Nous devons considérer ici le développement de la foi dans l’individu jusqu’à sa conversion à Jésus-Christ. Il résulte de ce qui a été dit dans notre Ier chapitre que la fides specialis ne saurait différer de la fides generalis par sa nature ou son essence, mais seulement par son objet. En définissant les degrés de la foi, nous ne prétendons d’ailleurs pas établir un itinéraire invariable des différents états par lesquels le croyant doit passer pour arriver au salut qui est en Jésus-Christ. Nous n’entendons pas fixer méthodiquement ce que l’on a appelé l’ordo salutis. Nous nous souvenons que nous sommes ici-bas dans le domaine moral, où tout est vie et liberté, et où le fait ne se comporte pas toujours conformément à l’idée. Il sera donc entendu que la série des degrés de la foi que nous allons établir n’a qu’une valeur logique et idéelle et que nous admettons dans le cas concret une infinité de variétés possibles dans les gradations de la vie de la foi.
L’ordo salutis fut défini par l’ancienne théologie comme le chemin déterminé conduisant à la félicité, ou comme le mode selon lequel le pécheur est conduit au salut par Jésus-Christ. Les degrés en étaient diversement définis, mais généralement supputés à cinq : vocatio, illuminatio, conversio, sanctificatio, unio mystica.
Ce furent surtout les piétistes et les méthodistes qui appliquèrent, plus ou moins mécaniquement, ces gradations à la vie chrétienne, en les transformant en une série d’états d’âme que le fidèle doit successivement traverser et qui doivent pour ainsi dire se numéroter devant la conscience. Le méthodisme, qui fleurit surtout en Angleterre où il convenait au caractère exact et pratique de la nation, fut importé dans nos Eglises, où il a été une des exagérations du Réveil. C’est ainsi qu’une certaine forme et un certain degré de repentance devaient précéder la conversion à Jésus-Christ, laquelle devait s’accomplir à un moment précis que le sujet devait être en état d’indiquer. On méconnaissait en cela la variété infinie des voies de Dieu, qui se donne à connaître dans la sphère individuelle aussi bien que dans le domaine général de l’humanité, et qui nous est attestée en fait dans l’Ecriture par la diversité des types qu’elle nous présente parmi les fidèles et des conversions qu’elle nous raconte.
Les deux termes par lesquels le N. T. désigne d’une manière tout à fait générale les degrés que le croyant doit traverser pour arriver au salut en Jésus-Christ, sont μετάνοια (repentance) et ἐπιστροφή (conversion). Ils sont réunis dans les passages Actes 3.19 ; 26.20.
Le devoir de la μετάνοια est joint à celui de la foi à l’Evangile dans Marc 1.15 : « Repentez vous et croyez à l’Evangile, » et Actes 2.38, où l’ordre du baptême, joint à celui de la μετάνοια, remplace la mention de la conversion ou de la foi ; l’effet promis de la double action ici commandée est le pardon des péchés, suivi du don du Saint-Esprit. Dans d’autres passages, la μετάνοια est mentionnée seule et prend alors un sens pregnant, renfermant la foi et la conversion, ou tout au moins les supposant ou les attendant comme inévitables. C’est surtout pendant le ministère de Jean-Baptiste et dans les commencements de celui de Jésus (Matthieu 3.2 ; 4.17) que le devoir de la repentance paraît résumer toutes les conditions du salut. Comparez encore les passages suivants, relatifs aux pécheurs des anciens temps : Matthieu 11.20 ; 12.41 ; Luc 11.32 ; 13.3. La comparaison de ces différents passages prouve que ces termes sont susceptibles d’acceptions plus ou moins étendues, selon qu’ils se rencontrent isolés ou joints les uns aux autres et par conséquent limités les uns par les autres.
Comme les deux derniers degrés de l’ordo salutis, la sanctification et l’union mystique, ne rentrent pas dans le sujet de cette section, et que les deux premiers (vocation, illumination) appartiennent à la dogmatique, nous n’avons plus à traiter ici que de la μετάνοια et de l’ἐπιστροφή qui feront le sujet des deux paragraphes de ce chapitre.