit saint Pierre au chap. 1er du livre des Actes, s’étant acquis un champ du salaire de méchanceté, et s’étant précipité, s’est crevé par le milieu, et ses entrailles ont été répandues ; ce qui a été connu, ajoute-t-il, de tous les habitants de Jérusalem ; de sorte que ce champ-là a été appelé en leur propre langue Haceldama, c’est-à-dire le champ du sang. Peut-on mieux particulariser les choses ? et ne faudrait-il pas que l’auteur du livre des Actes eût perdu le sens, s’il avait prétendu pouvoir inventer toutes ces circonstances, et les mettre en la bouche de saint Pierre, sans être d’abord démenti, ou sans exposer celui qu’il fait parler à la moquerie de tout le monde ?
Les évangélistes circonstancient de même la mort et la résurrection de Jésus-Christ. Ils disent que sa mort fut accompagnée d’une effroyable obscurité et d’un tremblement de terre, que les pierres se fendirent, et que le voile du temple fut déchiré depuis le haut jusqu’au bas. Il faut avouer que si tout cela est inventé, ces écrivains ont perdu la raison, de choisir ainsi de pareilles circonstances pour vouloir les faire accroire. Est-ce une chose bien facile que de persuader à tous les habitants de Jérusalem que le jour que Jésus-Christ fut crucifié, le voile de leur temple se fendit, et qu’on vit divers prodiges éclatants ? N’est-ce pas là un bon moyen de trouver créance parmi les hommes ? Et des gens qui rapporteraient ces choses contre la connaissance publique, et si peu de temps après qu’elles devaient être passées, pouvaient-ils gagner plusieurs milliers de personnes.
Pour la résurrection de Jésus-Christ, les évangélistes rapportent que son tombeau fut scellé, qu’on y mit des gardes, que les gardes dirent le lendemain que les disciples de Jésus étaient venus enlever son corps lorsqu’ils dormaient, etc. Si vous doutez que les soldats, gagnés par les principaux sacrificateurs, n’aient rapporté que le corps de Jésus-Christ avait été enlevé par ses disciples, saint Matthieu vous le dira d’une manière qui vous empêchera d’en douter. Or, dit-il, quelques-uns de la garde vinrent dans la ville, et rapportèrent aux principaux sacrificateurs toutes les choses qui étaient arrivées. Ceux-ci donc s’étant assemblés avec les anciens, et ayant tenu conseil, donnèrent une grande somme d’argent aux soldats, en leur disant : Dites, ses disciples sont venus cette nuit, et l’ont emporté comme nous dormions. Que si le gouverneur vient à savoir cela, nous le lui persuaderons, et vous mettrons à couvert. Eux donc ayant reçu l’argent, firent comme ils avaient été enseignés ; et cette parole a été divulguée parmi les Juifs jusqu’à ce jour.
L’évangéliste n’a garde de vouloir imposer au public sur des choses qu’il prétend que le public a sues. Il faut donc avouer qu’on mit des gardes au tombeau de Jésus, et que ces gardes firent le rapport qui est marqué par les évangélistes, ou du moins qu’on crut que ç’avait été là leur rapport. Toute la question donc se réduit à savoir si les disciples ont effectivement enlevé le corps de Jésus-Christ au milieu de plusieurs gardes qui étaient là. Que l’on considère un peu la personne de ces disciples, qui étaient de pauvres et timides pêcheurs, leur dispersion, leur abattement, la triple abnégation du plus courageux d’entre eux, avec toutes les autres circonstances de cet événement, et l’on trouvera que, bien loin d’exécuter une entreprise si dangereuse, il est impossible qu’ils en eussent conçu le dessein.
Aussi Pilate fut-il si persuadé de la vérité de la résurrection de Jésus-Christ, qu’il en écrivit à Tibère ; et ce fut sur la lettre de Pilate que cet empereur étant allé au sénat, proposa de mettre Jésus-Christ au nombre des dieux. L’on n’a aucun lieu de tenir cette histoire pour suspecte, si l’on considère que c’est Tertullien qui l’a faite dans une apologie qu’il adresse au sénat et aux empereurs romains, qui n’avaient qu’à faire chercher dans leurs registres pour y trouver les actes de Pilate, comme tous ceux qui faisaient des apologies pour les chrétiens les y exhortaient si souvent.
Cependant nous n’avons pas grand besoin de ce témoignage du dehors. Rien n’est plus lié que les vérités le sont ici ; et il ne faut que lire les Évangiles, et les lire avec attention, pour en demeurer d’accord. Nous avons vu les miracles de Jésus-Christ avec leurs circonstances, et nous allons montrer que sa sainteté a été bien digne de ses miracles.