(Octobre 1531 à janvier 1532)
Genève attaqué parce que choisi de Dieu – Défaite de Cappel, triomphe des romains – Berne se détourne des Genevois – Le duc et son armée s’approchent – Réponse de Genève à Berne – Sept chevaliers noirs sans tête – Dieu prépare Genève par l’épreuve – Effets qu’ont au dedans les maux du dehors – Les patriciens suisses veulent rompre – Genève en appellera au peuple dans Berne – Les grands conseils sont pour Genève – Retraite et mort de Hugues
La nouvelle de la guerre entre les catholiques et les réformés étant parvenue à Turin, le duc jugea que c’était le moment d’attaquer Genève. On apprit que cinq mille lansquenets avançaient du côté de la Bourgogne, dix mille Italiens du côté des Alpes, et que tout le pays de Son Altesse, au delà des monts, était en mouvement pour fondre sur la ville. « Il y a là certaines têtes, disait le duc, que je me propose de faire voler. » Les Genevois ne perdirent pas un moment. « Qu’on abatte tout ce qui peut nuire à la défense de la ville, dit le conseil ; que l’on rase le faubourg des Eaux-Vives, sur la rive gauche du lac ; celui de Saint-Victor, au delà de Saint-Antoine ; celui de Saint-Léger jusqu’à l’Arve ; celui de la Corraterie jusqu’au Rhône ! Que chacun fasse bonne garde ; que nul ne s’absente sans congé ; que ceux qui sont dehors reviennent pour défendre la ville, et qu’on fasse pendant trois jours des prières et processions solennellesa. »
a – Registres du Conseil du 11 octobre 1531.
Ainsi tandis que Lucerne et les petits cantons attaquaient Zurich, le duc de Savoie et les seigneurs du Léman se préparaient à attaquer Genève. Ces deux villes furent en Suisse au seizième siècle les deux capitales du protestantisme. Genève pourtant était encore rempli de moines et de prêtres ; et du chœur de toutes les églises on entendait retentir les matines et autres chants du rite romain,
De pieux fainéants y laissant en leur lieu,
A des chantres gagés, le soin de louer Dieu.
Comment donc se faisait-il que Genève fût alors associé à Zurich ? C’est que s’il n’était pas conquis à la Réformation, il y était prédestiné ; exemple unique peut-être, d’une ville soumise à de grands dangers, non pas tant à cause de ce qu’elle est, qu’à cause de ce qu’elle doit être. Les très petits commencements de foi évangélique qui s’y trouvaient, étaient si imperceptibles, qu’ils n’eussent suffi pour attirer les anathèmes de l’évêque et les armées du duc ; mais l’élection de Dieu reposait sur elle ; Dieu la préparait, l’éprouvait, la délivrait à cause des choses auxquelles il la destinait. Les adversaires de l’Évangile semblaient en avoir un secret pressentiment ; aussi voulaient-ils du même coup faire tomber la ville qui était la cité de Zwingle et celle qui devait être la cité de Calvin.
Tous les citoyens étaient en mouvement. Les uns, armés d’arquebuses, faisaient la garde ; les autres, ]a pioche à la main, allaient abattre les faubourgs. En ce moment un messager arriva de Suisse, et annonça la défaite de Cappel ; Zurich avait succombé… Les huguenots ne pouvaient d’abord croire cette sinistre nouvelle ; ils se la faisaient répéter ; mais elle fut bientôt confirmée de toutes parts, et les amis de l’indépendance et de la Réformation baissèrent tristement la tête. Le bras sur lequel ils avaient compté était rompu. Partout le parti protestant en Suisse était consterné, et le parti romain triomphait. On apprit à Genève que la messe était rétablie à Bremgarten, à Rapperschwyl, à Soleure, dans tous les bailliages libres, et que les moines rentraient en triomphe dans les cellules désertes. Était-ce au moment où la Réformation se voyait chassée de ces lieux, où elle semblait si fermement établie, qu’elle pourrait planter sa bannière sur les bords du Léman ?
Les catholiques genevois crurent à leur triomphe. La mort du réformateur suisse était, selon eux, la fin de la Réformation ; il n’y avait plus qu’à donner le dernier coup. Les conciliabules secrets se multiplièrent ; de détestables complots se formèrent. Les héros de l’ancien parti épiscopal, reprenant leurs fières allures, se promenaient la tête haute dans les rues de Genève, laissant traîner, les uns leurs épées, les autres leurs longues robes. S’ils rencontraient un suspect, ils lui faisaient un geste de mépris, lui cherchaient querelle, l’insultaient, le frappaient même, et ces violences demeuraient impuniesb. Les Fribourgeois surtout se croyaient tout permis contre les évangéliquesc, et voulant vaincre à Genève, comme les Waldstettes, près de l’Albis, ils se mettaient plusieurs ensemble, marchaient dans les rues, et s’ils découvraient quelque huguenot, ils l’entouraient, l’enlevaient, et le jetaient en prison sans vouloir l’entendred. C’était ainsi que les partisans de l’évêque prétendaient le rasseoir sur son siège épiscopal. Pierre de La Baume s’apprêtait à y remonter.
b – « Alii impune injuria afficiuntur. » (Zwingl. Ep., II, p. 648.)
c – « Nihil pene non licet Friburgensibus in pios. » (Zwingl. Ep., II, p. 648.)
d – « Indicta causa rapiuntur in carceres. » (Ibid.)
Les huguenots, étonnés de voir de tels méfaits commis en présence des Suisses et par des Suisses même, s’adressèrent de nouveau, mais en vain, aux Bernois. Ceux-ci ne voulaient pas favoriser dans Genève une lutte qu’ils réprimaient ailleurs. « Pas de pétulance et d’emportement, dirent-ils, nous avons les ordres du sénat. » Mais les Genevois, ne voulant pas rester tranquilles, Messieurs de Berne prirent une contenance grave, et s’enveloppant d’une morgue magistrale, congédièrent ces impertinents. Les Genevois s’en retournèrent en murmurant : « O paresse, ô lâcheté, plus que vilaine ! disaient-ils ; Ah ! Messieurs de Berne, vous pensez plus aux affaires de ce monde qu’à celles du monde à venir. » Le sénat de Berne, répétait Farel, ne supporterait pas une légère injure faite à l’un de ses ambassadeurs ; mais il en supporte de graves, faites à l’Évangile de Christe. »
e – « Non putarim senatum Bernensem olim ita laturum levem injuriam in nuntium sicut gravera in Evangelium perfert. » (Ibid.)
La défaite de Zurich redoubla l’énergie du duc Charles. Désireux d’orner sa tête de lauriers semblables à ceux des vainqueurs de Cappel, il ordonna une attaque générale. Les troupes savoyardes et vaudoises entourèrent Genève ; les vivres furent coupés ; les barques furent saisies sur toutes les rives du lac, et le duc arriva à Gex, à trois lieues de la ville, avec un grand corps de cavalerie, pour présider à l’attaque. Ce fut sous ces sombres auspices que s’ouvrit, à Genève, l’année 1532. Le danger parut tel que le 2 janvier, à 7 heures du soir, tous les chefs de famille s’assemblèrent et résolurent de se tenir nuit et jour sous les armes, de murer les portes et de mourir plutôt que de renoncer à l’alliance suisse et à leurs précieuses libertés. Un plus grand malheur allait les frapperf.
f – Registres du Conseil, du 2 janvier 1532.
Cinq jours après cette résolution, le 7 janvier 1532, trois députés bernois, S. de Diesbach, J.-J. de Watteville et J.-F. Nægueli se présentèrent devant le conseil. La tristesse était répandue sur leur visage et tout annonçait qu’ils apportaient un message affligeant. « Nous arrivons de Gex, où le duc se trouve, dirent-ils. Il consent à traiter avec vous, si préalablement vous renoncez à l’alliance avec nos cantons. Considérez qu’il est puissant et capable de vous faire beaucoup de mal… Vous n’avez encore pu solder la dernière année que nous vous envoyâmes ; nous ne pouvons en mettre sur pied une nouvelle. Nous vous conjurons de vous appointer avec Son Altesse… »
Pendant le discours, les Genevois souffraient, rougissaient, s’indignaient en secret. Ils ne pouvaient croire que Berne, cet État si fier, leur demandât d’abandonner la cause de l’indépendance et l’alliance suisse. Le député ayant terminé sa harangue — le conseil général du peuple s’était réuni pour l’écouter, — le premier syndic répondit : « Nous ne connaissons pas d’appointement bon, si ce n’est celui de garder l’alliance. Plus on nous menacera, et plus nous serons fermes. Nous maintiendrons notre droit jusqu’à la mort. Nous nous fions à Dieu, et à Messieurs des deux villes. Et si pour vous payer, ce que nous vous devons, il nous faut engager nos biens, nos femmes et nos enfants, nous le ferons. Pour l’alliance, nous voulons vivre et mourir ! » A peine le syndic avait-il fini de parler, que tout le peuple s’écria : « Il en est ainsi ! Nous ne voulons faire autre… plutôt mourir ! » Les arquebusiers de Jean-Philippe et ceux de Richardet n’avaient qu’un même cœur. Les ambassadeurs trouvaient étrange qu’on osât résister à Berne. « Nous le rapporterons à Nos Seigneurs, dirent-ils, et pour Dieu ! ils feront ce qui leur plaira, » et ils se retirèrent. Alors tous les citoyens levèrent la main, et prêtèrent serment d’être fidèles à l’alliance.
Les Bernois étaient partis. Le peuple était dans une grande agitation. La cause de la liberté venait d’être vaincue à Cappel ; les armées du duc entouraient la ville ; les Suisses voulaient rompre l’alliance. Il y eut, dans Genève, de secrètes terreurs ; les femmes versaient des larmes ; des hommes même sentaient un étouffement semblable à un cauchemar ; mais l’enthousiasme pour la liberté l’emportait sur toutes les craintes. Privés du secours des hommes, les Genevois levaient les yeux vers le ciel. Quelques-uns éprouvaient une émotion extraordinaire et avaient des hallucinations et des visions étranges. Une nuit, ceux qui faisaient le guet sur les murailles, virent sept cavaliers habillés de noir et sans tête, faisant la garde autour de la ville. Ils étaient habillés de noir, car tout était en deuil dans Genève ; ils étaient sans tête, car nul ne comptait sur la sienne ; et puis ces Genevois pensaient, dans leurs transports, qu’ils défendraient Genève, même quand on aurait coupé la leur. Le duc ayant appris que de mystérieux alliés venaient au secours de la ville, quitta Gex où il était, et se sauva à Chambéry. Il est probable pourtant que la conférence qu’il avait eue avec les trois seigneurs de Berne eut plus d’influence pour l’arrêter dans l’exécution de son dessein, que l’apparition des sept chevaliers noirsg.
g – Registres du Conseil des 7, 8, 9 janvier 1532. — Savyon, Annales.
Les épreuves, les terreurs, les attaques répétées que Genève eut à subir de la part de ses ennemis, sont un trait de son histoire à l’époque de la Réformation. Ses habitants pillés, traqués, saisis, jetés dans les donjons des châteaux, toujours entre la vie et la mort, vivaient sans cesse dans l’appréhension d’un assaut, et presque chaque année leurs craintes se changeaient en de terribles réalités ; nous en avons vu des exemples et nous en verrons d’autres encore. Nulle cité peut-être ne vint, au seizième siècle, à la possession de la vérité et de la liberté, au milieu de si grands périls. Quand les vivres manquaient, quand les communications avec la Suisse étaient interrompues, quand nul ne pouvait plus sortir de la ville, quand aux rayons du soleil on voyait briller tout à l’entour les armes des Savoyards, les citoyens sans doute montraient un héroïque courage, mais pourtant il y avait parmi les femmes et les vieillards, et même chez des hommes faits, des angoisses et des transes mortelles. « Les chrétiens ne sont pas des troncs de bois, » disait-on plus tard dans cette ville, et l’on peut bien appliquer cette parole aux Genevois de cette époque ; « ils n’ont pas tellement dépouillé le sentiment humain, qu’ils ne soient touchés de douleur, qu’ils ne craignent les dangers, que la pauvreté ne leur soit ennuyeuse et les persécutions âpres et difficiles à porter. C’est pourquoi quand ils sont éprouvés, ils sentent de la tristesseh. » Déjà dans les premiers siècles du christianisme, les famines, les tremblements de terre, les pestes, les persécutions, et plus tard, lors de l’invasion des barbares, les désolations dont cette calamité fut accompagnée, firent sentir à des âmes sérieuses la présence de Dieu, et les amenèrent à la croix. Un tremblement de terre qui renversa en partie la ville de Philippes, effraya un geôlier, jusqu’alors endurci dans la superstition, l’humilia et le rendit attentif à la doctrine des disciples, qu’il avait auparavant mépriséei ; et plus tard, en Afrique, une calamité semblable amena un grand nombre de païens à confesser l’Évangile et à se faire baptiser.
h – Calvin, sur 1 Pierre 1.7.
i – Actes 16.23-24.
C’était par de telles épreuves que Genève était alors préparé. Dieu labourait le champ qu’il voulait ensemencer. Des détresses et des délivrances sans cesse renaissantes révélaient aux hommes sérieux la puissance de Dieu ; les registres mêmes du conseil en rendent témoignage. Cette rude école mena-t-elle quelques âmes plus loin ? Y en eut-il qui cherchèrent, plus haut que le monde, une vie incorruptible ?… Le travail intérieur des esprits est d’ordinaire caché ; et les chroniqueurs ne nous rapportent rien à ce sujet (ce n’est pas leur département) ; mais nous ne pouvons douter que le but pour lequel Dieu envoie l’épreuve ne fût atteint. Peut-être y eut-il alors des âmes qui, au milieu des maux qu’elles voyaient tout à l’entour, furent amenées à reconnaître en elles le mal suprême, le péché. Peut-être que dans quelque retraite cachée, d’humbles accents montèrent alors vers le ciel. Peut-être que les jugements de Dieu, qui étaient suspendus sur leurs têtes et sur celles de leurs femmes et de leurs enfants, en portèrent quelques-uns à redouter le jugement suprême. Peut-être y en eut-il qui embrassèrent l’amour éternel, source intarissable du salut, crurent à l’Évangile du Fils de Dieu et y trouvèrent la paix. Nous ignorons ce qui se passa dans le secret des cœurs ; mais, quoi qu’il en soit, l’époque dont nous parlons fut une époque d’épreuve qui contribua à faire de Genève ce qu’il devint plus tard ; ce fut « une fournaise ardente, de laquelle sortit un airain très brillantj. » Si Genève a relui au seizième et au dix-septième siècle, c’est en partie parce qu’à l’époque de la Réformation, il a été travaillé, éprouvé, et si l’on peut ainsi dire, « frotté fort. » « Nous sommes comme recuits en la fournaise de Dieu, » put-on dire dans cette ville, « et les écumes de notre foi en sont ainsi repurgéesk. »
j – Apocalypse 1.15.
k – Calvin.
Le 7 février 1532, cinq ambassadeurs, deux de Berne et trois de Fribourg, ayant à leur tête Sébastien de Diesbach, parurent à Genève devant le conseil des Deux-Cents ; c’étaient les représentants de l’aristocratie suisse, de ces fiers capitaines qui brillaient dans les batailles et paraissaient à la cour des rois. Ils s’acquittèrent de leur mission avec la même rudesse qu’ils mettaient à prendre des villes, et demandèrent que Genève renonçât à l’alliance avec les Suisses et remît le duc de Savoie en possession de ses prééminences… Que feront les Genevois ? Fribourg même, qui avait paru d’abord plus favorable, Fribourg leur manquait… Deux cents voix s’écrièrent : « Plutôt mourir ! » Le lendemain, le conseil général ayant été réuni, la plus grande agitation parut y régner ; chacun semblait vouloir parler ; de vives clameurs s’élevaient de toutes parts : « tout le peuple se mit à crier, » disent les actes de cette assemblée. La parole de Diesbach était pressante, impérative, menaçante… Un vent de tempête fondait alors sur Genève ; l’arbre devait plier ou rompre. Mais il ne plia ni ne rompit. Les ambassadeurs, ébahis et indignés, retournèrent dans leur paysl.
l – Registres du Conseil des 4, 7, 8 février 1532.
Les Genevois, laissés seuls, se demandaient ce qu’ils avaient à faire… La coupe débordait. Tout à coup, une idée heureuse traverse l’esprit de quelques patriotes. Si les patriciens et les pensionnaires sont opposés aux droits de Genève, le peuple et le grand conseil qui le représente, ne seraient-ils pas pour la liberté ? Quand en 1528 la Réformation s’est établie à Berne, les plus nobles décisions y ont été prises. On a habillé les indigents avec les ornements des églises ; on a renoncé aux pensions des princes ; on a aboli les capitulations militaires qui engageaient les Suisses au service des puissances étrangères… Puis, l’enthousiasme s’est refroidi ; MM. les pensionnaires ont regretté les anciens temps ; ils ont travaillé les plus influents de la ville, et les ont passionnés contre l’alliance avec Genève, qui déplaisait à leur ancien maître, le duc. « Faisons un effort, s’écrièrent quelques-uns, pour ramener dans Berne les nobles aspirations de la Réforme et de la liberté. » Robert Vandel et deux autres députés partirent pour les bords de l’Aar.
Vandel était propre à cette mission. Depuis qu’il avait vu son vieux père illicitement saisi par l’évêque et jeté dans une prison, il avait donné son cœur à l’indépendance ; plus tard à l’Évangile. Il savait que le peuple était demeuré sympathique à Genève, et que si le patriciat dominait dans le petit conseil, la bourgeoisie dominait dans le grand ; ce fut donc devant ce corps qu’il parut. Il exposa les dangers des Genevois, leur amour de l’indépendance, leur résolution de tout perdre plutôt que de se séparer des Suisses. Sa parole émut les cœurs ; la bonne cause l’emporta : « Nous maintiendrons l’alliance, dit Berne ; et, s’il le faut, nous marcherons pour défendre vos droits. » Fribourg adhéra aux résolutions des Bernoism. Ainsi après l’épreuve venait la délivrance ; Genève commença à respirer plus librement. Toutefois une autre douleur allait l’atteindre.
m – Histoire de la Réformation du seizième siècle, 15.3 — Ruchat, II, p. 83. — Galiffe, B. Hugues, p. 442.
Besançon Hugues parut alors (20 février) devant le conseil, et se démit de toutes ses fonctions : « Je deviens vieux, dit-il (il n’avait que quarante-cinq ans), j’ai plusieurs enfants ; je désire m’occuper de mes propres affaires. » Les motifs allégués par Hugues avaient sans doute une part dans sa résolution ; on peut toutefois se demander si ce furent les seuls. Il suivait attentivement le mouvement des esprits dans Genève, et dévoué au catholicisme et à l’évêque, il ne pouvait se cacher que le parti contraire gagnait chaque jour plus d’adhérents. Il n’avait épargné ni son temps, ni sa peine, ni sa fortune, ni sa santé, pour conclure l’union avec les Suisses. Voyant qu’elle ne se trouvait plus seulement sur le parchemin des chancelleries, mais dans les entrailles du peuple, il se dit qu’il avait rempli sa tâche, et que, pour l’œuvre nouvelle, Genève devait avoir de nouveaux conducteurs. Si Hugues n’était pas vieux, il était faible ; il ressentait déjà les atteintes de la maladie qui l’emporta quelques mois plus tard. Il déclina rapidement et rendit l’âme vers la fin de l’année.
La mort de Besançon Hugues ne vint pas d’une maladie ordinaire ; il mourut d’un esprit brisé. Bien qu’il soit mort catholique au moment où la Réforme allait entrer dans sa patrie, une couronne doit être déposée sur sa tombe. Les angoisses continuelles que les périls de Genève lui avaient fait éprouver, près de quarante missions officielles, ses travaux incessants pour la cause genevoise, les charges toujours nouvelles qui pesaient sur lui, les revers qui le navraient ; une fuite précipitée, ses périls dans les chemins, ses périls dans les villes, le froid, les veilles, les soucis qu’il avait pour sa famille : — « Je vous prie avoir recommandé mon pauvre ménage, » dit-il quelquefois dans ses lettres au conseil ; — ses mécomptes, les reproches qu’il essuya de divers côtés, ses luttes avec les pensionnaires, avec les agents de Savoie, avec les gentilshommes de la Cuiller et avec quelques-uns de ses concitoyens, toutes ces fâcheries contribuèrent à sa maladie et à sa mort. La tête de Besançon Hugues ne tomba pas sous le fer du bourreau, comme celles de Berthelier et de Lévrier ; mais ce héros pacifique succomba sous le poids des fatigues et des douleurs. Un glaive invisible le frappa, et l’on peut dire que la mort des trois grands hommes de l’émancipation genevoise fut la mort des martyrs.