La matière de ce livre peut se réduire à ces trois chefs : l’ascension de Jésus-Christ, la descente du Saint-Esprit sur les apôtres, et l’établissement des Églises chrétiennes par le succès de la prédication des apôtres. Toutes ces choses sont d’une nature à ne pouvoir être supposées.
L’ascension de Jésus-Christ est trop circonstanciée, pour nous laisser lieu de croire que les disciples y aient été trompés. L’auteur dit expressément que Jésus conversa quarante jours avec ses disciples depuis sa résurrection ; qu’il leur promit qu’ils seraient baptisés du Saint-Esprit, et leur ordonna d’attendre à Jérusalem l’effet de cette promesse ; qu’il les mena à la montagne des Oliviers ; qu’il fut enlevé sur une nuée, qui l’emporta de devant leurs yeux ; et que comme ils le regardaient montant au ciel, deux hommes se présentèrent à eux en vêtements blancs, et leur promirent que Jésus-Christ reviendrait de la même manière qu’ils l’avaient vu s’en allant au ciel ; de sorte que la difficulté ne consistait pas à savoir si les disciples ont été trompés à cet égard, mais bien s’ils n’ont pas voulu tromper les autres, en faisant un faux rapport d’un événement chimérique.
Pour le connaître, il suffit de remarquer le temps où les disciples commencent à l’annoncer. Et comme le jour de la Pentecôte s’accomplissait, dit saint Luc, ils étaient tous d’un accord en un même lieu ; alors il y eut subitement un son du ciel, comme d’un vent qui souffle avec véhémence, lequel remplit la maison où ils étaient assis. Et il leur apparut des langues mi-parties comme de feu, et elles se posèrent sur chacun deux ; et ils furent tous remplis du Saint-Esprit, et commencèrent à parler des langues étrangères, comme l’esprit leur donnait à parler. Or il y avait des Juifs séjournant à Jérusalem, gens dévots de toute nation qui est sous le ciel. Après donc que le bruit s’en fut répandu, une multitude de personnes vint, qui fut toute émue, parce que chacun les entendait parler en sa propre langue, etc. Mais Pierre se présentant avec les onze,éleva sa voix, et leur dit, etc. Ceux donc qui reçurent d’un franc courage sa parole, furent baptisés, et il y eut en ce jour-là environ trois mille âmes qui furent ajoutées, etc. Or, toute personne avait de la crainte, et beaucoup de merveilles se faisaient par les mains des apôtres.
On peut voir que ce fait n’a pas été inventé, par la simple vue du fait même, puisque c’est ici une chose qui a dû se passer à Jérusalem pendant une fête solennelle, devant des gens de toutes les nations, et pour ainsi dire aux yeux de tout l’univers, et qui par conséquent est d’une nature à ne pouvoir pas être supposée.
Que pourrait-on dire pour ébranler la certitude de cette histoire ? Dira-t-on que ce fait a été inséré dans l’écrit de saint Luc longtemps après la mort de cet auteur ? Mais il faut donc avouer en même temps que tout le livre a été supposé, puisque c’est là un fait essentiel et fondamental, sur lequel roulent toutes les autres choses qui sont contenues dans le livre des Actes. La prédication des apôtres et son succès, en dépendent. Tout ce que nous trouvons dans leurs épîtres s’y rapporte : et tout, enfin, est supposé dans le Nouveau Testament, si la descente du Saint-Esprit sur les apôtres est supposée.
Croirai-je que saint Luc même a inventé ce fait, et que personne n’en avait parlé avant lui ? Mais qu’est-ce donc que les apôtres ont dit à ceux à qui ils sont allés prêcher ? Sur quoi se sont-ils appuyés, si ce n’est sur cet envoi du Saint-Esprit ? Sur quel autre droit leur vocation est-elle fondée ?
Est-ce que les apôtres eux-mêmes ont feint, pour tromper les hommes, qu’ils avaient reçu le Saint-Esprit ? C’est là tout ce que l’incrédulité peut concevoir de plus apparent, et c’est pourtant ce qui est tout à fait absurde : car en quel temps est-ce qu’ils le feignirent ? Il faut nécessairement que ce fût ou après avoir fondé une Église à Jérusalem, ou avant qu’ils l’y fondassent. Si c’est après l’y avoir fondée, comment aura-t-on fait accroire ensuite à cette Église de Jérusalem que les apôtres avaient reçu le Saint-Esprit, qu’ils avaient publiquement parlé toutes sortes de langues, et que c’est par leur prédication accompagnée de divers prodiges, que cette Église avait été formée ?
Que si les apôtres feignirent d’avoir reçu le Saint-Esprit avant qu’il y eût aucune Église chrétienne à Jérusalem ; et si c’est même en attestant faussement ce fait et plusieurs autres, qu’ils établirent cette Église, il faut que les apôtres aient appris toutes les langues du monde depuis la mort de leur Maître, et avec cela le secret de faire marcher des boiteux, et de guérir des malades, puisque c’est là ce qu’ils appellent avoir reçu les dons miraculeux du Saint-Esprit.
Mais peut-être doute-t-on qu’il y ait eu une Église chrétienne à Jérusalem : si cela est, il faut que les anciens docteurs de l’Église, vivant en divers temps et en divers lieux, aient conspiré pour nous tromper à cet égard, et que les Juifs et les païens, et tous les ennemis de notre religion, anciens et modernes, qui n’ont jamais contesté la vérité de ce fait, aient entièrement perdu la raison.
Enfin, quand on s’imaginerait que le livre des Actes a été composé longtemps après la ruine de Jérusalem, c’est-à-dire lorsqu’il n’y pouvait plus avoir d’Église florissante dans cette ville, on ne gagne rien ; car il est toujours vrai que les apôtres ont rapporté le fait dont nous parlons ; et leurs épîtres sont remplies de choses qui y ont une relation visible.
Je n’ajouterai pas ici que le livre des Actes ne dit rien de la mort des apôtres, ce qui marque qu’il fut composé pendant leur vie, et par conséquent dans un temps où l’Église de Jérusalem fleurissait encore ; qu’il n’y est fait aucune mention de la dernière ruine de Jérusalem, ni même d’aucun de ces préludes qui devancèrent la dernière désolation de la Judée, ce qui nous dispose fort à croire que ce livre fut composé avant ce grand événement, étant tout à fait vraisemblable que l’auteur de ce livre, ne l’ayant composé que pour la gloire des apôtres et de la religion chrétienne, comme les incrédules se l’imaginent sans doute, n’aurait pas manqué d’y insérer l’histoire des malheurs épouvantables qui fondirent sur les Juifs, et que les chrétiens regardent comme un effet de la réjection du Messie.
Mais comme je ne veux pas laisser au lecteur une ombre de doute, je lui promets de lui faire voir bientôt que les apôtres ont reçu et communiqué les dons miraculeux ; mais en attendant que l’ordre de mes matières me permette de le montrer, il est bon que je fasse quelques réflexions sur le succès de la prédication des apôtres, qui est le point essentiel auquel toutes les choses qui sont contenues dans le livre des Actes se rapportent.