La notion de la μετάνοια s’est de bonne heure altérée et matérialisée dans l’Eglise, ce dont témoignent le mot latin pænitentia et l’allemand Busse, amende. Le mot pænitentia, qui a été traduit en français par pénitence, désigne l’expiation extérieure qui s’ajoute au sentiment de la faute commise ; peu à peu, cette satisfaction extérieure prit la place de la disposition morale, dans la langue ecclésiastique comme dans la morale populaire ; et il ne resta plus que la compensation artificielle imposée par la discipline ecclésiastique au coupable qui demandait à être réintégré dans la communion de l’Église. Le terme allemand Busse fut conservé parles réformateurs dans la langue religieuse, mais ils en corrigèrent le sens en le ramenant de l’extérieur au dedans.
La doctrine catholique distingue d’ailleurs, dans la pénitence, l’attritio de la contritio ; et elle définit l’attrition : dolor de peccato ex metu pænarum, et la contrition : dolor de peccato a dilectione Dei oriundus. On réclamait trois degrés de la pénitence : contritio cordis, confessio oris, satisfactio operis.
L’ancienne dogmatique protestante associe la pénitence à la conversion, en distinguant dans la repentance deux parties ou actes : la contrition, ou les angoisses de la conscience qui a reconnu le péché, et la foi, qui naît de l’Evangile et croit que, à cause de Christ, les péchés sont remis, console ainsi la conscience et la libère de ses terreurs. Les bonnes œuvres doivent suivre, comme fruits de la pénitencea. Le second acte compris dans la pénitence renfermait, comme on le voit, la conversion elle-même.
a – Ainsi l’Apologie de la Confession d’Augsbourg.
Le pécheur encore impénitent peut posséder déjà une connaissance théorique du péché et de l’anomalie du péché, mais cette connaissance n’est accompagnée d’aucun acte de la volonté imputant au sujet la coulpe du péché commis, ni d’aucun désir continu de changement de vie.
Le terme de μετάνοια signifie étymologiquement : le changement du νοῦς, de cet organe tout ensemble théorique et pratique qui est tourné vers les objets de l’ordre supersensible, mais qui, faussé par le péché sous le double rapport de la connaissance et de la volonté, s’est livré à la ματαιότης à la vanité, pour s’employer dorénavant au service du moi, de l’égoïsme. Le terme de μετάνοια indique donc la transformation de cet organe, sous le double rapport de l’intelligence et de la volonté, et il signifie dès lors que le pécheur pense et veut autre chose que ce qu’il a pensé et voulu jusqu’ici, qu’il se détourne de son passé avec réprobation et aspire au bien qui lui manque ; car cette aspiration vers le bien est donnée nécessairement avec cette réprobation du mal ; mais il n’en résulte point encore qu’il soit pour cela en état de pratiquer ce qu’il veut et d’éviter le mal que désormais il condamne et se reproche.
La μετάνοια est donc essentiellement le fait du νοῦς ou de l’intelligence morale de l’homme, condamnant et répudiant le péché qu’il a commis et la nature même d’où ce péché est issu et qui en est la source permanente et cachée ; s’imputant à blâme la pratique et les erreurs auxquelles il s’est abandonné jusqu’ici par la complicité de sa volonté ; se reprochant le mal qu’il a commis et le bien qu’il n’a pas fait par sa faute ; en un mot, condamnant son passé ; et c’est par ce caractère essentiellement rétrospectif et judiciaire qu’elle s’oppose à l’ἐπιστροφή (conversion) ou à la foi, qui appartient au présent et à l’avenir, et qui désigne la rupture effective du pécheur avec le péché, comprise dans l’acte même par lequel il s’approprie le salut. On comprend dès lors que la repentance, quand elle est nommée avec la foi ou la conversion, ait toujours la priorité sur celle-ci, la première chose à faire pour l’homme pécheur étant de se détourner du mal par sa volonté et par ses principes, de ne plus vouloir le mal ni dans sa volonté ni dans son intelligence, de se séparer aussi bien des doctrines d’erreur que des pratiques mauvaises, tout en condamnant en soi-même et ces doctrines et ces pratiques. La μετάνοια, c’est-à-dire la condamnation prononcée par le sujet non seulement sur le péché, mais sur son péché, accompagnée du désir sincère d’un changement d’être et de conduite, est, sous quelque forme réduite et imparfaite qu’elle se présente, la condition indispensable de ce retour effectif au bien et à la vérité que nous appelons la conversion.
Si la μετάνοια, ou l’activité du νοῦς réprouvant le passé du sujet, n’est pas concevable sans une action exercée sur le sentiment, elle ne réside pas dans cette action elle-même : la valeur morale de la repentance n’est pas déterminée par le degré de l’affection morale ou de l’émotion douloureuse qui l’accompagne ; une repentance peut être plus émue ou plus douloureuse sans être plus réelle pour cela. Nous en dirons autant de la connaissance morale soit de la loi de Dieu, soit du péché, qui est toujours supposée par la repentance. Le degré de cette connaissance ne correspond pas toujours à l’intensité de la μετάνοια elle-même, qui est le résultat du concours du νοῦς et de la volonté.
Nous ne traduisons pas le mot μετάνοια par pénitence, puisque ce dernier terme est déjà le signe d’une falsification de la notion, ni non plus par amendement, terme qui renfermerait déjà le retour effectif au bien, mais par repentance ; ce mot exprime bien la disposition intérieure qui, dans la règle, précède et prépare ce retour au bien que nous appelons la conversion.
L’Ancienne Alliance tout entière, à travers la loi et les prophètes, a été une institution destinée à produire la repentance dans le cœur de l’homme. La loi, qui ne pouvait procurer le salut, devait, dit saint Paul, donner « la connaissance du péché », διὰ νόμου ἐπίγνωσις ἁμαρτίας (Romains 3.20). La loi a été un « conducteur vers Christ », παιδδαγωγὸς εἰς Χριστόν (Galates 3.24). Mais cet effet même n’a pu être produit que graduellement, et nous pouvons suivre ces degrés à travers les diverses périodes de l’Alliance préparatoire.
Le premier but de Dieu en donnant la loi, et entre autres le décalogue, a été d’inculquer au peuple destiné à être le peuple du salut, une connaissance préliminaire, extérieure, du mal qu’il devait éviter pour ne pas éteindre et détruire en soi toute réceptivité morale pour le bien et la vérité. Ce n’est pas pour le juste que la loi a été donnée (1 Timothée 1.9-10). La loi fut une ligne de démarcation, visible et palpable, tracée entre le peuple de Dieu et l’humanité païenne, et qui suffisait déjà à apprendre à Israël à distinguer en gros le bien et le mal, le saint et le profane. Cette multitude de préceptes, ajoutés les uns aux autres souvent sans rapport apparent et enserrant toute la vie de l’Israélite, devait produire en lui l’impression générale d’une anomalie invétérée dans ses rapports avec la nature et avec Dieu, d’un conflit quotidien entre son être et son faire, d’une part, et la loi divine, de l’autre ; et la menace terrible : « Maudit est quiconque ne persévère pas dans toutes les choses qui sont écrites au livre de la loi pour les faire, » ne pouvait qu’entretenir et raviver sans cesse ce sentiment de culpabilité chez l’homme consciencieux, auquel l’institution des sacrifices offrait des moyens provisoires d’expiation.
D’ailleurs, cette première norme morale, tout imparfaite, extérieure et insuffisante qu’elle fût, ne négligeait point la disposition du cœur de l’homme. Le dixième commandement visait les diverses convoitises, faisant ainsi pénétrer le tranchant de la loi jusque dans le for intime de l’homme ; et le Deutéronome allait plus profond encore, jusqu’au principe du péché et des convoitises, appelant le remède aux sources mêmes de la vie, lorsqu’il disait aux Israélites : « Circoncisez le prépuce de vos cœurs » (Deutéronome 10.16 ; 30.6).
C’est dans le livre des Psaumes que nous rencontrons et pouvons constater les premiers effets de l’institution de la loi. Ce n’est que graduellement, en effet, que la connaissance du péché, d’extérieure et partielle au début, put se développer, complète et profonde, dans la conscience humaine ; ce n’est que par une éducation religieuse et morale prolongée que le fidèle pouvait être amené à reconnaître, au-dessous de ses actes isolés et accidentels, une nature pécheresse et corrompue d’origine, source de ces actes ; qu’il pouvait apprendre à retrouver le péché dans les péchés, la convoitise dans les convoitises ; apprendre à reconnaître dans le péché autre chose et plus qu’une offense faite à un code, nécessitant pour chaque cas une expiation ou purification particulière : à y voir une offense contre la loi et la volonté de Dieu, tombant sous le coup de sa colère, encourant une condamnation souveraine que des sacrifices d’animaux sont insuffisants à conjurer, et affectée d’une coulpe non expiable par des moyens terrestres.
Ce progrès de la conscience israélite est réalisé, lorsque nous entendons le pénitent du Psaumes 51 confesser qu’il a péché « contre Dieu, contre Dieu proprement », qu’il a fait « ce qui est désagréable à ses yeux », et s’accuser non seulement comme auteur du double crime que le prophète lui a reproché, mais comme membre pécheur d’une race pécheresse (v. 7). Mais en même temps, il soupire après une régénération de son cœur, après une création morale nouvelle (v. 12), et proclame déjà l’insuffisance des sacrifices pour obtenir au coupable le pardon de Dieu (v. 18 et 19). Cette conscience de l’universalité de la coulpe se trouve exprimée aussi Psaumes 130 ; 143.2. L’idée de la nécessité d’une régénération morale sera reprise par Jérémie et Ezéchiel, qui la voient réalisée dans l’Alliance future, destinée à remplacer l’Ancienne (Jérémie 31.31 ; Ézéchiel 11.19).
Les belles confessions de Daniel 9 et Esdras 9 ajoutent aux idées que nous venons de rappeler celle de la solidarité qui unit tous les membres d’un même corps et les rend participants de la coulpe commune, même alors que ceux qui prononcent ces confessions auraient le droit de séparer leur cause personnelle de celle de leur peuple, puisqu’ils sont eux-mêmes les représentants de ce Dieu dont la voix a été méconnue. En cela, ils se montrent les précurseurs du saint et du juste parfait, qui devait prendre sur lui les péchés du monde.
Le ministère de Jean-Baptiste se partage en deux périodes, l’une dans laquelle il baptise et prêche la repentance, comme condition d’entrée dans le nouveau royaume messianique, l’autre, qui date du baptême de Jésus, dans laquelle le précurseur rend témoignage à la personne de Jésus-Christ.
Cette première prédication de la repentance était d’autant plus nécessaire à ce moment-là que les illusions les plus étranges avaient pris possession de la conscience du peuple d’Israël. Après avoir pendant tant de siècles aspiré seulement à se confondre avec les autres nations, il affichait désormais la prétention de se placer en dehors des conditions morales faites au reste de l’humanité. Il y avait donc lieu non plus seulement de former et d’entretenir cette disposition qui s’appelle la μετάνοια, mais de détruire la forme opposée, la propre justice et la confiance charnelle dans les privilèges théocratiques et héréditaires. La nécessité d’un ministère comme celui de Jean-Baptiste, précédant celui de Jésus, résultait de cet état des esprits. Il fallait que le Messie fût annoncé par un témoin qui, avant même de proclamer les origines et la dignité de sa personne, déclarerait le caractère avant tout spirituel de l’œuvre qu’il allait accomplir, de peur qu’on ne pût accuser le Christ lui-même de réduire l’idéal messianique au niveau de sa prétendue impuissance.
Ce n’est pas que l’idéal messianique représenté par Jean-Baptiste fût complet et dégagé de toute obscurité. Le récit de Matthieu 11 nous prouve le contraire, puisqu’il arriva au précurseur lui-même d’être scandalisé dans le Messie qu’il avait annoncé ; cet idéal était incomplet, en ce qu’il avait cru, par sa faute d’ailleurs, que l’accomplissement visible du royaume de Dieu succéderait immédiatement à son avènement spirituel ; mais il s’opposait à celui des pharisiens, en ce qu’il plaçait à la base du nouvel édifice ces conditions morales, absentes des conceptions populaires.
La tâche de Jean-Baptiste était donc de convaincre ces enfants d’Abraham dégénérés, que, pour entrer dans le nouvel ordre de choses, ils avaient besoin d’un changement de dispositions et de conduite, comme les païens eux-mêmes ; qu’ils avaient à recommencer, pour ainsi dire, leur histoire, à passer une seconde fois par les flots du Jourdain pour entrer dans la Canaan nouvelle. La confession des péchés paraît avoir été exigée des pénitents, comme le signe d’une vraie et sincère repentance intérieure ; mais il devait s’y ajouter immédiatement un commencement de pratique ; il fallait faire « des œuvres convenables à la repentance, » renoncer à ces péchés et à ces vices grossiers qui ne pouvaient que rendre illusoire toute tentative de réforme. Il s’agissait de marquer leur bonne volonté en pratiquant quelques-uns de ces devoirs élémentaires de la morale naturelle offensée par eux, dont l’accomplissement fidèle, sans leur valoir le salut, les prédisposerait à le recevoir, les rendrait dignes de le reconnaître, lorsqu’il serait apparu. Ces actes de fidélité dans les petites choses devaient les préparer aux grandes (Luc 3.10-14). Ainsi, abdication de leurs prétentions charnelles, confession de leur état d’indignité devant Dieu et pratique des commandements élémentaires de la loi : tels sont les éléments de la repentance prêchée par Jean-Baptiste dans la première période de son ministère.
Le ministère de Jean-Baptiste se partage en deux périodes, l’une dans laquelle il baptise et prêche la repentance, comme condition d’entrée dans le nouveau royaume messianique, l’autre, qui date du baptême de Jésus, dans laquelle le précurseur rend témoignage à la personne de Jésus-Christ.
Cette première prédication de la repentance était d’autant plus nécessaire à ce moment-là que les illusions les plus étranges avaient pris possession de la conscience du peuple d’Israël. Après avoir pendant tant de siècles aspiré seulement à se confondre avec les autres nations, il affichait désormais la prétention de se placer en dehors des conditions morales faites au reste de l’humanité. Il y avait donc lieu non plus seulement de former et d’entretenir cette disposition qui s’appelle la μετάνοια, mais de détruire la forme opposée, la propre justice et la confiance charnelle dans les privilèges théocratiques et héréditaires. La nécessité d’un ministère comme celui de Jean-Baptiste, précédant celui de Jésus, résultait de cet état des esprits. Il fallait que le Messie fût annoncé par un témoin qui, avant même de proclamer les origines et la dignité de sa personne, déclarerait le caractère avant tout spirituel de l’œuvre qu’il allait accomplir, de peur qu’on ne pût accuser le Christ lui-même de réduire l’idéal messianique au niveau de sa prétendue impuissance.
Ce n’est pas que l’idéal messianique représenté par Jean-Baptiste fût complet et dégagé de toute obscurité. Le récit de Matthieu 11 nous prouve le contraire, puisqu’il arriva au précurseur lui-même d’être scandalisé dans le Messie qu’il avait annoncé ; cet idéal était incomplet, en ce qu’il avait cru, par sa faute d’ailleurs, que l’accomplissement visible du royaume de Dieu succéderait immédiatement à son avènement spirituel ; mais il s’opposait à celui des pharisiens, en ce qu’il plaçait à la base du nouvel édifice ces conditions morales, absentes des conceptions populaires.
La tâche de Jean-Baptiste était donc de convaincre ces enfants d’Abraham dégénérés, que, pour entrer dans le nouvel ordre de choses, ils avaient besoin d’un changement de dispositions et de conduite, comme les païens eux-mêmes ; qu’ils avaient à recommencer, pour ainsi dire, leur histoire, à passer une seconde fois par les flots du Jourdain pour entrer dans la Canaan nouvelle. La confession des péchés paraît avoir été exigée des pénitents, comme le signe d’une vraie et sincère repentance intérieure ; mais il devait s’y ajouter immédiatement un commencement de pratique ; il fallait faire « des œuvres convenables à la repentance, » renoncer à ces péchés et à ces vices grossiers qui ne pouvaient que rendre illusoire toute tentative de réforme. Il s’agissait de marquer leur bonne volonté en pratiquant quelques-uns de ces devoirs élémentaires de la morale naturelle offensée par eux, dont l’accomplissement fidèle, sans leur valoir le salut, les prédisposerait à le recevoir, les rendrait dignes de le reconnaître, lorsqu’il serait apparu. Ces actes de fidélité dans les petites choses devaient les préparer aux grandes (Luc 3.10-14). Ainsi, abdication de leurs prétentions charnelles, confession de leur état d’indignité devant Dieu et pratique des commandements élémentaires de la loi : tels sont les éléments de la repentance prêchée par Jean-Baptiste dans la première période de son ministère.
Jésus-Christ avait annoncé à ses disciples que son départ opérerait une révolution complète dans les dispositions de l’humanité à son égard, en ce que, par l’action du Saint-Esprit, le monde serait convaincu de péché en même temps que de justice et de jugement (Jean 16.8 et suiv.). C’est ce que le prophète Zacharie annonçait déjà quant au peuple d’Israël (Zacharie 12.10-14). Ce passage de saint Jean nous montre, après plusieurs autres, que ce n’est pas la loi seulement ou la menace de la punition, qui produit la connaissance du péché et la douleur d’avoir offensé Dieu ; les manifestations de la grâce sont plus puissantes même que celles de la colère pour produire ces effets. Déjà sous l’ancienne économie, ce n’est pas la loi seule, ce sont aussi les témoignages de la bonté de Dieu qui convient à la repentance (Romains 2.4). De même, et à plus forte raison, la révélation de Christ, de sa sainteté, de son amour, et surtout le spectacle de sa croix, dans laquelle la grâce et la justice de Dieu se sont réconciliées, sont les moyens les plus puissants dont Dieu se soit servi pour produire dans le cœur de l’homme cette repentance décisive qui conduit au salut éternel à travers l’humiliation et la mort.
Une loi écrite, quelque détaillée et sévère qu’elle puisse être, ne saurait jamais évoquer un idéal du bien sans lacune ou sans obscurité devant la conscience humaine, surtout devant la conscience pécheresse. Seules la vie et la personne de Christ, qui a été la loi vivante, le bien incarné, seul le spectacle du péché puni dans le saint parfait, ont pu produire sur la conscience de l’humanité cet effet durable et universel que lui-même a annoncé (Jean 12.32).
Il y a donc lieu de distinguer la repentance que l’Esprit produit dans le monde ou l’humanité christianisée depuis la Pentecôte, de celle qui y apparaissait avant cette époque décisive ; et dans la période chrétienne elle-même, il faut distinguer la connaissance ou la conviction générale du péché, produite dans le monde, de celle qui ne peut être que le fruit du Saint-Esprit chez le croyant déjà régénéré.
Depuis le sentiment général de la pauvreté spirituelle (Matthieu 5.3), qui est la forme inférieure de la repentance, depuis cette humiliation toute partielle et élémentaire, qui peut n’être causée encore que par une faute particulière, jusqu’à cette connaissance de soi-même intime et profonde où aucune faute, même la plus fugitive, n’échappe au jugement moral, il y a sans doute une variété infinie de degrés. Et cet homme, qui ne s’était d’abord reconnu coupable que de péchés isolés, arrivera enfin à reconnaître que l’égoïsme est le véritable principe même de ses œuvres jusqu’alors réputées bonnes et que la recherche de la gloire de Dieu fait défaut à sa vie et à sa conduite ; mais la connaissance de son propre cœur poussée à ce degré ne peut être qu’un fruit de l’œuvre du Saint-Esprit.
En résumé, la connaissance du péché et la réprobation du péché se trouveront chez l’homme dans la mesure même où il se rapprochera du terme de la sainteté, et nous ajouterons ce paradoxe que la repentance parfaite ne se trouvera que chez le saint parfait, qui seul aura la perspicacité morale nécessaire pour apercevoir toutes les fautes, même les plus légères, qui avaient échappé à ses investigations antérieures, et l’énergie morale nécessaire pour y appliquer la norme de la justice divine elle-même.
Or, cette repentance parfaite a été réalisée en effet chez le seul saint parfait qui se soit trouvé dans l’humanité, lequel, à défaut de ses propres péchés, est venu prendre sur lui les péchés des autres et les nôtres.
La μετάνοια, quand elle est sincère et réelle, et à quelque degré que nous la rencontrions, s’exprime nécessairement et s’accentue dans la confession des péchés, faite tout d’abord non aux hommes, mais à Dieu. C’est par la confession, ὁμολογία, que la repentance devient, pour ainsi dire, consciente d’elle-même. Avant cet acte, le sujet ne pouvait avoir la garantie que ce sentiment, qu’il prenait pour la repentance, fût quelque chose de plus qu’une connaissance purement intellectuelle du péché, ou que la simple perception d’une douleur ou d’un malheur, et non pas encore d’une coulpe ou d’une faute. En effet, confesser son péché, c’est prononcer, soit mentalement, soit verbalement, mais sincèrement et dans le for intime du cœur, l’imputation que le sujet se fait à lui-même d’une action qu’il eût pu et dû ne pas commettre ; cette confession, il la fait non à lui-même seulement ou à sa conscience, mais à Dieu, à qui seul il appartient souverainement de nous demander compte de nos actes.
Il résulte de cette définition que la simple mention de la faute, faite à notre conscience ou à Dieu, mais séparée de cette réprobation de soi-même et de cette sanction donnée par le coupable à la justice qui le menace, ne serait point encore une confession valable devant Dieu, puisque, n’ajoutant rien à sa connaissance, elle ne coûterait rien à l’orgueil de l’homme.
Cette nécessité pour la repentance de s’actualiser dans la confession, faite par le pécheur à soi-même et à Dieu, de ses fautes cachées, est souvent mentionnée dans l’Ecriture, entre autres Psaumes 32.3. Tant que le coupable s’est renfermé dans le silence de l’orgueil, se refusant à reconnaître sa faute, à en demander le pardon, et à donner gloire à la justice qui le condamnait, la tristesse qui le dévorait n’était encore que celle qui produit la mort. Aussitôt qu’il a consenti à dire : « J’ai péché contre l’Éternel », la peine de son péché a été ôtée et la communion avec son Dieu a été rétablie. (Sur cette nécessité de glorifier Dieu par la confession de sa faute, voyez encore, dans l’Ancien Testament, Josué 7.19.)
Le Nouveau Testament mentionne également la confession des péchés comme la condition indispensable du pardon et comme le seul signe irrécusable d’une repentance de bon aloi. C’est le sens de la parole de l’apôtre, 1 Corinthiens 11.31 : « Si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés. » Saint Jean va jusqu’à déclarer la justice divine engagée à ce que les péchés confessés nous soient pardonnés (1 Jean 1.9).
Un sujet très important et très difficile, c’est celui de la confession de l’homme à l’homme, mentionnée dans plus d’un passage de l’Ecriture comme devant s’ajouter à la confession de l’homme à Dieu (Matthieu 3.6 ; Jacques 5.16). Ce précepte a été, comme tant d’autres, matérialisé par le catholicisme, qui en a fait la confession au prêtre. Dans saint Jacques, au contraire, elle est mutuelle : « Confessez vos fautes les uns aux autres. » Nous n’irons pas jusqu’à dire que la confession de l’homme à l’homme soit le critère indispensable de toute repentance et doive toujours suivre la confession à Dieu. Nous croyons qu’il y a des cas où celle-ci peut et doit suffire. Nous pensons même que la confession publique faite sans discernement peut avoir de graves dangers et être plus nuisible que salutaire à la cause de Dieu. En tout cas, elle doit être le fruit d’une profonde humiliation et ne jamais servir de motif oratoire, comme on l’a vu quelquefois. Rien de plus repoussant que la confession devenue boniment. Il n’y en a pas moins des cas où le précepte de Jacques trouve son application obligatoire : ce sont ceux où il s’agit de réparer un scandale infligé à la cause de Dieu, — cette confession sera publique ou privée selon la nature du scandale lui-même, — ou un tort, mensonge ou infidélité, commis envers le prochain, qui a dans ce cas le droit d’être le témoin de l’humiliation du coupable. Dans bien des cas aussi la conscience d’un coupable n’a pu être soulagée d’un secret qui l’oppressait que par la confession de la faute à un homme désigné par Dieu même pour recevoir cette confession. On peut dire que la confession à l’homme est alors la sanction de la sincérité de la confession à Dieu, comme celle-ci à son tour est le critère de la vraie repentance elle-même. La repentance doit se confirmer également par des œuvres dignes d’elle (Luc 3.8) : actes de fidélité accomplis dans les situations diverses où le sujet est placé ; tentatives isolées encore et partielles, mais consciencieuses, et qui attestent son désir de retour au bien ; nommons en particulier la réparation du dommage causé au prochain, comme le signe indispensable d’une repentance de bon aloi et la seule garantie de son efficacité (Lévitique 5.5 ; Nombres 5.7).
Pour résumer les caractères et les critères de la repentance, tels qu’ils viennent de nous apparaître, nous dirons que nous la distinguons :
- Du simple regret, en ce qu’elle porte sur une faute morale que le sujet s’impute à lui-même avec réprobation, tandis que le regret peut ne porter que sur des erreurs que le sujet pourrait avoir commises dans l’ordre de ses intérêts matériels et dont les conséquences n’ont pas de caractère moral ou même étaient indépendantes de sa volonté ;
- De la simple reconnaissance du péché collectif de l’humanité, auquel le sujet participe et dans lequel il peut encore chercher au besoin un motif de justification, plutôt que d’humiliation ;
- De la reconnaissance du péché individuel, pour autant que ce péché est imputé par le moi aux circonstances extérieures, ou que la responsabilité en est rejetée sur les agents qui l’environnent plutôt que sur le moi lui-même ;
- De la reconnaissance du péché, accompagnée de regret sans doute, mais d’un regret portant sur les conséquences temporelles et matérielles de la faute, plutôt que sur l’essence morale de la faute elle-même ; car cette reconnaissance du péché ne serait pas accompagnée d’une aspiration du pécheur vers le bien ;
- De la reconnaissance du péché, accompagnée de tristesse, mais d’une tristesse causée par le dépit de s’être porté une offense à soi-même, de s’être rendu méprisable à ses propres yeux et au jugement de sa conscience, plutôt que d’avoir offensé la justice de Dieu et contristé son amour ;
- Du sentiment désespéré du péché qui, sous la forme du remords, se rencontre et surgit tout à coup chez les pécheurs les plus endurcis, chez un Judas par exemple, sans les ramener au bien et à Dieu, parce que cette confession de la faute n’est plus faite à Dieu, mais à soi-même, et n’est que l’expression de l’intelligence absolue du mal dans le pervertissement absolu de la volonté.
Ce sont là autant de formes diverses de cette « tristesse selon le monde » qui, si elle produit quelque chose, ne peut produire que la mort (2 Corinthiens 7.10). En regard de ces formes étrangères et opposées à la véritable repentance, nous disons au contraire que celle-ci renferme :
- Une connaissance au moins élémentaire de la loi et de la volonté de Dieu ;
- Une condamnation du péché, soit collectif, soit individuel, en tant que mal et opposition absolue au bien, c’est-à-dire à Dieu et à sa volonté ;
- Une certaine connaissance de son propre état individuel, connaissance se rapportant tout d’abord aux actes particuliers, mais visant de plus en plus une nature corrompue et s’accompagnant d’un sentiment, si vague et si indéfini soit-il, de mécontentement de soi-même ;
- L’imputation plus ou moins directe que je me fais à moi-même de cet état et la réprobation que j’y attache, en me reconnaissant l’auteur du mal dont je souffre et le violateur de la loi de Dieu qui m’avait été révélée ;
- La résolution formelle et sincère de renoncer pour l’avenir au mal qui est l’objet de cette réprobation ;
- La confession à Dieu de ma faute ou de mes fautes ;
- Le soupir après la grâce divine qui me délivre à la fois de la condamnation et de la puissance du péché.
Il résulte de l’enseignement de l’Ecriture, et en particulier de celui de Jésus-Christ, que la μετάvοια est d’une obligation universelle et que quiconque se croit juste et se déclare satisfait de lui-même et de son état, se met par ce seul fait en dehors des conditions du salut. Les déclarations de cette nature sont si nombreuses que nous nous en tiendrons à la première qui soit sortie de la bouche de Jésus-Christ, en réponse à ses adversaires : Matthieu 9.12.
L’obligation universelle de la repentance ne résulte pas seulement du fait que tous sont pécheurs, car on pourrait admettre alors avec Spinoza, Fichte et tous les disciples de la morale naturelle, qu’il suffit d’améliorer sa conduite à venir, sans perdre de temps à ce retour sur le passé qui s’appelle le repentir, et la notion de μετάνοια se confondrait avec celle d’amendement moral. Cette obligation résulte du fait de l’universalité de la coulpe, qui place tous les pécheurs sans distinction dans la nécessité de se condamner eux-mêmes comme injustes devant Dieu (Romains 3.23). Il ne suffit pas, en effet, de mettre en règle son présent et son avenir pour être quitte envers la justice ; il faut s’acquitter à l’égard du passé, qui accuse le pécheur, même corrigé. Le plus juste des hommes étant, au point de vue absolu de la justice, privé de la gloire qui vient de Dieu (Romains 3.23), il est tenu à condamner son état passé aussi bien que le plus pécheur et doit désirer une justice qui n’est point de lui. Nous l’avons même vu : le degré et l’intensité de son repentir se mesurera au degré de sa valeur morale.
Tous, sans distinction, doivent donc demander non seulement : Comment s’y prendre pour bien faire et mieux faire ? mais : Comment s’y prendre pour être tenu pour quitte des offenses passées commises contre Dieu ? Et tous poseront ces questions, dès qu’ils ouvriront leur cœur aux influences de la grâce prévenante qui convainc de péché avant de justifier et de sauver.
Cette obligation universelle de la repentance ne s’étend pas seulement à tout homme encore inconverti, comme condition du pardon et du salut, mais à toute la durée de la vie morale dans l’économie présente, comme condition du maintien du croyant, même converti, justifié et régénéré, dans l’état de grâce. Si donc il est vrai que le premier degré de la μετάνοια forme le prius dans l’œuvre du salut, il n’en résulte pas que son rôle soit restreint à cette époque initiale de la vie nouvelle ; elle a sa place nécessaire chez tout individu en qui le péché, même pardonné et vaincu, existe encore en fait. Il n’est pas possible, en effet, que le péché commis ne soit pas jugé, soit par son auteur, même dans le temps de la grâce, soit par le Juge suprême, au jour de la justice (1 Corinthiens 11.31). Tout péché révélé à la conscience du chrétien, même justifié et sanctifié par la discipline du Saint-Esprit, doit être aussitôt jugé et condamné dans son for intime, sous peine de demeurer sur sa conscience comme un interdit, menaçant ses relations avec Dieu.
Toutefois, il restera toujours entre la repentance requise de l’homme naturel pour arriver à la conversion et au salut, et celle commandée au croyant converti et déjà régénéré pour s’y maintenir, cette différence essentielle, que ce dernier ne saurait remettre en question son état de grâce à propos de chaque chute particulière soumise à la discipline de sa conscience et du Saint-Esprit, et que, si vive et profonde que doive être son humiliation après chaque faute, elle s’associe pourtant encore en lui avec son état de justice, tandis que le pécheur encore inconverti, même quand il n’apercevrait encore que quelques fautes isolées dans son passé, se sent obligé, s’il est sincère, de s’avouer en dehors de l’état de grâce. Les repentances de l’un ne peuvent porter que sur des fautes particulières qui ne sont que des accidents dans sa carrière morale ; la repentance de l’autre, pour être efficace à salut, et quel qu’en soit d’ailleurs le degré, porte sur son état moral tout entier.
L’obligation de la μετάνοια a été et est encore violée par différentes causes que nous pouvons réduire à deux principales. Ou bien le pécheur reste encore attaché à son passé ; il porte en lui des idoles qu’il n’est pas résolu de briser ; il est disposé à accepter de la part de Dieu le pardon, mais non la loi et le commandement de la sainteté. Ou bien, tout en désavouant le mal, il se refuse à se reconnaître soi-même en état d’offense à l’égard de la justice de Dieu. Le premier de ces cas est l’antinomisme, le second la propre justice.
La propre justice, expression créée par Paul (Romains 10.3 ; comp. Philippiens 3.9, l’expression parallèle : ἡ ἐμὴ δικαιοσύη), désigne la disposition de l’homme dans laquelle il prétend avoir satisfait aux exigences de la justice divine par le seul moyen de ses forces propres, naturelles ou acquises, tout en méconnaissant la nécessité d’un secours surnaturel pour satisfaire dans le présent et dans l’avenir à la totalité de l’obligation morale. Comme cette satisfaction de soi-même ne saurait aller sans une altération de l’idée morale, la propre justice a pour effet nécessaire de substituer dans l’obligation morale les pratiques extérieures et les formules, c’est-à-dire les apparences de la vie morale, à la vie morale elle-même. C’est le vice des Pharisiens, que Jésus leur reproche sous le nom d’hypocrisie. L’hypocrisie des Pharisiens ne consistait pas nécessairement, comme le terme français l’emporterait, à simuler aux yeux des autres, sans en être dupe soi-même, des sentiments que l’on n’a pas (Matthieu 6.16), mais à se faire illusion à soi-même, en prétendant, avec une sincérité relative, servir Dieu par des pratiques et des formules dont la disposition morale serait absente (Marc 7.6).
La propre justice est illustrée dans l’Evangile par l’exemple de Simon le pharisien (Luc 7.36) et du personnage que Jésus oppose au péager dans la parabole (Luc 18.10). Le trait commun à l’un et à l’autre, c’est qu’ils s’estiment justes dans leur état actuel, et qu’ils se comparent à ce point de vue à autrui. Le pharisien de la parabole ne refuse pas absolument de rapporter à Dieu l’honneur de ses vertus, puisqu’il commence par dire : « O Dieu, je te rends grâces » ; mais il n’a rien à demander pour l’avenir. En réalité, il ne prie pas, et l’action de grâces qu’il prononce est un monologue πρὸς ἑαυτὸν προση(υχετο.
Ces deux tendances, antinomisme ou libertinisme et propre justice, sont d’ailleurs parfaitement compatibles l’une avec l’autre dans le même moment et chez le même individu. Ce ne sont pas les honnêtes gens seuls qui sont exposés à la propre justice, ni eux seuls qui y tombent. L’on voit des criminels, condamnés par la morale et la justice humaine, trouver moyen de se comparer avec satisfaction à d’autres et de se justifier devant Dieu ; et d’un autre côté, le plus honnête homme, s’il sonde son cœur, arrivera à se reconnaître dans le débiteur des 500 deniers plutôt que dans celui des 50. L’on entendra même des péagers d’aujourd’hui renverser les termes de la prière du pharisien et dire : « O Dieu, je te rends grâces de ce que je ne suis pas orgueilleux comme lui » ; tant le cœur humain connaît de détours et de ruses !
C’est que ces deux principes qui, chez la plupart des hommes, s’opposent à la conversion et à la régénération sont deux manifestations de cette essence unique du péché que nous avons définie par l’égoïsme. Quoi de plus naturel, dès lors, que de voir ces deux formes du péché, opposées en apparence, unies au fond, se rencontrer et s’associer ? La recherche orgueilleuse du bien et l’attachement déclaré au mal ne sont que deux variétés de la même opposition à la volonté de Dieu : dans un cas le moi prétend trouver la justice en lui-même ; dans l’autre il ne se soucie plus même de la chercher ; dans l’un comme dans l’autre, il cherche sa satisfaction, son bonheur, son bien et son salut ailleurs que là où Dieu les a placés, et par là se déclare rebelle à Dieu et à sa volonté (Romains 10.3). La propre justice est condamnée, aussi bien que l’immoralité, dans la parole de Jésus-Christ : « Si quelqu’un veut venir après moi, qu’il renonce à soi-même, » s’il est vrai qu’elle soit l’une des formes de la recherche de soi-même, de l’idolâtrie du moi.
L’Evangile ne nous raconte pas d’ailleurs que tous les Pharisiens se soient opposés au Seigneur, ni que tous les péagers soient venus à lui ; et c’est une grande erreur, ce fut celle de quelques représentants du Réveil, de statuer je ne sais quelle incompatibilité entre l’honnêteté extérieure et la repentance, d’exclure à peu près les honnêtes gens de l’Alliance de grâce pour n’y admettre que les grossiers pécheurs. De ce que l’honnêteté extérieure ne suffit pas devant la loi morale absolue, et au jugement même de celui qui la possède, aussitôt qu’il a été éclairé par la grâce, il ne s’en suit point que cette honnêteté soit en elle-même un obstacle à la repentance et à la foi. Elle n’en est un que lorsque elle est accompagnée de suffisance, qu’elle s’érige en moyen de salut, en justice propre, et qu’elle devient, comme chez certains pharisiens, une cause d’aveuglement. Mais, en soi, il vaut toujours mieux avoir été honnête homme que mauvais sujet, et l’expérience des grands péchés, le souvenir d’une jeunesse orageuse, ne nous sont jamais présentés dans l’Ecriture comme des avantages. Le psalmiste demande au contraire d’être préservé des grands péchés (Psaumes 19.14), d’être pardonné des péchés de sa jeunesse (Psaumes 25.7). Le jeune homme qui put se rendre le témoignage sincère, quoique inintelligent, « d’avoir observé toutes ces choses dès sa jeunesse », fut l’objet d’un regard d’amour de la part du Seigneur (Marc 10.24 ; comp. 1 Jean 2.14).
Si, du temps du Seigneur, les honnêtes gens, sous le nom des Pharisiens, se montrèrent habituellement opposés à Jésus-Christ, et furent devancés dans le Royaume de Dieu par les péagers, et si ceux-ci sont généralement préférés aux premiers par le Seigneur, cela tient à ce que la connaissance religieuse qui existait chez les uns avait fait défaut aux autres. Les uns se montrent rebelles à la vérité jusqu’aux confins du blasphème contre le Saint-Esprit (Matthieu 12) ; l’honnêteté extérieure n’était que le revêtement trompeur d’âmes chargées de toutes sortes de souillures : elle n’était qu’une habileté pervertie (Matthieu 23). Les péagers, au contraire, semblables à des natures en friche qui n’avaient goûté jusqu’ici que les amertumes et les opprobres du péché, se montrent plus accessibles à la vérité et au salut qui leur sont offerts en Jésus-Christ.
Les rôles semblent intervertis aujourd’hui, et l’expérience a montré qu’il y a peu d’espoir à fonder sur ceux qu’on peut appeler les grands pécheurs qualifiés ; ce ne sont pas les ivrognes et les débauchés convertis qui remplissent les églises. Cela tient à ce que ces pécheurs de profession ont tous été plus ou moins instruits dans la vérité et ont dû, pour arriver au point d’immoralité où ils sont, repousser plus ou moins sciemment la vérité, et, pour ainsi dire, ajouter aux péchés des péagers celui des Pharisiens d’autrefois.
Disons que toute âme d’homme doit inévitablement aboutir à l’un ou à l’autre de ces deux états : l’impénitence ou l’amendement ; et que l’impénitence peut revêtir deux formes alternantes ou successives : celle de la sécurité ou de l’endurcissement dans l’aveuglement, et celle du désespoir, car le désespoir n’est que le remords dans l’impénitence, le schisme déclaré chez la créature en scission avec son Dieu ; le désespoir dans le mal, succédant à la sécurité dans le mal, à l’impénitence dans l’insensibilité (1 Timothée 4.2 ; Éphésiens 4.18 ; Jean 12.40). La repentance, dans l’état d’endurcissement qui résulte d’un long abus de la grâce, finit par devenir impossible, par l’effet du racornissement des organes de la vie morale et du jugement de Dieu s’exerçant sur le coupable (Hébreux 6.6).
Il y a sans doute dans le cours de l’histoire des cas très nombreux où l’endurcissement n’est pas définitif ; l’impénitence n’est pas toujours finale ; elle ne l’est pas lorsque le coupable n’a pas encore été mis en présence de la révélation définitive du salut. Comme il n’y a de conversion définitive au bien, — nous allons le voir, — que dans la conversion à Jésus-Christ, il ne saurait non plus y avoir d’endurcissement définitif que dans l’opposition ouverte à Jésus-Christ. Cet endurcissement pourra s’allier pour un temps à l’indifférence ; le pécheur vivra dans une paix trompeuse. Mais cette forme ne peut être définitive. Tôt ou tard, il faut que le mal se juge lui-même ; et, faute d’avoir prononcé ce jugement dans le temps de la grâce, le coupable devra ratifier un jour, pour son châtiment, le jugement irrévocable qui le frappera, et reconnaître que Dieu est juste, qu’on ne se joue pas de lui, que l’homme moissonne ce qu’il a semé, et que le malheur est attaché au mal. Tel sera l’état du damné : l’impénitence dans le schisme du coupable avec Dieu et avec lui-même.