Il a desjà esté exposé quelle importance doit avoir entre nous le ministère de la Parole de Dieu et des Sacremens, et jusques où nous luy devons porter cest honneur, pour le tenir comme enseigne et marque de l’Eglise : c’est-à-dire, que par tout où il est en son entier, il n’y a nuls vices touchant les mœurs, qui empeschent que là il n’y ait Eglise. Secondement, qu’encores qu’il y ait quelques petites fautes, ou en la doctrine, ou aux Sacremens, qu’iceluy ne laisse point d’avoir sa vigueur. D’avantage il a esté monstré que les erreurs ausquels on doit ainsi pardonner, sont ceux qui ne touchent point la principale doctrine de nostre religion, et ne contrevienent aux articles de la foy, esquels doyvent consentir tous fidèles. Et quant aux Sacremens, que les fautes qu’on peut tolérer, sont celles qui n’abolissent point et ne renversent l’institution du Seigneur. Mais s’il advient que le mensonge s’eslève pour destruire les premiers points de la religion chrestienne, et destruire ce qui est nécessaire d’entendre des Sacremens, en sorte que l’usage en soit anéanty, lors s’ensuyt la ruine de l’Eglise, tout ainsi que c’est fait de la vie de l’homme, quand le gosier est coupé, ou que le cœur est navré. Ce que monstre sainct Paul, quand il dit que l’Eglise est fondée sur la doctrine des Prophètes et des Apostres, Jésus-Christ estant la principale pierre Eph. 2.20. Si le fondement de l’Eglise est la doctrine des Apostres et des Prophètes, laquelle enseigne les fidèles de constituer leur salut en Christ, qu’on oste ceste doctrine, comment l’édifice pourra-il demeurer debout ? Il est doncques nécessaire que l’Eglise déchée, quand la doctrine laquelle seule la soustient, est renversée. D’avantage, si la vraye Eglise est colonne et firmament de vérité 1Tim. 3.15, il n’y a point de doute que ce n’est pas l’Eglise où règne la fausseté et le mensonge.
Or puis que cela est en toute la Papauté, il est facile de juger quelle Eglise il y reste. Au lieu du ministère de la Parole, il y a un gouvernement pervers et confit de mensonges, lequel esteint ou estouffe la pure clairté de la doctrine. Au lieu de la sacrée Cène de nostre Seigneur, il y a un sacrilège exécrable. Le service de Dieu y est du tout desfiguré par diverse forme de superstitions. La doctrine, sans laquelle la Chrestienté ne peut consister, y est ensevelie ou rejettée. Les assemblées publiques sont escholes d’idolâtrie et impiété. Il ne faut point doncques craindre qu’en nous retirant de la participation de ces sacrilèges, nous facions divorce avec l’Eglise de Dieu. La communion de l’Eglise n’a pas esté instituée à telle condition, qu’elle nous soit un lien pour nous astreindre à idolâtrie, impiété, ignorance de Dieu, et autres meschancetez, mais plustost pour nous entretenir en la crainte de Dieu, et en l’obéissance de sa vérité. Je sçay bien que les flatteurs du Pape magnifient grandement leur Eglise, pour faire à croire qu’il n’y en a point d’autre au monde. Puis après, comme s’ils avoyent gaigné leur procès, ils concluent que tous ceux qui se destournent de l’obéissance d’icelle, sont schismatiques : et que tous ceux qui osent ouvrir la bouche pour répugner à la doctrine d’icelle sont hérétiques. Mais par quelle raison prouvent-ils qu’ils ayent la vraye Eglise ? ils allèguent des histoires anciennes, ce qui a esté autresfois en Italie, en Espagne et en la Gaule, et qu’ils sont descendus de ces saincts personnages, qui ont esté les premiers fondateurs des Eglises en tous ces pays-là, et qui ont enduré mort et passion pour la confirmation de leur doctrine. Pourtant que l’Eglise ayant ainsi esté consacrée entre eux, tant par les dons spirituels de Dieu, que par le sang des saincts Martyrs, a esté conservée par succession perpétuelle des Evesques, à ce qu’elle ne décheust pas. Ils allèguent combien Irénée, Tertullien, Origène et sainct Augustin, et les autres anciens Docteurs ont estimé ceste succession. Toutesfois quiconques me voudra prester l’aureille, je luy monstreray clairement combien toutes ces allégations sont frivoles. J’exhorteroye aussi bien ceux qui les mettent en avant, d’appliquer leurs esprits à ce que je leur diray, si je pensoye proufiter quelque chose par les enseigner : mais pource que sans avoir aucun esgard à la vérité, ils ne cherchent autre chose qu’à maintenir leur proufit particulier, je parleray seulement pour les bons, et ceux qui ont désir de cognoistre la vérité, et leur monstreray comment ils se pourront despescher de toutes ces cavillations. Premièrement, je demande à nos adversaires, pourquoy c’est qu’ils ne nous mettent en avant l’Afrique, l’Egypte et toute l’Asie. Il n’y a autre cause sinon d’autant que ceste succession des Evesques y est faillie par le moyen de laquelle ils se vantent que l’Eglise a esté conservée entre eux. Ils revienent doncques à ce point-là, qu’ils ont la vraye Eglise, d’autant que jamais elle n’a esté destituée d’Evesques, depuis qu’elle a commencé d’estre, veu que les uns ont succédé aux autres par un ordre perpétuel. Mais que sera-ce, si je leur allègue d’autre costé la Grèce ? Je leur demande doncques derechef, pourquoy c’est qu’ils disent que l’Eglise est périe en Grèce : entre lesquels ceste succession, laquelle selon leur fantasie est le seul moyen de conserver l’Eglise, n’a jamais cessé, mais a tousjours duré sans interruption. Ils font les Grecs schismatiques. A quel tiltre ? Pourtant, disent-ils, qu’en se révoltant du sainct siège apostolique de Rome, ils ont perdu leur privilège. Mais quoy ? ceux qui se révoltent de Jésus-Christ, ne méritent-ils pas beaucoup plus de le perdre ? De là il s’ensuyt que la couverture qu’ils prétendent de leur succession, est vaine, sinon qu’ils retienent la vérité de Jésus-Christ en son entier, selon qu’ils l’ont receue des Pères.
Ainsi il appert que les défenseurs de l’Eglise romaine ne prétendent aujourd’huy autre chose que ce qu’amenoyent anciennement les Juifs, quand les Prophètes de Dieu les rédarguoyent d’aveuglement, d’impiété et idolâtrie. Car comme iceux se vantoyent du Temple, des cérémonies et de l’estat de prestrise, ausquelles choses ils pensoyent que l’Eglise fust située : pareillement ceux-ci, au lieu de l’Eglise nous mettent en avant je ne sçay quelles masques, lesquelles souvent peuvent estre où l’Eglise ne sera point, et sans lesquelles l’Eglise peut très-bien consister. Pourtant il ne me faut user d’autre argument pour les repousser, que de celuy dont usoit Jérémie pour abatre ceste vaine confiance des Juifs : asçavoir qu’ils ne se glorifient point en paroles de mensonge, disant, C’est le temple du Seigneur, c’est le temple du Seigneur, c’est le temple du Seigneur Jér. 7.4. Car Dieu ne recognoist point pour son temple, un lieu où sa Parole ne soit ouye et honorée. Pour ceste cause, combien que la gloire de Dieu fust anciennement au temple entre les Chérubins Ezéch. 10.4, et qu’il eust promis d’avoir là son siège perpétuel, néantmoins quand les Sacrificateurs eurent corrompu son service par superstitions, il s’en départit et laissa le lieu sans aucune gloire. Si ce temple-là, lequel sembloit advis estre dédié à une perpétuelle résidence de Dieu, a peu estre abandonné de luy et devenir profane, il ne nous faut point imaginer que Dieu soit tellement attaché aux lieux ou aux personnes, ou lié à des cérémonies externes, qu’il soit comme contraint de demeurer avec ceux qui ont seulement le tiltre et apparence d’Eglise Rom. 9.6. Et c’est le combat qu’a sainct Paul en l’épistre aux Romains, depuis le neufième chapitre jusques au douzième. Car cela troubloit fort les consciences infirmes, que les Juifs, qui sembloyent estre le peuple de Dieu, non-seulement rejettoyent l’Evangile, mais aussi le persècutoyent. Pourtant après avoir traitté la doctrine, il respond à ceste difficulté, en niant que les Juifs qui estoyent ennemis de la vérité, fussent l’Eglise : combien que rien ne leur défaillist de tout ce qui est requis en apparence extérieure : et n’allègue autre raison que ceste-là, pource qu’ils ne reçoyvent point Jésus-Christ. Il parle encores plus expressément en l’épistre aux Galates, où en faisant comparaison d’Isaac avec Ismaël, il dit que plusieurs occupent lieu en l’Eglise, ausquels toutesfois l’héritage n’appartient point, pource qu’ils n’ont point esté engendrez d’une mère franche et libre. Et de là il descend à mettre en avant deux Jérusalem opposites l’une à l’autre Gal. 4.22 : pource que comme la Loy a esté publiée en la montagne de Sinaï, et l’Evangile est sorti de Jérusalem, aussi plusieurs estans nais et nourris en doctrine servile, se vantent hardiment d’estre enfans de Dieu et de l’Eglise, mesmes n’estans que semence bastarde, mesprisent les vrays enfans de Dieu et légitimes. Or quant à nous, puis qu’il a esté une fois prononcé du ciel, Que la chambrière soit exterminée avec ses enfans Gen. 21.10 : estans munis de ce décret inviolable, foulions aux pieds toutes leurs sottes vanteries. Car s’ils s’enorgueillissent en leur profession externe, Ismaël de son costé estoit circoncis : s’ils se fondent sur l’ancienneté, il estoit premier-nay de la maison d’Abraham : nous voyons toutesfois qu’il en est retranché. Si on demande la cause, sainct Paul nous l’assigne : c’est que nous ne devons réputer pour droicts enfans de Dieu, sinon ceux qui sont engendrez de la pure semence de la Parole, pour les rendre légitimes. Selon ceste raison, Dieu déclaire qu’il n’est nullement obligé aux meschans sacrificateurs : veu qu’il avoit fait paction avec leur père Lévi, qu’il luy serviroit d’Ange ou messager. Mesmes il retourne contre eux leur fausse gloire, en laquelle ils s’eslevoyent contre les Prophètes : c’est que la dignité de prestrise doit estre singulièrement prisée et honorée. Ce qu’il leur confesse volontiers : mais c’est pour rendre leur cause tant pire, veu qu’il est prest de garder fidèlement ce qu’il a promis de son costé. Mais eux n’en tienent conte : et ainsi méritent par leur desloyauté d’estre rejettez. Voylà que vaut la succession des pères aux enfans, s’il n’y a un train continuel et conformité, qui monstre que les successeurs ensuyvent ceux qui les ont précédez. Quand cela n’y est point, il faut que ceux qui seront convaincus de s’estre abastardis de leur origine, soyent déboutez de tout honneur : sinon qu’on vueille donner le tiltre et l’authorité de l’Eglise à la synagogue si perverse et meschante comme elle estoit du temps de Jésus-Christ, sous ombre que Caïphe avoit succédé à beaucoup de bons Sacrificateurs, mesmes que depuis Aaron jusques à luy la succession avoit persévéré. Or tant s’en faut que cela ait lieu, que mesmes aux gouvernemens terrestres il ne seroit point supportable. Comme il n’y a nul propos de dire que la tyrannie de Caligula, Néron, Héliogabale et leurs semblables, soit le vray estat de la cité de Rome, pource qu’ils ont succédé aux bons gouverneurs qui estoyent establis par le peuple. Sur tout il n’y a rien plus frivole, que d’amener pour le régime de l’Eglise la succession des personnes, en oubliant la doctrine. Et mesmes les saincts Docteurs, lesquels ces canailles nous objectent faussement, n’ont rien moins prétendu que de vouloir prouver qu’il y eust droict héréditaire d’Eglise par tout où les Evesques ont succédé les uns aux autres. Mais pource que c’estoit une chose notoire et sans doute, que depuis l’aage des Apostres jusques à leur temps, il ne s’estoit fait nul changement de doctrine ny à Rome, ny aux autres villes : ils prenent ceci comme un principe suffisant : à renverser tous erreurs qui s’estoyent eslevez de nouveau : c’est qu’ils estoyent répugnans à la vérité, laquelle avoit esté constamment gardée et maintenue d’un commun accord depuis le temps des Apostres. Ces brouillons doncques ne proufiteront rien, en fardant leur synagogue du tiltre d’Eglise. De nostre part ce nom nous est honorable : mais il est question de distinguer et sçavoir que c’est d’Eglise. En quoy non-seulement ils se trouvent empeschez, mais plongez en leur bourbier : pource qu’au lieu de la saincte Espouse de Jésus-Christ, ils nous supposent une paillarde puante et infecte. Or afin qu’un tel desguisement ne nous trompe, ayons mémoire de cest advertissement de sainct Augustin entre beaucoup d’autres : c’est qu’il dit que l’Eglise est quelquesfois obscurcie, et comme enveloppée des grosses nuées et espesses, sous multitude de scandales : quelquesfois elle apparoist libre et tranquille : quelquesfois elle est troublée et couverte de grans flots d’afflictions et tentations[a]. Et puis il produit pour exemple, que souvent ceux qui estoyent les plus fermes colomnes estoyent bannis pour la foy, ou bien se tenoyent cachez çà et là en régions escartées.
[a] Ad Vincent., epist XLVIII
Semblablement aujourd’huy les défenseurs du siège romain nous importunent, et estonnent les rudes et ignorans du nom de l’Eglise : comme ainsi soit que Jésus-Christ n’ait point de plus grans ennemis que le Pape et tous les siens. Combien doncques qu’ils nous allèguent le Temple, la Prestrise, et toutes autres telles masques, cela ne nous doit point esmouvoir pour nous faire concéder qu’il y ait Eglise où il n’y apparoist point de Parole de Dieu. Car voyci une enseigne perpétuelle, de laquelle le Seigneur a marqué les siens : Qui est de la vérité, dit-il, il oit ma voix Jean 18.37. Item, Je suis le bon Pasteur : je cognoy mes brebis, et elles me cognoissent. Mes brebis oyent ma voix, et Je les recognoy, et elles me suyvent Jean 10.14, 27. Or un peu au paravant il avoit dit que les brebis suyvent leur Pasteur, d’autant qu’elles cognoissent sa voix Jean 10.4 : qu’elles ne suyvent point un estranger, mais qu’elles s’enfuyent arrière, pource qu’elles ne cognoissent point la voix des estrangers. Pourquoy doncques errons-nous à nostre escient en cherchant l’Eglise, veu que Jésus-Christ nous en a donné une marque qui n’est point douteuse ? Laquelle ne nous peut tromper partout où nous la verrons, qu’elle ne nous rende certains que là il y a Eglise : comme partout où elle n’est point, il n’y peut rien avoir qui nous donne vraye signification d’Eglise. Car sainct Paul dit que l’Eglise est fondée, non point sur l’opinion des hommes, non point sur la prestrise, mais sur la doctrine des Prophètes et des Apostres Eph. 2.20. Qui plus est, il nous faut discerner Jérusalem de Babylone : l’Eglise de Dieu, de la congrégation des infidèles et meschans, par la seule différence que Jésus-Christ y a mise, en disant que celuy qui est de Dieu oit la parole de Dieu : au contraire que celuy qui ne la veut point ouyr, n’est point de Dieu Jean 8.47. En somme, puisque l’Eglise est le règne de Christ, et qu’il est ainsi que Jésus-Christ ne règne que par sa Parole, qui est-ce qui doutera que ce ne soyent paroles de mensonge, quand on veut faire à croire que le règne de Jésus-Christ est où son sceptre n’est point ? c’est-à-dire ceste saincte Parole par laquelle seule il gouverne.
Touchant ce qu’ils nous accusent d’hérésie et de schisme, pource que nous preschons une doctrine diverse de la leur, et n’obéissons point à leurs loix et statuts, et avons nos assemblées à part, tant pour faire les prières publiques que pour administrer les Sacremens : c’est bien une griefve accusation, mais elle n’a point mestier de longue défense. On appelle hérétiques et schismatiques ceux qui en faisant un divorce en l’Eglise, rompent l’union d’icelle. Or ceste union consiste en deux liens : asçavoir qu’il y ait accord en saine doctrine : et qu’il y ait charité fraternelle. Pour laquelle raison sainct Augustin distingue entre les hérétiques et schismatiques, disant que les premiers sont ceux qui corrompent la pure vérité par fausse doctrine : les seconds, sont ceux qui se séparent de la compagnie des fidèles, combien qu’ils ayent autrement convenance avec eux en la foy[b]. Mais il faut aussi noter ce point, que la conjonction que nous devons avoir en charité, dépend tellement de l’unité de foy, que ceste-ci en est le fondement, la fin et la reigle d’icelle. Pourtant qu’il nous souviene que quand l’unité de l’Eglise nous est recommandée de Dieu, par cela n’est entendu autre chose, sinon que comme nous convenons, quant à la doctrine, en Jésus-Christ, aussi qu’en luy nos affections soyent conjoinctes en bonne amour. Pourtant sainct Paul nous exhortant à union, prend pour son fondement qu’il n’y a qu’un Dieu, une foy et un Baptesme Eph. 4.5. Et mesmes là où il nous enseigne d’estre d’accord tant en doctrine qu’en volontez, il adjouste quant et quant, que cela soit en Jésus-Christ Phil. 2.2, 5 ; Rom. 15.5 : signifiant que tout accord qui se fait hors la Parole de Dieu, est une faction d’infidèles, et non point consentement de fidèles.
[b] Lib. Quæst. Evang. secundum Matth.
Sainct Cyprien semblablement en suyvant sainct Paul, proteste que la source de toute l’unité de l’Eglise est en cela, que Jésus-Christ soit seul Evesque. Puis il adjouste conséquemment, qu’il n’y a qu’une seule Eglise laquelle est espandue au long et au large : comme il y a plusieurs rayons du soleil, mais la clairté n’est qu’une : et en un arbre il y a beaucoup de branches, mais il n’y a qu’un tronc qui est appuyé sur sa racine : et d’une seule fontaine découlent plusieurs ruisseaux, qui n’empeschent point toutesfois que l’unité ne demeure en la source. Qu’on sépare les rayons du corps du soleil, l’unité qui est là ne souffre aucune division : qu on coupe la branche d’un arbre, et elle seichera ; ainsi l’Eglise estant illuminée de la clairté de Dieu, est espandue par tout le monde. Néantmoins il y a une seule clairté qui s’estend par tout, et l’unité du corps n’est point séparée[c]. Après avoir dit cela, il conclud que toutes hérésies et schismes provienent de ce qu’on ne se retourne point à la source de vérité, qu’on ne cherche point le Chef, et qu’on ne regarde point la doctrine du Maistre céleste. Maintenant que les advocats du Pape crient que nous sommes hérétiques, d’autant que nous avons abandonné leur Eglise : comme ainsi soit que la seule cause de l’abandonner ait esté, pource qu’on n’y souffre nullement que la vérité y soit preschée. Je laisse cela encores, qu’ils nous en ont chassez avec leur foudre d’excommunication : laquelle seule raison néantmoins est suffisante pour nous absoudre : sinon qu’ils vueillent condamner les Apostres comme schismatiques avec nous, veu que la cause est semblable. Je di que Jésus-Christ a prédit à ses Apostres, qu’on les jetteroit hors des Synagogues à cause de son nom Jean 16.2. Or ces Synagogues-là estoyent réputées vrayes Eglises et légitimes pour le temps. Puis doncques qu’il appert que nous avons esté jettez hors de l’Eglise du Pape, et que sommes prests de monstrer que cela nous est advenu pour le nom de Christ, il faut enquérir de la cause devant qu’on détermine rien de nous en une part ou en l’autre. Mais encores je leur quitte ce point-là, s’ils veulent : car il me suffit bien de ceste raison, qu’il nous estoit nécessaire de nous eslongner d’eux pour approcher de Christ.
[c] De simplicitate praelatorum.
Mais il apparoistra encores plus évidemment en quelle réputation nous doyvent estre toutes les Eglises, lesquelles sont sujettes à la tyrannie du Pape, en les accomparant avec l’Eglise ancienne d’Israël, selon qu’elle nous est descrite par les Prophètes. Lorsque les Juifs et les Israélites gardoyent purement l’alliance de Dieu, il y avoit vraye Eglise entre eux : d’autant que par la grâce de Dieu ils avoyent les choses esquelles consiste la vraye Eglise : ils avoyent la doctrine de vérité comprinse en la Loy, laquelle estoit preschée par les Sacrificateurs et Prophètes. Ils estoyent receus en l’Eglise par le signe de la Circoncision. Les autres Sacremens leur estoyent exercices pour les confermer en la foy. Pour ce temps-là il n’y a doute que toutes les louanges dont nostre Seigneur a honoré son Eglise, ne leur appartinssent. Mais depuis qu’en déclinant de la Loy de Dieu ils se destournèrent à idolâtrie et superstition, ils furent privez en partie d’une telle dignité. Car qui oseroit oster le titre d’Eglise à ceux ausquels Dieu a commis sa Parole et l’usage de ses Sacremens ? D’autre part, qui oseroit simplement et sans nulle exception donner le nom d’Eglise à une assemblée, en laquelle la Parole de Dieu seroit apertement foullée aux pieds : et la prédication de la vérité, qui est la principale force et quasi l’âme de l’Eglise, seroit dissipée ?
Quoy doncques ? dira quelqu’un : n’y a-il plus eu nulle portion d’Eglise entre les Juifs, depuis qu’ils ont décliné à idolâtrie ? La response est facile. Premièrement, je di qu’ils ne sont pas trébuschez du premier coup en extrémité, mais sont allez en décadence par certains degrez. Qu’ainsi soit, nous ne dirons point que la faute d’Israël et de Juda fust égale, quand ils commencèrent premièrement à se destourner du pur service de Dieu. Quand Jéroboam forgea les veaux contre la défense expresse de Dieu, et print un lieu pour sacrifier qu’il n’estoit pas licite de prendre, il corrompit du tout la religion en Israël 1Rois 12.28. Les Juifs se contaminèrent par mauvaise vie et par opinions superstitieuses, devant qu’avoir aucune idolâtrie externe. Car combien que du temps de Roboam ils avoient desjà introduit plusieurs cérémonies perverses : toutesfois pource que la doctrine de la Loy, l’ordre de prestrise, et les cérémonies telles que Dieu les avoit instituées, demeuroyent encores en Jérusalem, les fidèles avoyent là un estat passable d’Eglise. En Israël, depuis Jéroboam jusques au règne d’Achab, il n’y eut nul amendement ; mesmes depuis ce temps-là ces choses allèrent de mal en pis. Ses successeurs, jusques à ce que le Royaume fust destruit, furent en partie semblables à luy : et ceux qui vouloyent estre meilleurs, suyvoyent l’exemple de Jéroboam. Quoy qu’il soit, tous ensemble estoyent meschans idolâtres. En Judée, il y eut beaucoup de changemens. Car aucuns des Rois corrompoyent le service de Dieu par fausses superstitions : les autres s’efforçoyent de réformer les abus qui y estoyent survenus. En la fin, les Prestres mesmes polluèrent le temple de Dieu d’idolâtrie toute patente.
Maintenant que les Papistes nient s’ils peuvent, comment qu’ils taschent d’excuser leurs vices, que l’esprit de l’Eglise ne soit aussi corrompu et dépravé entre eux, comme il a esté au Royaume d’Israël sous Jéroboam. Or leur idolâtrie est plus lourde beaucoup, et ne sont point une seule goutte plus purs en doctrine, voire s’ils n’y sont plus impurs. Dieu m’est tesmoin, et aussi seront tous ceux qui auront quelque droict jugement, que je n’amplifie rien en cest endroict : et la chose aussi le démonstre. Or quand ils nous veulent contraindre à la communion de leur Eglise, ils requièrent deux choses de nous. La première est, que nous communiquions à toutes leurs prières, Sacremens et cérémonies. La seconde, que tout ce que Jésus-Christ attribue d’honneur, de puissance et jurisdiction à son Eglise, nous l’attribuyons à la leur. Quant au premier, je confesse que les Prophètes qui ont esté en Jérusalem du temps que l’estat public estoit desjà là fort dépravé, n’ont point sacrifié à part, et n’ont point fait des assemblées séparées des autres pour prier. Car ils avoyent le commandement de Dieu, par lequel il leur estoit ordonné de venir au temple de Solomon Deut. 12.13-14. Ils sçavoyent que les Prestres lévitiques, combien qu’ils fussent indignes d’un tel office, néantmoins pource qu’ils avoyent esté ordonnez de Dieu, et n’estoyent point encores déposez, devoyent estre recognus pour ministres légitimes, ayans le degré de prestrise Exod. 29.9. D’avantage, ce qui est le principal point de nostre dispute, on ne les contraignoit à nulle façon de faire superstitieuse. Qui plus est, ils ne faisoyent rien qui ne fust institué de Dieu. Entre les Papistes, qu’est-ce qu’il y a de semblable ? Car à grand’peine nous pouvons-nous assembler une fois avec eux, qu’il ne nous fale contaminer en idolâtrie manifeste. Certes le principal lien de la communion qu’on peut avoir avec eux, est en la Messe, laquelle nous rejettons comme un sacrilège extrême. Si c’est à tort ou à droict, nous le verrons en un autre lieu. Pour le présent ce m’est assez de monstrer que nous avons en cest endroict une autre cause que n’ont pas eue les Prophètes, lesquels n’estoyent contraints de veoir ou faire aucunes cérémonies, sinon instituées de Dieu, jà soit qu’ils sacrifiassent avec les meschans. Si doncques nous voulons avoir un exemple du tout semblable, il le faut prendre du Royaume d’Israël. Selon l’ordonnance de Jéroboam, la Circoncision y estoit observée, on y faisoit les sacrifices, on y tenoit la Loy pour saincte, on y invoquoit le Dieu qui avoit esté adoré par les Pères : toutesfois à cause des cérémonies controuvées et forgées contre la défense de Dieu, tout ce qui s’y faisoit estoit réprouvé comme damnable 1Rois. 12.31. Qu’on m’allègue un seul Prophète, ou quelque autre fidèle, qui ait jamais adoré ou sacrifié en Béthel. Ils n’avoyent garde : car ils sçavoyent bien qu’ils ne le pouvoyent faire, sans se souiller en quelque sacrilège. Nous avons doncques que la communion de l’Eglise ne se doit point estendre jusques-là, que quand une Eglise déclineroit à des façons de servir Dieu vicieuses et profanes, il la fale ensuyvre.
Mais nous avons encores meilleure cause de leur résister quant à l’autre point. Car entant qu’il est dit qu’il nous faut porter révérence à l’Eglise, luy donner authorité, recevoir ses admonitions, estre sujets à son jugement, s’accorder du tout à icelle : selon ceste considération nous ne pouvons point ottroyer le nom d’Eglise aux Papistes, qu’il ne nous soit nécessaire de leur rendre sujétion et obéissance. Toutesfois je leur ottroyeray volontiers ce que les Prophètes ont donné aux Juifs et Israélites de leur temps, quand les choses y estoyent en semblable estat ou meilleur. Or nous voyons que les Prophètes crient par tout, que les assemblées d’iceux sont conventicules profanes, avec lesquelles il ne seroit non plus licite de consentir, que de renoncer Dieu Esaïe 1.14. Et de faict, si telles assemblées eussent esté Eglises, il s’ensuyvroit qu’Elie, Michée et les autres Prophètes semblables d’Israël, eussent esté estranges de l’Eglise : semblablement en Judée, Isaïe, Jérémie, Osée et les autres lesquels estoyent en plus grande exécration, tant aux Prophètes et Prestres de leur temps qu’au commun peuple, que s’ils eussent esté Payens. Semblablement si telles assemblées eussent esté Eglises, il s’ensuyvroit que l’Eglise de Dieu ne seroit point colomne de vérité 1Tim. 3.15 : mais firmament de mensonge : et ne seroit point le sanctuaire de Dieu, mais un réceptacle d’idoles. Il convenoit doncques aux Prophètes de n’avoir nul consentement avec telles assemblées, veu que c’eust esté une conspiration meschante contre Dieu. Par mesme raison si quelqu’un recognoist pour Eglises les assemblées qui sont sous la tyrannie du Pape, lesquelles sont contaminées d’idolâtrie, de diverses superstitions et de meschante doctrine, pensant qu’il fale persister en leur communion, jusques à consentir à leur doctrine, cestuy-là erre grandement. Car si ce sont Eglises, elles ont la puissance des clefs. Or les clefs sont conjoinctes d’un lien perpétuel avec la Parole, laquelle en est exterminée. Item, si ce sont Eglises, ceste promesse de Jésus-Christ leur appartient, que tout ce qu’ils auront lié en terre sera lié au ciel Matt. 16.19 ; 18.18 ; Jean 20.23, etc. Or tous ceux qui font profession sans feintise d’estre serviteurs de Jésus-Christ, en sont rejettez. Parquoy, ou la promesse de Jésus-Christ seroit vaine, ou ce ne sont point Eglises : au moins selon ceste considération. Finalement, au lieu d’y avoir le ministère de la Parole, on n’y a que des escholes d’impiété, et un abysme de toutes espèces d’erreur. Parquoy encores ne sont-ce point Eglises quant à ce regard, où il n’y restera nulle marque, par laquelle les sainctes assemblées des fidèles soyent discernées des conventicules des Turcs.
Toutesfois comme il y avoit encores pour lors quelques prérogatives appartenantes à l’Eglise, qui restoyent aux Juifs : aussi nous ne nions pas que les Papistes aujourd’huy n’ayent quelques traces qui leur sont demeurées par la grâce de Dieu, de la dissipation de l’Eglise. Dieu avoit une fois fait son alliance avec les Juifs, laquelle persistoit entre eux : estant plustost appuyé en sa propre fermeté, que pource qu’elle fust observée d’eux. Qui plus est, leur impiété estoit comme un empeschement, lequel il faloit qu’elle surmontast. Pourtant, combien que par leur desloyauté ils méritoyent bien que Dieu retirast son alliance d’eux, néantmoins selon qu’il est constant et ferme à exercer sa bonté, il continuoit tousjours de maintenir sa promesse entre eux. Ainsi la Circoncision ne pouvoit tellement estre souillée de leurs mains impures, qu’elle ne fust tousjours signe et sacrement de l’alliance de Dieu. Et pour ceste raison Dieu appeloit les enfans qui naissoyent de ce peuple-là, siens Ezéch. 16.20 : lesquels ne luy eussent de rien appartenu, sinon par une bénédiction spéciale. En ceste manière, d’autant qu’il a mis une fois son alliance en France, en Italie, en l’Alemagne et autres pais, combien que tout ait esté après oppressé par la tyrannie de l’Antechrist, néantmoins afin que son alliance y demeurast inviolable, il a voulu que le Baptesme y soit demeuré pour tesmoignage d’icelle alliance : lequel d’autant qu’il est ordonné et consacré de sa bouche, relient sa vertu maugré l’impiété des hommes. Semblablement il a fait par sa providence, qu’il y demeurast aussi d’autres reliques, afin que l’Eglise ne périst point du tout. Et comme aucunesfois les bastimens sont démolis en telle sorte, que les fondemens demeurent et quelques apparences de la ruine : aussi nostre Seigneur n’a point permis que son Eglise fust tellement rasée ou destruite par l’Antéchrist, qu’il n’y demeurast rien de l’édifice. Et combien que pour se venger de l’ingratitude des hommes qui avoyent mesprisé sa parole, il ait permis qu’il se feist une horrible ruine, toutesfois il a voulu qu’il y demeurast encores quelque portion de reste, pour monument et enseigne que le tout n’estoit point aboli.
Pourtant quand nous refusons d’ottroyer simplement aux Papistes le tiltre d’Eglise, nous ne leur nions pas du tout qu’ils n’ayent quelques Eglises entre eux : mais nous contendons seulement du vray estat de l’Eglise, qui emporte communion tant en doctrine, qu’en tout ce qui appartient à la profession de nostre Chrestienté. Daniel et sainct Paul ont prédit que l’Antechrist seroit assis au temple de Dieu Dan. 9.27 ; 2Thess. 2.4 : nous disons que le Pape est le capitaine de ce règne maudit et exécrable, pour le moins en l’Eglise occidentale. Puisqu’il est dit que le siège de l’Antechrist sera au temple de Dieu, par cela il est signifié que son règne sera tel, qu’il n’abolira point le nom de Christ ne de son Eglise. De là il appert que nous ne nions point que les Eglises sur lesquelles il domine par sa tyrannie, ne demeurent Eglises : mais nous disons qu’il les a profanées par son impiété, qu’il les a affligées par sa domination inhumaine qu’il les a empoisonnées de fausses et meschantes doctrines, et quasi mises à la mort : tellement que Jésus-Christ y est à demi enseveli, l’Evangile y est suffoqué, la Chrestienté y est exterminée, le service de Dieu y est presque aboly : brief, tout y est si fort troublé, qu’il y apparoist plustost une image de Babylone, que de la saincte cité de Dieu. Pour conclusion, je di que ce sont Eglises : premièrement, entant que Dieu y conserve miraculeusement les reliques de son peuple, combien qu’elles y soyent povrement dispersées. Secondement, entant qu’il y reste quelques marques de l’Eglise : principalement celles desquelles la vertu ne peut estre abolie, ne par l’astuce du diable, ne par la malice des hommes. Mais pource que de l’autre costé, les marques que nous avons principalement à regarder en ceste dispute, en sont effacées : je di qu’il n’y a point droicte apparence d’Eglise, ni en chacun membre, ni en tout le corps.