Antiquités judaïques - Flavius Josèphe

LIVRE VI

CHAPITRE IX
David et Goliath.

Nouvelle guerre avec les Philistins ; provocations du géant Goliath.

1.[1] Peu de temps après, les Philistins, s’étant réunis de nouveau en forces considérables, marchent contre les Israélites, occupent le pays entre Sôchos[2] et Azéka et y établissent leur camp. Saül, de son côté, fait sortir son armée contre eux ; il s’installe sur une montagne, et force les Philistins à abandonner leur première position[3] et à placer leur camp sur une autre montagne en face de celle qu’il occupait. Les deux camps étaient séparés par un vallon courant entre les deux collines. Or, un des guerriers du camp des Philistins descendit dans le vallon, il se nommait Goliath(ès), de la ville de Gitta, homme d’une taille tout à fait gigantesque. Il mesurait, en effet, quatre coudées et demie[4] et était revêtu d’armes proportionnées à son corps : il avait autour de la poitrine une cuirasse pesant 5.000 sicles ; il portait un casque, et des jambières d’airain capables de protéger les membres d’un homme de dimensions si extraordinaires. Son javelot n’était pas le léger fardeau de sa droite : il le portait appuyé sur l’épaule ; il avait aussi une lance[5] pesant 600 sicles ; plusieurs hommes[6] le suivaient, qui portaient ses armes. Ce Goliath donc, s’étant placé au milieu des deux armées, pousse un cri retentissant et dit à Saül et aux Hébreux : « Je viens vous délivrer de la bataille et de ses dangers. Qu’est-il besoin que votre armée en vienne aux mains et se fasse maltraiter ? Choisissez quelqu’un des vôtres qui veuille lutter avec moi, et l’issue de la guerre sera décidée par ce combat singulier. Le parti du vainqueur recevra la soumission de l’autre. Il est bien préférable, je pense, et plus raisonnable d’en finir en exposant un seul homme que toute une armée. » Ayant ainsi parlé, il se retira dans le camp de ses compatriotes. Le lendemain, il revint et tint les mêmes propos ; puis. quarante jours durant. il ne cessa de provoquer dans les mêmes termes ses ennemis, frappant de terreur et Saül et l’armée. Les Hébreux présentaient toujours la bataille, mais n’osaient pas en venir aux mains.

[1] I Samuel, XVII, 1.

[2] Hébreu : Sôkho ; LXX : Σοαχώθ.

[3] Rien de pareil dans le récit biblique.

[4] Comme les LXX ; l’hébreu a : six coudées et un empan (l’empan est une demi-coudée).

[5] Josèphe a le même mot que les LXX pour traduire l’obscur mot hébreu ; on a supposé une mauvaise lecture des LXX dans l’hébreu, ce qui leur a suggéré la traduction λόγχη. D’après l’hébreu, c’est la pointe en fer du javelot qui pèse 600 sicles.

[6] D’après la Bible, un seul, porteur du bouclier et marchant en avant de Goliath.

David est envoyé au camp des Hébreux pour porter des provisions à ses frères ; il relève le défi de Goliath.

2.[7] Or, quand la guerre avait éclaté entre les Hébreux et les Philistins, Saül avait congédié David[8] chez son père Jessée, se contentant des trois fils que ce dernier lui avait envoyés pour partager la guerre et ses périls. David retourne donc d’abord à ses troupeaux et à ses pâturages, mais, peu après, il s’en vient au camp des Hébreux, chargé par son père d’apporter à ses frères des provisions et de prendre de leurs nouvelles. Ce jour-là, Goliath était revenu à son ordinaire avec ses provocations et ses invectives, se vantant que personne ne fût assez brave parmi les Hébreux pour oser descendre se mesurer avec lui. David, qui entretenait alors ses frères des commissions dont son père l’avait chargé, s’indigna d’entendre le Philistin insulter et railler l’armée, et déclara à ses frères qu’il était prêt à l’affronter en combat singulier. Là-dessus, l’aîné de ses frères, Eliab, le morigéna, lui disant qu’il était trop hardi pour son âge et ignorant des convenances, et il lui ordonna de s’en retourner à ses troupeaux et auprès de son père. Par respect pour son frère, David se retira, mais confia à quelques soldats qu’il avait envié de se mesurer avec celui qui les défiait. Ceux-ci rapportent aussitôt à Saül la résolution du jeune homme, et le roi le fait venir. Et comme il lui demandait ce qu’il voulait et l’invitait à parler : « Ne laisse pas tomber ton courage, dit David, et ne crains rien, ô roi, car je vais abaisser, moi, l’outrecuidance de l’ennemi : j’irai lutter avec lui et j’abattrai sous moi ce géant énorme. Alors il deviendra d’autant plus risible et ton armée d’autant plus glorieuse, qu’on verra que ce n’est pas même la main d’un guerrier expert, versé dans la tactique et les batailles, qui l’a terrassé, mais un homme qui paraît encore un enfant et qui en a réellement l’âge. »

[7] I Samuel, XVII, 12. La première moitié du paragraphe correspond à I Samuel, XVII, 12-31, morceau qui manque dans le texte actuel de la Septante.

[8] Détail ajouté au récit biblique pour en harmoniser les données.

Lutte entre David et Goliath, mort de Goliath ; déroute des Philistins.

3. Saül admire son audace et son courage, mais n’ose pas se confier à lui, vu son âge si tendre : « Ta jeunesse, dit-il. te rend trop faible pour lutter avec un guerrier éprouvé. » Alors David : « Si je te fais cette promesse, c’est dans l’assurance que Dieu est avec moi, car j’ai déjà éprouvé son assistance. Un jour qu’un lion s’était jeté sur mes troupeaux et avait emporté un agneau, je le poursuivis, je le saisis, j’arrachai l’agneau de la gueule du fauve et, au moment où il s’élançait sur moi, je le soulevai par la queue[9] et le tuai eu l’écrasant contre terre. Je n’ai pas eu moins de bonheur en combattant un ours. Eh bien cet ennemi n’est-il pas le pareil de ces bêtes féroces, lui qui insulte depuis si longtemps notre armée et blasphème contre notre Dieu, qui le livrera entre mes mains ? »

[9] La Bible dit : la barbe.

4.[10] Alors Saül adresse une prière à Dieu, lui demandant d’accorder un semblable[11] succès à l’ardeur et à la hardiesse de cet enfant. « Pars, dit-il, au combat ! » Il le revêt de sa propre cuirasse, le ceint de son épée, lui ajuste son casque et ainsi équipé le congédie. Mais David, alourdi sous le poids de ces armes — l’exercice ne l’avait pas encore accoutumé à en porter — s’écrie : « Tout cet attirail, ô roi, est une parure convenable pour toi, qui sais t’en servir ; quant à moi, accorde-moi, comme à ton serviteur, de combattre à ma guise. » Il dépose donc ses armes, saisit son bâton, prend cinq pierres dans le lit du torrent et les met dans sa besace de pâtre, puis, portant une fronde dans la main droite, il s’avance contre Goliath. L’ennemi, en le voyant marcher dans cet équipage, le regarde avec mépris et lui prodigue ses moqueries : pourquoi donc vient-il se battre, non avec les armes qu’il faut pour lutter contre un homme, mais avec celles qu’on prend pour poursuivre ou repousser les chiens ? Goliath est-il donc a ses yeux un chien et non un homme ? David lui répond : « Pas même un chien, mais moins encore ! » La colère de Goliath s’exaspère ; il profère des imprécations contre son adversaire en invoquant le nom de son Dieu et menace de donner ses chairs à manger aux bêtes des champs et aux oiseaux du ciel. David lui réplique : « Toi, tu viens contre moi avec un glaive, un javelot et une cuirasse ; moi, en t’affrontant, j’ai pour armure Dieu lui-même, qui veut se servir de mon bras pour te détruire, toi et toute ton armée ; car je vais te trancher la tête aujourd’hui, et le reste de ton corps je le livrerai aux chiens, tes pareils, afin que tous connaissent que la divinité s’est mise à la tête des Hébreux, que c’est elle qui nous procure des armes et des forces, et que tout autre appareil, toute autre puissance sont vains quand Dieu n’est pas là. » Le Philistin, que le poids de ses armes empêchait d’aller plus vite, arrive lentement sur David, plein de mépris et sûr de terrasser sans peine un adversaire à la fois sans armes et d’un âge si tendre. Le jeune homme s’avance à sa rencontre, escorté d’un allié invisible a l’ennemi : Dieu lui-même. Il tire de sa besace une des pierres du torrent qu’il y avait placées, l’ajuste à sa fronde et en atteint Goliath au front. Le projectile pénètre jusqu’au cerveau, et le géant tombe aussitôt étourdi, le visage contre terre. David accourt, met le pied sur son ennemi terrassé et, avec le propre glaive de ce dernier, car il n’avait pas d’épée à lui, il lui tranche la tête. La chute de Goliath entraîne la défaite et la déroute des Philistins. Voyant, en effet, le plus illustre d’entre eux abattu, craignant un désastre complet, ils n’osèrent pas tenir davantage et cherchèrent le salut dans une débandade honteuse et confuse. Mais Saül et toute l’armée des Hébreux, poussant une grande clameur, s’élancent sur eux, en font un grand carnage et les poursuivent jusqu’aux frontières de Gitta et jusqu’aux portes d’Ascalon[12]. Les Philistins eurent environ trente mille[13] morts et deux fois autant de blessés. Saül, étant retourné dans leur camp, y sème le pillage et l’incendie, et David emporte la tête de Goliath dans sa propre tente et consacre l’épée du Philistin à Dieu[14].

[10] I Samuel, XVII, 37.

[11] Dans la Bible, ce vœu est mis dans la bouche de David.

[12] Hébreu : Ekron ; les LXX donnent dans le même verset une première foi, Γέθ et Άσxάλων, et ensuite Γέθ et Άxxαρών.

[13] La Bible ne donne aucun chiffre.

[14] Dans la Bible, David porte la tête du Philistin à Jérusalem et les armes dans sa tente. Josèphe parait avoir intentionnellement modifié ce texte, afin de le faire concorder avec ce qui est dit plus loin (I Samuel, XXI, 10) de l’épée de Goliath. déposée dans la ville sacerdotale de Nob, derrière l’éphod. Josèphe laisse aussi de côté l’épisode de la présentation de David à Saül par le général Abner (I Samuel, XVII, 55-fin), cet épisode ne cadrant pas avec les données précédentes, d’après lesquelles David a déjà vécu à la cour du roi ; il ne se trouve d’ailleurs pas non plus dans le Vaticanus.

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