Dans ces mots « à toute créature », Hudson Taylor voyait, non un plan humain, mais un ordre divin. Il les reçut comme un décret royal qui ne supporte aucun retard. C'était une question de devoir et il n'y avait pas de temps à perdre. « Même si nous commençons immédiatement, se disait-il tout à nouveau, le cœur serré, des millions seront morts avant que nous puissions les atteindre. »
Mais que fallait-il commencer ? un effort précis, systématique pour faire ce que le Maître a dit, porter la joyeuse nouvelle du salut à tout homme, femme et enfant, dans la Chine entière. Visant à un but pratique, il examina, non si l'essai devait être fait, mais comment cette tâche pouvait être accomplie. Tandis qu'il y réfléchissait avec prière, il en vint à voir qu'elle était possible. Des armées de dizaines de milliers d'hommes sont bien envoyées aux extrémités du monde pour des conquêtes matérielles ; l'Église a à sa disposition des ressources égales à ses obligations.
Un million représente mille milliers. Supposons mille évangélistes, dont chacun aurait à parler à deux cent cinquante personnes chaque jour. En un millier de jours, deux cent cinquante millions recevraient l'offre de la miséricorde divine. Sûrement, une tâche qui, à ce taux-là, pouvait s'accomplir en un peu plus de trois ans ne devait pas être considérée comme chimérique, ou comme dépassant les ressources de l'Église de Christ.
Bien des objections, il le savait, pouvaient s'opposer à ce calcul. Serait-il possible à un ouvrier d'atteindre, chaque jour, deux cent cinquante personnes ? Quel serait le résultat d'un tel message ? Hudson Taylor n'oubliait pas ce qu'il avait accompli lui-même, en particulier pendant les mois où, avec le Révérend Burns, il avait fait cet effort systématique d'évangélisation dans un milieu où ne se trouvait aucun missionnaire. Il ne leur avait pas paru difficile d'atteindre chaque jour cinq cents ou mille personnes, en prêchant dans les rues, en entrant dans les boutiques avec des livres et des traités. Un rendez-vous le soir, dans une maison de thé, groupait ceux qui éprouvaient quelque intérêt, et plus tard, au bateau, ceux qui désiraient en savoir davantage et prier. Quelle joie il avait eue dans cette activité ! Beaucoup avaient donné leur cœur à Christ au premier message de l'amour rédempteur.
De plus, son calcul omettait le concours donné par les missionnaires — beaucoup plus de mille — qui se trouvaient déjà en Chine et l'inappréciable appui des chrétiens indigènes. Or, ils étaient au nombre de quarante mille et il les avait vus à l'œuvre suffisamment pour savoir qu'ils étaient prêts à diriger une pareille entreprise, aussi bien qu'à s'associer à elle.
L'ordre du Seigneur n'était pas seulement de prêcher l'Évangile à toute créature, mais de baptiser et d'instruire. De là, les écoles, les Églises organisées et beaucoup d'autres choses qui occupaient la grande majorité des missionnaires. Hudson Taylor le savait et nul plus que lui ne désirait multiplier le nombre de ces institutions. Il ne pensait pas à suspendre ou à négliger l'œuvre commencée, il n'avait en vue que les grands besoins restés encore sans réponse. Et, d'ailleurs, mille ouvriers de plus ne pouvaient s'adonner, pendant cinq ans, à une intense campagne d'évangélisation, dans la Chine entière, sans se préparer pour l'action sédentaire qui lui succéderait certainement.
C'est ainsi que fut conçu et parut dans le numéro de décembre du China's Millions un article intitulé « A toute créature ». Il demandait une action immédiate dans le domaine accessible à tout chrétien, celui de la prière. Hudson Taylor ne cherchait pas à déterminer la part que la Mission à l'Intérieur de la Chine pouvait prendre à ce mouvement d'extension. Seule l'action combinée et simultanée de toutes les sociétés pouvait mettre sans retard mille évangélistes au travail. Ses récentes visites en Amérique lui démontraient que, de ce côté-là de l'Océan, on pourrait en trouver une bonne moitié.
Même si les Églises s'y refusaient, écrivait-il, n'y aurait-il pas, en Europe, cinq cents ouvriers disposés à partir à leurs propres frais ? Mais pouvons-nous supposer que les épiscopaux d'Angleterre, les presbytériens d'Écosse et d'Irlande n'aient pas parmi eux chacun cent hommes ou femmes prêts à s'associer à cette glorieuse entreprise ? Que les méthodistes du Royaume Uni n'en fournissent pas une autre centaine, ainsi que les congrégationalistes et les baptistes ? Nous sommes assurés que les Etats-Unis et le Canada ne resteront pas en arrière et qu'ainsi les mille évangélistes seront aisément trouvés. Comment mener à bien un tel projet ? D'abord par une prière fervente et pleine de foi. C'était le plan que proposait notre Sauveur : « La moisson est grande, mais il y a peu d'ouvriers. Priez donc le maître de la moisson d'envoyer des ouvriers dans sa moisson. »
Nous ne nous arrêterons pas sur les suggestions pratiques qui suivaient : division du champ de travail, méthode, coopération de tous les ouvriers et chrétiens chinois. Il ne s'agissait pas simplement de présenter l'Évangile, en passant, à ceux qui ne l'avaient jamais entendu. Un village de mille habitants ne pourrait arrêter les évangélistes (travaillant à deux) que deux jours ; une ville : quatre jours. Mais, beaucoup de ces villes et de ces villages garderaient les missionnaires pendant des mois, et les personnes touchées auraient maintes occasions d'étudier le Chemin de la Vie plus parfaitement. « S'il est insuffisant de présenter l'Évangile une fois, rappelait-il avec énergie, combien est-il plus grave de ne pas le présenter du tout ! »
Hudson Taylor ne pensait pas seulement à l'ordre du Maître, il pensait aussi à son exemple. Dès que l'ordre de Christ : « à toute créature » se fût imposé à lui, la question avait surgi : « Où pourrions-nous avoir, dans ce désert, assez de pain pour rassasier une telle multitude ! » Plus il y réfléchissait, plus il voyait qu'il y avait là le problème tout entier et sa solution.
Tandis qu'il se rendait en Chine pour la deuxième Conférence missionnaire générale, il remerciait Dieu non seulement de l'occasion qu'Il lui donnait ainsi de délivrer Son message, mais du message lui-même. Quel meilleur sujet pourrait-il prendre, pour son discours d'ouverture, que le Seigneur Lui-même en présence de la multitude affamée ?
Il avait l'habitude de se prêcher premièrement ses sermons à lui-même et celui-ci ne fit pas exception. Le 23 avril, il pouvait écrire qu'il était « rafraîchi et encouragé » par la préparation de ce sermon. Il pouvait dire encore dans quelle mesure le Rédempteur était ému de compassion pour ces multitudes chinoises, brebis qui n'ont point de berger, parce qu'il en avait l'écho dans sa propre âme.
Je suis si heureux que ce fût une multitude si grande que les disciples estimaient impossible de la nourrir. Cependant ses besoins étaient réels et pressants. Remarquons que la seule présence des disciples n'aurait pas suffi. Ils regrettaient de n'avoir pas de pain... mais, Jésus était là, et Sa présence assurait la réalisation de Ses desseins. Tous furent rassasiés et les disciples non seulement repris et instruits, mais enrichis.
Hudson Taylor insista avec une joie, particulière sur le fait que pas plus la multitude des gens à nourrir que la pénurie des provisions n'offrent de difficultés. Lorsque les disciples eurent mis à la disposition du Maître ce qu'ils avaient, Il le rendit suffisant et plus que suffisant.
Les disciples étaient comme nous : lents à comprendre, d'une faible foi, aisément effrayés et découragés ; mais ils étaient près de Jésus, à portée de Sa voix, prêts à L'écouter et à Lui obéir. Et notre bien-aimé Maître ne se passa pas de leurs services... Serait-il vrai que ce même Jésus, maintenant assis sur le trône de son Père, soit si merveilleusement uni à nous et à nos frères et sœurs de Chine qu'Il ne veuille rien faire sans nous ? Que Lui, le vrai cep, ne veuille porter ici-bas du fruit que par nous, Ses sarments ? O mes frères, pouvons-nous nous arrêter sur ces pensées sans que nos cœurs brûlent au-dedans de nous !
C'était en faveur de la consécration qu'il plaidait ; de la pleine et entière consécration de ce que nous avons et de ce que nous sommes à Celui qui s'est donné Lui-même sans réserve pour nous.
Sommes-nous, devant Lui, dans un esprit d'entière consécration ? Je ne dis pas avec une foi forte, ni une intelligence profonde, avec des talents naturels ou spirituels, extraordinaires, je dis dans un esprit d'entière consécration. Nous ne savons pas ce que cela peut signifier, ce que cela implique, mais nous n'avons pas besoin de le savoir. Il le sait et cela nous suffit. Nous ne pouvons nous aimer nous-même comme Il nous aime, nous ne pouvons prendre soin de nous comme Il le fait... En retour du peu que nous sommes, Il se donnera Lui-même à nous.
Puis, en face de ces besoins immenses, Jésus rendit grâces. Il rendit grâces pour les disciples qui Lui avaient tout donné, pour le peuple qui allait être nourri, pour l'exaucement de Sa prière par Son Père qui devait être glorifié dans Son Fils. Rendons-nous toujours grâces pour nos difficultés, demandait Hudson Taylor ? Voyons-nous en elles la sagesse et l'amour de Dieu et une raison de réclamer davantage Sa puissance et Son secours ?
Quand il fut enfin en présence de son auditoire — ces hommes et ces femmes qui représentaient toutes les sociétés protestantes à l'œuvre en Chine — son cœur s'épancha au-delà des limites du texte qu'il avait préparé.
Si, en tant que Conférence organisée, s'écria-t-il avec conviction, nous nous décidions à obéir pleinement à l'ordre du Seigneur, nous recevrions une effusion de l'Esprit telle que le monde n'en a pas reçue de pareille depuis celle de Jérusalem. Dieu donne Son Esprit non pas à ceux qui soupirent après Lui, mais à ceux qui Lui obéissent. Si nous étions résolus à ce que chaque ville, chaque village, chaque hameau de ce pays reçût l'Évangile, je crois que le Saint-Esprit descendrait sur nous avec une telle puissance que les ressources nécessaires jailliraient de tous côtés...
... Il n'y a pas de bornes à Ses ressources. La pauvreté entre Ses mains est la plus grande richesse. La question des ressources ne se pose pas pour quiconque veut suivre le Maître et faire Sa volonté.