La troisième chose qu’il importe de remarquer dans les épîtres de saint Paul, est qu’elles ne sont, pour ainsi dire, qu’une continuelle répétition de la mort, de la résurrection et de l’ascension de Jésus-Christ, ou du moins des choses qui s’y rapportent essentiellement ; de sorte que quand les quatre Évangiles seraient perdus, on trouverait la moelle et l’essentiel de l’Évangile dans les écrits de saint Paul. On voit cela dans le commencement de presque toutes les épîtres. Touchant son Fils, dit-il aux Romains, chap. 1er, qui a été pleinement déclaré Fils de Dieu en puissance, selon l’Esprit de sanctification, par la résurrection des morts, à savoir, de notre Seigneur Jésus-Christ, Mais on le voit plus expressément en plusieurs autres endroits. Voici comment il en parle au chapitre 15 de sa première épître aux Corinthiens : Je vous ai donné ce que j’avais aussi reçu, savoir, que Jésus-Christ est mort pour nos péchés, selon les Écritures ; qu’il a été enseveli, et qu’il est ressuscité le troisième jour, selon les Écritures, et qu’il a été vu de Céphas, et puis des douze. Depuis il a été vu de plus de cinq cents frères à la fois, desquels plusieurs sont vivants jusqu’à présent, et quelques-uns dorment. Après il a été vu de Jacques, et puis de tous les apôtres ; et après tous il a été vu aussi de moi comme d’un avorton.
Voilà quelle est la confiance avec laquelle cet apôtre parle de la résurrection de Jésus-Christ. Il ne dit pas seulement en termes vagues et généraux qu’on a vu Jésus-Christ après sa résurrection ; il dit que Jésus-Christ a été vu de Céphas, de Jacques, des autres apôtres, de lui-même ; qu’il a été vu par cinq cents frères à la fois, dont une partie vivait encore, les prenant par là à témoin, et s’exposant visiblement à être contredit, si cela n’eût pas été véritable. S’il est vrai qu’il y ait un si grand nombre de personnes qui témoignent qu’elles ont vu Jésus-Christ ressuscité, ce fait ne saurait être faux. Car le moyen que cinq cents, trois cents, cinquante personnes conspirassent à soutenir cette fable nonobstant les supplices ? Et s’il n’est pas vrai qu’il y ait un nombre de personnes qui déposent qu’elles ont vu Jésus-Christ ressuscité, comment saint Paul l’ose-t-il écrire à une infinité de gens qui ne pouvaient avoir vu les apôtres sans savoir ce qui en était ? Comment oserait-il marquer par leur nom ceux à qui Jésus-Christ est apparu après sa résurrection ? Quelle est sa hardiesse, de désigner un si grand nombre de témoins de cette vérité, et de dire que la plupart sont encore vivants ? Comment dit-il cela ? En passant, par manière d’acquit, et comme une chose connue de tout le monde. Il le dit, et se contente de le dire, sans faire comme les imposteurs, qui se servent du tour et de l’adresse de leur esprit pour donner plus de couleur aux choses qu’ils veulent faire accroire, et qui emploient plus d’art à mesure que ce qu’ils veulent persuader est incroyable. Mais pourquoi ne rendrait-il pas un témoignage plein de confiance à la vérité de la résurrection de Jésus-Christ, puisqu’il prétend que l’Esprit même du Seigneur en rendait un bien sensible et bien éclatant ?
En effet, saint Paul, dans ses épîtres, parle des dons miraculeux comme de quelque chose de très connu. Il les appelle les dons du Saint-Esprit, et quelquefois seulement le Saint-Esprit. Celui qui voudrait ôter de ses épîtres tous les endroits où il en parle, en ôterait sans doute une des plus considérables parties. A l’un, dit-il, est donnée par l’Esprit la parole de sapience ; et à l’autre, selon le même Esprit, la parole de connaissance ; et à l’autre, la foi en ce même Esprit ; et à l’autre, les dons de guérison en ce même Esprit ; et à l’autre, des opérations de vertus ; et à l’autre, la prophétie ; et à l’autre, le don de discerner les esprits ; et à l’autre, la diversité des langages ; mais ce seul et même Esprit fait toutes ces choses, distribuant particulièrement à chacun selon qu’il veut.
Voyez comment saint Paul suppose en passant ce fait comme un fait d’expérience, et que chacun connaissait. Cependant il est remarquable qu’il ne s’agit pas là d’un seul de ces dons, mais de plusieurs dons miraculeux, et qui sont même à couvert d’illusion et d’artifice. Car quand on aurait pu supposer que certaines gens avaient reçu le don de parler des langages ; quand ces gens n’auraient pas été démentis d’abord par des personnes qui savent véritablement ces langues-là ; comment y en pouvait-il avoir d’autres qui expliquaient les langues, et qui entendaient les gens de toutes les nations, et d’autres qui guérissaient les malades, et d’autres qui faisaient des vertus, et qui avaient la foi des miracles ? etc.
Mais peut-être qu’on ne se contenterait pas de ce seul passage. En voici donc un tout pareil. Quand bien même je parlerais le langage des hommes, et même le langage des anges, etc., quand j’aurais les dons de prophétie, et connaîtrais tous les secrets, etc., quand j’aurais toute la foi, tellement que je transportasse les montagnes, etc. Tous sont-ils prophètes ? dit-il dans le chapitre précédent. Tous ont-ils des vertus ? Tousont-ils les dons de guérison ? Tous parlent-ils des langages ? Tous interprètent-ils ? Mais soyez convoiteux de plus excellents dons ; et je vais vous enseigner un chemin qui surpasse de beaucoup. C’est alors qu’il commence à faire l’éloge de la charité, et qu’il la préfère à tous les dons miraculeux. Il parle tout de même en cet endroit, indirectement et en passant, de ces dons ; et la manière dont il s’exprime, fait bien voir que ce fait était d’une notoriété publique.
Que si l’on veut encore une plus grande preuve de cette vérité, mais une preuve qui me paraît au-dessus de la subtilité et des exceptions, il suffira de considérer, qu’entre ces dons, celui de parler des langues était devenu si commun, étant communiqué fort souvent par l’imposition des mains des apôtres, qu’il survint un grand trouble et une grande confusion dans l’Église de Corinthe à cette occasion ; parce que ceux qui avaient reçu ce don, voulant tous parler des langues étrangères dans l’Église, l’assemblée n’en était point édifiée. C’est ce qui obligea saint Paul à leur écrire fortement là-dessus, et c’est à quoi il emploie particulièrement le chapitre 14 de sa première épître aux Corinthiens. Je désire bien, leur dit-il, que vous parliez tous des langages, mais beaucoup plus que vous prophétisiez, afin que l’Église en reçoive de l’édification. Prophétiser, dans le sens de cet apôtre, est annoncer la Parole de Dieu, et l’expliquer au peuple. Je rends grâces à mon Dieu, ajoute-t-il, que je parle plus de langages que vous tous ; mais j’aime mieux prononcer en l’Église cinq paroles en mon intelligence, afin que j’instruise aussi les autres, que dix mille paroles en une langue inconnue. C’est pourquoi, ajoute-t-il quelque temps après, les langages sont pour signe, non point aux croyants, mais aux infidèles ; au contraire la prophétie ne l’est point aux infidèles, mais aux croyants. C’est-à-dire, comme chacun le conçoit sans peine, que le don des langues que Dieu accordait miraculeusement à l’Église, était destiné à confondre ou à convertir les infidèles par ce témoignage sensible de la divinité du christianisme ; au lieu que le don de prophétiser, c’est-à-dire d’annoncer la volonté de Dieu, et de l’expliquer au peuple, avait été donné pour le bien et pour l’édification des fidèles. C’est à ces dons miraculeux que regarde saint Paul, lorsqu’il dit aux Ephésiens : N’éteignez point l’Esprit. Et c’est de ces mêmes dons, de ces vertus éclatantes, qu’il dit aux Galates : O Galates insensés ! etc. Celui qui vous fournit l’Esprit, et qui produit les vertus en vous, le fait-il par les œuvres de la loi, ou par la prédication de la foi ? Enfin, c’est des dons miraculeux que cet apôtre parle, lorsqu’il dit que les enseignes de son apostolat ont été accomplies entre les Corinthiens avec toute patience, avec signes, merveilles et vertus.
Voilà les incrédules un peu embarrassés : quelque mine qu’ils fassent, il n’y a que deux partis à prendre. Il faut dire que saint Paul avait perdu le sens lorsqu’il écrivait tout ce que nous venons de lire ; ce que ces gens-là sont bien éloignés de prétendre, s’imaginant au contraire que saint Paul a été assez habile pour tromper une infinité de personnes ; ou il faut avouer que les fidèles recevaient assez communément les dons miraculeux dans l’ancienne Église ; que ces dons étaient divers ; qu’il y avait eu actuellement des personnes dans l’Église de Corinthe qui avaient causé une espèce de désordre en parlant diverses sortes de langues par le Saint-Esprit ; et par conséquent il faut reconnaître la divinité de notre religion.