Si l’on excepte le pape Damase dont on a signalé ci-dessus (p. 330) les compositions métriques, les papes de la période qui s’étend du concile de Nicée au pontificat de saint Léon n’ont guère laissé que des lettres. On en possède deux de Jules Ier (327-352) ; treize de Libère (352-366), en y comprenant les quatre lettres relatives à sa « chute » et dont l’authenticité est contestée ; dix environ de Damase (366-384) ; six de Siricius (384-398) ; trois d’Anastase (398-401) ; trente-huit d’Innocent I (401-417) ; quinze de Zosime (417-418) ; neuf de Boniface (418-422) ; seize de Célestin (422-432) ; huit de Xyste III (432-440).
Xyste III eut pour successeur saint Léon. Saint Léon était né probablement à Rome vers 390-400, et, devenu diacre de l’Église romaine, s’était acquis déjà sous Célestin une situation considérable. Il se trouvait en Gaule, où il avait été envoyé pour rétablir la paix entre les généraux Aétius et Albinus, quand le choix du clergé et du peuple l’appela, en août 440, à succéder à Xyste III. La situation était difficile aussi bien dans l’Église que dans l’Empire. Mais le nouveau pape était à la hauteur de sa tâche. En Orient, il appuie, contre Eutychès et Dioscore, le patriarche Flavien, casse les décisions du brigandage d’Éphèse et fait définitivement condamner le monophysisme au concile de Chalcédoine (451). En même temps, il combat l’ambition d’Anatolius et des patriarches de la ville impériale. En Occident, il réprime les hérésies manichéenne et priscillienne et, par ses lettres ou ses légats, intervient en Afrique, en Gaule et jusque dans l’Illyricum pour restaurer ou maintenir la discipline ecclésiastique. Attila menaçant Rome en 452 le trouve devant lui et, cédant à ses exhortations, revient sur le Danube. En 455, Rome lui doit encore de voir épargnés par Geisérich ses monuments et la vie de ses citoyens. Quand il meurt, le 10 novembre 461, après vingt et un ans de règne, on peut dire que l’Église perd en lui un de ses meilleurs papes et l’État un de ses plus fermes soutiens.
Saint Léon a été justement par l’histoire surnommé le Grand, comme saint Grégoire à qui il ressemble par plus d’un côté. C’était un esprit net, vigoureux et précis, ami des formules claires et se refusant à engager la doctrine de l’Église dans les subtilités orientales. Il suffit de lire ses écrits pour voir qu’il avait à loisir et personnellement approfondi les questions théologiques qui se posaient de son temps, et qu’il possédait à la perfection les réponses à y donner. Mais c’était surtout un homme de gouvernement à qui l’exercice de l’autorité semblait naturelle, et qui y portait ces vues pratiques, ce tempérament de force et de ménagement qui distingue les hommes faits pour commander. Pleinement convaincu du pouvoir œcuménique qui lui était échu comme au successeur de saint Pierre, il a, le premier, en termes exprès et dans des circonstances multiples, proclamé l’existence de ce privilège, et a vu, dans la mise en œuvre de ce pouvoir, le moyen de maintenir à la fois l’unité de croyance et la fermeté disciplinaire de l’Église. Quant à l’écrivain, il n’est pas, chez lui, inférieur au théologien ni au gouvernant. On en jugera moins par ses lettres, dont beaucoup ont été rédigées par sa chancellerie, que par ses sermons, d’une éloquence si majestueuse et si simple, d’une harmonie si forte et si pleine. Son style est remarquablement pur, et peut passer, après celui de saint Jérôme, pour un des meilleurs que nous présentent les Pères latins. « Inébranlable dans la sérénité de son âme, Léon parle comme il écrit, comme il ne cessa jamais de penser, de sentir et d’agir, en romain » (Duchesne).
Les œuvres de saint Léon comprennent des discours et des lettres. Les discours authentiques, au nombre de quatre-vingt-seize, datent tous du pontificat de saint Léon. La moitié environ ont été prononcés à l’occasion des fêtes de Notre Seigneur ou des saints. Les autres traitent du dogme contre Eutychès, du jeûne, de l’aumône, du pouvoir papal, ou expliquent quelque passage du Nouveau Testament. Ils sont, en général, fort courts.
Les lettres conservées sont au nombre de cent quarante-troisb et vont de l’an 442 à l’an 460. Six d’entre elles (les lettres 28, 59, 124, 129, 139, 165) ont un caractère exclusivement dogmatique, et au premier rang il faut mettre à ce point de vue la lettre 28 à Flavien, adoptée comme règle de foi par le concile de Chalcédoine. D’autres sont plutôt historiques et ont rapport aux événements de l’Orient. Un grand nombre règlent des points de discipline ecclésiastique, et neuf, en particulier, s’occupent de la fixation chronologique de la fête de Pâques à propos d’un dissentiment survenu à ce sujet avec l’Église d’Alexandrie. En toutes se manifestent à la fois l’autorité, la sagesse et la modération du pape.
b – L’édition compte cent soixante-treize lettres, mais il en faut défalquer trente qui sont des lettres adressées à S. Léon.
Outre ces ouvrages principaux, Mgr Duchesne a attiré l’attention sur quelques petits vers écrits par saint Léon. On croit volontiers aussi que c’est saint Léon, encore diacre, qui a ajouté à la lettre xxi de saint Célestin les Praeteritorum sedis apostolicae episcoporum auctoritates de gratia Dei qui y font suite actuellement. Quant au sacramentaire léonien, il est probable qu’il contient plus d’une oraison composée par lui, mais on ne saurait le regarder, dans l’ensemble, comme l’œuvre de saint Léon.
Parmi les contemporains et les amis de saint Léon, il faut nommer saint Pierre Chrysologue. Né vers 406 à Forocornelium (Imola), il devint évêque de Ravenne vers 433, exerça un apostolat actif et fécond et paraît être revenu mourir dans son lieu d’origine vers 450. Il ne reste qu’une seule de ses lettres, adressée en 448 à Eutychès. Eutychès avait tenté, après sa condamnation par le concile de Constantinople, de gagner à sa cause l’évêque de Ravenne. Celui-ci lui répond en le renvoyant au jugement du pape, en qui le bienheureux Pierre « enseigne, à ceux qui la cherchent, la vérité de la foi ». Mais, en plus, on a de l’évêque de Ravenne une collection de sermons, comptant cent soixante-seize numéros et réunis au viiie siècle par un de ses successeurs, Félix (707-717). Tout n’y est pas authentique ; cependant il semble. bien, d’autre part, qu’il existe ailleurs et sous des noms étrangers des discours qui sont vraiment l’œuvre de Pierre Chrysologue. Quoi qu’il en soit, les discours recueillis par Félix, généralement très courts comme ceux de saint Léon, sont remarquables par la variété du ton et du style, la multiplicité des images et des antithèses et la fréquence des sentences vives et concises qui, d’un mot, peignent une situation ou inculquent une vérité. La plupart ont pour objet l’explication de quelque texte de l’Écriture : les sermons 56 à 62 commentent le Symbole des apôtres.
En même temps que saint Pierre Chrysologue édifiait Ravenne par sa parole, un autre prédicateur illustrait Turin : c’était l’évêque Maxime. Sa vie est peu connue ; on suppose seulement qu’il devint évêque vers l’an 430, et l’on sait qu’il assista à un concile de Milan en 451 et à un concile de Rome en 465. Le fait que, dans les actes de ce dernier concile, il est nommé immédiatement après le pape conduit à penser qu’il était alors le doyen des évêques présents et qu’il ne dut pas vivre bien longtemps. après cette date.
Gennadius (Vir. ill., 40) attribue à saint Maxime des tractatus ou homélies sur différents sujets et, en particulier, des exposés sur des leçons des évangiles et des Actes des apôtres. L’édition actuelle de ses œuvres par le P. Bruni donne deux cent trente-neuf sermons, homélies ou tractatus, et vingt-trois exposés de leçons d’évangile, mais aucun de péricopes des Actes. Il est douteux d’ailleurs que les exposés édités par Bruni soient bien l’œuvre de saint Maxime ; et, parmi les autres discours, il est certain que plusieurs ne lui appartiennent pas non plus. En somme, nous n’avons pas encore de bonne édition de ses écrits. On peut dire cependant que les sermons authentiques qui nous restent de lui présentent des qualités analogues à celles des sermons de saint Pierre Chrysologue, un tour vif et rapide, une force pénétrante qui a sa source principale dans le zèle de l’orateur.
Enfin, un dernier écrivain à signaler ici est Arnobe le Jeune, ainsi nommé pour le distinguer de l’Arnobe maître de Lactance. Sur sa personne on est peu renseigné. Il était peut-être d’origine africaine, mais il était sûrement moine à Rome vers le milieu du ve siècle. D’abord engagé dans l’erreur de Pélage, « il dut s’en dégager peu à peu, d’une façon plus ou moins sincère, selon que l’action toujours plus nette de l’autorité romaine… lui en faisait voir l’opportunité » (D. Morin). On ignore la date de sa mort, mais il est probable qu’il ne survécut pas de beaucoup à saint Léon.
La détermination de l’héritage littéraire d’Arnobe est un des points que la critique moderne a le plus discutés. D’après les derniers travaux de D. Morin, Arnobe est l’auteur : 1° de longs Commentaires sur les Psaumes, de caractère généralement allégorique, composés, semble-t-il, entre les années 432-439 (P. L., liii, 327-570) ; 2° du fameux Praedestinatus (même époque), réfutation sournoise de saint Augustin et de sa doctrine de la grâce avec des arguments souvent empruntés à Julien d’Eclane (P. L., liii, 587-672) ; 3° du Conflictus Arnobii catholici cum Serapione aegyptio, écrit vers 454-460 (P. L., liii, 239-322), relation d’une discussion fictive où se trouvent successivement vaincus le sabellianisme, l’arianisme, le pélagianisme et surtout le monophysisme ; 4° du Livre à Gregoria (Liber ad Gregoriam in palatio constitutam) sur la patience et la lutte contre les vices, attribué par Isidore de Séville à saint Chrysostome ; 5° enfin et probablement aussi des Expositiunculae in Evangelium, sortes de notes détachées sur divers passages de saint Jean, de saint Matthieu et de saint Luc.