1. Les treize épîtres de saint Paul qui nous ont été conservées se répartissent, comme nous l’avons dit en commençant, en quatre groupes qui se distinguent par la date et par les matières traitées.
Le premier (de l’an 53), qui comprend les deux aux Thessaloniciens, traite du sujet qui intéressa le plus vivement l’Église à son origine, le retour du Christ.
Le second (de 54-59), qui comprend l’épître aux Galates (54 ou 55), les deux aux Corinthiens (57 et 58) et l’épître aux Romains (58-59), traite essentiellement du salut chrétien et du mode de son appropriation.
Le troisième (62-64), dans lequel nous rangeons les épîtres aux Colossiens, à Philémon et aux Éphésiens (62-63) et celle aux Philippiens (63-64), a pour objet principal la personne du Sauveur et son union avec l’Église dont il fait son organe ici-bas.
Le quatrième (64-66), qui comprend les trois Pastorales, a pour but d’assurer l’avenir de l’Église sur la terre, sous la direction de ceux qui devront l’instruire et l’administrer après le départ des apôtres.
Cette gradation n’a rien de systématique ; elle a été le résultat du cours naturel des choses. Le grand avenir promis préoccupa d’abord la pensée des premiers chrétiens et suscita les questions qui s’y rapportaient. Puis le regard de l’Église se reporta nécessairement sur la nature du salut auquel nous devons cette grande espérance et sur le moyen de son acquisition. De là il s’éleva spontanément à la contemplation de la personne de Celui à qui nous devons ce salut et qui par son union constante avec l’Église la rend propre à être l’héritière de la gloire promise. Enfin, à mesure que disparaissaient ceux qui avaient fondé l’Église en lui révélant ce salut, la pensée chrétienne dut se porter sur la conservation de la société terrestre qui en a été constituée dépositaire. Ainsi s’explique bien simplement la succession des quatre groupes que nous avons constatés.
Avec cette gradation générale s’accorde d’une manière remarquable la gradation particulière que nous observons sur certains points spéciaux.
Et d’abord, quant à la relation entre le judaïsme et l’Église. Dans le premier groupe, la relation est celle de l’hostilité pure ; encore étranger à l’Église, le judaïsme est simplement persécuteur (Ire aux Thess.). — Dans le second, la relation se complique. Le judaïsme s’efforce de pénétrer dans l’Église et de s’en emparer en lui imposant le joug du mosaïsme. — Forcé à la retraite, sous cette forme grossière, par la puissante résistance de Paul, nous le voyons revenir à la charge dans le troisième groupe sous une forme plus raffinée et plus séduisante, offrant la loi aux croyants comme le moyen d’entrer en commerce plus intime avec les esprits célestes et de les obtenir comme médiateurs, à côté et peut-être au-dessus de Christ. — Dans le quatrième groupe, enfin, après que ce nouvel essai a échoué, le judaïsme ne présente plus qu’une caricature de lui-même, vendant, comme une marchandise, à la curiosité des fidèles de profanes futilités sans rapport avec la piété et la fidélité pratique.
Une autre gradation non moins remarquable s’offre à nous dans le phénomène de l’apparition des dons spirituels et de leur rapport avec la fonction de l’enseignement. — Nous constatons dans le premier groupe l’apparition des dons dans l’Église de la gentilité sous la forme la plus modeste. C’est la prophétie qui ne doit pas être méprisée, le parler pneumatique qu’il ne faut pas étouffer (1 Thessaloniciens 5.19-21). A côté de cela, on voit apparaître aussi un commencement de charges (5.12-13 : « ceux qui président »). — Nous admirons, dans le second groupe, le plein épanouissement des forces spirituelles. Elles remplissent à Corinthe de leurs brillantes manifestations tout le théâtre de la vie de l’église. Les charges — car il y en a, et c’est bien à tort que l’on s’obstine à n’en pas reconnaître l’existence — sont reléguées à l’arrière-plan ; elles paraissent n’être encore que de simples administrations nécessaires à la vie extérieure de l’église et à l’assistance des pauvres.
Cette relation commence à se transformer dès le troisième groupe. Non seulement, parmi les dons, la parole des docteurs paraît prendre le dessus sur celle des prophètes et des glossolales — il n’est plus même question des derniers ; — mais les docteurs sont presque identifiés avec les pasteurs (les pasteurs et docteurs, Éphésiens 4.11), lesquels ne sont autres, comme nous l’avons vu, que les presbytres (Actes 20.28). Dans l’épître aux Philippiens il n’y a plus la moindre allusion aux dons charismatiques ; c’est sur les deux charges de l’épiscopat et du diaconat que repose la bonne marche de l’église.
Un pas vers une réunion plus complète de la fonction d’enseigner avec la charge d’évêque se remarque enfin dans les Pastorales, quoique la fusion soit loin encore d’être consommée. La capacité d’enseigner est requise de celui qui aspire à l’épiscopat, et l’évêque qui, tout en étant un administrateur fidèle, a vaqué à l’instruction et à l’édification, est doublement digne de la reconnaissance de l’église. Cependant Timothée doit avoir soin de former, même en dehors de l’épiscopat, des hommes capables d’enseigner les fidèles. Nous sommes donc loin encore de l’épiscopat futur ; mais nous marchons sur la voie qui y conduit.
Relativement à l’attente du retour de Christ, enfin, les deux impressions de l’apôtre les plus différentes sont exprimées dans les deux lettres qui occupent la première et la dernière place. Dans la 1re aux Thessaloniciens, Paul, tout en étant dans l’incertitude sur le moment de sa mort (5.10 : « Soit que nous veillions, soit que nous dormions »), se range, en tant qu’actuellement vivant, parmi ceux qui assisteront, à ce retour (4.17), tandis que dans la 2me à Timothée il n’attend plus que sa mort prochaine et son entrée dans le royaume céleste (4.18) et ne parle de la Parousie qu’en rapport avec ses après-venants. Entre ces deux points extrêmes se placent les autres épîtres : la 1re aux Corinthiens qui (15.52) se rattache étroitement à 1 Thessaloniciens et l’épître aux Philippiens qui (1.20-21) forme la transition à 2 Timothée ; entre ces deux, la 2me aux Corinthiens et l’épître aux Romains où se balancent en quelque sorte les deux impressions contraires (2 Corinthiens 5.24,6-9 ; Romains 14.8).
Ces diverses séries qui concordent entre elles et qui cadrent parfaitement avec le rang chronologique que notre étude nous a conduits à assigner aux épîtres de Paul, sont en même temps la contre-épreuve de ce résultat général. Nous pouvons aussi nous convaincre par là que, pour admettre un mouvement constant et progressif dans la pensée de l’apôtre, il n’est nullement nécessaire de nous le représenter créant spontanément par sa propre spéculation sa conception du salut chrétien et ajoutant d’année en année un étage nouveau à l’édifice. Le grand fait du salut conçu et accompli par Dieu et qui, par la révélation que Paul en avait reçue et par l’expérience qu’il en avait faite, se reflétait distinctement dans sa pensée, est resté le fond permanent, le lien indissoluble de ces enseignements variés, contenus dans les quatre groupes de ses lettres. Tout en s’anathématisant lui-même, comme il le déclarait aux Galates, dans le cas où il viendrait à altérer jamais ce salut divinement reçu (Galates ch. 1), il s’efforçait en toute occasion d’en adapter la prédication aux besoins différents de ceux à qui il s’adressait. Il cherchait, comme il le dit à ces mêmes Galates, à changer sa voix (ἀλλάξαι τὴν φωνήν, 4.20), à discerner dans chaque cas le côté de la vérité propre à répondre aux besoins de ses auditeurs ou lecteurs et les formes de langage et d’exposition les plus propres à le faire pénétrer dans leurs cœurs. A mesure que l’état spirituel de la communauté des croyants se transformait par le mouvement interne de la vie chrétienne et sous l’action des milieux environnants, il puisait dans ce salut les nouvelles ressources et les accents nouveaux qui s’adaptaient aux situations données.
C’est ainsi que nous le trouvons tour à tour prophète, traçant le double tableau, ténébreux et lumineux, de la fin des choses, dans les épîtres aux Thessaloniciens ; polémiste acéré, repoussant les ingérences du judaïsme, dans celles aux Galates et aux Colossiens ; docteur lumineux, exposant avec calme le salut chrétien et sa marche au sein de l’humanité, dans celle aux Romains ; psalmiste, célébrant en termes élevés l’œuvre magnifique de l’incorporation des païens au règne de Dieu, dans l’épître aux Ephésiens ; pasteur, ramenant sous sa houlette, à force de sagesse, de fermeté, de sévérité et surtout d’amour, le troupeau prêt à lui échapper, dans les deux aux Corinthiens ; père de famille, remerciant et encourageant des enfants bien-aimés, dans celle aux Philippiens ; ami dévoué, intercédant avec sérieux et enjouement auprès d’un frère pour le frère qui l’a offensé, dans celle à Philémon ; administrateur à l’esprit pratique et prévoyant, prenant soin de son œuvre qu’il va quitter, dans les lettres Pastorales. Aucune corde ne manque à son instrument ; il les fait vibrer chacune à l’heure voulue, conformément au sujet qu’il traite ; un même fond toujours ; toujours d’autres aspects de la même vérité fondamentale, dus aussi parfois à de nouvelles révélations sur certains points particuliers.
2. Nous venons de considérer Paul en le comparant à lui-même; rapprochons-le maintenant des autres apôtres. Entre eux et lui, nous constatons une différence fondamentale. Pendant les deux ans et demi que les Douze passèrent avec Jésus, ils ne cessèrent d’envisager la religion mosaïque comme la base sur laquelle devait à jamais reposer l’œuvre de leur Maître ; en Jésus lui-même ils ne voyaient que la réalisation suprême du judaïsme. Si haut qu’il les élevât par son enseignement et par son contact personnel, c’était encore le judaïsme qui grandissait avec lui et avec eux ; l’idée d’une rupture possible avec cette constitution religieuse divinement octroyée, n’abordait pas leur esprit. Et si les promesses de Jésus leur faisaient entrevoir l’entrée des Gentils dans le royaume divin, il leur semblait que ce grand fait ne pourrait s’accomplir pour les païens qu’après qu’ils auraient été jetés dans le moule du mosaïsme et qu’ils en seraient sortis judaïsés. Même après la Pentecôte ce ne fut que graduellement que leur piété se dégagea des formes reçues pour s’en créer de nouvelles, et que l’enseignement de l’Esprit les conduisit au spiritualisme et à l’universalisme dont Jésus avait déposé en eux les germes. Il fallut la vision de Joppe et l’expérience faite chez Corneille pour arracher à Pierre cette exclamation de surprise : « En vérité, je comprends (ἐπ’ ἀληθείας καταλαμβάνομαι » (Actes 10.34) ! Sans la mission divine expresse que Philippe avait reçue, il n’aurait probablement pas osé accorder le baptême au seigneur éthiopien qui le lui demandait en vertu de sa seule foi. Jésus n’avait point tiré brusquement les disciples du particularisme théocratique. Cet affranchissement était l’une de ces choses auxquelles s’appliquait la parole qu’il leur avait dite avant de mourir : « J’ai encore beaucoup de choses à vous apprendre. » Et certainement l’influence de Paul et le spectacle de l’œuvre immense accomplie par lui dans le monde païen ne fut pas pour peu de chose dans la croissante émancipation des apôtres.
Tout autre fut la marche de Paul. Son affranchissement du judaïsme fut instantané et radical. Il a comparé lui-même cette rupture à l’opération par laquelle un enfant est tiré violemment du sein maternel (1 Corinthiens 15.8). L’illumination qui accompagna ce moment fut soudaine, comme cette rupture ; l’apôtre la compare à l’effet produit par cet ordre divin : « Que la lumière soit ! » qui dissipa la nuit du chaos (2 Corinthiens 4.6). C’est ce moment décisif que Paul décrit, dans son allocution à Pierre à l’occasion du conflit d’Antioche, quand il lui dit (Galates 2.19) : « Pour moi, par la loi je suis mort à la loi, afin que je vive à Dieu : je suis crucifié avec Christ. » En d’autres termes : par la condamnation dont elle m’a frappé et l’impuissance où je me suis vu de l’accomplir, la loi m’a forcé de rompre avec elle et de chercher ma justice dans la croix seule ; là, dans la communion avec le Crucifié, je suis enfin mort à moi-même pour vivre à Dieu. Ce fut ainsi, lorsqu’il eut poussé jusqu’au bout la fidélité à la loi, qu’en un clin d’œil le joug de la loi se brisa pour lui. Il n’y eut pas chez Paul de transition lente, de moyen-terme ; l’apparition du Christ avait balayé tout son passé, son âme était vide ; son aspiration fut intense ; le don de Dieu y répondit ; il fut complet et complètement saisi. Si jamais le mot de Jésus : « Il y en a des derniers qui seront les premiers, » s’est vérifié dans l’histoire, c’est dans cet exemple à jamais prototypique, comme l’a bien compris Paul lui-même (1 Timothée 1.16)a.
a – Objecterait-on le vœu de Cenchrées (Actes 18.18), celui de Jérusalem (Actes 21.26) ? Mais Paul s’est expliqué lui-même (1 Corinthiens 9.20-22), et nous verrons dans ce qui va suivre combien en cela il agissait d’accord avec la parole et l’Esprit de Jésus.
3. Il a donc en un instant devancé les Douze. Mais ne lui est-il point arrivé, comme on a osé le prétendre, de dépasser Jésus lui-même ? Paul ne s’est-il pas fait créateur, au lieu de rester simple disciple ? N’a-t-il pas fondé un christianisme différent de celui auquel Jésus avait songé, selon les uns plus spiritualiste et plus large, selon les autres plus intellectualiste et plus dogmatique ? N’a-t-il pas importé dans la religion nouvelle un alliage étranger, des formules rabbiniques, des spéculations alexandrines, des philosophèmes helléniques ? — Assurément, si la conversion de Paul eût été une révolution de nature intellectuelle, la solution d’une crise spéculative, on pourrait se poser de telles questions. Mais c’est d’une énigme religieuse et morale qu’il s’agissait pour lui. Christ se présenta à lui, non pour donner une réponse à des questions, une solution à des doutes, mais comme apportant à son âme haletante le salut, le pardon et une vie nouvelle. Il se révéla à lui non comme un Gamaliel d’ordre supérieur, mais comme son Sauveur et son Seigneur. Et le lien qui attacha désormais Paul à ce Maître, fut non pas seulement celui d’une respectueuse affection, mais celui de la dépendance absolue et de l’adoration. Une telle relation ne comporte pas les suppositions que nous venons d’énoncer. Les faits ne les confirment pas non plus. Le paulinisme a jailli dans le monde d’un essor trop vif, trop original, trop puissant, trop suivi, pour n’être pas une œuvre d’un jet. S’il peut paraître parfois rabbinique dans la forme, il est toujours neuf dans le fond. Il peut bien dans son déploiement se rencontrer avec certaines notions ou expressions talmudiques et philoniennes ; mais n’oublions pas qu’entre ces systèmes et lui il y avait le terrain commun de l’Ancien Testament. Quant à l’hellénisme prétendu de l’enseignement paulinien, il y a là une erreur de date. Il faut descendre jusqu’à Justin, Clément et Origène pour constater réellement l’intrusion de la métaphysique grecque dans la doctrine évangélique.
Nous avons examiné plus haut les prétendues traces de cette infiltration, et nous les avons reconnues trompeuses.
La conception chrétienne de l’apôtre n’est pas un composé de pièces rapportées ; c’est un tout dont les diverses parties se lient étroitement ; c’est uniquement le déploiement sous toutes ses faces du salut accompli et interprété par Christ. Tout sort de ce point départ comme l’être vivant sort de la cellule où il était renfermé.
L’apôtre, il est vrai, ne cite pas souvent la teneur des paroles de Jésus ; mais comment méconnaître la relation étroite qui existe entre l’enseignement de l’un et celui de l’autre : entre la manière dont Paul présente la justification par la foi, et les paroles aussi bien que la pratique, de Jésus lui-même ; entre l’exposé de l’expiation chez Paul, et l’institution de la sainte Cène ; entre la communion du Christ glorifié avec l’Église, telle que Paul l’a dépeinte par l’image de la tête et du corps, et les promesses de Christ relatives à son retour en Esprit ; entre l’attente de l’avènement du Seigneur, dans laquelle vivait l’apôtre, et les discours de Jésus sur ce sujet ; entre les déclarations de Paul sur l’abolition de la loi, et les paroles de Jésus qui impliquent l’abrogation des prescriptions alimentaires du Lévitique (Matthieu 15.16-20) et la cessation du culte du temple (Matthieu 24.2) ; entre l’universalisme du salut d’après Paul, et l’ordre de Jésus de prêcher l’Évangile à toute créature humaine, sans qu’il soit fait mention de la loi ? Je ne sais de quelle partie de l’enseignement ou de l’œuvre de Paul on ne trouverait pas le principe déjà posé dans la vie et dans les paroles du Seigneur. Jésus a, si j’ose ainsi dire, tracé le sommet de l’angle, dont Paul n’a fait que prolonger les côtés.
Il y a surtout un enseignement de Jésus, dans lequel nous saisissons la parfaite conformité de pensée entre lui et l’apôtre Paul. C’est celui qui renferme la parabole du vêtement vieux et du vêtement neuf et celle des outres vieilles et du vin nouveau, avec la parole suivante dans laquelle Jésus fait ressortir la difficulté qu’il y a pour ceux qui sont habitués au vin vieux à se faire immédiatement à la verdeur du vin nouveau (Luc 5.30). Le vêtement vieux qui ne doit pas être rapiécé, mais auquel il faut en substituer un neuf, représente clairement le vieux régime mosaïque qu’il ne faut pas vouloir compléter par de nouveaux rites, comme celui du jeûne, mais qui doit disparaître totalement pour faire place au régime de l’Esprit. Les outres vieilles, incapables de conserver le vin nouveau, représentent non moins clairement l’Israël pharisaïque, trop infatué de ses habitudes légales pour recevoir et conserver le vin nouveau de l’Évangile, qui réclame des âmes neuves pour le contenir. La parole par laquelle Jésus termine est un mot d’excuse en faveur des Juifs sincères, que de vieux préjugés empêchent encore de rompre avec les habitudes légales et qui ne doivent pas être brusqués dans leur marche spirituelle un peu lente et méticuleuse. Qu’a été l’œuvre de saint Paul, sinon l’exécution fidèle de ce programme ? Et cela point pour point, depuis l’opposition si nette qu’il a établie entre ce qu’il appelle la vieillesse de lettre et la nouveauté d’esprit (Romains 7.6), jusqu’à l’appel en grand des païens et à la formation d’un nouvel Israël, et enfin, même, jusqu’à cette conduite pleine d’égards envers les Juifs retardataires, mais sincères, qu’il a traités toute sa vie avec de si grands ménagements.
Quelqu’un objectera-t-il que c’est l’évangéliste Luc qui, en bon paulinien, a mis à l’avance dans la bouche du Maître ce qu’il fallait pour justifier l’œuvre du disciple ? Mais les deux paraboles que nous venons de rappeler se trouvent aussi chez Matthieu et chez Marc ; elles faisaient donc incontestablement partie de la tradition apostolique et elles jouissent ainsi de la plus forte garantie que puisse posséder une parole quelconque de Jésus. D’ailleurs leur incomparable originalité les protège suffisamment contre un tel soupçon. Holtzmann les appelle : « Ce qu’il y a de plus authentique dans l’authentique. » Quant à la déclaration suivante, qui ne se lit que chez Luc, elle se rattache trop étroitement et trop délicatement à la seconde parabole pour ne pas être authentique comme elle.
Concluons : saint Paul n’a fait autre chose qu’exécuter ce que Jésus avait fait entrevoir et sagement préparé, sans pouvoir lui-même le réaliser ; pour quelle raison ? Nous venons de l’entendre de sa bouche : le temps n’était pas venu encore. En saint Paul s’est accompli au degré le plus élevé la promesse de Jésus : « Vous ferez ces œuvres que je fais, et vous en ferez même de plus grandes, parce que je m’en vais à mon Père. »
Il s’est assigné à lui-même la dernière place, mais il n’en a pas moins été le plus grand, après Celui qui ne peut être comparé à aucun autre.