Quand les épîtres de saint Paul ne seraient pas reçues d’un commun consentement par les anciens ; quand Clément, Polycarpe, Barnabas ne feraient pas mention de la seconde épître de saint Pierre, il suffirait de remarquer qu’elles ont été écrites à des Églises, c’est-à-dire à des sociétés entières, qui en ont longtemps conservé les originaux, pour pouvoir du moins nous assurer qu’elles ne sont pas supposées.
C’est à nous maintenant à voir si nous y trouverons quelques caractères de la divinité de notre religion. On n’y saurait jeter les yeux sans y remarquer, 1° la piété et la charité de cet apôtre ; 2° son désintéressement, et le mépris qu’il fait des biens du monde ; 3° son courage à supporter les afflictions, qui, loin de le rebuter, le réjouissent ; 4° une répétition continuelle du témoignage que les apôtres ont rendu à la vérité de la résurrection du Seigneur ; 5° des choses qui marquent que saint Paul avait reçu les dons miraculeux du Saint-Esprit, et que les fidèles les recevaient en ce temps-là fort communément.
La piété de cet apôtre y éclate en tant de manières, qu’on ne peut la croire fausse et affectée sans se faire violence ; car quand un homme se contraindrait dans une occasion, le moyen qu’il se contraigne de la même sorte pendant tout le cours de sa vie, dans toutes ses actions, dans toutes ses paroles, dans la manière de dire les choses, qui est souvent plus capable de découvrir le fond du cœur que les choses mêmes que l’on dit ? Je sais que l’hypocrisie se couvre de l’extérieur et des apparences de la vertu ; mais en vérité, il y a toujours un je ne sais quoi, un air simple et naturel dans la véritable vertu, qui ne se trouve pas dans l’hypocrisie ; ou plutôt l’hypocrisie n’est pas si habile et si éclairée, qu’elle ne se découvre d’un côté ou d’un autre, et qu’une parole qui lui échappe ne la fasse voir.
Je consens cependant qu’on examine les épîtres de saint Paul, pour voir si l’on y remarquera rien que de naturel et de sincère. Serait-il possible que du sein de la malice et de la perfidie d’un homme qui vient accuser sa nation d’un crime qu’il sait être faux, sortent tant d’exhortations à craindre Dieu, si fortes, si touchantes et si répétées, qu’elles remplissent les écrits de saint Paul ; cette humilité qui rapporte tout à Dieu comme au centre du bien, nous disant avec tant de vérité : Qu’as-tu que tu ne l’aies reçu ? Et si tu l’as reçu, pourquoi t’en glorifies-tu ? Nous sommes à vous, vous êtes à Christ, et Christ est à Dieu ; et qu’on en vît sortir cette horreur pour le vice, qu’il ne perd aucune occasion de témoigner, et qu’il exprime d’une manière si vive et si forte ?
Sa charité ne se découvre pas moins sensiblement dans ces soins si passionnés qu’il a de sanctifier ses frères. Toutes ses épîtres ne sont qu’un tissu de tendres exhortations, ou plutôt de prières ardentes qu’il leur fait à s’aimer les uns les autres. Il veut qu’ils vivent sobrement, justement et religieusement. Il s’adresse aux serviteurs et aux maîtres, aux pauvres et aux riches, aux pères et aux enfants, aux jeunes gens et aux vieillards. N’étant préoccupé pour personne, et ne haïssant personne, il s’épanche en actions de grâces et en bénédictions pour tous ; il leur tient un langage tendre et touchant ; il les appelle ses petits enfants, ses bien-aimés, ses entrailles, sa gloire et sa couronne. Et quel est son but en leur parlant de cette manière ? C’est de leur inspirer l’amour de Dieu et celui du prochain.
Combien relève-t-il l’excellence de la charité ! Quand je parlerais, dit-il, le langage des hommes, et le langage même des anges, si je n’ai point la charité, je suis comme l’airain qui résonne. Quand je distribuerais tout mon bien aux pauvres, et que je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n’ai point de charité, cela ne me profite de rien. La charité est d’un esprit patient, elle se montre bénigne. La charité n’est point envieuse. La charité n’use point d’insolence ; elle ne s’enfle point ; elle ne se conduit pas malhonnêtement ; elle ne cherche point son propre profit ; elle ne se dépite point ; elle ne pense point à mal ; elle ne se réjouit point de l’injustice, mais elle se réjouit de la vérité ; elle endure tout, elle croit tout, elle espère tout. Voilà quelle est l’idée que saint Paul avait de la charité ; on y voit la force du bon sens et de la vraie vertu, et non pas les faiblesses et la bizarrerie de la superstition. Il préfère la charité aux dons miraculeux. On voit bien là l’esprit de la vraie religion.
Cette considération du caractère et de la vertu de cet apôtre est d’autant plus considérable, qu’on est obligé, malgré qu’on en ait, de dire quelqu’une de ces deux choses : ou que saint Paul a été un méchant homme et un insigne imposteur, ou qu’il avait ouï Jésus-Christ sur le chemin de Damas, qu’il avait reçu son Esprit, et qu’il était véritablement son apôtre ; de sorte que celui qui montre que saint Paul n’était pas un méchant homme, prouve par cela même la divinité de la religion chrétienne.
Je prie donc le lecteur de faire bien réflexion sur le caractère de ses épîtres : qu’il les examine depuis le commencement jusqu’à la fin ; qu’il en découvre le génie et le caractère.
Qu’est-ce que cet apôtre demande à Dieu ? Que ceux à qui il parle vivent bien, et que Dieu soit glorifié par leurs œuvres. De quoi se plaint-il ? Du vice. Qu’est-ce qu’il loue ? La vertu. Quel motif le fait agir et l’oblige à parler comme il fait ? Tout autre que celui de l’intérêt.
Saint Luc nous avait déjà appris au livre des Actes, qu’il travaillait de ses mains pour gagner sa vie, et qu’il s’occupait à faire des tentes ; sur quoi il faut faire deux remarques : l’une, que saint Paul ayant été pharisien et élevé aux pieds de Gamaliel, aurait cru se ravaler extrêmement en exerçant une si vile profession, pour peu qu’il eut le cœur mondain et ambitieux ; l’autre, que cet apôtre se résout à travailler de ses mains pour gagner sa vie, dans une occasion que d’autres auraient embrassée avec avidité pour s’acquérir des richesses. Qu’aurait-on refusé, en effet, à des gens qui ouvraient le ciel aux hommes, et qui leur donnaient l’espérance certaine d’un salut éternel ? Car on ne peut nier que ce ne fût là la pensée ou le préjugé des premiers chrétiens à l’égard des apôtres.
Si vous craignez que saint Luc ne nous ait trompés en nous apprenant ce fait, il ne faut qu’écouter saint Paul lui-même, qui sans doute n’aurait pas entrepris de le faire accroire contre la connaissance qu’en avaient ceux à qui il parle. Voici, dit-il aux Corinthiens, voici pour la troisième fois que je suis prêt d’aller à vous, et je ne vous serai point à charge, car je ne demande point le vôtre, mais vous-mêmes. Aussi les enfants ne doivent point faire d’amas pour leurs pères, mais les pères pour leurs enfants ; et pour moi je dépenserai volontiers, et serai dépensé pour vos âmes, etc. Et puis : Vous-ai-je pris par finesse ? Ai-je donc fait mon profit de vous ? Et ailleurs : Ai-je commis une offense en ce que je me suis abaissé moi-même, afin que vous fussiez élevés, parce que sans rien prendre je vous ai annoncé l’Évangile de Dieu ?
Saint Paul n’aurait pas tenu ce langage s’il avait prêché par intérêt, selon la coutume de ceux qui, portant un cœur mondain dans le sanctuaire, font un commerce honteux de ce qu’il y a de plus sacré et de plus auguste dans la religion.
Mais si saint Paul n’agissait point par cet intérêt dont la plupart des hommes sont possédés, qui nous répondra qu’il n’avait pas en vue un intérêt plus délicat, et qui naît même quelquefois de cet autre désintéressement, c’est-à-dire un intérêt d’orgueil ?
Je sais qu’il dépend du caprice d’un homme d’attribuer les meilleures actions à l’orgueil, et de traiter d’hypocrisie la plus solide vertu. Car qu’est-ce qui peut fixer les agitations éternelles d’un esprit qui ne cherche que des doutes ? Mais je soutiens aussi qu’il y a des caractères dans la conduite et dans les paroles de saint Paul, qui montrent, malgré l’incrédulité, que le fonds de sa vertu est solide, et son désintéressement sincère. C’est ce qui paraîtra, comme j’espère, par les réflexions suivantes.
Il ne faut avoir qu’une très médiocre connaissance du cœur et des inclinations des hommes, pour n’ignorer pas que, comme il y a deux différents états dans lesquels ils peuvent se trouver, il y a aussi deux différentes sortes de passions qui naissent dans leur âme : la prospérité fait naître l’orgueil avec les vices qui l’accompagnent ; la pauvreté et la misère font naître l’avarice avec toutes ses dépendances. Ce n’est pas que l’avarice ne se trouve aussi dans la prospérité, et que l’orgueil n’accompagne aussi quelquefois la misère ; mon sens n’est pas celui-là ; je veux dire seulement que la prospérité est comme le règne de l’orgueil, et la pauvreté le règne de l’avarice ; parce qu’un homme qui a du bien, étant satisfait de ce côté-là, cherche ordinairement la gloire ; au lieu qu’un homme qui a de la peine à vivre, ne s’avise guère de travailler pour la gloire, et cherche premièrement les moyens de subsister. D’où il s’ensuit que, bien loin de s’imaginer que saint Paul ait voulu se réduire à une extrême pauvreté, et travailler de ses propres mains pour acquérir de la gloire, il est beaucoup plus naturel de penser qu’il n’a pu se proposer la gloire comme l’unique fin de ses actions, que lorsqu’il s’est vu au-dessus de la misère et de la nécessité.
Cependant, cela ne paraît pas encore tout à fait convaincant, parce qu’il y a eu des hommes qui ont méprisé les richesses pour s’acquérir l’estime des hommes. Il faut donc ajouter, pour distinguer saint Paul de ces derniers, que non seulement il est pauvre, que non seulement il est réduit à travailler de ses mains pour gagner sa vie, mais qu’il souffre encore tous les maux et toutes les disgrâces auxquelles on peut être exposé. L’adversité abat les sentiments trop élevés de notre cœur, tout le monde en convient ; et l’on peut dire hardiment que si ces philosophes dont nous avons parlé, s’étaient trouvés accablés par une suite de maux qui renaissaient les uns des autres, chargés de chaînes, déchirés à coups de fouet, exposés aux naufrages, en butte aux outrages, à la moquerie des savants, à la raillerie des princes, à la haine des magistrats, à la fureur du peuple, comme notre saint Paul, leur orgueil éperdu et déconcerté aurait fait place bientôt à l’amour du repos, et à l’impatience de se retirer promptement d’un si déplorable état.
D’ailleurs, ces philosophes qui méprisaient les richesses et les dignités, les méprisaient pour l’amour d’eux-mêmes, et non par l’amour des autres ; puisque, sans se soucier de l’état de leur prochain, ils se retiraient dans des solitudes, ou en la compagnie d’autres sages, avec qui leur orgueil se félicitait d’avoir renoncé à toutes choses pour se donner tout entier à l’étude de la sagesse. Mais ici les apôtres abandonnent toutes choses pour courir travailler à la conversion des hommes. Saint Paul fait des tentes, comme Abdolonymus bêchait dans un jardin ; mais saint Paul ne cesse d’instruire les hommes en prêchant l’Évangile, et Abdolonymus ne pensait qu’à sa tranquillité et à son repos.
Enfin, les sages dont nous avons parlé avaient cette consolation, qu’en renonçant aux richesses ils croyaient posséder le fonds de la véritable vertu. Car, trompés comme ils étaient par leur propre orgueil, ils n’avaient garde de penser que leur vertu était fausse ; et ce n’est que l’idée qu’ils avaient de son excellence, qui les consolait de ce qu’ils perdaient ; au lieu que saint Paul et les autres apôtres étant des imposteurs, comme l’impiété le suppose, ne pouvaient pas avoir cette consolation qui naît du sentiment de la vertu, et ils étaient privés de ce poids qui affermit l’âme des hommes dans les grandes afflictions et dans les entreprises périlleuses. Tournez la chose de tous les côtés, vous trouverez quelque chose de singulier dans la conduite de saint Paul, et aucun caractère n’approchera jamais du caractère apostolique.
Mais, dira-t-on, on trouve que saint Paul se vante quelque part de l’excellence de ses révélations. Il est écrit aux Galates que les plus excellents des apôtres ne lui avaient rien donné ; que Jacques, Céphas et Jean, qui sont estimés les colonnes, lui avaient donné la main d’association ; qu’après avoir été fait apôtre, il ne prit point conseil de la chair et du sang pour retourner à Jérusalem, et là se faire agréer des autres apôtres ; qu’il résista à Pierre en face, et le reprit, parce qu’il méritait d’être repris.
Cela ne peut faire aucune peine à ceux qui connaîtront l’occasion qui a obligé saint Paul à parler et à agir de la sorte. Il y avait parmi les Galates de faux docteurs, qui tâchaient de détruire le fruit de la prédication de cet apôtre en associant les cérémonies judaïques à la foi chrétienne, et qui disaient pour cet effet qu’ils tenaient leur pratique de Pierre, Jacques et Jean, qu’ils avaient vus à Jérusalem. L’apôtre craignant que, sous le prétexte de suivre la doctrine des trois principaux apôtres de notre Seigneur, on ne détruisit son ouvrage, entreprend de faire voir que l’excellence de son ministère ne cède à celle d’aucun autre. C’est dans cette vue qu’il se compare avec les autres apôtres dans son épître aux Galates, commençant par ces paroles : Paul, apôtre, non point de par les hommes, ni de par l’homme, mais de par Jésus-Christ, et de par Dieu le Père, etc. Et c’est pour le même intérêt que, se comparant, dans sa seconde épître aux Corinthiens, à quelques docteurs qui tâchaient de le troubler dans son ministère, il s’exprime de la sorte : Sont-ils Hébreux ? je le suis. Sont-ils Israélites ? je le suis aussi. Sont-ils de la semence d’Abraham ? je le suis. Sont-ils ministres de Jésus-Christ ? (je parle comme imprudent) je le suis en travaux davantage, en battures par-dessus eux. J’ai reçu des Juifs par cinq fois quarante coups moins un. J’ai été battu de verges trois fois. J’ai été lapidé une fois. J’ai fait naufrage trois fois ; en voyages, en périls de fleuve, en périls de brigands, en périls de ma nation, en périls de gentils, en péril entre faux frères ; en peine et en travail, en veilles souvent, en faim et en soif, en jeûnes souvent, en froid et en nudité. Outre les choses de dehors, ce qui m’assiège jour et nuit, c’est le soin de toutes les Églises. Qui est affaibli, que je ne sois affaibli aussi ? Qui est scandalisé, que je n’en sois aussi brûlé ?
Croit-on que saint Paul eût osé parler de ses afflictions avec tant de confiance, et les rapporter en détail pour l’intérêt de l’Église, que des séducteurs voulaient détourner de la foi, si ces afflictions n’eussent été véritables, et même connues de tout le monde ? Si ce qu’il dit est faux, comment ne s’aperçoit-il pas que, bien loin de faire taire ses ennemis par là, il leur fournit une nouvelle matière de le décrier ? Et si ce qu’il dit est véritable, qui peut douter que saint Paul ne soit persuadé de la vérité de la religion chrétienne, lorsqu’on voit ce qu’il souffre, et la manière dont il le souffre ? Où est l’erreur qui inspire autant de confiance que cet apôtre en fait paraître ? Qu’on nous fasse voir un méchant homme devenir le martyr perpétuel d’une imposture signalée, et ne respirer pourtant dans ses écrits que confiance, zèle et charité. Qu’on nous montre un méchant homme, qui, étant sorti de prison, se hâte en quelque sorte d’y rentrer, et qui va prêcher l’Évangile après avoir été déchiré à coups de fouet pour l’avoir prêché ; un ennemi de sa nation, un perfide séducteur, qui, après avoir renoncé à tout ce qu’il possédait pour prêcher aux autres, n’en veut pas même recevoir la nourriture et le vêtement ; qui, en prêchant l’Évangile immédiatement après ce traitement, ne veut pas même s’exempter du travail du corps, de ce travail vil et abject qui sert à gagner sa vie ; qui le déclare, dans ses épîtres, à des gens qui lui donneraient sans doute tout ce qu’il leur demanderait ; qui refuse enfin, après tout cela, et rejette sans affectation la gloire qu’il semble qu’il lui revient de la prédication de l’Évangile, et de son renoncement à toutes choses ; et qui nous montre le grand principe auquel cette gloire doit se terminer, pour faire voir que rien n’est plus légitime que le refus qu’il en fait. De même aussi, dit-il, le Seigneur a ordonné que ceux qui annoncent l’Évangile, vivent de l’Évangile. Néanmoins je n’ai usé d’aucune de ces choses. Or, je n’ai point écrit ceci afin qu’on en use de même envers moi. Car, bien que j’évangélise, je n’ai pas de quoi me glorifier, parce que la nécessité m’en est imposée. Malheur à moi si je n’évangélise : que si je le fais volontiers, j’en ai la récompense ; et si je le fais à contre cœur, la dispensation ne laisse pas de m’en être confiée. Quel salaire donc en ai-je ? c’est qu’en prêchant l’Évangile, je fais que l’Évangile de Christ n’apporte point de dépense, afin que je n’abuse point du pouvoir que j’ai en l’Évangile. Et ailleurs : Certes, j’estime que toutes choses me sont dommage pour l’excellence de la connaissance de Jésus-Christ mon Seigneur, pour l’amour duquel je me suis privé de toutes choses, et les estime comme de l’ordure, afin que je gagne Christ. Saint Paul coupe lui-même toute racine à sa vanité. Ce n’est point après des apparences brillantes de vertu et de mérite qu’il court ; il cherche la rémission de ses péchés. Toute sa force est en Christ. Il dit que Dieu a envoyé son Fils au monde pour sauver les pécheurs, dont il est le premier. Il avoue qu’il a blasphémé le sacré nom par lequel il nous faut être sauvés ; qu’il a persécuté Jésus-Christ en ses membres. Il attribue toute sa conversion à la grâce ; il ne parle que de la grâce. Et quels objets furent jamais capables d’humilier les cœurs des hommes, si ce n’est pas la grandeur immense de Dieu, la profonde misère des hommes, leur corruption désespérée et l’infinie miséricorde de Dieu manifestée en son Fils, qui sont les objets qui remplissaient les discours, les épîtres et l’esprit de saint Paul, lequel, renfermant toutes ses vues dans une seule, ne se proposait de savoir que Jésus-Christ, et Jésus-Christ crucifié ?
Mais, dit-on, n’est-il pas vrai que saint Paul, agissant comme il a agi, s’est acquis une gloire immortelle ? L’événement l’a fait voir, et pourquoi ne croirons-nous pas que saint Paul a agi par un principe de vaine gloire, ayant prévu ce qui arriverait ?
Certes, l’imagination serait belle, de penser que Saul, préoccupé contre les chrétiens, pharisien, orgueilleux, cherchant à s’immortaliser, s’avisera d’appuyer une imposture aussi choquante que le serait celle des disciples, si les incrédules avaient raison ; croira tromper l’univers et la postérité par des mensonges grossiers ; tirera la force, le courage, la constance, la charité, la piété, de ce projet chimérique et de ce dessein perfide ; combattra les bêtes en Ephèse par l’espérance de cette immortalité en idée, qui ne peut pas un jour flatter ses cendres dans le tombeau ; que cet orgueil vivra au milieu de la honte et des douleurs ; et qu’une idée qui n’a accoutumé de naître que dans l’oisiveté, et qui est le fruit de la prospérité et de l’abondance, triomphera pour la première fois des sentiments de la nature les plus réels et les plus vifs.
Mais quoi ! saint Paul est un politique, un mondain, qui a une secrète envie de travailler pour soi-même. Ne connaîtra-t-on pas son caractère ? ne se démentira-l-il point ? Son orgueil ne pourra-t-il pas se découvrir un peu, lorsque étant en Lycaonie on veut lui sacrifier, le prenant pour Mercure ? Et à force de méditer sur ses épîtres, n’y trouverons-nous pas quelque marque de cette prodigieuse vanité qui le fait agir ? Pourquoi les incrédules ne se consultent-ils pas eux-mêmes là-dessus ?
Ils pourront trouver dans leurs cœurs quelque disposition à être imposteurs ; mais ils n’y en trouveront point à souffrir pour leur imposture. Ils pourront peut-être se sentir disposés à souffrir pour une imposture qui pourrait, dans la suite, leur procurer de grandes richesses ; mais non pas à souffrir pour une imposture qui les oblige à renoncer à toutes choses, à souffrir, et à perdre même la vie pour couronnement de leurs souffrances. On peut se trouver disposé à renoncer à toutes choses, et à souffrir la mort pour le bien de sa patrie, ou pour conserver son honneur, ou pour quelque autre sujet qu’on croit légitime ; mais non pas pour défendre ce qu’on sait bien qui est un mensonge. L’idée du souvenir de la postérité peut flatter l’orgueil, mais non pas jusqu’à l’obliger à faire un présent affreux et épouvantable, et jusqu’à sacrifier à cette idée ce qu’on possède de plus réel. On peut se sentir de la disposition à tromper les hommes, et à accuser sa nation d’un crime imaginé, mais non pas lorsqu’on lui témoigne une charité extraordinaire, et qu’on fait tous ses efforts pour la sanctifier. On peut concevoir le dessein de séduire les hommes ; mais on ne peut pas faire éclater en même temps mille vertus par ses actions, et une confiance admirable dans ses paroles. Qu’on cherche dans le cœur de tous les hommes, on n’y trouvera jamais l’union de toutes ces qualités. Comme on n’en saurait donner un exemple dans la vie et dans les actions d’aucun homme, l’idée n’en était peut être jamais montée dans l’esprit des hommes. Quelle faiblesse n’est-ce pas de penser que cela se trouve réellement en la personne de saint Paul et de quelques pêcheurs ! Sur quoi peut être fondée une pareille imagination, que sur une envie désespérée de se tromper soi-même ?
Mais afin qu’on ne nous accuse pas d’avancer sans fondement ce que nous disons de la confiance de cet apôtre, il faut l’écouter lui-même. Car notre légère affliction, dit-il, qui ne fait que passer, produit en nous un poids éternel d’une gloire excellemment excellente, etc. Et ailleurs (2 Corinthiens ch. 7) : Je suis plein de joie en notre affliction. Car comme nous fûmes venus en Macédoine, notre chair n’eut aucun relâche. Au contraire, nous avons été affligés en toutes façons ; combats par dehors, et craintes par dedans ; mais Dieu qui console les abattus, nous a consolés, etc. Et au chapitre 12 de cette même épître : Et partant, je prends plaisir en infirmités, en injures, en nécessités, en persécutions, en angoisses pour Christ ; et quand je suis faible, alors je suis fort. Il prétend même que tous ceux qui sont animés du même esprit que lui, ne peuvent s’empêcher de se réjouir saintement en leurs souffrances. Mais le fruit, dit-il, de l’esprit est charité, joie, paix, esprit patient, bénignité, bonté, fidélité, douceur, tempérance. C’est le caractère véritable du chrétien. Les apôtres ne prêchaient que pour faire naître ces vertus. Mais voyons encore quelques traits de la joie et de la confiance de saint Paul. Voici de quelle manière il s’exprime quelque part : Etant oppressés en toutes sortes, mais non point réduits à l’étroit ; étant en perplexité, mais non point destitués ; étant persécutés, mais non point abandonnés ; étant abattus, mais non point perdus ; portant toujours en notre corps la mortification du Seigneur Jésus, afin aussi que la vie de Jésus soit manifestée en nous. Et ailleurs : Que si même je sers d’aspersion sur le sacrifice de votre foi, je m’en réjouis avec vous tous. Vous aussi, réjouissez-vous avec moi. D’où peuvent sortir ces mouvements de joie que saint Paul exprime si naïvement, que l’art ne peut imiter, qui règnent dans toutes ses épîtres, depuis le commencement jusqu’à la fin, et qui semblent si bien venir d’un cœur qui, ne pouvant renfermer sa joie et sa satisfaction, s’ouvre et s’épanche au dehors pour la laisser paraître ?
Assurément ces sentiments ne viennent point de la, nature. La nature se plaint, elle gémit lorsqu’elle souffre. Les stoïciens qui ont voulu étouffer ses plaintes innocentes, ont prétendu que l’on pouvait se vaincre jusqu’à conserver toute sa tranquillité au milieu des tourments : mais les stoïciens n’étaient pas allés jusqu’à croire que la joie devait naître des maux mêmes que l’on souffrait. Il n’y a que les chrétiens qui trouvent le principe d’une consolation et d’une joie inexplicable dans les afflictions. Qui est donc ce Paul qui a des sentiments si élevés ? C’est, dit l’incrédulité, un imposteur. Par quelle force va-t-il plus loin que toute la vertu des stoïciens ne s’est vantée d’aller ? Par la force de la plus grande imposture qui fut jamais. En vérité, peut-on bien se persuader cela ? Pour moi je ne trouve de difficulté qu’à me persuader que les superbes partisans de la raison humaine soient si déraisonnables et si extravagants.