M. Renan (L’Antéchrist, p. 104), avec ce bon sens qui dicte souvent ses jugements, là où la question du surnaturel n’est pas en jeu, se prononce comme suit : « Actes 28.31 serait bien singulier si la prison se termina par une exécution. Il est très probable que l’affaire se termina au bout de deux ans par un acquittement. »
Si nous usons de la possibilité qui reste certainement ouverte de placer les Pastorales dans le temps qui a suivi les deux années auquel aboutit le livre des Actes, on peut se représenter le cours des choses de bien des manières. Bleek et Guericke pensent que Paul commença par exécuter son projet de mission en Espagne et qu’il revint ensuite en Orient. Cela me paraît peu probable. En écrivant aux Philippiens et à Philémon, il avait certainement en vue une visite en Orient immédiatement après sa libération, et il ne comptait reprendre qu’après ce devoir rempli son projet de mission à l’extrémité de l’Occident. Je pense donc avec Hofmann, Weiss et beaucoup d’autres qu’il se tourna d’abord vers l’Orient. Après avoir fait dire à Timothée de l’attendre à Éphèse (1 Timothée 1.3), il partit pour la Macédoine en passant par la Crète où se trouvait alors Tite. Il s’associa pendant quelque temps à son travail missionnaire dans cette île ; puis il se rendit en Macédoine, avec l’intention de passer l’hiver en Illyrie, où il avait déjà précédemment annoncé l’Évangile (Romains 15.19). Ce fut de Macédoine qu’il écrivit à Tite de venir le trouver, dès que son remplaçant serait arrivé, et à Timothée de l’attendre de pied ferme à Éphèse où il espérait se rendre bientôt. Après cela il doit s’être rendu à Troas (2 Timothée 5.13) et à Milet (2 Timothée 4.20). Il passa donc par l’Asie-Mineure et revit Éphèse, d’où il put se rendre à Colosses, selon sa promesse (Philémon 1.19). Il put aussi visiter les autres églises de Phrygie, comme celles de Hiérapolis et de Laodicée, auxquelles il était encore inconnu de visage. Et c’est peut-être à cette visite que se rapporte la souscription de la 1re à Timothée dans le texte reçu (d’après quelques documents, les Mss. A K L, la version syriaque, etc.), qui fait dater l’envoi de cette lettre de Laodicée. Renan et d’autres allèguent, contre cette visite de Paul en Asie-Mineure, l’adieu : de l’apôtre aux presbytres d’Éphèse (Actes 20.25) : « Je sais qu’aucun de vous ne verra plus mon visage, » non assurément qu’ils fassent de cette parole une prophétie infaillible, mais en ce sens que l’auteur des Actes ne pourrait avoir mis dans la bouche de Paul une prédiction qu’il savait bien ne s’être pas vérifiée. » L’objection est spécieuse ; la réponse de Salmon (p. 445) ne l’est pas moins, comme réponse ad hominem : « C’est précisément là la preuve que le livre des Actes a été écrit fort peu de temps après la date à laquelle était arrivée l’histoire elle-même, c’est-à-dire à la fin des deux ans du séjour de Paul à Rome. » Pour moi, je crois avoir déjà montré que ce je sais de l’apôtre, appliqué à un fait de ce genre, n’a point une valeur absolue et signifie simplement que, s’il échappe aux dangers prévus de sa visite à Jérusalem, son départ pour l’extrême Occident l’entraînera dans une œuvre lointaine qui terminera vraisemblablement sa carrière.
Ce dut être en Macédoine ou en Asie-Mineure que la nouvelle de l’incendie de Rome (juillet 64) et de la dispersion de l’église romaine qui dut suivre de près, atteignit, l’apôtre. Cette nouvelle retarda sans doute son départ pour l’Occident et il est vraisemblable qu’il passa encore en Orient l’hiver de 65 à 66. Mais il devait avoir hâte de retourner à Rome, dès que la prudence le permettrait, afin d’y rétablir la communauté dispersée. C’est ce qu’il fit sans doute l’année suivante (66). Il repartit pour l’Italie en passant par la Grèce et visitant encore une fois Corinthe, où resta Eraste.
A Rome peuvent être arrivées deux choses : ou bien, comme le dit le Fragment de Muratori, Paul serait parti de cette ville pour accomplir enfin sa mission en Espagne ; mais, arrêté là peu après son arrivée et avant d’avoir pu fonder une seule église, il aurait été ramené prisonnier à Rome. Ou bien il n’aurait point quitté Rome, mais il y aurait travaillé à la réédification de l’église jusqu’à un nouvel emprisonnement, où il aurait écrit les dernières lignes que nous possédions de lui, la seconde à Timothée. L’hiver qu’il avait devant lui quand il priait son disciple de lui rapporter ses livres et son manteau, serait donc celui de 66 à 67. S’il en est ainsi, il aura été condamné et décapité, encore sous Néron en l’an 67. C’est la date qu’Eusèbe et la tradition, ainsi que plusieurs savants Creiner, Bleek, etc.), assignent à cet événement qui a mis fin à une vie sans pareille dans l’histoire de l’humanité.