DANS le même temps le fils d'un Prêtre Païen, qui avait été élevé par son père dans la fausse Religion, y renonça pour faire profession de la nôtre. Une femme d'une singulière piété, et qui avait l'honneur d'être employée au ministère de l'Église, avait habitude particulière avec sa mère, de sorte que la voyant souvent, elle voyait aussi le fils, qui était fort jeune, le caressait comme on caresse les enfants de cet âge, et mère l'avait élevé. Elle lui répondit, qu'il fallait qu'il sortît de la maison de son père, et qu'il préférât à son père, le Dieu qui avait créé et son père, et lui ; qu'il devait aussi se retirer en une autre ville, où il pût se cacher, et éviter de tomber entre les mains de l'Empereur. Elle lui promit de prendre le soin de l'exécution de ce dessein. Il la remercia de sa bonté, et lui dit : Je viendrai désormais chez vous, et je vous mettrai ma vie entre les mains. Quelques jours après, Julien alla à Daphné pour y faire un festin. Le père du jeune homme dont je parle, ne manqua pas de s'y trouver, tant parce qu'il était Prêtre de ses Dieux, que parce qu'il le suivait dans tous ses voyages, et d'y mener ses deux fils, qui avaient accoutumé de purifier par l'aspersion d'une eau consacrée, avec certaines cérémonies, les viandes qu'on servait à l'Empereur. La fête qu'on célèbre à Daphné dure sept jours.
Le premier jour ce jeune homme ayant jeté de l'eau, selon sa coutume, sur les viandes qui étaient sur la table de l'Empereur, et les ayant infectées par cette aspersion, retourna à Antioche chez cette Dame de piété, et lui dit : Me voilà revenu selon ma parole, acquittez-vous de la vôtre, et mettez ma vie, et mon salut en sûreté. Elle le mena chez Méléce homme de Dieu, qui le fit longtemps attendre dans une chambre haute. Cependant le père ayant fait le tour de Daphné pour chercher son fils, retourna à Antioche, courut par toutes les rues, jeta les yeux de tous côtés, pour voir s'il y était. Quand il fut proche de la maison de Méléce, il leva la tête, l'aperçut qui regardait par les barreaux, entra dans la maison, le prit, l'emmena, lui donna plusieurs coups, lui piqua les pieds, les mains, et le dos avec de petites pointes de fer rouge, l'enferma dans une chambre qu'il barricada par dehors, et retourna à Daphné. J'ai ouï raconter tout ceci au fils dans l'extrémité de sa vieillesse. Il nous ajouta, qu'étant rempli alors de l'esprit de Dieu, et animé de sa grâce, il brisa les Idoles de son père, et se moqua de leur faiblesse ; qu'ayant fait depuis réflexion sur la hardiesse de son action, il appréhenda le retour de son père, et pria le Sauveur de l'assister, et de lui ouvrir la porte.
« Je n'ai rien fait, lui disait-il, ni rien souffert que pour votre intérêt, et votre gloire. Comme j'achevais ces paroles, (c'est ainsi qu'il continuait de nous entretenir) les portes s'ouvrirent tout d'un coup, et les barricades se rompirent. Je retourne alors chez la Dame qui m'avait donné les premières teintures de la Religion. Elle me déguisa avec un habit de fille, me mit sur une voiture, et me mena à Méléce, qui me mit entre les mains de Cyrille Évêque de Jérusalem, avec qui je partis la nuit pour aller en Palestine. »
Il nous raconta aussi de quelle manière il convertit depuis son père à la Religion Chrétienne.