Mon Dieu, mon cœur est vide. Je ne prends plaisir à rien, rien n’éveille mes désirs, je n’ai plus de volonté. Je ne me comprends pas moi-même. Comblé de tes bienfaits, je n’en éprouve pas de reconnaissance ; entouré de devoirs, je n’ai le courage d’en remplir aucun ; je n’ai pas même l’énergie nécessaire pour m’attrister de ma culpabilité. Et toutefois, je sens que telle n’est pas ma destinée ; tu veux de moi quelque chose de mieux. Je puis le faire avec ton secours ; mais comment en susciter en moi le premier désir ? Où trouver la cause de ma langueur ? Ah ! Seigneur, c’est dans mon ingratitude grandie par tes bienfaits ! Si j’étais moins prospère je prierais davantage, j’agirais davantage ; je tremblerais alors pour mon avenir terrestre, et la crainte me ramènerait à toi ! Misère, misère de ma nature que je voudrais vaincre et qui m’a toujours vaincu ! Déplorable mobilité d’un esprit tournant au souffle du plus petit événement ; jouet de tout ce qui n’est pas moi, esclave de toutes les volontés, excepté de ma volonté propre. Mon Dieu, relève mon être abattu ; donne-moi ta force, montre-moi plus clairement le but, et tandis que tant de créatures y marchent sans te connaître, que moi, homme, seule créature qui te connaisse ici-bas, je ne m’en détourne plus à l’avenir.
Mais hélas ! Seigneur, je me sens encore le même, après t’avoir prié. Je voudrais presque retirer ces paroles qui me semblent sans but et sans effet. Quel mystère que mon être ! c’est un labyrinthe d’où je ne puis sortir. Dois-je donc y périr avant d’en avoir découvert l’issue ! non, Seigneur, je ne puis le croire. C’est à moi, non à mon Dieu qu’il faut reprocher tout ce dont je me plains ; à moi qui ne prie pas, ne lis pas, ne me sanctifie pas, et qui n’ai pas même un désir soutenu de me sanctifier. A moi donc la confusion de face ; à toi, Seigneur, la gloire ! Mon Dieu, je m’humilie, relève-moi, moi, toujours prêt comme Pierre à descendre sous les flots de l’incrédulité ! Jésus, sauve-moi, je péris ; mais non, tu viendras à mon secours !