Il a esté exposé au livre prochain, comment par la foy de l’Evangile Jésus-Christ est fait nostre, et comment nous sommes faits participans du salut qu’il nous a apporté, et de la béatitude éternelle. Mais pource que nostre rudesse et paresse, j’adjouste aussi la vanité de nos esprits, ont besoin d’aides extérieures, par lesquelles la foy soit engendrée en nous, y croisse et s’y advance de degré en degré, Dieu n’a point oublié de nous en prouvoir, pour supporter nostre infirmité. Et afin que la prédication de l’Evangile eust son cours, il a commis comme en dépost ce thrésor à son Eglise : il a institué des Pasteurs et Docteurs par la bouche desquels il nous enseignast Eph. 4.11 : brief, il n’a rien laissé derrière de tout ce qui appartenoit à nourrir un sainct consentement de foy, et un bon ordre entre nous. Sur tout il a institué les Sacremens, lesquels nous cognoissons par expérience estre moyens plus qu’utiles à nourrir et confermer nostre foy. Car d’autant qu’estans enclos en nostre chair comme en une cave, nous ne sommes point parvenus en degré Angélique : Dieu se conformant à nostre capacité, selon sa Providence admirable a establi ceste conduite pour nous faire venir à soy : combien que nous en soyons fort loing séparez. Ainsi la façon d’enseigner requiert, que maintenant je traitte de l’Eglise et de son régime, des offices comprins sous son estat, de sa puissance ; item des Sacremens, et finalement de la police : et que je tasche de retirer les lecteurs des corruptions et abus dont Satan a tasché en la Papauté d’abastardir tout ce que Dieu avoit destiné à nostre salut. Or je commenceray par l’Eglise, au sein de laquelle Dieu a voulu que ses enfans soyent assemblez : non-seulement pour estre nourris par le ministère d’icelle pendant qu’ils sont encores en aage d’enfans, mais à ce qu’elle exerce tousjours un soin maternel à les gouverner, jusques à ce qu’ils soyent venus en aage d’homme, voire qu’ils atteignent le dernier but de la foy. Car il n’est pas licite de séparer ces deux choses que Dieu a conjoinctes : c’est que l’Eglise soit mère de tous ceux desquels il est Père. Ce qui n’a pas esté seulement sous la Loy, mais dure encores depuis l’advénement de Jésus-Christ : tesmoin sainct Paul, qui prononce que nous sommes enfans de la nouvelle Jérusalem et céleste Gal. 4.26.
Quand nous confessons au Symbole que nous croyons l’Eglise, cest article ne se rapporte pas seulement à l’Eglise visible, de laquelle nous avons maintenant à parler, mais aussi à tous les esleus de Dieu, au nombre desquels sont comprins ceux qui sont desjà trespassez. Pourtant ce mot de Croire, y est mis, pource que souvent on ne pourroit pas noter à l’œil la diversité qui est entre les enfans de Dieu et les gens profanes, entre son sainct troupeau et les bestes sauvages. Car quant à ce que plusieurs entrelacent ce mot En, cela n’a nulle raison probable. Je confesse bien qu’il est plus accoustumé aujourd’huy, et que d’ancienneté il a esté en usage : et mesmes le Symbole de Nice, comme il est récité en l’histoire ecclésiastique, dit, Croire en l’Eglise : néantmoins il appert aussi par les livres des anciens Pères, que cela estoit receu sans difficulté, de dire, Croire l’Eglise, et non pas En l’Eglise. Car sainct Augustin, et l’auteur du traitté sur le Symbole, qu’on intitule de sainct Cyprien, non-seulement parlent ainsi, mais notamment enseignent que la locution seroit impropre si on adjoustoit ceste préposition En. Et conferment leur opinion par une raison qui n’est pas frivole : Car nous tesmoignons que nous croyons en Dieu, d’autant que nostre cœur se remet sur luy comme véritable, et nostre fiance repose en luy, ce qui ne conviendroit point à l’Eglise, non plus qu’à la rémission des péchez, et à la résurrection de la chair. Pourtant, combien que je ne vueille point estriver pour les mots, toutesfois j’aime mieux suyvre la propriété, par laquelle la chose soit bien déclairée, que d’affecter formes de parler qui induisent obscurcie sans propos. La fin est, que nous sçachions, combien que le diable machine tout ce qu’il peut pour ruiner la grâce de Christ, et que tous les ennemis de Dieu conspirent à cela, et s’y efforcent avec une rage impétueuse, toutesfois qu’elle ne peut estre esteinte, et que le sang de Jésus-Christ ne peut estre rendu stérile, qu’il ne produise quelque fruit. Parquoy il nous faut yci regarder à l’élection de Dieu, et aussi à sa vocation intérieure, par laquelle il attire à soy ses esleus : pource que luy seul cognoist qui sont les siens, et les tient fermez sous son cachet 2Tim. 2.19 comme dit sainct Paul, sinon qu’il les fait porter ses enseignes, par lesquelles ils peuvent estre discernez d’avec les réprouvez. Mais pource qu’ils ne sont qu’une poignée de gens, voire contemptibles, meslez parmi grande multitude, et sont cachez comme un peu de grain sous un grand amas de paille en l’aire, il nous faut laisser à Dieu seul ce privilège de cognoistre son Eglise de laquelle le fondement est son élection éternelle. Et de faict, ce ne seroit point assez de concevoir en nostre cerveau que Dieu a ses esleus, si nous ne comprenions quant et quant une telle unité de l’Eglise, en laquelle nous soyons persuadez estre vrayement entez. Car si nous ne sommes alliez avec tous les autres membres sous le Chef commun qui est Jésus-Christ, nous ne pouvons avoir nulle espérance de l’héritage à venir. Parquoy elle est nommée Catholique ou universelle : pource qu’on n’en sçauroit faire deux ni trois sans deschirer Jésus-Christ, entant qu’en nous seroit. Mesmes les esleus de Dieu sont tellement conjoincts en Jésus-Christ, que comme ils dépendent tous d’un chef, aussi sont-ils faits un mesme corps : voire avec telle liaison qu’on voit entre les membres d’un corps humain. Ils sont doncques tous un, vivans d’une mesme foy, espérance et charité par l’Esprit de Dieu : estans appelez non-seulement en un mesme héritage, mais aussi à participer à la gloire de Dieu et de Jésus-Christ. Et pourtant, combien que la désolation horrible qu’on voit par tout et de tous costez, semble monstrer qu’il n’y a rien de résidu de l’Eglise, sçachons que la mort de Christ est fructueuse, et que Dieu garde miraculeusement son Eglise comme en cachette, selon qu’il fut dit à Elie de son temps, Je me suis réservé sept mille hommes, qui n’ont point fleschy le genouil devant Baal 1Rois 19.18.
Combien que l’article du Symbole s’estende aussi aucunement à l’Eglise externe, afin que chacun de nous soit instruit de se maintenir en fraternel accord avec tous les enfans de Dieu, de rendre à l’Eglise l’authorité qui luy appartient, et finalement de se porter comme brebis du troupeau. Et pourtant est adjoustée, La communion des Saincts : lequel membre, combien qu’il ait esté omis des Anciens, n’est pas à mespriser, d’autant qu’il exprime très-bien la qualité de l’Eglise ; comme s’il estoit dit que les Saincts sont assemblez à telle condition à la société de Christ, qu’ils doyvent mutuellement communiquer entre eux tous les dons qui leur sont conférez de Dieu. Toutesfois la diversité des grâces n’est pas ostée par cela, comme nous voyons que les dons de l’Esprit sont distribuez en plusieurs sortes : et aussi l’ordre de la police n’est point dissipé, que chacun ne possède ses biens à part, selon qu’il est nécessaire pour conserver paix entre les hommes, que chacun soit maistre de ses facultez. Mais ceste communauté doit estre entendue comme sainct Luc la descrit : Il n’y avoit qu’un cœur et une âme en la multitude des croyans Actes 4.32. Item sainct Paul, en exhortant les Ephésiens d’estre un corps et un esprit : comme ils sont appelez en une espérance Eph. 4.4. Car il ne se peut faire que ceux qui sont vrayement persuadez que Dieu leur est un commun Père, et que Christ est leur chef seul à tous, ne soyent conjoincts entre eux en amour fraternelle, pour communiquer ensemble au proufit l’un de l’autre. Or il nous est bien requis et utile de cognoistre quel fruit nous revient de ceci : car nous croyons tellement l’Eglise, que nous devons estre asseurez d’estre membres d’icelle. Car voylà comme nostre salut sera bien appuyé et fermement : en sorte que si tout le monde estoit esbranlé, telle certitude demeurera debout. Premièrement il est fondé en l’élection de Dieu : et ne peut défaillir, sinon que sa providence éternelle soit dissipée. D’avantage, il est confermé entant qu’il faut que Christ demeure en son entier, lequel ne souffrira ses fidèles estre distraits de soy non plus que ses membres estre déchirez par pièces. En outre nous sommes certains qu’entant que nous demeurons dedans le sein de l’Église, la vérité demeure avec nous. Finalement, nous entendons que ces promesses nous appartienent, où il est dit qu’il y aura salut en Sion : Dieu demeurera à tousjours en Jérusalem, et ne bougera jamais du milieu d’icelle Joël 2.32 ; Abd. 1.17 ; Ps. 46.5. Telle vertu a l’unité de l’Eglise, qu’elle nous peut retenir en la compagnie de Dieu. Pareillement ce mot de Communion nous peut grandement consoler : c’est que puis que tout ce que nostre Seigneur a conféré de grâces à ses membres et aux nostres, nous appartient, nostre espérance est confermée par tous les biens qu’ils ont. Au reste pour se tenir en l’unité d’icelle Eglise, il n’est jà mestier que nous voyions une Eglise à l’œil : ou que la touchions à la main ; plustost entant que nous la devons croire, en cela il nous est signifié qu’il ne nous la faut point moins recognoistre quand elle nous est invisible, que si nous la voyions évidemment. Et n’en est nostre foy de rien pire, quand elle recognoist l’Eglise que nostre intelligence ne peut comprendre : d’autant qu’yci il ne nous est point commandé de discerner les esleus des réprouvez (ce qui appartient à Dieu seul et non à nous) mais d’avoir ceste certitude en nos cœurs, que tous ceux qui par la clémence de Dieu le Père et la vertu du sainct Esprit sont venus en la participation de Christ, sont ségrégez pour le propre héritage de Dieu : et d’autant que nous sommes en leur nombre, nous sommes héritiers d’une telle grâce.
Mais pource que maintenant mon intention est de parler de l’Eglise visible, apprenons du seul tiltre de Mère, combien la cognoissance d’icelle nous est utile, voire nécessaire : d’autant qu’il n’y a nulle entrée en la vie permanente, sinon que nous soyons conceus au ventre de ceste mère, qu’elle nous enfante, qu’elle nous allaite de ses mammelles : finalement qu’elle nous tiene et garde sous sa conduite et gouvernement, jusques à ce qu’estans despouillez de ceste chair mortelle nous soyons semblables aux Anges Matt. 22.30. Car nostre infirmité ne souffre pas que nous soyons retirez de l’eschole, jusques à ce que nous ayons esté disciples tout le cours de nostre vie. Il est aussi à noter, que hors le giron d’icelle on ne peut espérer rémission des péchez ne salut aucun, tesmoins Isaïe et Joël Esaïe 37.32 ; Joël 2.32 : ausquels Ezéchiel s’accorde, disant que ceux que Dieu veut exterminer de la vie céleste, ne seront point au rolle de son peuple Ezéch. 13.9. Et à l’opposite il est dit que ceux qui se convertiront au service de Dieu et à la vraye religion, se viendront enroller entre les bourgeois de Jérusalem Ps. 87.5-6. Pour laquelle raison il est dit en l’autre Pseaume, Qu’il te souviene de moy, ô Dieu, en l’amour que tu portes à ton peuple : visite-moy en ton salut, pour me faire sentir la bénéficence que tu gardes à ton peuple : que je m’esjouisse en la liesse de ta gent, que je m’esjouisse avec ton héritage Ps. 106.4-5. Par ces mots la faveur paternelle de Dieu, et le tesmoignage spécial de la vie spirituelle est restreint au troupeau de Dieu, afin que nous soyons advertis que c’est une chose pernicieuse et mortelle de se distraire ou séparer de l’Eglise.
Maintenant poursuyvons à déduire ce qui appartient à cest argument. Sainct Paul dit que Jésus-Christ pour remplir toutes choses a establi les uns Apostres, les autres Prophètes, les autres Evangélistes, les autres Pasteurs et Docteurs, pour l’accomplissement des Saincts, pour l’ouvrage d’administration, afin d’édifier le corps de Christ, jusques à ce que nous soyons tous parvenus en l’unité de la foy et de la cognoissance du Fils de Dieu, en homme parfaict et en la mesure d’aage accomplie en Christ Eph. 4.11-13. Nous voyons que Dieu, combien qu’il peut eslever en un moment les siens en perfection, les veut néantmoins faire croistre petit à petit sous, la nourriture de l’Eglise. Nous voyons que la manière est exprimée : asçavoir entant que la prédication est commise aux Pasteurs. Nous voyons comment tous sont rangez à cela, de se laisser avec un esprit docile et débonnaire gouverner par les Pasteurs créez à cest usage. Et aussi long temps auparavant le Prophète Isaïe avoit descrit le règne de Jésus-Christ sous ces marques : Mon esprit qui est en toy, et les paroles que j’ay mises en ta bouche ne départiront point jamais ne de ta bouche, ne de la bouche de tes enfans, ne de leurs successeurs Esaïe 59.21 ; dont il s’ensuyt que ceux qui refusent d’estre appastelez par l’Eglise, ou rejettent la viande spirituelle qu’elle leur offre, sont dignes de mourir de faim. C’est bien Dieu qui nous inspire la foy, mais par l’organe de son Evangile : comme sainct Paul admoneste que la foy vient de l’ouye Rom. 10.17, comme la puissance de sauver réside en Dieu Rom. 1.16 : mais il la desploye en la prédication de l’Evangile, selon que le mesme Apostre tesmoigne ailleurs. Voylà pourquoy il a voulu sous la Loy que le peuple ancien s’assemblast au Sanctuaire, afin que la doctrine enseignée par la bouche du Sacrificateur, entreteinst l’unité de foy. Et de faict, ces tiltres tant excellens et magnifiques, que le temple est le repos de Dieu, son sanctuaire et domicile, qu’il repose entre les Chérubins Ps. 132.13-14 ; 80.1, ne tendent à autre fin que pour faire priser et aimer avec toute révérence la prédication de la doctrine céleste, et qu’elle ait sa dignité, laquelle pourroit estre amoindrie quand on s’amuseroit à regarder les hommes mortels qui la portent. Parquoy afin que nous sçachions qu’un thrésor inestimable nous est présenté dedans des pots de terre 2Cor. 4.7, Dieu luy-mesme se met en avant : et selon qu’il est autheur de cest ordre, il veut estre recognu présent en ce qu’il a institué. Pour ceste cause, après avoir défendu à son peuple de se mesler de devinemens, arts magiques, nécromancie, et toutes autres superstitions, il adjouste qu’il leur donnera moyen d’estre enseignez, qui leur devra bien suffire un seul pour tous :asçavoir que jamais ne seront destituez de Prophètes Lév. 19.31 ; Deut. 18.14-15. Or comme il n’a point envoyé le peuple ancien aux Anges, mais leur a suscité des docteurs de la terre, qui tissent office d’Anges envers eux : aussi aujourd’huy il nous veut enseigner parle moyen des hommes. Comme aussi jadis il ne s’est pas contenté d’avoir donné sa seule Loy par escrit, mais a estably les Sacrificateurs pour estre expositeurs d’icelle, et par la bouche desquels il a voulu qu’elle fust entendue Mal. 2.7 : aussi aujourd’huy il luy plaist que non-seulement chacun soit attentif à lire en son particulier, mais qu’il y ait maistres et docteurs pour nous guider et aider ; ce qui emporte double utilité. Car d’une part c’est un bon examen pour esprouver l’obéissance de nostre foy, quand nous oyons les ministres qu’il nous envoyé comme si luy-mesme parloit ; secondement il pourvoit à nostre infirmité, aimant mieux parler à nous de façon humaine par ses messagers, afin de nous allécher doucement, que détonner en sa majesté pour nous effaroucher. Et de faict, tous fidèles sentent combien ceste façon familière d’enseigner nous est propre, veu qu’il est impossible que nous ne soyons effrayez quand Dieu parle en sa hautesse. Ceux qui estiment que l’authorité de la Parole est anéantie par le mespris et basse condition des ministres qui l’annoncent, descouvrent leur ingratitude : veu qu’entre tant de dons excellens desquels Dieu a orné le genre humain, c’est une prérogative souveraine, qu’il daigne bien consacrer leurs bouches et langues à son service, afin que sa voix y résonne. Qu’il ne nous soit pas doncques grief de nostre costé, de recevoir en toute obéissance la doctrine de salut qu’on nous propose de son commandement exprès. Car combien que sa vertu ne soit point attachée à nuls moyens externes, si nous a-il voulu astreindre à ceste façon ordinaire, laquelle si on rejette comme font plusieurs fantastiques, on s’enveloppe en beaucoup de liens mortels. Plusieurs sont induits ou par orgueil et présomption, ou par desdain, ou par envie à se persuader qu’ils proufiteront assez en lisant en leur privé, ou méditant : dont ils mesprisent les assemblées publiques, et pensent que la prédication soit superflue. Or pource qu’ils dissoudent ou rompent entant qu’en eux est le lien d’unité, lequel Dieu veut estre gardé inviolable : c’est bien raison qu’ils reçoyvent le salaire de tel divorce : comme tous s’ensorcellent d’erreurs et resveries qui les meinent à confusion. Parquoy afin que la pure simplicité de foy nous demeure, qu’il ne nous soit grief ne fascheux d’user de cest exercice, lequel Dieu en l’instituant a déclairé nous estre nécessaire, et lequel il nous recommande tant et plus. Il ne s’est jamais trouvé nul, mesmes de ces chiens mastins qui se desbordent à toutes mocqueries, qui osast dire qu’on doyve bouscher les aureilles quand Dieu parle ; mais les Prophètes et saincts Docteurs ont tousjours eu grans combats et difficiles contre les meschans, pour les assujetir à la doctrine qu’ils preschoyent : pource que leur arrogance ne peut recevoir ce joug, qu’ils vueillent estre enseignez par la bouche et ministère des hommes. Or cela est autant comme effacer l’image de Dieu, laquelle reluit en la doctrine ; car voylà aussi pourquoy il a esté commandé anciennement aux fidèles de chercher l’image de Dieu au Temple Ps. 105.4, ce qui leur est si souvent réitéré en la Loy : c’est pource que la doctrine et exhortation des Prophètes leur estoit comme une image vive de Dieu, comme sainct Paul se glorifie que la gloire de Dieu reluit en sa prédication en la face de Christ 2Cor. 4.6. Et d’autant plus nous doyvent estre détestables tous ces Apostats qui s’efforcent à dissiper les Eglises, comme s’ils chassoyent les brebis de leur parc ou estable, pour les exposer à la gueule des loups. Quant à nous, retenons ce que j’ay allégué de sainct Paul : asçavoir que l’Eglise ne se peut édifier que par la prédication externe, et que les saincts ne sont retenus entr’eux par autre lien, que quand d’un commun accord en apprenant et proufitant ils observent l’ordre estably de Dieu Eph. 4.12. Et c’a esté la principale fin, comme j’ay dit, que Dieu a regardé : commandant jadis aux fidèles sous la Loy de s’assembler au sanctuaire. Lequel aussi pour ceste cause Moyse appelle le Lieu du nom de Dieu, pource qu’il avoit voulu que sa mémoire y fust célébrée Exo. 20.24. En quoy il enseigne ouvertement, que l’usage en estoit nul sans la doctrine de vérité. Il n’y a doute que David à ce regard ne se complaigne avec si grande angoisse et amertume d’esprit, que l’accès du tabernacle luy est forclos par la tyrannie et cruauté de ses ennemis Ps. 84.2-4. Plusieurs trouvent ceste lamentation puérile : pource que ce ne luy estoit pas grande perte, et qu’il n’estoit pas privé de grand plaisir, de ne pouvoir approcher du parvis du temple moyennant qu’il jouist de ses commoditez et délices. Or tant y a qu’il déplore que ceste tristesse et douleur le brusle et le tormente, voire le consume du tout, qu’il n’ose approcher du lieu sainct : asçavoir pource que les fidèles ne prisent rien plus que ce moyen par lequel Dieu eslève les siens en haut, comme de degré en degré. Et faut bien noter que Dieu s’est tellement monstré anciennement aux Pères au miroir de sa doctrine, qu’il a tousjours voulu estre cognu spirituellement ; dont le temple non-seulement est appelé Sa face : mais aussi son marchepied Ps. 132.7 ; 99.5 ; 1Chr. 28.2, afin d’éviter toute superstition. Et c’est l’heureuse rencontre dont parle sainct Paul, que nous apporte la perfection en unité de foy, quand tous depuis le plus grand jusques aux plus petit aspirent au Chef. Quant aux temples que les Payens ont édifiez à Dieu à autre fin ou intention, ils n’ont servy qu’à profaner son service. Auquel vice les Juifs sont aussi bien tombez, encores que ce ne fust pas du tout si lourdement : mais si est-ce qu’ils n’ont pas laissé d’estre coulpables, comme sainct Estiene leur reproche par la bouche d’Isaïe : c’est que Dieu n’habite point en bastiment fait de main d’hommes Actes 7.48 : mais luy seul se dédie par sa Parole et sanctifie des temples en usage légitime. Et si tost que nous attentons inconsidérément ceci ou cela, sans qu’il le nous ait commandé, incontinent un mal ensuyt l’autre : c’est d’adjouster beaucoup de resveries au principe qui est desjà mauvais de soy, en sorte que la corruption se multiplie sans mesure. Toutesfois Xerxès Roy de Perse procéda follement et à l’estourdie, en bruslant par le conseil des Philosophes de son pays tous les temples de Grèce, sous ombre que les dieux qui ont toute liberté, ne doyvent point estre enclos en murailles et sous des tuilles ; comme s’il n’estoit point en la puissance de Dieu de descendre aucunement à nous, afin de se monstrer plus prochain : néantmoins sans bouger ne changer de lieu, et aussi sans nous attacher à nuls moyens terrestres, mais plustost nous faire monter en haut à sa gloire céleste, laquelle remplit tout de sa grandeur infinie, mesmes surmonte les cieux en sa hautesse Jér. 23.24.
Or pource qu’il y a eu de nostre temps de grans combats touchant l’efficace du ministère : c’est qu’aucuns voulans amplifier la dignité d’iceluy, ont excédé mesure : les autres ont maintenu que c’estoit tout pervertir, de transporter à l’homme mortel, ce qui est propre au sainct Esprit, en disant que les ministres et Docteurs entrent jusques aux entendemens et aux cœurs, pour corriger tant l’aveuglement que la dureté qui y est : nous avons à décider ces disputes. Ce qu’ils allèguent d’un costé et d’autres sera facile à transiger, en observant distinctement les passages ausquels Dieu, selon qu’il est autheur de la prédication, conjoignant son Esprit avec icelle, promet qu’elle ne passera pas sans fruit : ou bien d’autre part, en se séparant de toutes aides externes, s’attribue à luy seul tant le commencement de la foy que l’accomplissement. L’office du second Elias, tesmoin le Prophète Malachie, a esté d’illuminer les esprits, convertir les cœurs des pères aux enfans, et les incrédules à la sagesse des justes Malach. 4.6 ; Luc 1.17. Jésus-Christ prononce qu’il envoyé ses Apostres, à ce qu’ils rapportent fruit de leur labeur Jean 15.16. Or sainct Pierre définit briefvement quel est ce fruit-là, disant que nous sommes régénérez par la parole qui nous est preschée, qui est la semence incorruptible de vie ? 1Pi. 1.23. Pourtant sainct Paul se glorifie d’avoir engendré les Corinthiens au Seigneur par l’Evangile, et qu’ils sont le seau de son Apostolat : et mesmes qu’il n’est pas un ministre litéral, qui ait seulement batu les aureilles par le son de sa voix, mais que l’efficace de l’Esprit luy a esté donnée, afin que sa doctrine ne fust pas inutile 1Cor. 4.15 ; 9.2 ; 2Cor. 3.6 ; selon lequel sens il dit ailleurs, que son Evangile n’a pas esté seulement en paroles : mais en vertu de l’Esprit 1Cor. 2.4. Il dit aussi que les Galatiens ont receu le sainct Esprit par l’ouye de la foy Gal. 3.2 : brief en plusieurs passages non-seulement il se fait coopérateur de Dieu, mais aussi s’attribue l’office d’administrer salut 1Cor. 3.9. Il est certain que jamais il n’a proféré telles choses pour usurper une seule goutte de louanges à part, en se séparant d’avec Dieu, comme il l’expose ailleurs. Nostre labeur n’a pas esté inutile en Dieu, selon sa vertu, qui a besongné puissamment en moy 1Thess. 3.5. Item derechef, Celuy qui a desployé sa vertu en Pierre envers les Juifs, l’a aussi desployée en moy envers les Gentils Gal. 2.8. D’avantage, il appert par d’autres passages, qu’il ne laisse rien qui soit aux ministres, quand ils seront regardez en eux : Celuy, dit-il, qui plante n’est rien, et celuy qui arrouse n’est rien : mais Dieu qui donne accroissement fait tout 1Cor. 3.7. Item, J’ay travaillé par-dessus tous les autres : non pas moy, mais la grâce de Dieu qui m’assistoit 1Cor. 15.10. Il est requis de noter diligemment et retenir ces sentences, ausquelles Dieu s’attribuant l’illumination de nos esprits et renouvellement de nos cœurs, déclaire que celuy qui se vante d’y avoir quelque part ou portion, est sacrilège. Ce pendant selon que chacun se rendra docile aux ministres que Dieu ordonne, il sentira en effect à son grand proufit, que ceste manière d’enseigner n’a pas pleu à Dieu en vain : et que non sans cause il a imposé ce joug de modestie à tous ses fidèles.
J’estime qu’il est assez notoire par ce que nous avons dit comment on doit juger de l’Eglise visible, laquelle nous pouvons cognoistre. Car nous avons dit que l’Escriture saincte parle de l’Eglise en deux sortes : c’est que quelquesfois en usant de ce nom, elle entend l’Eglise qui est telle à la vérité, et en laquelle nuls ne sont comprins sinon ceux qui par la grâce d’adoption sont enfans de Dieu, et par la sanctification de son Esprit sont vrays membres de Jésus- Christ. Et lors non-seulement elle parle des Saincts qui habitent en terre, mais de tous les esleus qui ont esté depuis le commencement du monde. Souvent par le nom de l’Eglise elle signifie toute la multitude des hommes, laquelle estant esparse en diverses régions du monde, fait une mesme profession d’honorer Dieu et Jésus-Christ : a le Baptesme pour tesmoignage de sa foy : en participant à la Cène proteste d’avoir unité en doctrine et en charité : et consentante à la Parole de Dieu, et de laquelle elle veut garder la prédication, suyvant le commandement de Jésus-Christ. En ceste Eglise il y a plusieurs hypocrites meslez avec les bons qui n’ont rien de Jésus-Christ fors que le tiltre et l’apparence : les uns ambitieux, les autres avaricieux, les autres mesdisans, aucuns de vie dissolue, lesquels sont tolérez pour un temps, ou pource qu’on ne les peut convaincre juridiquement, ou bien pource que la discipline n’est pas tousjours en telle vigueur qu’elle devroit. Pourtant comme il nous est nécessaire de croire l’Eglise invisible à nous, et cognue à un seul Dieu : aussi il nous est commandé d’avoir ceste Eglise visible en honneur, et de nous maintenir en la communion d’icelle.
Pourtant le Seigneur nous l’a marquée de certains signes et enseignes, entant qu’il nous estoit expédient de la cognoistre. Vray est que ce privilège appartient à luy seul, de cognoistre qui sont les siens, comme j’ay allégué de sainct Paul 2Tim. 2.19. Et de faict, afin que la témérité des hommes ne s’avançast jusques-là, il y a mis bon ordre : nous advertissant journellement par expérience, combien ses jugemens secrets surmontent nostre sens. Car d’une part ceux qui sembloyent advis du tout perdus et qu’on tenoit pour désespérez, sont réduits au droict chemin : d’autre costé ceux qui sembloyent estre bien fermes, trébuschent. Parquoy selon la prédestination de Dieu cachée et secrette, comme dit sainct Augustin, il y a beaucoup de brebis hors l’Eglise, et beaucoup de loups dedans[a]. Car il cognoist et a marqué ceux qui ne cognoissent ne luy ny eux-mesmes. Touchant de ceux qui portent extérieurement sa marque, il n’y a que les yeux de luy seul qui voyent lesquels sont saincts sans feintise, et lesquels doyvent persévérer jusques en la fin : ce qui est le principal de nostre salut. Toutesfois pource que le Seigneur voyoit estre expédient de sçavoir lesquels nous devons avoir pour ses enfans, il s’est accomodé en cest endroict à nostre capacité. Et d’autant qu’il n’estoit jà besoin en cela de certitude de foy, il a mis au lieu un jugement de charité, selon lequel nous devons recognoistre pour membres de l’Eglise, tous ceux qui par confession de foy, par bon exemple de vie et participation des Sacremens advouent un mesme Dieu et un mesme Christ avec nous. Or d’autant qu’il nous estoit mestier de cognoistre le corps de l’Eglise, pour nous adjoindre à iceluy, il nous l’a marqué de certaines enseignes, ausquelles l’Eglise nous apparoist évidemment et comme à l’œil.
[a] Homil. In Joann. XLV
Voylà dont nous avons l’Eglise visible. Car partout où nous voyons la Parole de Dieu estre purement preschée et escoulée, les Sacremens estre administrez selon l’institution de Christ, là il ne faut douter nullement qu’il n’y ait Eglise Eph. 2.20 : d’autant que la promesse qu’il nous a baillée ne nous peut faillir : Par tout où deux ou trois seront assemblez en mon nom, je seray au milieu d’eux Matt. 18.20. Mais pour bien entendre la somme de ceste matière, il nous faut procéder par les degrez qui s’ensuyvent : c’est que l’Eglise universelle est toute la multitude laquelle accorde à la vérité de Dieu et à la doctrine de sa Parole, quelque diversité de nation qu’il y ait, ou distance de région : d’autant qu’elle est unie par le lien de religion. Que sous ceste Eglise universelle, les Eglises qui sont distribuées par chacune ville et village, sont tellement comprinses, qu’une chacune a le tiltre et authorité d’Eglise : et que les personnes lesquelles sont advouées estre d’icelle par profession de foy, combien qu’à la vérité elles ne soyent point l’Eglise, néantmoins elles sont estimées y appartenir, jusques à ce qu’on les ait rejettées par jugement public. Combien qu’il y ait diverse raison à estimer des Eglises et des personnes particulières. Car il peut advenir qu’il nous faudra traitter comme frères, et avoir pour fidèles ceux que nous ne penserons pas dignes d’estre de ce nombre, à cause du consentement comme de l’Eglise, laquelle les souffrira et endurera encores au corps de Christ. Nous n’approuverons pas doncques telles gens comme membres de l’Eglise, quant à nostre estime privée, mais nous leur laisserons le lieu qu’ils tienent entre le peuple de Dieu, jusques à ce qu’il leur soit osté par voye légitime. Envers une multitude, il nous y faut autrement procéder. Car si elle a le ministère de la Parole, et si elle l’honore, si elle retient l’administration des Sacremens, elle doit estre sans doute recognue pour Eglise : d’autant qu’il est certain que la Parole et les Sacremens ne peuvent estre sans fruit. En telle sorte nous conserverons l’unité de l’Eglise universelle, laquelle les esprits diaboliques ont tousjours tasché de dissiper : et n’osterons point l’authorité qui appartient aux assemblées ecclésiastiques, lesquelles sont en chacun lieu pour la nécessité des hommes.
Nous avons mis pour enseignes de l’Eglise, la prédication de la Parole de Dieu, et l’administration des Sacremens. Car ces deux choses ne peuvent estre qu’elles ne fructifient, et qu’elles ne prospèrent parla bénédiction de Dieu. Je ne di pas que par tout où il y a prédication, le fruit incontinent apparoisse : mais j’enten qu’elle n’est nulle part receue pour y avoir comme certain siège, qu’elle ne produise quelque efficace. Comment que ce soit, par tout où la prédication de l’Evangile est révéremment escoutée, et les Sacremens ne sont point négligez, là apparoist pour ce temps, certaine forme d’Eglise, dont on ne peut douter, et de laquelle il n’est pas licite de contemner l’authorité, ou mespriser les admonitions, ou rejetter le conseil, ou avoir les castigations en mocquerie. Beaucoup moins est-il permis de s’en diviser, ou de rompre l’unité d’icelle. Car Dieu estime tant la communion de son Eglise, qu’il tient pour un traistre et apostat de la Chrestienté, celuy qui s’estrange de quelque compagnie chrestienne, en laquelle il y a le ministère de sa Parole et de ses Sacremens. Il a en telle recomdation l’authorité d’icelle, que quand elle est violée, il dit que la siene propre l’est. Car ce n’est pas un tiltre de petite importance qu’elle soit nommée Pillier et fermeté de la vérité : item, la maison de Dieu 1Tim. 3.15. Car par ces mots sainct Paul signifie que l’Eglise est establie gardienne de la vérité de Dieu, afin qu’elle ne s’abolisse point en ce monde, et que Dieu se sert du ministère ecclésiastique, pour garder et entretenir la pure prédication de sa Parole, et se monstrer père de famille envers nous, en nous paissant de la nourriture spirituelle, et procurant songneusement tout ce qui appartient à nostre salut. Ce n’est pas aussi une petite louange, quand il est dit que Jésus-Christ a esleu et séparé son Eglise pour son espouse, afin qu’il la rende pure et nette de toute macule Eph. 5.27 : mesmes qu’elle est sa plénitude Eph. 1.23 ; dont il s’ensuyt, que quiconques se départ d’icelle renonce Dieu et Jésus-Christ. Et d’autant plus nous faut-il garder de ce divorce si énorme, par lequel nous taschons, entant qu’en nous est, de ruiner la vérité de Dieu : et par ce moyen sommes dignes qu’il foudroye avec toute l’impétuosité de son ire, pour nous briser, il n’y a aussi nul crime plus détestable, que de violer par nostre desloyauté le sainct mariage que le Fils unique de Dieu a bien daigné contracter avec nous.
Pourtant il nous faut diligemment retenir les marques ci-dessus mises, et les estimer selon le jugement de Dieu. Car il n’y a rien que Satan machine plus de faire, que de nous amener à l’un de ces deux points : c’est qu’en abolissant ou effaçant les vrais signes dont nous pouvons discerner l’Eglise, il nous en oste toute vraye distinction : ou bien de nous induire à nous les faire contemner, afin de nous séparer et révolter de la communauté de l’Eglise. Il a esté fait par son astuce, que la pure prédication de l’Evangile a esté cachée par longues années : et maintenant par mesme malice il s’efforce de renverser le ministère, lequel Jésus-Christ a tellement ordonné en son Eglise, qu’iceluy abatu, il faut que l’édification de l’Eglise périsse. Or combien est-ce une périlleuse tentation, ou plustost pernicieuse, quand il entre au cœur de l’homme de se diviser d’une congrégation, en laquelle apparoissent les enseignes dont nostre Seigneur a suffisamment pensé marquer son Eglise ? Nous voyons combien il est mestier de se donner garde d’une part et d’autre. Car à ce que nous ne soyons point trompez sous le tiltre de l’Eglise il nous faut examiner à ceste épreuve que Dieu nous baille, toute congrégation qui prétend le nom d’Eglise, comme on esprouve l’or à la touche : c’est que si elle a l’ordre que nostre Seigneur a mis en sa parole et en ses Sacremens, elle ne nous trompera point, que nous ne luy puissions rendre seurement l’honneur qui appartient à l’Eglise. Au contraire, si sans Parole de Dieu et de ses Sacremens, elle veut estre recognue Eglise, il ne nous faut point moins garder de telle tromperie, qu’éviter témérité en l’autre endroict.
Quant à ce que nous disons que le pur ministère de la Parole et la pure manière d’administrer les Sacremens, est un bon gage et arre pour nous asseurer qu’il y a Eglise en toutes compagnies où nous verrons l’un et l’autre, cela doit avoir telle importance, que nous ne devons rejetter nulle assemblée laquelle entretiene l’un et l’autre, combien qu’elle soit sujette à plusieurs vices. Qui plus est, il y pourra avoir quelque vice ou en la doctrine, ou en la façon d’administrer les Sacremens, qui ne nous devra point du tout aliéner de la communion d’une Eglise. Car tous les articles de la doctrine de Dieu ne sont point d’une mesme sorte. Il y en a aucuns dont la cognoissance est tellement nécessaire que nul n’en doit douter, non plus que d’arrests ou de principes de la Chrestienté. Comme pour exemple, qu’il est un seul Dieu : que Jésus-Christ est Dieu et Fils de Dieu : que nostre salut gist en sa seule miséricorde : et autres semblables. Il y en a d’autres lesquelles sont en dispute entre les Eglises : et néantmoins ne rompent pas l’unité d’icelles. Pour donner exemple : S’il advenoit qu’une Eglise teinst que les âmes estans séparées des corps fussent transférées au ciel incontinent : une autre, sans oser déterminer du lieu, pensast simplement qu’elles vivent en Dieu : et que telle diversité fust sans contention et sans opiniastreté ; pourquoy se diviseroyent-elles d’ensemble ? Ce sont les paroles de l’Apostre, que si nous voulons estre parfaits, il nous faut avoir un mesme sentiment : au reste, que si nous avons quelque diversité, Dieu nous révélera ce qui en est Phil. 3.15. En cela ne monstre-il pas que si les Chrestiens ont aucune dissension des matières qui ne sont point grandement nécessaires, que cela ne doit point faire de trouble ne sédition entre eux ? Bien est vray que c’est le principal d’accorder en tout et par tout : mais d’autant qu’il n’y a nul qui ne soit enveloppé de quelque ignorance, il faudra ou que nous ne laissions nulle Eglise, ou que nous pardonnions l’ignorance à ceux qui faudront és choses lesquelles se peuvent ignorer sans péril de salut, et sans que la religion boit violée. Je n’enten yci de maintenir aucuns erreurs, voire les moindres du monde : et ne voudroye qu’on les nourrist par les dissimuler et flatter. Mais je di qu’il ne faut pas par dissension légèrement abandonner une Eglise, en laquelle est gardée en son entier la doctrine principale de nostre salut et les Sacremens comme nostre Seigneur a ordonné. Ce pendant si nous taschons de corriger ce qui nous y desplaist, nous ne faisons que nostre devoir. Et à cela nous induit la sentence de sainct Paul, que celuy qui a quelque meilleure révélation, qu’il se lève pour parler, et que le premier se taise 1Cor. 14.30, car par cela il appert qu’à un chacun membre de l’Eglise est donnée la charge d’édifier les autres, selon la mesure de grâce qui est en luy, moyennant que cela se face décentement et par ordre, c’est-à-dire que nous ne renoncions point la communion de l’Eglise, et aussi que demeurans en icelle nous ne troublions point la police ne la discipline.
Quant à l’imperfection des mœurs, nous en devons beaucoup plus endurer. Car il est facile de trébuscher en cest endroict : et le diable a de merveilleuses machinations pour nous séduire. Il y en a eu tousjours aucuns, lesquels se faisans à croire qu’ils avoyent une saincteté parfaite, comme s’ils eussent esté quelques Anges de Paradis, ont mesprisé toute compagnie des hommes en laquelle ils appercevoyent quelque infirmité humaine. Tels ont esté jadis ceux qu’on nommoit Cathares, c’est-à-dire les purs : et aussi les Donatistes, qui approchoyent de la folie des autres. Aujourd’huy il y a quelques Anabaptistes semblables : asçavoir ceux qui veulent apparoistre les plus habiles, et qui pensent avoir proufité par-dessus les autres. Il y en a d’autres qui pèchent plus par un zèle de justice inconsidéré, que par telle outrecuidance. Car quand ils voyent qu’entre ceux ausquels l’Evangile est annoncé, le fruit n’est pas correspondant à la doctrine, incontinent ils jugent qu’il n’y a là nulle Eglise. Quant à leur offense, elle est très-juste : et certes nous en donnons trop de matière, et ne pouvons aucunement excuser nostre maudite paresse, laquelle Dieu ne laissera point impunie, comme desjà il commence à la chastier d’horribles verges. Malheur doncques sur nous, qui faisons par nostre licence désordonnée, que les consciences débiles sont navrées et scandalisées en nous ; néantmoins ceux dont il est question faillent aussi de leur part, entant qu’ils outrepassent la mesure. Car là où nostre Seigneur requiert qu’ils usent de clémence, la laissant derrière, ils s’adonnent du tout à rigueur et sévérité. Car en estimant qu’il n’y a nulle Eglise sinon où ils voyent une parfaite pureté et saincteté de vie, sous ombre de haïr les vices ils se départent de l’Eglise de Dieu, pensans se retirer de la compagnie des meschans. Ils allèguent que l’Eglise de Jésus-Christ est saincte Eph. 5.26. Mais il faut qu’ils escoutent ce que luy-mesme en dit : qu’elle est meslée de bons et de mauvais. Car la parabole est vraye, où il l’accomparage à une rets, laquelle attire toutes manières de poissons, qui ne sont point choisis jusques à ce qu’ils vienent à rive Matt. 13.47. Qu’ils escoutent ce qu’il en dit en une autre parabole : c’est qu’elle est semblable à un champ : lequel après avoir esté semé de bon froment, est aussi gasté d’yvroye : de laquelle la bonne moisson ne peut estre purgée, jusques à ce qu’elle soit amenée à la grange Matt. 13.24. Finalement, qu’ils escoutent ce qui est dit encores en une autre parabole, c’est qu’elle est semblable à une aire, en laquelle le grain est tellement assemblé en un monceau, qu’il est caché sous la paille jusques à ce qu’il soit vanné et criblé pour estre mis en grenier Matt. 3.12. Puis que le Seigneur prononce que son Eglise sera sujette à ceste misère jusques au jour du jugement, d’estre tousjours chargée de mauvais hommes, c’est en vain qu’ils la cherchent du tout pure et nette.
Mais ils disent que c’est une chose intolérable, que les vices régnent ainsi par tout. Je leur concède qu’il seroit à désirer autrement : mais pour response, je leur mets en avant la sentence de sainct Paul. Entre les Corinthiens il n’y avoit pas quelque petit nombre de gens qui eust failly, mais tout le corps estoit quasi corrompu : et n’y avoit pas une espèce de mal, mais plusieurs. Les fautes n’estoyent pas petites, mais grandes et énormes transgressions. La corruption n’estoit pas seulement aux mœurs, mais aussi en la doctrine. Que fait sur cela le sainct Apostre, c’est-à-dire un instrument esleu du sainct Esprit, sur le tesmoignage duquel est fondée l’Eglise ? Cherche-il de se diviser d’eux ? les rejette-il du règne de Christ ? leur dénonce-il une dernière malédiction pour les exterminer du tout ? Non seulement il ne fait rien de tout cela, mais plustost il les advoue pour Eglise de Dieu et compagnie des Saincts et les confesse estre tels. S’il y demeure Eglise entre les Corinthiens, ce pendant que les contentions, sectes et envies y règnent : ce pendant qu’il y a force procès et noises, que la malice y est en vigueur, qu’une meschanceté, laquelle devoit estre exécrable entre les Payens, est publiquement approuvée : ce pendant que sainct Paul y est diffamé, lequel ils devoyent honorer comme leur père : qu’aucuns se mocquent de la résurrection des morts, laquelle anéantie, tout l’Evangile est ruiné 1Cor. 1.11 ; 3.3 ; 5.1 ; 6.7 ; 9.1 ; 15.12 : ce pendant que les grâces de Dieu servent à ambition et non point à charité, que plusieurs choses se font déshonnestement et sans ordre : si doncques pour ce temps-là il y demeure Eglise entre eux, et y demeure d’autant qu’ils retienent la prédication de la Parole et les Sacremens, qui osera oster le nom de l’Eglise à ceux ausquels on ne peut point reprocher la dixième partie de telles fautes ? Ceux qui examinent d’une telle rigueur les Eglises présentes, je vous prie qu’eussent-ils fait aux Galatiens, lesquels s’estoyent presque révoltez de l’Evangile ? Toutesfois sainct Paul recognoissoit entre eux quelque Eglise Gal. 1.2.
Ils objectent aussi que sainct Paul reprend asprement les Corinthiens, de ce qu’ils enduroyent en leur compagnie un homme vivant meschamment : et adjouste une sentence générale, en laquelle il prononce qu’il n’est point licite de boire ne manger avec un homme de mauvaise vie 1Cor. 5.2, 11. Sur cela ils font un argument, que s’il n’est point licite de manger le pain commun avec un meschant, beaucoup moins sera-il permis de manger avec luy le pain du Seigneur, qui est sacré. Je confesse certes que c’est un grand déshonneur, si les chiens et les pourceaux ont lieu entre les enfans de Dieu : encores plus grand, si le sacré corps de Jésus-Christ leur est permis comme à l’abandon. Et de faict, si les Eglises sont bien policées, elles n’endurent point les meschans pour les nourrir en leur sein : et ne recevront point à la Cène indifféremment les bons et les mauvais. Mais pource que les Pasteurs ne veillent pas tousjours de près, aucunesfois aussi sont plus faciles et plus doux qu’il ne conviendroit, ou bien sont empeschez qu’ils ne puissent pas exercer une telle sévérité comme ils voudroyent : il advient pour ces raisons que les meschans ne sont pas tousjours rejettez de la compagnie des bons. Je confesse que cela est un vice, et ne le veux point amoindrir comme léger, veu que sainct Paul le reprend aigrement. Mais encores que l’Eglise ne s’acquitte point de son devoir, ce n’est pas à dire qu’un chacun particulier doyve prendre conseil de se séparer d’avec les autres. Je ne nie pas que ce ne soit l’office d’un bon fidèle, de s’abstenir de toute familiarité des meschans, et de ne se mesler avec eux en quelque affaire que ce soit, tant qu’il puisse ; mais c’est autre chose de fuir la compagnie des mauvais, et autre chose, pour la haine d’eux renoncer à la communion de l’Eglise. Touchant ce qu’ils tienent pour un sacrilège, de communiquer à la Cène de nostre Seigneur avec les mauvais : en cela ils sont beaucoup plus rudes que sainct Paul. Car quand il nous exhorte à user purement de la Cène, il ne requiert point que chacun examine son compagnon, ou qu’un homme examine toute l’Eglise : mais qu’un chacun s’esprouve soy-mesme 1Cor. 11.28. Si c’estoit péché de communiquer à la Cène avec un homme indigne, il nous eust certes commandé de regarder à l’entour de nous, s’il y en auroit point quelqu’un, par l’immondicité duquel nous fussions contaminez. Mais quand il commande seulement que chacun s’esprouve, il nous signifie par cela que la compagnie des meschans ne nous nuit de rien, s’il y en a quelqu’uns qui s’y ingèrent. A quoy est conforme ce qu’il adjouste après, quand il dit que celuy qui en mange indignement, le mange à sa condamnation 1Cor. 11.29. Il ne dit pas, A la condamnation des autres : mais, A la siene : et à bon droict. Car il ne doit pas estre en la puissance d’un chacun, de discerner lesquels on doit recevoir ou rejetter. Ceste authorité appartient à l’Eglise, d’autant que cela ne se peut faire sans ordre légitime, comme il sera dit puis après. Ce seroit doncques chose inique, si un homme particulier estoit pollu par l’indignité d’un autre, veu qu’il ne le peut rejetter, et ne doit.
Or combien que ceste tentation adviene mesmes aux bons par un zèle inconsidéré qu’ils ont que tout aille bien, toutesfois nous trouverons ordinairement cela, que ceux qui sont tant scrupuleux et chagrins, sont plustost menez d’un orgueil et fausse opinion qu’ils ont d’estre plus saincts que les autres, que d’une vraye saincteté ou affection d’icelle. Pourtant ceux qui sont plus audacieux que les autres à se séparer de l’Eglise, et vont devant quasi comme porte-enseignes, n’ont le plus souvent autre cause, sinon pour se monstrer meilleurs que tous les autres, en mesprisant chacun. Pourtant sainct Augustin parle fort prudemment, en disant ainsi : Comme ainsi soit que la reigle de la discipline ecclésiastique doyve principalement regarder l’unité d’esprit au lien de paix : ce que l’Apostre commande de garder en nous supportant l’un l’autre : et lequel n’estant point gardé, la médecine non-seulement est superflue, mais aussi pernicieuse, et pourtant n’est plus médecine. Les malins qui par cupidité de contention, plustost que par haine qu’ils ayent contre l’iniquité, s’efforcent d’attirer après eux les simples, ou bien de les diviser, estans enflez d’orgueil, transportez d’obstination, cauteleux à mettre calomnies sus, bruslans en sédition : afin qu’on pense qu’ils ayent la vérité, prétendent pour couleur d’user de sévérité : et abusent à diviser meschamment l’Eglise, de ce qui se doit faire par bonne modération, pour corriger les vices de nos frères, en gardant sincérité de dilection et unité de paix[b]. Après il donne ce conseil aux fidèles qui ont en recommandation la paix et concorde, qu’avec humanité ils corrigent ce qu’ils pourront corriger : et ce qu’ils ne pourront, qu’ils le portent en patience gémissans par affection de charité les fautes de leurs prochains, jusques à ce que Dieu les amende, ou bien qu’il arrache l’ivroye et le mauvais grain en purgeant le froment, et qu’il vanne son bled pour en oster la paille[c]. Tous fidèles se doivent armer de ceste admonition, de peur qu’en voulant estre trop grands zélateurs de justice, ils ne s’eslongnent du Règne des cieux, qui est le seul vray règne de justice. Car d’autant que Dieu veut qu’on garde la commmunion de son Eglise, en s’entretenant en la compagnie de l’Eglise, telle que nous la voyons entre nous : celuy qui s’en sépare est en grand danger de se retrancher de la communion des saincts. Pourtant, que ceux qui ont une telle tentation, pensent qu’en une grande multitude il y en a beaucoup qui leur sont cachez et incognus, lesquels néantmoins sont vrayement saincts devant Dieu. Qu’ils pensent secondement, qu’entre ceux qui leur semblent vicieux, il y en a beaucoup qui ne se complaisent point, et ne se flattent point en leurs vices, mais sont souventesfois esmeus de la crainte de Dieu, d’aspirer à une meilleure vie et plus parfaite. Tiercement, qu’ils pensent qu’il ne faut point estimer d’un homme par un seul fait, d’autant qu’il advient aucunesfois aux plus saincts de trébuscher bien lourdement. Quartement, qu’ils pensent que la Parole de Dieu doit avoir plus de poids et importance à conserver l’Eglise en son unité, que n’a la faute d’aucuns malvivans à la dissiper. Qu’ils pensent finalement, quand il est question d’estimer où est la vraye Eglise, que le jugement de Dieu est à préférer à celuy des hommes.
[b] Contra Parmen., lib. III, cap. I.
[c] Contra Parmen., lib. III, cap. II.
Ce qu’ils prétendent que non sans cause l’Eglise est appelée Saincte, nous avons bien à poiser quelle saincteté il y a en icelle. Car si nous ne voulons estimer qu’il y ait nulle Eglise, sinon laquelle fust parfaite depuis un bout jusques à l’autre, nous n’en trouverions nulle telle. Ce que dit sainct Paul est bien vray, que Jésus-Christ s’est livré pour l’Eglise, afin de la sanctifier, et qu’il l’a purgée du lavement d’eau en la Parole de vie, pour la rendre son épouse glorieuse, n’ayant ne macule ne ride Eph. 5.25-27. Mais ceste sentence n’est pas moins vraye, que le Seigneur œuvre de jour en jour pour effacer les rides d’icelle, et nettoyer les macules, dont il s’ensuyt que sa saincteté n’est pas encores parfaite. L’Eglise doncques est tellement saincte, que journellement elle proufite, et n’a pas encores sa perfection : journellement elle va en avant, et n’est pas encores venue au but de saincteté, comme il sera autre part plus amplement expliqué. Pourtant ce que les Prophètes prédisent de Jérusalem, qu’elle sera saincte, et que les estrangers ne passeront point par icelle, et que le temple de Dieu sera sainct, tellement que tous immondes n’y entreront point Joël 3.17 ; Esaïe 35.8 ; 52.1 : il ne nous le faut pas tellement prendre comme s’il n’y avoit nulle tache au membre de l’Eglise : mais d’autant que de vraye affection de cœur les fidèles aspirent à entière saincteté et pureté, la perfection qu’ils n’ont point encores, leur est attribuée par la bonté de Dieu. Or combien que souvent il adviene qu’on n’apperçoit point entre les hommes, grans signes de ceste sanctification, il nous faut néantmoins résoudre qu’il n’y a eu nul aage depuis le commencement du monde, auquel le Seigneur n’ait eu son Eglise, et que jamais il n’adviendra qu’il n’en ait tousjours. Car combien que dés le commencement du monde tout le genre humain a esté corrompu et perverty par le péché d’Adam, si est-ce qu’il n’a jamais failly de sanctifier, de ceste masse corrompue, des instrumens en honneur : tellement qu’il n’y a nul siècle qui n’ait expérimenté sa miséricorde ; ce qu’il a testifié par certaines promesses : comme quand il dit, J’ay ordonné une alliance à mes esleus : j’ay juré à David mon serviteur, qu’éternellement je conserveray sa semence : j’establiray son siège à jamais Ps. 89.3-4. Item, le Seigneur a esleu Sion, il l’a esleue pour son habitacle ; c’est son repos éternel Ps. 132.13-14. Item, Voyci que dit le Seigneur, lequel fait luyre le soleil au jour, et la lune en la nuict, Quand cest ordre défaudra, lors périra la semence d’Israël, et non point devant Jér. 31.35-37.
Et de cela tant Jésus-Christ que les Apostres, et quasi tous les Prophètes nous ont monstré l’exemple. C’est une chose horrible à lire ce qu’escrivent Isaïe, Jérémie, Joël, Abacuc et les autres, du désordre qui estoit en l’Eglise de Jérusalem de leur temps. Il y avoit une telle corruption tant au commun peuple, qu’aux gouverneurs et aux Prestres, qu’Isaïe ne fait point difficulté de les appeler Princes de Sodome, et Peuple de Gomorrhe Esaïe 1.10. La religion mesmes en partie mesprisée, en partie contaminée. Quant aux mœurs, il y avoit force pillages, rapines, desloyautez, meurtres et autres meschancetez semblables. Néantmoins les Prophètes ne forgeoyent point nouvelles Eglises pour eux, et ne dressoyent point des autels nouveaux pour faire leurs sacrifices à part, mais quels que fussent les hommes, pource qu’ils réputoyent que Dieu avoit là mis sa Parole, et avoit ordonné les cérémonies dont on y usoit, au milieu des meschans ils adoroyent Dieu d’un cœur pur, et eslevoyent leurs mains pures au ciel. S’ils eussent pensé tirer de là quelque pollution, ils eussent plustost aimé cent fois mourir que de s’y mesler. Il n’y avoit doncques autre chose qui les induisist à demeurer en l’Eglise au milieu des meschans, que l’affection qu’ils avoyent de garder unité. Or si les saincts Prophètes ont fait conscience de s’aliéner de l’Eglise à cause des grans péchez qui régnoyent, et non point d’un seul homme, mais quasi de tout le peuple, c’est une trop grande outrecuidance à nous, de nous oser séparer de la communion de l’Eglise, incontinent que la vie de quelqu’un ne satisfait point à nostre jugement, ou mesmes ne correspond à la profession chrestienne.
Semblablement, quel a esté le temps de Jésus-Christ et de ses Apostres ? Toutesfois l’impiété désespérée des Pharisiens, et la vie dissolue du peuple ne les a point empeschez qu’ils n’usassent des mesmes sacrifices avec les autres, et qu’ils ne veinssent au temple pour adorer Dieu, et faire les prières solennelles en commun avec eux. Ce qu’ils n’eussent jamais fait, s’ils n’eussent sceu que ceux qui en pure conscience communiquent aux Sacremens de Dieu avec les meschans, ne sont point contaminez par leur compagnie. Si quelqu’un ne se contente point de l’exemple des Prophètes et Apostres, pour le moins qu’il acquiesce à l’authorité de Jésus-Christ. Pourtant sainct Cyprien parle très-bien disant ainsi : Combien qu’il y ait du mauvais grain en l’Eglise, ou des vaisseaux impurs, si ne nous faut-il point retirer de l’Eglise pourtant, mais plustost mettre peine que nous soyons bon froment et vaisseaux d’or ou d’argent. De rompre les vaisseaux de terre, c’est à Jésus-Christ seul, auquel la verge de fer a esté baillée pour ce faire Ps. 2.9 : que nul ne s’attribue ce qui appartient au seul Fils de Dieu, d’arracher l’yvroye, de nettoyer l’aire, et d’escourre la paille, pour les séparer du bon grain Matt. 3.12, par humain jugement ; c’est une obstination orgueilleuse, et une présomption plene de sacrilège[d]. Pourtant que ces deux points nous soyent résolus, que celuy qui de son bon gré abandonne la communion externe d’une Eglise, en laquelle la Parole de Dieu est preschée, et ses Sacremens sont administrez n’a nulle excuse. Secondement, que les vices des autres, encores qu’ils soyent en grand nombre, ne nous empeschent point que nous ne puissions là faire profession de nostre chrestienté, usans des Sacremens de nostre Seigneur en commun avec eux, d’autant qu’une bonne conscience n’est point blessée par l’indignité des autres, fust-ce mesmes du Pasteur : et les Sacremens de nostre Seigneur ne laissent point d’estre salutaires à un homme pur et entier, parce qu’ils sont receus des meschans et immondes.
[d] Lib. III, epist. V.
Leur chagrin et arrogance passe encores plus outre : pource qu’ils ne recognoissent nulle Eglise, qui ne soit pure des moindres taches du monde : mesmes se ruent fièrement sur les Pasteurs qui taschent à faire leur devoir, d’autant qu’en exhortant les fidèles à proufiter, ils les advertissent que toute leur vie ils seront entachez de quelque vice, et pour ceste cause les incitent à gémir devant Dieu, pour obtenir pardon. Car ces grans correcteurs leur reprochent que par ce moyen ils retirent le peuple de perfection. Or je confesse bien qu’en incitant les hommes à saincteté, on ne doit point estre froid ne lasche, mais qu’on y doit travailler à bon escient. Au reste, de faire à croire aux hommes, pendant qu’ils sont au chemin, que desjà ils sont accomplis, c’est les abruver d’une resverie diabolique. Et pourtant au Symbole la rémission des péchez est conjoincte bien à propos à l’Eglise : veu qu’elle ne se peut obtenir sinon de ceux qui sont membres de l’Eglise, comme dit le Prophète Esaïe 33.24. Il faut doncques que ceste Jérusalem céleste soit premièrement édifiée, en laquelle après ceste grâce ait lieu, c’est que de tous ceux qui en seront citoyens, leur iniquité sera effacée. Or je di qu’il faut qu’elle soit premièrement édifiée, non pas que l’Eglise puisse aucunement estre sans la rémission des péchez, mais d’autant que le Seigneur n’a point promis sa miséricorde, sinon en la communion des saincts. C’est doncques nostre première entrée en l’Eglise et au royaume de Dieu, que la rémission des péchez, sans laquelle nous n’avons aucune alliance ny appartenance avec Dieu : comme il est monstré par le Prophète Osée, En ce jour-là, dit le Seigneur, je feray alliance avec les bestes de la terre et les oiseaux du ciel. Je rompray arc et glaive : et feray cesser toute bataille de la terre, et feray dormir tous les homme sans crainte. Je feray alliance avec eux à tousjours, l’alliance sera en justice, en jugement, en miséricorde et en pitié Osée 2.18-19, nous voyons comment nostre Seigneur nous réconcilie à soy par sa miséricorde. Pareillement en un autre lieu, quand il prédit qu’il recueillera le peuple, lequel il avoit dissipé en son ire : Je les purgeray, dit-il, de toute iniquité en laquelle ils m’ont offensé Jér. 33.8. Pourtant nous sommes receus en la compagnie de l’Eglise de première entrée par le signe de lavement : dont il nous est monstré que nous n’avons nul accès en la famille de Dieu, sinon que premièrement par sa bonté nos ordures soyent nettoyées.
Et de faict, ce n’est pas pour un coup que par la rémission des péchez Dieu nous reçoit en son Eglise : mais aussi par icelle il nous y entretient et conserve. Car à quel propos nostre Seigneur nous feroit-il un pardon qui ne nous apporteroit nulle utilité ? Or est-il ainsi que la miséricorde de Dieu seroit vaine et frustratoire, si elle nous estoit pour une seule fois concédée. De laquelle chose un chacun fidèle se peut rendre tesmoignage, veu qu’il n’y a nul qui ne se sente en toute sa vie coulpable de beaucoup d’infirmitez, lesquelles ont besoin de la miséricorde de Dieu. Et de faict, non sans cause Dieu promet particulièrement à ses domestiques de leur estre toujours pitoyable, commandant que ce message leur soit journellement porté. Parquoy, comme nous sommes tousjours chargez, ce pendant que nous vivons, des reliques de péché, il est certain que nous ne pourrions consister une seule minute de temps en l’Eglise, si la grâce de Dieu ne nous subvenoit assiduellement en nous remettant nos fautes. Au contraire, le Seigneur a appelé les siens à salut éternel : ils doyvent doncques estimer que sa grâce est tousjours preste à leur faire merci de leurs offenses. Parquoy il faut tenir ce point résolu, que par la clémence de Dieu, moyennant le mérite de Jésus-Christ, par la sanctification de son Esprit, la rémission de nos péchez nous a esté faite, et nous est faite journellement, entant que nous sommes unis au corps de l’Eglise.
Et de faict, c’est pourquoy le Seigneur a donné les clefs à son Eglise, afin qu’elle eust la dispensation de ceste grâce pour nous en faire participans. Car quand Jésus-Christ a commandé à ses Apostres, et leur a donné la puissance de remettre les péchez Matt. 16.19 ; 18.18 ; Jean 20.23 : ce n’a pas esté seulement afin qu’ils desliassent ceux qui se convetiroyent à la foy chrestienne, et qu’ils feissent cela pour une fois : mais afin qu’ils exerçassent cest office continuellement envers les fidèles. Ce que sainct Paul enseigne, quand il escrit que Dieu a commis aux ministres de son Eglise l’ambassade de réconciliation, pour exhorter journellement le peuple à se réconcilier à Dieu au nom de Christ 2Cor. 5.19-20. Pourtant en la communion des saincts, les péchez nous sont remis continuellement par le ministère de l’Eglise, quand les Prestres et Evesques, ausquels ceste charge est commise, conferment les consciences des fidèles par les promesses de l’Evangile, et les certifient que Dieu leur veut faire pardon et merci : et cela tant en commun qu’en particulier, selon que la nécessité le requiert. Car il y en a d’aucuns si infirmes, qu’ils ont bien mestier qu’on les console à part et en privé : et sainct Paul ne dit pas que seulement en sermon public, mais aussi par les maisons il a enseigné le peuple en la foy de Jésus-Christ, admonestant un chacun de son salut Actes 20.20-21. Pourtant il nous faut yci observer trois choses. La première est, que quelque saincteté qui soit aux fidèles, néantmoins pendant qu’ils habitent en ce corps mortel, ils ne peuvent consister devant Dieu, sinon en ayant rémission de leurs péchez, d’autant qu’ils sont tousjours povres pécheurs. La seconde est, que ce bénéfice est donné à l’Eglise comme en garde, tellement que nous ne pouvons obtenir pardon de nos fautes devant Dieu, qu’en persévérant en la communion d’icelle. La troisième est, que ce bien nous est distribué et communiqué par les Ministres et Pasteurs, tant en la prédication de l’Evangile qu’aux Sacremens : et mesmes la puissance des clefs est principalement comprinse en cela. Pourtant l’office d’un chacun de nous est, de ne chercher la rémission de nos péchez ailleurs qu’où Dieu l’a mise. Touchant de la réconciliation publique qui appartient à la police, il sera dit en son lieu.
Or d’autant que ces esprits frénétiques dont je parle, s’efforcent d’oster à l’Eglise ceste retraite unique de salut, il nous faut d’avantage confermer les consciences à l’encontre de cest erreur si pestilent. Les Novatiens ont troublé l’Eglise ancienne de ceste fausse doctrine : mais nostre aage présent a quelques Anabaptistes, qui ne leur ressemblent point mal en ceste fantasie. Car ils imaginent que le peuple de Dieu est par le Baptesme régénéré en une vie pure et angélique, laquelle ne doit estre contaminée de macules aucunes de la chair. Et s’il advient qu’après le Baptesme ils déclinent, ils ne luy laissent nulle attente que la rigueur de Dieu inexorable. En somme, ils ne font nul espoir au pécheur qui est trébusché en faute, après avoir receu grâce de Dieu, d’obtenir pardon et merci. Car ils ne recognoissent autre rémission des péchez, sinon celle par laquelle nous sommes premièrement régénérez. Or combien qu’il n’y ait nul mensonge plus clairement réfuté en l’Escriture que cestuy-ci, néantmoins pource que telle manière de gens trouvent des simples personnes pour abuser (comme Novatus a eu anciennement plusieurs sectateurs) monstrons briefvement combien leur erreur est dangereux, tant pour eux que pour les autres. Premièrement, puis que par le commandement de Dieu tous les saincts usent journellement de ceste requeste, que leurs péchez leur soyent remis Matt. 6.12 : en cela ils confessent estre pécheurs. Et ne le demandent pas en vain : car le Seigneur Jésus ne nous a point ordonné de demander choses qu’il ne les nous vueille donner. Et mesmes ayant promis en général, que toute l’oraison qu’il nous a baillée seroit exaucée du Père, il donne une promesse spéciale pour ceste demande. Que voulons-nous d’avantage ? Le Seigneur veut que tous ses Saincts, de jour en jour en toute leur vie se confessent pécheurs, et leur promet pardon. Quelle audace est-ce doncques, ou de nier qu’ils soyent pécheurs, ou quand ils ont failly, les exclurre de toute grâce ? D’avantage, à qui veut-il que nous pardonnions septante fois sept fois Matt. 18.22, c’est-à-dire toutes fois et quantes ? N’est-ce pas à nos frères ? Et pourquoy veut-il cela, sinon afin que nous ensuyvions sa clémence ? Il pardonne doncques non pas pour un coup ou deux, mais à chacunes fois que le povre pécheur estant abattu et navré de la recognoissance de ses fautes, soupire après luy.
Et afin que nous commencions dés l’origine de l’Eglise, les Patriarches estoyent circoncis, receus en l’alliance de Dieu : et n’y a point de doute qu’ils ne fussent ainsi enseignez par leur père de suyvre justice et intégrité, quand ils conspirèrent à tuer leur frère ; c’estoit un crime abominable, voire aux plus désespérez brigans du monde. En la fin estans adoucis pas l’admonition de Juda, ils le vendirent Gen. 37.18, 28 : mais c’estoit encores une cruauté intolérable. Siméon et Lévi meurtrirent tout le peuple de Sichem, pour faire la vengence de leur sœur : laquelle ne leur estoit licite : et de faict, fut condamnée par leur père Gen. 34.25, 30. Ruben commit un inceste exécrable avec la femme de son père Gen. 35.22. Juda voulant paillarder contrevint à l’honnesteté de nature, ayant compagnie de sa belle-fille Gen. 38.18. Or tant s’en faut qu’ils soyent effacez d’entre le peuple esleu, qu’ils sont au contraire constituez pour chefs. Que dirons-nous de David ? lequel estant chef de justice, combien offensoit-il griefvement, voulant satisfaire à sa paillardise en espandant le sang innocent 2Sam. 11.4, 15 ? Il estoit desjà régénéré, et avoit eu mesmes par-dessus les autres enfans de Dieu excellent tesmoignage. Il commit néantmoins une meschanceté, dont les Payens mesmes eussent eu horreur ; cela ne fait point qu’il n’obtiene merci 2Sam. 12.13. Et afin de ne nous arrester par trop aux exemples particuliers, combien avons-nous de promesses de la miséricorde de Dieu envers les Israélites. Combien de fois y est-il monstré que le Seigneur leur a tousjours esté propice ? Car qu’est-ce que promet Moyse au peuple, quand il se retournera à Dieu après avoir décliné en idolâtrie, et abandonné le Dieu vivant ? Le Seigneur, dit-il, te retirera de captivité, et aura pitié de toy, et te rassemblera d’entre le peuple où tu auras esté dispersé. Si tu estois espars aux quatre bouts du monde, il te recueillira Deu. 30.3-4.
Mais je ne veux point commencer à faire un récit qui n’auroit jamais fin. Car les Prophètes sont pleins de telles promesses, esquelles ils présentent miséricorde au peuple qui avoit commis crimes infinis. Quelle iniquité y a-il plus griefve que rébellion ? Pour ceste cause elle est nommée divorce entre Dieu et son Eglise ; et néantmoins icelle est pardonnée par la bonté de Dieu. Qui est l’homme, dit-il par la bouche de Jérémie, duquel si la femme s’abandonne à paillardise, il la vueille après recevoir ? Or tous les chemins sont infects de tes paillardises, peuple de Judée, la terre en est toute plene : néantmoins retourne-toy à moy, et je te recevray. Revien à moy, peuple rebelle et obstiné, je ne destourneray point ma face de toy : car je suis sainct, et ne sera point mon courroux perpétuel Jér. 3.1, 2, 12. Et certes il n’y pourroit avoir autre affection en celuy qui dit qu’il ne désire pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et vive Ezéch. 18.23, 32. Pourtant Solomon, en dédiant le Temple le destinoit à cest usage, que les oraisons faites pour obtenir pardon des péchez y fussent exaucées : Quand tes enfans, dit-il, auront péché (comme il n’y a nul homme qui ne pèche) et qu’en ton ire tu les ayes livrez à tes ennemis, et puis qu’ils se soyent repentis en leurs cœurs, et estans convertis te prient en leur captivité disans, Seigneur, nous avons péché, et avons mal vescu : et qu’ainsi supplians, ils regardent vers la terre que tu as donnée à leurs pères, et vers ton sainct Temple où nous sommes : tu exauceras du ciel leurs prières, et sera propice à ton peuple lequel t’aura offensé : et luy pardonneras toutes les transgressions qu’il aura commises contre toy 1Rois 8.46-49. Ce n’a pas aussi esté en vain, que Dieu en sa Loy a ordonné sacrifices ordinaires pour les péchez entre son peuple Nomb. 28.3 ; car s’il n’eust cognu que ses serviteurs sont assiduellement entachez de vices, il ne leur eust point baillé ce remède.
Or je demande si par la venue de Christ, en laquelle toute plénitude de grâce a esté desployée, cela, a esté osté aux fidèles, de n’oser plus prier pour obtenir pardon de leurs fautes : et quand ils auront offensé Dieu, de ne trouver nulle miséricorde. Et que seroit-ce là à dire autre chose, sinon que Christ est venu pour la ruine des siens, plustost que pour le salut, si la bénignité de Dieu, qui estoit tousjours appareillée aux saincts en l’Ancien Testament, est maintenant ostée du tout ? Mais si nous adjoustons foy à l’Escriture, laquelle crie haut et clair que la grâce de Dieu et l’amour qu’il porte aux hommes est plenement apparue en Christ, que les richesses de sa miséricorde ont esté en luy desployées, et la réconciliation avec les hommes accomplie Tite 2.11 ; 3.4 ; 2Tim. 1.9, il ne nous faut douter que sa clémence ne nous soit maintenant plustost exposée en plus grande abondance, qu’accourcie et diminuée. De quoy aussi nous avons les exemples à l’œil. Sainct Pierre, qui avoit ouy de la bouche de Jésus-Christ, que quiconques ne confesseroit son nom devant les hommes, ne seroit point de luy recognu devant les Anges du ciel Matt. 10.33 ; Marc 8.38, le renonça trois fois, voire avec blasphème mesmes Matt. 26.69-74 ; néantmoins il n’est point débouté d’avoir grâce. Ceux qui vivoyent désordonnément entre les Thessaloniciens, sont tellement chastiez de sainct Paul qu’il les convie à repentance 2Thess. 3.6, 11-12. Mesmes sainct Pierre ne met point en désespoir Simon le Magicien, mais plustost luy donne bonne espérance, luy conseillant de prier Dieu pour son péché Actes 8.22.
Qui plus est, n’y a-il pas eu de grosses fautes, qui ont autresfois occupé toute une Eglise entièrement ? Qu’est-ce que faisoit sainct Paul en cest endroict, sinon de réduire plustost tout le peuple en bonne voye, que l’abandonner en extrême malédiction ? Le révoltement qu’avoyent fait les Galatiens de l’Evangile Gal. 1.6 ; 3.1 ; 4.9, n’estoit pas une légère faute. Les Corinthiens estoyent encores moins excusables qu’eux, d’autant qu’ils avoyent plus de vices et autant énormes 2Cor. 12.21 : néantmoins ne les uns ne les autres ne sont exclus de la bonté de Dieu. Mais au contraire, ceux qui avoyent plus griefvement offensé que les autres par paillardise, impudicité et toute vilenie, nommément sont appelez à repentance. Car l’alliance que nostre Seigneur a faite avec Christ et tous ses membres, demeure et demeurera tousjours inviolable : c’est asçavoir quand il dit, S’il advient que ses enfans délaissent ma Loy, et ne cheminent point en mes préceptes, s’ils profanent ma justice, et ne gardent point ma doctrine, je visiteray avec verges leurs iniquitez, et leurs péchez avec chastiment : toutesfois ma miséricorde n’en départira point Ps. 89.30-34. Finalement par l’ordre du Symbole il nous est monstré que ceste grâce et clémence demeure et réside tousjours en l’Eglise : d’autant qu’après avoir constitué l’Eglise, la rémission des péchez est conséquemment adjoustée. Pourtant il faut qu’elle ait lieu en ceux qui en sont.
Aucuns un peu plus subtils, quand ils voyent la doctrine des Novatiens estre si clairement réprouvée par l’Escriture, ne font point chacun péché irrémissible, mais seulement les transgressions volontaires, esquelles un homme sera cheut de son propre sceu et vouloir. Or en parlant ainsi, ils ne pensent point qu’aucun péché se remette, sinon celuy qui aura esté commis par ignorance. Mais puis que le Seigneur en la Loy a ordonné aucuns sacrifices pour effacer les péchez volontaires de son peuple, les autres pour purger les ignorances : quelle témérité est-ce de ne laisser nulle espérance de pardon à un péché volontaire ? Je maintien qu’il n’y a rien plus clair que cela : c’est que le sacrifice unique de Jésus-Christ a la vertu de remettre les péchez volontaires des fidèles, veu que Dieu par les hosties charnelles l’a ainsi tesmoigné, lesquelles en estoyent figures. D’avantage qui excusera David sous couleur d’ignorance, veu que c’est chose notoire qu’il estoit si bien instruit en la Loy ? Ne sçavoit-il pas quel crime c’estoit d’adultère et homicide, luy qui les punissoit tous les jours en ses sujets ? Les Patriarches pensoyent-ils que ce fust chose bonne et honneste de meurtrir leur frère ? Les Corinthiens avoyent-ils si mal proufité, qu’ils estimassent incontinence, paillardise, haine, contention, estre plaisante à Dieu ? Sainct Pierre, après avoir esté si diligemment admonesté, ignoroit-il quelle faute c’estoit de renoncer son maistre ? Ne fermons point doncques par nostre inhumanité la porte à la miséricorde de Dieu, laquelle si libéralement se présente à nous.
Ce ne m’est pas chose incognue, qu’aucuns anciens Docteurs ont interprété les péchez qui se remettent journellement, estre les fautes légères qui survienent par l’infirmité de la chair. D’avantage qu’il leur a semblé advis que la pénitence solennelle, laquelle estoit lors requise pour les grandes offenses, ne se devoit non plus réitérer que le Baptesme. Laquelle sentence ne se doit tellement prendre, comme s’ils eussent voulu jetter en désespoir celuy qui estoit retombé depuis avoir esté une fois receu à repentance : ou bien qu’ils eussent voulu amoindrir les fautes quotidiennes, comme petites devant Dieu. Car ils sçavoyent bien que les Saincts trébuschent ou chancellent souvent en quelque infidélité, qu’il leur advient de jurer sans mestier, de se courroucer outre mesure, voire aucunesfois venir jusques à injures manifestes, et cheoir en d’autres vices que nostre Seigneur n’a pas en petite abomination : mais ils usoyent de ceste manière de parler, afin de mettre différence entre les fautes privées, et les crimes publiques qui emportoyent grans scandales en l’Eglise. D’avantage, ce qu’ils pardonnoyent avec si grande difficulté à ceux qui avoyent commis quelque cas digne de correction ecclésiastique, n’estoit pas qu’ils pensassent que les pécheurs obteinssent difficilement pardon de Dieu : mais par telle sévérité ils vouloyent donner frayeur aux autres, afin qu’ils ne cheussent point en telles offenses dont ils méritassent d’estre excommuniez de l’Eglise. Combien que la Parole de Dieu, laquelle nous devons seule yci tenir pour nostre reigle, requiert une plus grande modération et humanité. Car elle enseigne que la rigueur de la discipline ecclésiastique ne doit point aller jusques-là, que celuy dont on doit chercher le proufit, soit accablé de tristesse : comme nous avons plus amplement monstré ci-dessus.