Le principe de la réalité de la créature est corrélatif à la cessation de l’acte créateur, comme celui de la contingence de la créature, dont nous parlerons dans le chapitre suivant, est le corollaire de la continuité de l’action providentielle. Nous nous opposons donc par le titre même de ce chapitre à la définition de l’action providentielle comme d’une création continuéea.
a – Cf. Thomasius. Christi Person und Werk, page 211.
En posant en effet la créature devant soi dans l’acte de la création, Dieu l’a voulue réelle, c’est-à-dire détachée de son essence, quoique contingente ; et l’acte par lequel il l’a posée dans l’être est distinct de celui par lequel il l’y soutient. L’un est historique et momentané, l’autre continu et permanent.
Aussi l’activité créatrice de Dieu, tant dans le Nouveau (jue dans l’Ancien Testament, est-elle constamment rapportée soit au passé : Jean 1.3 (ἐγένετο) ; Actes 4.24 ; 14.15 ; 17.24 (ὁ ποιήσας) ; Colossiens 1.16 (ἐκτίσθη) ; Hébreux 1.2 (ἐποίησεν) ; Apocalypse 14.7 (τῷ ποιήσαντι) ; soit à l’avenir : Ésaïe 65.17 ; cf. Apocalypse 21.5b ; tandis que l’activité sustentatrice, et souvent tout à côté, est mentionnée au présent : φέρων (Hébreux 1.3), — τὸ φῶς φαίνει (Jean 1.5) ; à l’imparfait de la durée : ζωὴ ἧν (Jean 1.4), ou au parfait de l’état : συνέστηκεν (Colossiens 1.17).
b – Dans Es.45.7, le participe boré peut être entendu soit comme un participe passé, soit comme un présent de l’idée, mais ne saurait en tout cas fonder à lui seul la doctrine d’une création continue.
Le récit de la création déjà nous a montré les forces physiques, à peine issues de la parole divine détachées aussitôt de leur cause première, dotées d’une initiative propre et constituées en agents de production ou causes secondes à leur tour ; ainsi la terre (Genèse 1.11) et les eaux (Genèse 1.20).
Dans le récit du déluge, le grand abîme et les bondes des cieux, quels qu’ils fussent, figurent de même comme agents de destruction, dont les effets sont arrêtés par le vent que Dieu fait passer sur la terre, distinct du souffle divin lui-même, Genèse 8.1.
Dire avec le psalmiste que Dieu commande aux éléments, Psaumes 104 ; 65.8 ; préside aux événements de la nature, Psaumes 29.10 ; ou avec l’Evangile, que Jésus a commandé aux vents et aux flots, Matthieu 8.27, tancé la maladie, Luc 4.39, c’est prêter aux forces et aux éléments naturels une substantialité relative qui les rend accessibles aux influences et aux actions opposées du monde céleste et du monde infernal.
Le monde créé nous est donc représenté dans l’Ecriture et dans les passages que nous venons de passer on revue, comme un σύστημα (Colossiens 1.17), comme un organisme constitué, porteur de forces existantes et distinctes de la force créatrice. Ces éléments et ces forces ne sont ni les tronçons de la cause première, ni des effluves prolongés du souffle créateur ; l’existence finie, physique et morale, n’est pas le résultat d’une série incessante d’actes créateurs, le passage incessant du néant à l’être ; elle est une réalité continue, mais contingente.
Dans le louable désir de rendre à Dieu l’honneur qui lui revient, de rabattre l’esprit d’indépendance de la créature, et de ne pas traiter le monde comme « une horloge », Beck me paraît avoir méconnu ou du moins amoindri à l’excès ce premier élément que nous avons appelé la réalité de l’existence créée, et nous ne saurions pas très bien distinguer son point de vue de celui d’une création continue. Pour prouver, par exemple, la permanence et l’immanence, excluant toute cause seconde, de l’action divine dans la nature, il cite les expressions du psalmiste, qu’il interprète : « Gott donnert, regnet, nicht : er lässt donnern, regnen ».
Nous ne pensons pas que ces figures poétiques qui expriment la rapidité de l’action divine dans la nature, puissent infirmer les raisons que nous avons tirées de tant d’autres passages.
L’intérêt du point de vue que nous venons d’exposer se trouvera dans l’examen des cas où la force naturelle sert d’instrument à l’agent pervers.