1.[1] Samuel vint vers Saül et lui déclara qu’il lui était envoyé par Dieu pour lui rappeler que celui-ci l’avait désigné comme roi de préférence à tous et que, pour cette raison, il lui devait soumission et obéissance, car, s’il avait la suprématie sur les nations, Dieu la possédait sur le roi et sur l’univers entier. Il lui déclara donc que Dieu disait ceci : « Comme les Amalécites ont fait beaucoup de mal aux Hébreux dans le désert, lorsqu’au sortir de l’Égypte ils se dirigeaient vers ce pays qui est maintenant à eux, j’ordonne à Saül de tirer vengeance des Amalécites par la guerre et, s’il triomphe, de n’en pas laisser survivre un seul ; qu’il fasse périr les gens de tout âge, en commençant par les femmes et les enfants, et venge ainsi le mal qu’ils ont fait à vos ancêtres ; qu’il n’épargne ni bêtes de somme, ni aucun autre bétail pour un intérêt ou un profit particulier ; mais qu’il consacre le tout à Dieu et efface complètement le nom d’Amalec en se conformant aux instructions de Moïse[2]. »
[1] I Samuel, XV, 1.
[2] Trait ajouté par Josèphe.
2. Saül promit de faire ce qui lui était prescrit. Réfléchissant que l’obéissance à Dieu ne consistait pas uniquement à partir en guerre contre les Amalécites, mais qu’il manifesterait mieux son zèle en se hâtant et en ne différant pas d’un instant, il rassembla toutes ses forces et, les avant dénombrées à Galgala[3], trouva pour les Israélites, indépendamment de la tribu de Juda, près de quatre cent mille hommes ; cette dernière à elle seule comptait trente mille combattants[4]. Saül, ayant fait irruption dans le pays des Amalécites, poste quantité d’embuscades et de détachements près du torrent, afin non seulement de les malmener par des combats livrés à découvert, mais aussi de tomber sur eux à l’improviste sur les routes et de les exterminer, après les avoir enveloppés. Et en effet, leur ayant livré bataille, il met les ennemis en déroute et les taille tous en pièces, en poursuivant les fuyards. Après cet exploit, conforme à la prédiction de Dieu, il se jeta sur les villes des Amalécites, et les avant assiégées et prises, les unes à l’aide de machines de guerre, les autres grâce à des galeries souterraines et des circonvallations opposées à leurs remparts, d’autres par la faim et la soif, d’autres enfin par d’autres moyens[5], il se livra au carnage des femmes et des enfants ce faisant, il ne crut pas agir avec cruauté ni avec une rigueur contraire à l’humanité, d’abord parce que c’étaient des ennemis qu’il traitait ainsi, ensuite parce qu’il se conformait à l’ordre de Dieu, à qui on ne saurait sans danger désobéir[6]. Il fit prisonnier même le roi des ennemis, Agag(os) ; mais, émerveillé de sa beauté et de sa haute stature, il crut qu’il méritait d’être épargné : il cessait dès lors de se conformer à la volonté de Dieu, pour céder à un sentiment personnel et s’abandonner inopportunément à la pitié, dans un cas où elle ne lui était pas permise sans péril. En effet, Dieu avait pris en haine à tel point la nation des Amalécites qu’il avait prescrit de ne pas épargner même les petits enfants, que leur faiblesse rend les plus dignes de pitié ; or Saül sauva le roi lui-même, l’artisan de tous les malheurs des Hébreux, faisant plus de cas de la beauté d’un ennemi que des commandements de Dieu. Le peuple se rendit d’ailleurs complice de sa faute. En effet, les Hébreux épargnèrent les bêtes de somme et les troupeaux et se les partagèrent, alors que Dieu avait recommandé de ne pas les conserver, et ils emportèrent tous les autres biens et les objets de prix ; seules, les choses qui ne méritaient pas d’être acquises furent détruites.
[3] Hébreu : à Telaïm ; LXX comme Josèphe.
[4] Mêmes chiffres que dans les LXX. Dans l’hébreu, 200.000 d’une part et 10.000 de l’autre.
[5] Toute cette amplification est de l’invention de Josèphe.
[6] Réflexions ajoutées par Josèphe au récit biblique ; de même les motifs pour lesquels Saül épargne Agag.
3. Saül, après avoir vaincu tous les peuples qui s’étendent depuis Péluse[7] en Égypte jusqu’à la mer Érythrée, ravagea les territoires ennemis, à l’exception de celui des Sichémites[8]. Ceux-ci sont établis au milieu du pays du Madian. Avant la bataille, il les avait avertis par un message de se retirer pour n’être pas compris dans le désastre des Amalécites, car, leur parenté avec Ragouel, le beau-père de Moïse, le déterminait à les épargner[9].
[7] Hébreu (XV, 1) = « depuis Havila (?) jusqu’à Schour, sur la frontière d’Égypte ».
[8] Les Kénites, selon la Bible (I Samuel, IV, 6). Herwerden propose de lire aussi Κενιτών dans Josèphe.
[9] La Bible fait intervenir comme motif la bonté témoignée par les Kénites aux enfants d’Israël lors de leur sortie d’Égypte. Josèphe suit la tradition en voyant dans ce passage une allusion au rôle joué par Jéthro (Ragouel) et sa famille.
4. Saül, comme s’il n’avait enfreint aucune des prescriptions reçues du prophète avant sa campagne contre les Amalécites et les avait au contraire strictement observées en tout point dans sa victoire sur ses ennemis, s’en retourna chez lui, fier de ses succès. Mais Dieu s’irrita qu’il eût sauvé le roi des Amalécites et que le peuple eût partagé les troupeaux, contrairement à sa défense. Il trouvait indigne qu’après avoir vaincu et abattu l’ennemi grâce à la force qu’il leur avait départie, ils eussent méprisé et méconnu ses commandements, comme on ne ferait pas de ceux d’un roi humain. Aussi déclara-t-il à Samuel qu’il se repentait d’avoir élu pour roi Saül, puisque celui-ci n’obtempérait pas à ses ordres et n’agissait qu’à sa guise. Samuel, à ces paroles, fut profondément troublé et, pendant toute la nuit, supplia Dieu de se réconcilier avec Saül et de ne pas lui en vouloir. Mais Dieu n’accorda pas son pardon à Saül, en dépit des instances du prophète, pensant qu’il n’était pas juste d’écouter son intercession pour des péchés, car rien ne favorise plus l’impiété qu’une excessive indulgence ; en cherchant un renom de mansuétude et de bonté, on ne s’aperçoit pas qu’on multiplie le mal. Quand donc Dieu eut repoussé la prière du prophète et montré clairement qu’il ne se laisserait pas fléchir, dès le jour paru, Samuel se rendit à Galgala auprès de Saül. A sa vue, le roi court à lui et l’embrasse : « Je rends grâce, dit-il, à Dieu, qui m’a donné la victoire. » Il ajoute que, tout ce que Dieu lui a commandé, il l’a exécuté. Mais Samuel l’interrompant : « D’où vient donc, dit-il, que j’entends des mugissements de bétail et de bêtes de somme dans le camp ? » Le roi répondit que le peuple les avait gardés à l’usage de sacrifices, mais que la race des Amalécites était complètement anéantie selon les instructions divines, qu’on n’avait laissé vivre personne, sauf le roi, qu’on lui avait amené, et sur le sort duquel, disait-il, on allait délibérer ensemble. Alors le prophète répliqua que ce n’étaient pas les sacrifices qui étaient agréables à la divinité, mais les vertueux et les justes, c’est-à-dire ceux qui se conformaient à sa volonté et à ses ordres et qui croyaient ne pouvoir agir honnêtement qu’en exécutant ses commandements. On montrait du mépris à Dieu, non en lui refusant des sacrifices, mais en paraissant lui désobéir. « Et ceux qui ne se soumettent pas, qui n’offrent pas à Dieu le seul et véritable culte qui lui plaise, quand même ils sacrifieraient d’innombrables et grasses victimes, quand même ils lui présenteraient de somptueuses offrandes d’or et d’argent travaillé, loin d’accepter leurs dons avec bienveillance, il les repousse et les considère comme des témoignages de perversité plutôt que de piété. Au contraire, ceux qui ne gardent an mémoire que ce que Dieu a déclaré et prescrit et aiment mieux mourir que d’y porter la moindre atteinte, ceux-là réjouissent son cœur ; il n’exige même pas d’eux de sacrifice, et, s’ils lui apportent les plus modestes offrandes, il reçoit avec plus de plaisir cet hommage de la pauvreté que celui de l’opulence. Sache donc que tu as provoqué la colère de Dieu, car tu as méprisé et négligé ses commandements. De quel œil crois-tu qu’il puisse envisager un sacrifice fait avec les choses dont il a décrété la destruction ? À moins que tu ne te figures que les offrir en sacrifice à Dieu équivaut à les détruire ! C’est pourquoi il faut t’attendre à être dépossédé de la royauté et de la puissance qui t’a poussé à négliger Dieu, de qui tu la tiens. » Saül convient qu’il a mal agi et ne nie pas son péché ; oui, il a transgressé les instructions du prophète ; mais c’était, en vérité, par la crainte et l’appréhension que lui causaient ses soldats qu’il n’avait pas osé les empêcher de se partager le butin et ne les avait pas retenus. « Mais, dit-il, pardonne et sois indulgent ; je me garderai à l’avenir de retomber dans le péché. » Et il invite le prophète à revenir sur ses pas, et à offrir à Dieu des sacrifices d’actions de grâce. Cependant Samuel, qui voyait Dieu irréconciliable, fait mine de s’en retourner chez lui. Alors Saül, cherchant à le retenir, saisit son manteau, et, comme Samuel faisait effort pour se dégager, il tire si fort qu’il déchire le vêtement. Le prophète lui déclare qu’ainsi serait déchirée sa royauté et que celle-ci serait recueillie par un homme vertueux et juste, car Dieu persisterait dans ses décisions, la versatilité et le changement étant le propre de l’infirmité humaine, non de la puissance divine. Saül répartit qu’à supposer qu’il ait mal agi, il ne peut revenir sur des choses accomplies. Il le prie donc de lui faire honneur néanmoins et de venir avec lui en présence du peuple se prosterner devant Dieu. Samuel accorde cette grâce à Saül, l’accompagne et prie Dieu avec lui. On amène aussi en sa présence le roi des Amalécites, Agag, et comme celui-ci se plaignait de l’amertume de la mort[10], il lui dit : « De même que tu as fait pleurer sur leurs enfants et que tu as plongé dans le deuil beaucoup de mères parmi les Hébreux, ainsi tu feras gémir ta mère sur sa perte. » Et il le fait mourir sur-le-champ à Galgala, tandis que lui-même se retire dans la ville d’Armatha.
[10] πυνθασνομένου πώς εϊη πιxρός ό θάνατος, mot à mot : « s’informant combien la mort serait amère ». Le texte paraît altéré.