Ensuite de la chute, le péché apparaît dans l’humanité comme un état. C’est un penchant naturel, un mal héréditaire auquel nul homme n’échappera, mais dont certaines races vont surtout souffrir.
1. Le mal ne demeure pas longtemps à l’état d’acte isolé. A la première désobéissance ne tarde pas à s’ajouter un second péché : Adam cherche à s’excuser. Cet effort qu’on fait pour se persuader que le mal n’est pas aussi grand que la conscience vous le représente, c’est la fraude de Psaumes 33.2 (רמיה), cette fraude si préjudiciable, qui empêche le coupable d’en venir à organiser une sérieuse et sincère résistance contre le mal qui a commencé à envahir son cœur. Une faute en amène une autre, et c’est ainsi que le péché devient une manière d’être, une direction du cœur. Le cœur de l’homme devient une source de mauvaises pensées. Avant le déluge, toute l’imagination des pensées du cœur de l’homme n’était que mal en tout temps (Genèse 6.5) ; et après le déluge l’Éternel dit de nouveau, que l’imagination du cœur des hommes est mauvaise dès leur jeunesse (Genèse 8.21). La théologie rabbinique voyait dans cette imagination du cœur (יצר לב) quelque chose de purement physique. Mais comment expliquer alors l’expression plus complète de Genèse 6.5 : l’imagination des pensées de leur cœur ? (Comparez 1 Chroniques 28.9). Quant à Genèse 8.21, passage diversement compris, voici l’explication qui nous parait la plus plausible : « Le penchant au mal se trouvant chez les hommes dès leur plus tendre jeunesse, si Dieu donnait un libre cours à sa justice, la race humaine tout entière devrait être anéantie. Mais Dieu l’épargne ; et pourquoi cela ? Parce que l’homme montre par ses sacrifices qu’il recherche pourtant encore la communion avec Dieu. » — C’est à cause de ce penchant naturel au mal que l’homme, naturellement aussi, regimbe contre la loi divine ; qu’il est d’un col raide et d’un cœur incirconcis, — ainsi que le répète si souvent le Pentateuque ; et que, lorsqu’Israël promet d’observer la loi de son Dieu, l’Éternel prononce ces tristes paroles : « Ils ont bien parlé, mais qui fera qu’ils aient toujours ce même cœur pour me craindre et pour garder tous mes commandements ? » Deutéronome 5.28-29.)
2. Les passages que nous venons de citer ne parlent pas expressément d’un péché héréditaire ; la chose y est pourtant. Et c’est peut-être ici le lieu d’observer que Moïse, tout en considérant la propagation de la race humaine comme un effet de la bénédiction divine (Genèse 1.28), présente cependant tout ce qui a rapport à la naissance des enfants comme des actes entachés de péché et qui nécessitent des sacrifices d’expiation et de purification (Lévitique ch. 12 et 15). David entre donc bien dans la pensée de la Loi à cet égard, quand il s’écrie au Psaumes 51.7 : « Voici, j’ai été formé dans l’iniquité et ma mère m’a conçu dans le péché. » Même si ce passage, ainsi qu’on l’explique le plus souvent aujourd’hui, ne parlait que de l’iniquité des parents, le fait que la procréation des enfants n’est pas exempte de souillure, impliquerait le péché originel, car, ainsi que le dit Job 14.4 : « Qui est-ce qui tirera une chose nette de ce qui est souillé ? — Personne. » Mais rien n’empêche de voir avec Hitzig dans Psaumes 51.7, un péché et une iniquité existant déjà dans le petit enfant, et, ainsi compris, ce passage parlerait expressément du péché originelg.
g – Le Talmud parle bien d’enfants saints, mais l’A. T. jamais. Jérémie peut fort bien avoir été choisi dès avant sa naissance pour devenir un prophète de l’Éternel (Jérémie 1.5), sans avoir été pour cela exempt du péché originel.
Le péché abonde tout particulièrement dans certaines races, sur lesquelles repose une malédiction spéciale ; tels sont les Caïnites, les Camites, les Cananéens, les Moabites, les Ammonites. Dieu déclare à plus d’une reprise qu’il punit les péchés des pères jusqu’à la troisième et quatrième génération. Les passages capitaux à cet égard sont Exode 20.5 ; 34.7 ; Nombres 14.18 ; Deutéronome 5.9. On les a bien mal compris quand on leur a fait dire que Dieu punit les péchés des pères sur des enfants innocents, et qu’il fait reposer la bénédiction des pères pieux sur leurs descendants les plus dégénérés. Il n’y a rien de semblable dans Exode 20.5. Même si l’on traduisait : « Je suis un Dieu jaloux qui punis l’iniquité des pères jusqu’à la troisième et quatrième génération des pères qui me haïssent ; » il n’y aurait là rien encore qui impliquât l’innocence des enfants ; elle ne serait ni affirmée, ni niée ; il n’en serait pas parlé. Mais je crois que les mots : de ceux qui me haïssent se rapportent bien plutôt aux pères et à leurs descendants, ce qui suppose que, dans la règle, le chef d’une race donne à ses descendants une direction morale qui a sur eux une certaine influenceh. Et de fait il en est bien ainsi, et quand les enfants continuent de marcher dans la mauvaise voie de leurs pères et qu’ils remplissent la mesure de leurs iniquités (Genèse 15.16), alors, si même la patience divine a attendu pendant trois ou quatre générations, le châtiment mérité par cette longue série de rebellions éclate enfin, et une génération se trouve frappée pour les crimes de tous ses ancêtres en même temps que pour les siens propres. Lévitique 26.39, est particulièrement instructif à cet égard : « Ceux qui demeureront de reste d’entre vous se fondront dans les pays de vos ennemis à cause de leurs iniquités, et ils se fondront aussi à cause des iniquités de leurs pères qui sont sur eux. »
h – Quand un mauvais père a un fils pieux, on peut considérer cela comme une exception, dit Hävernick dans sa Théologie de l’A. T.
Cela ne veut point dire que la malédiction qui repose sur telle ou telle race soit immuable. Toute la tribu de Lévi, par son zèle pour Dieu, change en bénédiction la malédiction que lui avait attirée son zèle à mal faire (§ 29). D’autres fois ce sont certaines branches qui échappent seules à la malédiction dont souffre tout le reste de l’arbre : voyez les enfants de Coré. C’est sur cette voie qu’on peut arriver à concilier Exode 20.5, avec Deutéronome 24.16 : « On ne fera point mourir les enfants pour les pères, mais on fera mourir chacun pour son péché. » Ces paroles ne se rapportent d’abord qu’à la justice humaine (2 Rois 14.6). Mais Jérémie 31.29 et Ézéchiel 23.17) étendent cette règle à la justice divine et, en le faisant, ils n’entendent nullement invalider le principe posé dans Exode 20.5, puisque Jérémie lui-même rappelle ces deux vérités l’une tout auprès de l’autre (Jérémie 32.18-19 ; Lamentations 5.7 ; 3.39). Ils s’opposent simplement à la fausse application que le peuple faisait de Exode 20.5, en disant pour s’excuser : « Les pères ont mangé des raisins verts et les dents des enfants en sont agacées. », Jérémie 31.29 ; Exode 20.5 ; Deutéronome 24.16, sont écrits à deux points de vue différents. Au point de vue de l’individu, chacun souffre pour sa propre faute ; voilà Jérémie 31.29 ; Deutéronome 24.16. Au point de vue de l’espèce, le péché de chaque individu est une manifestation et une continuation du péché de la race ou de la nation ; voilà Exode 20.5.