BIEN que Julien affectât de paraître doux, et modéré, il prenait de jour en jour une licence plus effrénée de combattre la piété, non à force ouverte, mais par adresse, et en tendant aux Chrétiens des pièges, pour les surprendre, et pour les perdre. Il corrompit les fontaines du Faubourg de Daphné, et de la ville d'Antioche, en jetant dans leur eau quelque chose de présenté aux Idoles, afin que personne n'en pût boire, sans être souillé par l'impureté de ces sacrifices. Il infecta de la même sorte le pain, la viande, les herbes, les fruits, et généralement tous les aliments qui étaient en vente, en faisant jeter dessus de l'eau consacrée aux démons. Les Chrétiens gémissaient de ces abominations dans le secret de leur cœur, et mangeaient pourtant de ces aliments abominables, selon ce précepte de saint Paul : Mangez de tout ce qui se vend à la boucherie, sans vous enquérir d'où il vient par un scrupule de conscience.
Deux Gardes de l'Empereur déplorèrent un jour, avec beaucoup de véhémence, la misère où ils étaient réduits de commettre ces péchés-là, malgré eux ; et pour exprimer leur ressentiment, empruntèrent ces paroles des trois jeunes hommes qui se rendirent autrefois si célèbres à Babylone :
« Vous nous avez livré à un Prince apostat, et le plus injuste qui soit parmi les Nations de l'Univers. »
Un de ceux qui étaient à table avec eux ayant rapporté tout leur discours à l'Empereur, il les envoya quérir, et leur demanda ce qu'ils avaient dit. Cette demande leur ayant donné occasion de découvrir librement leurs sentiments, ils firent cette réponse avec toute la chaleur de leur zèle :
« Ayant été élevés dans la piété, et accoutumés à observer les bonnes lois, qui ont été faites par Constantin, et par les Princes ses enfants, nous déplorons avec une amertume inconcevable, le malheur que nous avons de voir qu'il n'y a rien qui ne soit gâté par la contagion du Paganisme, et que tout jusques au boire, et au manger est infecté par le mélange de quelque chose de consacré aux Idoles. Nous en avons soupiré dans nos maisons, et nous vous en déclarons maintenant nôtre douleur. C'est l'unique mal qui nous afflige sous votre Empire. »
Ce Prince très sage et très-modéré, car c'est ainsi que ses semblables l'appelaient, leva en cette occasion le masque de sa fausse douceur, et fit voir sa véritable cruauté. Il les fit tourmenter avec une si extrême rigueur qu'ils perdirent la vie par la violence de la douleur, ou plutôt qu'ils furent délivrés des misères du siècle présent, et récompensés des couronnes que méritait leur victoire. Julien publia qu'ils avaient été exécutés à mort, non en haine de la Religion qu'ils avaient défendue, mais en punition de l'insolence avec laquelle ils avaient parlé, et commanda de débiter par tout cette cause de leur mort, de peur qu'ils ne jouissent de l'honneur du martyre. L'un s'appelait Juventin, et l'autre Maximin. L'Église d'Antioche les révéra comme de généreux défenseurs de la foi, et mit leurs corps dans un superbe tombeau. Le peuple honore encore aujourd'hui leur mémoire, par une fête qu'il célèbre tous les ans.