Synonymes du Nouveau Testament

76.
Λαλέω, λέγω (λαλιά, λόγος)
Parler, dire

En traitant des synonymes du N. T., nous n’avons nullement à nous occuper de tel usage plus ancien et même contemporain des mots que nous examinons, mais tout à fait hors de la sphère du N. T., cet usage n’expliquant pas et n’affectant en rien l’emploi scripturaire de ces mots. D’où il suit que nous pouvons éconduire toutes les idées de mépris qui peuvent s’attacher à λαλεῖν, par exemple, l’idée de parler à tort et à travers, comme fait celui qui ne met point de bride à sa langue. Nous négligerons aussi λαλιά, dans le sens de bavardage (ἀκρασία λόγου ἄλογος, Plato, Defin. 416), car je ne saurais lui prêter ce sens dans Jean 4.42. L’antithèse dans ce vers d’Eupolis :

Λαλεῖν ἄριστος ἀδυνατώτατος λέγειν,

ne jette aucune lumière sur notre sujet, mais voici comment nous pouvons tirer au clair la distinction entre nos vocables. On peut contempler la parole sous deux aspects principaux. D’abord, comme l’expression articulée du langage humain, par opposition à son absence, quelle qu’en soit la cause ; que ce soit par choix, comme chez ceux qui gardent le silence quand ils pourraient parler ; ou que cela tienne à l’organe et aux facultés qui ne sont pas encore développés, comme chez les enfants (νήπιοι, infantes) ; ou que cela vienne de défauts naturels, comme dans le cas de ceux qui sont nés muets, ou du fait que la parole dépasse la sphère de facultés dont les créatures ont été douées en tant que créatures, comme chez les animaux de l’ordre inférieur. C’est là un côté de la parole ; l’on a des mots articulés, comme distincts du silence et des cris des animaux. En second lieu, la parole peut être envisagée comme l’enchaînement, l’ordre, dans un discours suivi, des pensées intimes et des sentiments de l’esprit : « verba legere et lecta ac selecta apte conglutinare » (Valcknaer ; cf. Donaldson, Cratylus, 453). Le premier sens est rendu par λαλεῖν correspondant à l’hébreu דִּבֵּר ; en allemand, « lallen » (loqui), « sprechen » (parler) ; le second par λέγειν (אָמַר) en allemand « reden » (dicere), dire, discourir.

Ainsi le muet des Évangiles (ἄλαλος, Marc 7.37) qui vient de recouvrer la parole, ἐλάλησε (Matthieu 9.33 ; Luc 11.14) ; expression parfaitement juste, les auteurs sacrés n’ayant pas à rapporter ce que disait cet homme, mais le simple fait que celui qui était auparavant muet, pouvait maintenant se servir des organes de la parole. On trouve encore toujours λαλεῖν γλώσσαις dans le récit des Actes (Marc 16.17 ; Actes 2.4 ; 1 Corinthiens 12.30) ; car ce n’est pas ce que les fidèles, ravis en extase, disaient, mais cette extase elle même qu’il s’agit d’exprimer ; c’est cette extase, tout à fait en dehors de la sphère des lois naturelles, que Luc veut nous signaler. Le terme λαλεῖν peut même être attribué à Dieu et l’Épître aux Hébreux s’en sert plus d’une fois (Hébreux 1.1-2), quand il s’agit plutôt du fait que Dieu parle à l’homme que des choses que Dieu lui dit.

Mais, si dans λαλεῖν c’est le parler en langage humain qui est l’idée dominante, dans λέγειν ce sont les paroles dites et qui proviennent de pensées raisonnables chez celui qui les prononce. Ainsi l’on peut employer λαλεῖν pour désigner le langage du perroquet ou de l’automate qui parle (Apocalypse 13.15) improprement, il est vrai, puisqu’ils produisent des sons qui imitent le langage humain ; jamais on ne pourrait appliquer à ces sons vides de sens le verbe λέγειν, car λέγειν implique toujours la pensée, l’ἔννοια, qui accompagne les paroles de la bouche, et qui en est la condition nécessaire. Plutarque affirme également de φράζειν (qui ne se trouve que deux fois dans le N. T., Matthieu 13.36 ; 15.15), qu’on ne pourrait pas s’en servir en parlant des singes ou des chiens, mais on pourrait dans ce cas employer λαλεῖν (λαλοῦσι γὰρ οὐ φράζουσι δέ, De Plac. Phil. 5.20).

Souvent quand les mots sont joints ensemble dans des phrases comme celles-ci : ἐλάλησε λέγων (Marc 6.50 ; Luc 24.6), λαληθεὶς λόγος (Hébreux 2.2) et chaque terme reste fidèle à sa propre signification, telle qu’elle vient d’être donnée. Ἐλάλησε exprimera le fait d’ouvrir la bouche pour parler, comme étant opposé à l’action de rester silencieux (Actes 18.9) ; λέγων déclarera ce que l’orateur aura réellement dit. Il n’y a point, je crois, un seul passage dans le N. T. où l’on n’ait pas observé cette distinction entre les deux mots. Ainsi dans Romains 14.18 ; 2 Corinthiens 11.17 ; 1 Thessaloniciens 1.8, il n’y a rien qui empêche de donner à λαλεῖν sa propre signification ; il y a plus, tous ces passages gagnent plutôt qu’ils ne perdent, quand on maintient cette distinction, et dans Romains 3.19, il y a même un échange de mots qui ne laisse pas d’instruire.

Dans le N. T., λαλιά et λόγος respectent la distinction que nous établissons ici. Nous avons, en effet, une preuve bien évidente que λαλιά, aussi bien que λαλεῖν, s’est dépouillé de toute idée de mépris dans le fait, qu’en telle occasion, notre Seigneur réclama pour lui λαλιά, non moins que λόγος (Jean 8.43) : « Pourquoi ne comprenez-vous pas mon langage (λαλιάν) ? parce que vous ne pouvez écouter ma parole (λόγον). » Λαλιά et λόγος forment ici une antithèse, et c’est en découvrant ou gît l’opposition que l’on aura le vrai sens du verset. On comprend bien différemment ce que le Seigneur veut dire, quand il passe ainsi de λαλιά à λόγος. Quelques interprètes comme Augustin, tout en expliquant le passage, ont omis d’indiquer le changement verbal qui s’y trouve. D’autres, comme Olshausen, l’ont fait, mais simplement pour en nier l’importance. D’autres enfin, ont admis une différence entre les deux termes, mais ils n’ont pas réussi à l’embrasser entièrement. Il est clair que, puisque l’incapacité de comprendre le langage (λαλιά) de Jésus est indiquée comme conséquence du refus d’entendre sa parole (λόγος), ce dernier point, qui est la racine du mal, doit être un mal plus grand que l’autre et lui est antérieur. Entendre la parole de Jésus ne peut signifier autre chose qu’ouvrir son cœur à la vérité. Ceux qui ne veulent pas le faire, ne peuvent comprendre le langage, la forme, l’expression, les mots dont se revêt cette parole. Ceux qui sont de Dieu entendent les paroles de Dieu, ses ῥήματα comme il est dit ailleurs (Jean 3.34 ; 8.47), sa λαλιά, comme il est dit ici, que ceux qui ne sont point de Dieu ne comprennent point et ne sauraient comprendre. Mélanchthon a écrit : « Qui veri sunt Dei filii et domestici non possunt paternæ donius ignorare linguam »a.

a – Philon établit la distinction entre λόγος et ῥῆμα, comme étant celle du tout et de ses parties (Leg. Alleg. 3.61) ; τὸ δὲ ῥῆμα μέρος λογου.

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