Ces mots se trouvent réunis dans Ephés.5.19, et dans Colossiens 3.16. Chaque fois, ils le sont dans le même ordre et au sein de passages qui se répètent à peu de chose près ; cf. Psaumes 56.1. Aux quelques interprètes qui refusent même d’essayer de tracer une distinction entre ces mots, donnant pour raison que Saint Paul n’avait certainement pas l’intention d’établir une classification de la poésie chrétienne, nous répondrons qu’ils disent une chose qui, sans doute, est vraie, mais nous demanderons, d’un autre côté, pourquoi Paul se sert-il de trois mots, si un seul suffit, surtout quand il n’y a rien qui porte à un développement oratoire ? On peut avoir ses doutes sur la possibilité de tracer des lignes de démarcation entre « les psaumes, les hymnes et les cantiques spirituels » dont parle l’apôtre ; on peut encore se demander si lui-même connaissait ces distinctions ? Cependant chacun des mots qu’il emploie dut avoir un sens qui lui appartenait en propre, et ce sens il est possible de le saisir, alors même qu’il est tout à fait impossible de classer, avec une parfaite exactitude, sous ces trois chefs, la poésie chrétienne telle qu’elle existait au siècle apostolique.
Les psaumes, chose assez remarquable, n’ont point, dans les écrits de l’A. T., de nom spécial bien reconnu et universellement accepté, qui serve à les désigner. (Delitzsch, Comm. üb. den Psalter, vol. 2, p. 371). Ce furent les Septante qui, les premiers, leur donnèrent un titre.
Ψαλμός, de ψάω, proprement, l’action de toucher, puis de toucher de la harpe ou d’autres instruments à cordes, avec le doigt ou avec le plectrum, désigne ensuite l’instrument lui-même, et, enfin, le chant avec accompagnement musical. C’est dans ce dernier sens que nous trouvons le mot adopté par les Septante : les définitions ecclésiastiques en font foi ; ainsi dans le Lexicon attribué à Cyrille d’Alexandrie, on lit : λόγος μουσικός ὅταν εὐρύθμως κατὰ τοὺς ἁρμονικοὺς λόγους τὸ ὄργανον κρούηται ; cf. Clem. Alexand. (Pædog 2.4) : ὁ ψαλμός ἐμμελής ἐστιν εὐλογία καὶ σώφρων. En toute probabilité, les ψαλμοί dont il est question dans Éphés.5.19 et Colossiens 3.16, sont les psaumes inspirés du Canon hébreu. Certainement le mot s’y rapporte dans tous les autres endroits où nous le rencontrons dans le N. T., à une seule exception près, savoir dans 1 Corinthiens 14.26 ; et encore là s’y rapporte-t-il probablement.
Les psaumes que l’apôtre désire que les fidèles chantent, sont bien certainement ceux de David, d’Asaph et des autres chantres harmonieux d’Israël : nous n’en pouvons douter, surtout quand nous voyons que le vocable grec paraît employé dans son acception la plus étroite par les expressions presque synonymiques au milieu desquelles il est placé.
Mais, tandis que le psaume, par droit d’aînesse, car c’est le chant le plus ancien et le plus vénérable, occupe la première place, l’Église de Christ ne se restreint pas à cette forme du culte, elle réclame la liberté de produire de ses greniers des choses nouvelles aussi bien que des choses vieilles. Elle crée « des hymnes et des chants spirituels », en même temps qu’elle hérite des psaumes que lui a légués l’économie juive. Un nouveau salut exige un nouveau chant, comme Augustin se plait à le répéter si souvente.
e – « L’Église est le révélateur continuel de la vérité ; elle ne peut rien ajouter au principe, mais dans le sens de développement, d’application, de conséquence, elle a toujours à agir, à avancer. Si l’Évangile avait tout dit, il n’y aurait pas besoin de prédication. » (Vinet, Homilét. p. 84.) Trad.
Le ὕμνος des Grecs était essentiellement un chant de louanges à l’honneur d’un dieu ou d’un héros, ou plus exactement d’un homme qu’on déifiait. C’est ce que Callisthènes rappelait à Alexandre, quand le héros réclamait des hymnes pour lui-même ou qu’il souffrait qu’on lui en adressât, revendiquant implicitement pour lui une gloire qui revient aux dieux (ὕμνοι μὲν ἐς τοὺς θεοὺς ποιοῦνται ἔπαινοι δὲ ἐς ἀνθρώπους : Arrian., 4.11).
Quand, dans les derniers jours de la Grèce et de Rome, on en vint peu à peu à ne plus distinguer entre l’humain et le divin et à saisir avec avidité les honneurs qui revenaient aux dieux, on se servit du terme ὕμνος pour signifier les chants consacrés à la gloire de l’homme ; mais cette usurpation souleva des protestations (Athenæus, 4.62 ; 15.21, 22). Au moment où l’Église s’empara du vocable, la distinction première s’y rattachait encore. Un psaume pouvait être un de profundis, le récit d’une délivrance, ou le souvenir de faveurs reçues.
On peut en dire à peu près autant d’un « chant spirituel » : mais une hymne doit toujours être plus au moins un magnificat, un hommage à la gloire de Dieu. Ainsi Jérôme (in Ephes. 5.19) : « Breviter hymnos esse dicendum qui fortitudinem et majestatem prædicant Dei, et ejusdem semper vel beneficiavel facta mirantur. » Comparez Orig., Con. Cels. 8.67 ; et un précieux fragment, probablement du presbytre Caius, conservé par Eusèbe (Hist. Eccl. 5.28) : ψαλμοὶ δὲ ὅσοι καὶ ᾠδαὶ ἀδελφῶν ἀπ᾽ ἀρχῆς ὑπὸ πιστῶν γραφεῖσαι τὸν Λόγον τοῦ Θεοῦ τὸν Χριστὸν ὑμνοῦσι θεολογοῦντες. Augustin indique, dans plus d’un endroit, ce qui, dans sa pensée, forme les traits essentiels de l’hymne. Ces traits sont au nombre de trois : 1. L’hymne doit être chantée ; 2. Elle doit être une louange ; 3. Elle doit être consacrée à Dieu. « Hymni laudes sunt Dei cum cantico : hymni cantus sunt continentes laudes Dei. Si sit laus, et non sit Dei, non est hymnus : si sit laus, et Dei laus, non cantetur, non est hymnus. Oportet ergo ut, si sit hymnus, habeat hœc tria, et laudem, et Dei, et canticum ». Cf. Enarr. in Psa. 148.14 : « Hymnus scitis quid est ? Cantus est cum laude Dei. Si laudas Deum, et non cantas, non dicis hymnum ; si cantas, et non laudas Deum, non dicis hymnum ; si laudas aliud quod non pertinet ad laudem Dei, etsi cantando laudes, non dicis hymnum. Hymnus ergo tria ista, et cantum, et laudem, et Deif ». Comparez Grégoire de Naziance :
f – Ce n’est pas chose facile que de suivre Augustin dans la distinction qu’il établit entre un psaume et un cantique. Du reste, il reconnaît lui-même qu’il n’est arrivé à rien de clair à cet endroit ; ainsi voyez Enarr. in Ps. 67.1, où se lisent pourtant ces mots : « in psalmo est sonoritas, in cantico læti-tia » : cf. in Psa. 4.1 ; Hilaire, Prol in Lib. Psalm. §§ 19-21.
Ἒπαινός ἐστιν εὖ τι τῶν ἐμῶν φράσαι,
Αἶνος δ᾽ ἔπαινος εἰς Θεὸν σεβάσμιος,
Ὁ δ᾽ ὕμνος αἶνος ἐμμελής ὡς οἴομαι.
Mais quoique ces citations fassent voir qu’au quatrième siècle, ὕμνος était un mot librement adopté dans l’Église, il n’en était pourtant pas ainsi à une époque plus reculée.
Malgré l’autorité que l’emploi de ὕμνος par un Paul aurait pu prêter à ce mot, il ne se trouve nulle part dans les écrits des Pères apostoliques, ni dans ceux de Justin Martyr, ni dans les Constitutions apostoliques ; et seulement une fois dans Tertullien (ad Uxor. 2.8). Une explication au moins plausible de ce fait consiste à dire que ὕμνος était tellement imprégné de paganisme, tellement mêlé à des cérémonies profanes, à des hymnes à Zeus, à Hermès, à Aphrodite et aux autres divinités du panthéon païen, que les chrétiens des premiers siècles hésitèrent à employer un tel mot et ne le firent que faute de mieux.
Demanderons-nous ce que pouvaient être ces hymnes que saint Paul désirait que les fidèles chantassent entre eux ? Les fidèles, je pense, observaient la même loi à laquelle les païens se soumettaient dans la composition de leurs hymnes. Les chrétiens adressaient leurs louanges directement à Dieu. Nous avons des spécimens d’hymnes inspirées dans Luc 1.46-55, 68-79 ; Actes 4.24. Tels étaient aussi probablement les chants que Paul et Silas firent entendre à Philippe des profondeurs de leur cachot (ὕμνουν τὸν Θεόν ὕμνος, Actes 16.25). Le Te Deum, le Veni Creator Spiritus et bien d’autres legs plus récents dont l’Église a hérité, montrent jusqu’où l’hymne non-inspirée pouvait s’élever ; quelle noblesse, quelle magnificence elle peut déployer ! L’Église entrant, à l’époque ou Saint Paul écrit, dans un nouveau et merveilleux monde de réalités, devait abonder en de telles hymnes, nous pouvons l’affirmer, n’eussions-nous aucune preuve à cet égard. Mais nous en avons d’abondantes, car plus d’un fragment de cantique est enchâssé dans les épîtres mêmes de l’apôtre Paul (Éphésiens 5.14 ; 1 Timothée 3.16). Et, comme il était tout à fait impossible que l’Église chrétienne, en s’affranchissant héroïquement de la synagogue juive, mais sans violence, sans révolution, tombât dans la faute dans laquelle quelques portions de l’Église réformée tombèrent plus tard, nous pouvons admettre qu’elle adopta, dans l’usage de sa liturgie, non seulement des psaumes, mais encore des hymnes et qu’elle chanta des hymnes à Christ comme à Dieu (Plin., Ep. 10.96) ; quoique ces dernières, nous pouvons bien le croire, fussent plutôt chantées dans des Églises formées d’anciens païens que dans celles où prédominait un puissant élément judaïque.
Ὠδή (ἀοιδή) est le seul mot de ce groupe qui figure dans l’Apocalypse (Apocalypse 5.9 ; 14.3 ; 15.3). Si Paul, dans les deux occasions ou il l’emploie, y ajoute πνευματική, et cela, sans doute, parce qu’ᾠδή seul pourrait signifier toute espèce de chant — chant de guerre, de moisson, de fête, d’hyménée —, tandis que ψαλμός, d’après son origine hébraïque, et ὕμνος, d’après son origine grecque, n’avaient pas besoin de tels qualificatifs. L’épithète ἀνὴρ πνευματικός, appliquée à ὕμνος ἡ ἐπὶ τοῖς ὑπάρχουσιν ἡμῖν ἀγαθοῖς ἀνατιθεμένη τῷ Θεῷ εὐφημία, n’impliquait pas, il va sans dire, que ce chant fut divinement inspiré, pas plus que la désignation de ἀνὴρ πνευματικός ne se rapportait à un homme inspiré (1 Corinthiens 3.1 ; Galates 6.1) ; mais elle indiquait seulement que ce chant était composé par un homme spirituel et qui se mouvait dans la sphère des choses spirituelles.
Mais on pourra demander : Comment devons-nous distinguer ces chants spirituels des psaumes et des hymnes auxquels Saint Paul les associe ? Nous répondrons que si les psaumes représentent les cantiques sacrés que l’Eglise chrétienne a reçus des Juifs, les hymnes et les chants spirituels fourniront entr’eux ce que l’Eglise a tiré de son sein, en fait de cantiques, mais avec une différence. Ce qu’étaient les hymnes, nous l’avons déjà vu ; mais la pensée et le sentiment chrétiens auront bientôt embrassé un horizon plus vaste d’effusions poétiques que celui d’un hommage direct à la Divinité. Par exemple, si nous ouvrons le Temple de Herbertg ou le Christian Year de Kebleh, il y a bien des poésies dans ces deux recueils qui possèdent aussi peu le caractère du psaume que celui de l’hymne. On pourrait les qualifier très à propos de chants spirituels ; comme aussi presque tous nos recueils modernes qui s’intitulent « Hymnes », mais qui, à quelques exceptions près, pourraient bien mieux s’appeler « chants spirituels ».
g – Georges Herbert, (né 1593 † 1632), ami de collège de Bacon, se livra d’abord aux plaisirs de la Cour, puis il revint à Cambridge. Son Temple comprend des poésies sacrées très connues. Trad.
h – John Keble (né 1792, † 1866), vicaire dans le Hampshire. Pendant quelques années, professeur de poésie à l’université d’Oxford, et le reste de sa vie, pasteur dans l’Église anglicane. Son Christian Year est un recueil poétique pour le culte du Dimanche et des jours de fêtes. Avec le docteur Pusey, Keble inaugura, par les fameux Tracts for the Times (1834-36), le mouvement du High Church dans la Grande-Bretagne. Trad.
Calvin n’accepte qu’en partie les distinctions que j’ai essayé de tracer ; il dit : « Sub his tribus nominibus complexus est (Paulus) omne genus canticorum ; quæ ita vulgo dislinguuntur, ut psalmus sit in quo concinendo adhibetur musicum aliquod instrumentum præter linguam ; hymnus proprie sit laudis canticum, sive assa voce, sive aliter canatur ; oda non laudes tantum contineat, sed paræneses et alia argumenta. »