L’Imitation de Jésus-Christ, traduite en vers français
39 Que l’homme ne doit point s’attacher avec empressement à ses affaires
Mon fils, entre mes mains remets toujours ta cause ; Je saurai bien de tout ordonner en son temps ; Sans ennui, sans murmure attends que j’en dispose, Et je ferai trouver à tes désirs contents Plus d’avantage en toute chose Que toi-même tu n’en prétends.
Je vous remets le tout, Seigneur, sans répugnance ; Je vous remets le tout ; et plus j’ose y penser, Plus je vois qu’en effet je ne suis qu’impuissance, Et que tous mes efforts ne peuvent m’avancer.
Plut à votre bonté que l’âme peu touchée De tout ce qui peut suivre ou tromper son désir, Je la pusse à toute heure offrir bien détachée Aux ordres souverains de votre bon plaisir !
Mon fils, l’homme est changeant, et souvent il s’emporte Avec empressement vers ce qu’il veut avoir ; Mais quelque estime enfin qu’il veuille en concevoir Il en juge d’une autre sorte Sitôt qu’il est en son pouvoir.
Dans tout ce qu’il possède il voit moins de mérite ; Une flamme nouvelle éteint le premier feu ; Du propre attachement l’inconstance l’agite ; Un désir fait de l’autre un soudain désaveu, Et ce n’est pas peu qu’on se quitte Même dans les choses de peu.
C’est l’abnégation, mais sincère et parfaite, Qui peut seule affermir son instabilité : Qui se bannit de soi trouve en moi sa retraite ; L’esclavage qu’il prend devient sa liberté, Et dans la perte qu’il a faite Il rencontre sa sûreté.
Mais ce vieil ennemi de la nature humaine De tes meilleurs desseins cherche à gâter le fruit ; Et, tout impatient de renouer ta chaîne, Pour rétablir en toi son empire détruit, Il tient les ruses de sa haine En embuscade jour et nuit.
Il étale à tes sens des douceurs sans pareilles, Qu’eux-mêmes prennent soin de te faire goûter ; Il cache tous ses lacs sous de fausses merveilles, Pour voir si par surprise il t’y pourra jeter ; Et sans l’oraison et les veilles Tu ne les saurais éviter.