Entre les autorités souvent invoquées dans les luttes monophysites et surtout monothélites, se trouvent les écrits d’un auteur qui se nomme lui-même Denys et veut évidemment passer pour saint Denys l’Aréopagite, disciple de saint Paul et évêque d’Athènes. Nous avons encore ces écrits, ils comprennent quatre traités et dix lettres.
Les traités sont dédiés par l’auteur à son collègue en presbytérat (συμπρεσβύτερος) Timothée. C’est d’abord un livre Sur la hiérarchie céleste (Περὶ τῆς οὐρανίας ἱεραρχίας) en quinze chapitres, qui traite des anges, de leurs fonctions et de leurs noms, et de leurs ordres respectifs. C’est là que, pour la première fois, on trouve les anges distribués en trois classes comprenant elles-mêmes chacune trois chœurs : ce sont, par ordre descendant, les séraphins, les chérubins et les trônes, occupés seulement de Dieu ; les dominations, les puissances et les vertus, à qui est confié le soin du monde en général ; les principautés, les archanges et les anges, qui doivent veiller sur les hommes en particulier.
Le second traité, De la hiérarchie ecclésiastique (Περὶ τῆς ἐκκλησιαστικῆς ἱεραρχίας), en sept chapitres, montre d’abord que cette hiérarchie est calquée sur la hiérarchie céleste, et exerce des fonctions analogues. Puis il décrit les rites du baptême, de l’eucharistie, de la confirmation, des diverses ordinations (évêques, prêtres et diacres) et de la profession monastique solennelle. Viennent enfin des indications sur les cérémonies des funérailles et sur le baptême des enfants. C’est dans cet ouvrage que l’on a cru trouver plus tard indiqués les trois degrés de la vie spirituelle, voie purgative, voie illuminative, voie unitive.
Le troisième traité Des noms divins (Περὶ ϑείων ὀνομάτων) explique, en treize chapitres, les noms que Dieu s’est donnés à lui-même dans l’Écriture, et qui nous font connaître ses perfections.
Enfin, le quatrième traité, De la théologie mystique (Περὶ τῆς μυστικῆς ϑεολογίας), en cinq chapitres, traite de Dieu comme de l’être superintelligible et ineffable, à qui cependant nous pouvons être unis, dès cette vie, d’une union intime et plus ou moins extatique.
Les dix lettres que nous possédons sont adressées, les quatre premières au thérapeute (moine) Caius ; la cinquième au liturge (diacre) Dorothée sur l’obscurité divine ; la sixième au prêtre Sosipater ; la septième au hiérarque (évêque) Polycarpe ; la huitième au moine Démophile ; la neuvième au hiérarque Tite ; la dixième « à Jean le Théologien, apôtre et évangéliste, exilé dans l’île de Patmos ». Trois autres lettres qui n’existent plus qu’en latin, à Allophanes, à Timothée et à Tite, ne sont pas de l’auteur des écrits aréopagitiques.
C’est au colloque qui se tint, en 533, à Constantinople, entre catholiques et monophysites sévériens, que ces écrits firent, pour la première fois, leur apparition. Cités par les sévériens comme l’œuvre de Denys l’Aréopagite, ils furent repoussés par les catholiques comme un faux. Au siècle suivant cependant, les catholiques eux-mêmes, sous l’influence surtout de saint Maxime le Confesseur qui les commenta, en admirent l’authenticité, et cette acceptation persévéra pendant tout le moyen âge. Peu d’ouvrages ont joui, parmi les théologiens de cette époque, d’autant de prestige et d’autorité.
Il n’est pas douteux cependant qu’ils ne soient l’œuvre d’un faussaire. L’auteur n’est sûrement pas, comme il le prétend, un contemporain des apôtres, de Tite, de Timothée, de Polycarpe ; il n’a connu ni la Sainte Vierge ni saint Jean. Ses livres supposent le monachisme florissant et organisé ; il a lu et il exploite les écrits du néoplatonicien Proclus (411-485), et cite notamment son traité De malorum subsistentia ; il parle de l’usage de chanter le Credo à la messe, usage qui n’a été introduit par les monophysites à Antioche qu’en 476 et que les catholiques n’adoptèrent qu’après eux. Comme, d’autre part, ses ouvrages sont cités par Sévère d’Antioche et, au plus tard, en 533, il s’ensuit qu’il a dû écrire vers la fin du ve ou dans les premières années du vie siècle. On ne saurait le faire remonter plus haut.
Qui est, en réalité, cet auteur ? On n’a pu, jusqu’à présent, le déterminer. Seulement, le fait qu’il a été mis en avant d’abord par les monophysites, et le soin qu’il a pris lui-même, en parlant de Jésus-Christ, d’éviter les termes une ou deux natures, tout on enseignant l’existence d’« une nouvelle opération théandrique », font soupçonner que cet auteur était un partisan de l’hénotique promulgué en 482, c’est-à-dire un monophysite politique, s’intéressant peut-être assez peu aux controverses de son temps. Il semble qu’il ait écrit en Syrie plutôt qu’en Egypte.
C’était sûrement un philosophe et un esprit qui ne manquait ni d’originalité ni de puissance. L’intérêt de son œuvre est dans la tentative qu’il a faite, d’une part, pour introduire dans la théologie chrétienne les conceptions et les procédés néoplatoniciens et, de l’autre, « pour donner un exposé rigoureux de la théologie mystique et la souder étroitement à la théologie ecclésiastique, dont elle ne paraît être, dans son système, qu’une interprétation plus haute ». Son style est généralement maniéré et obscur, rempli de mots forgés exprès et de termes empruntés à la langue des anciens mystères païens. Il lui a paru que cette obscurité voulue convenait bien à la hauteur des enseignements qu’il voulait donner.
Le pseudo-Aréopagite fait plusieurs fois mention, dans ses œuvres, d’un certain Hiérothée qui aurait été son maître, et à qui il attribue des ouvrages. On ne sait ce qu’il en faut croire, il existe bien, en syriaque, un Livre d’Hiérothée sur les mystères cachés de la Divinité, que l’on croit composé par le moine panthéiste Bar Sudaïli (vers 500) ; mais Bar Sudaïli a pu prendre lui-même ce nom aux ouvrages de Denys.