Après avoir choisi Israël, Dieu devint son père, et Israël à son tour devint son fils premier-né, sa propriété spéciale, la nation sainte, un peuple de sacrificateurs ; tout autant de notions corrélatives et dont l’une implique l’autre.
1° Dieu est le père de son peuple, non pas physiquement, en tant que c’est Dieu qui donne la vie et qui la conserve, mais moralement, parce qu’il aime son peuple et qu’il est entré dans un rapport intime avec lui. Ce rapport est unique en son genre. Jéhovah n’est le père que de son peuple d’Israël, et non point des autres nations. Quand il fait dire à Pharaon (Exode 4.22) : « Israël est mon fils premier-né, c’est pourquoi je te le dis, laisse aller mon fils afin qu’il me serve, » on peut voir dans l’expression de fils premier-né une allusion à l’adoption d’autres nations qui entreront un jour vis-à-vis de l’Éternel dans une relation semblable à celle d’Israël ; mais ce n’est pas là ce que veut dire tout d’abord ce passage ; en voici, croyons-nous, le premier sens : « Israël est pour l’Éternel ce qu’est pour Pharaon son fils premier-né. » — C’est de cette manière aussi qu’il faut entendre Deutéronome 32.6. « Est-ce donc ainsi que tu récompenses l’Éternel, peuple insensé ? N’est-il pas ton père qui t’a acquis, fait et formé ? » Pas question ici de la création, à laquelle tous les peuples doivent leur existence ; mais bien de tous ces actes divins, conséquence de l’élection, en vertu desquels il y a maintenant dans le monde un peuple qui est le peuple de Dieu. — Il en est exactement de même de Ésaïe 43.1,15 ; 45.11, où Jéhovah est appelé le créateur de son peuple et Celui qui l’a formé. Tout ce qu’Israël est et tout ce qu’il a, il le doit à la grâce efficace de son Dieu (Ésaïe 64.7 ; Psaumes 100.3). — Dieu s’est montré le père de son peuple en le délivrant de la maison de servitude (Osée 11.1), en le conduisant dans le désert et en y faisant son éducation (Deutéronome 8.5 ; Osée 11.3) ; et toutes les délivrances futures seront autant de nouvelles preuves de l’amour paternel de Dieu pour son peuple (Ésaïe 63.16). Quand Jérémie annonce le retour dans leur patrie des dix tribus exilées, qui reviendront en pleurant de joie sous la conduite de l’Éternel, il fait dire à Dieu : « Alors je leur serai un père (Jérémie 31.9)g. Telle est aussi la notion de père dans Malachie 2.10, comparé à Malachie 1.6. Le prophète reproche aux Israélites de s’être unis avec des païennes après avoir répudié leurs épouses juives. « N’avons-nous pas tous un même Père ? Un seul Dieu ne vous a-t-il pas créés ? Pourquoi chacun agit-il perfidement contre son frère en violant l’alliance de nos pères ? » Impossible d’admettre qu’il soit question ici de la création physique, commune aux Israélites et aux païens. — Le peuple dans son ensemble étant un fils de Dieu, les personnes qui le composent sont aussi quelquefois appelées de ce nom. Ainsi Deutéronome 14.1. Mais cela ne veut toutefois point dire que chaque membre de la théocratie puisse, dans le mosaïsme, s’appeler individuellement un fils de Dieu. Cela ne sera le cas que plus tard, ainsi que nous le verrons dans la théologie prophétique.
g – Voyez 20 : Ephraïm m’est-il un fils si précieux ?
2° Du moment qu’Israël est l’objet, de l’élection de Dieu, il devient le peuple qui lui appartient en propre, un peuple saint. A peine Moïse a-t-il dit aux Israélites qu’ils sont les enfants de l’Éternel leur Dieu (Deutéronome 14.1), qu’il ajoute au v. 2 : « Tu es un peuple saint à l’Éternel ; l’Éternel t’a élu, pour lui être un peuple qui lui appartienne en propre, préférablement à tous les autres peuples. » [Voyez Deutéronome 7.6, et pour le mot segoulla, סגלה, possession. Exode 19.5 ; Psaumes 135.4. Il y a dans ce mot l’idée d’une propriété précieuse, qu’on met de côté. Les Septante : λαός περιούσιος.] Dans l’expression correspondante עם נחלה, peuple de son héritage (Deutéronome 4.20), il y a l’idée que Dieu s’est acquis ce peuple par un acte particulier (comparez § 83). Dans la dénomination de peuple saint, il y a deux choses, ainsi qu’il est facile de le penser d’après § 44. Il y a, négativement, que ce peuple est mis à part de tous les autres, et, positivement, qu’il est introduit dans la sainte communion de son Dieu. « Je vous ai amenés à moi » (Exode 19.4 ; Lévitique 20.24,26). C’est en vertu de la relation spéciale qu’il soutient avec Dieu, qu’Israël est un מ.ֻמלכה כהנים, royaume de sacrificateurs (Exode 19.6). Nous traduisons : royaume. On pourrait traduire : royauté, avec les Septante ; cela voudrait dire alors que le peuple d’Israël est à la fois un peuple de rois et un peuple de sacrificateurs (1 Pierre 2.9 ; Apocalypse 1.6 ; 5.10). Mais ce serait ici un passage unique en son genre, car l’A. T., qui accorde il est vrai au peuple de Dieu une certaine domination sur les autres nations, ne l’appelle pourtant nulle part un peuple royal. Il vaut donc mieux se contenter de la traduction la plus naturelle : un royaume de prêtres, c’est-à-dire une assemblée, un peuple de prêtres ayant Jéhovah pour roi. Pourquoi Israël est-il appelé un peuple de prêtres ? D’abord parce qu’il est appelé à adorer Dieu directement et sans intermédiaireh. Puis parce que lui-même il sert d’intermédiaire entre Dieu et les autres nations, dépendant ce second point n’est pas développé dans le Pentateuque. Ce que Moïse accentue surtout, c’est le fait qu’Israël est mis à part des autres peuples, ainsi qu’on le voit déjà extérieurement par sa position géographique (Nombres 23.9 ; Deutéronome 33.28), puis par l’exclusion de la communauté de tous les impurs, eunuques et gens qui sont nés d’unions incestueusesi ou qui sont temporairement souillés. Quant au côté positif de la sainteté, Dieu le communique au peuple en y faisant sa demeure, en se révélant à lui par des faits ou par la parole, en le dotant d’institutions portant le cachet des grâces toutes spéciales qu’il lui accorde, et enfin en faisant reposer son Esprit sur l’assemblée.
h – Nous reviendrons plus tard, à propos du sacerdoce, sur les pensées que nous ne faisons ici que d’indiquer.
i – Tel est probablement le sens du mot obscur : Mamezèr, מ.ֻמזר.
Tout cela cependant n’établit encore qu’une relation objective avec Dieu. C’est uniquement en vertu de sa naissance naturelle et parce qu’il fait partie de l’assemblée sainte, qu’il peut être question pour l’Israélite d’une sainteté quelconque, et non point en vertu d’une nouvelle naissance ou d’une communion spirituelle avec Dieu, car l’Esprit de Dieu, quoique reposant sur l’assemblée (Ésaïe 63.11) n’anime pourtant que les chefs de la théocratie (Nombres 11.16 et sq., § 65). Ajoutons néanmoins que l’A. T. lui-même fait déjà pressentir que le peuple renferme deux Israëls, l’Israël selon la chair, et le véritable Israël qui cherche Dieu (Psaumes 24.6), la race des enfants de Dieu (Psaumes 73.15). Aussi les expressions de « nation sainte, de royaume de prêtres, de peuple qui m’appartient en propre, » sont-elles riches des plus glorieuses promesses, promesses qui s’accompliront alors que les Israélites de l’avenir mériteront d’être appelés dans le vrai sens du mot les enfants du Dieu vivant (Osée 2.1).
3° De même que Jéhovah est le seul vrai Dieu et que tous les faux dieux sont des dieux de néant. (§ 43), de même Israël est un peuple unique en son genre, et, toutes les autres nations ne forment tout autour de lui qu’un seul grand corpsj, qu’une grande masse profane.
j – גוים, goïm, exprime une notion purement quantitative.
Il y a une bien plus grande différence entre les Israélites et les païens, qu’entre les païens les plus différents les uns des autres, comme par exemple les Hellènes et les Barbares. Diodore de Sicile signale le fait que les Juifs étaient de tous les peuples du monde celui qui évitait le plus soigneusement toute espèce de mélange avec les autres hommes (Eklog, 34). De là la haine violente dont ils étaient les objets de la part des Gentils.
Mais le mosaïsme lui-même est loin de favoriser un particularisme absolu. Dès leur sortie d’Egypte, les Hébreux accueillent dans leur sein des éléments étrangers (Exode 12.38 ; Lévitique 24.10 ; Nombres 11.4). Puis il est loisible aux Gentils de se faire incorporer par la circoncision au peuple de l’alliance, et de devenir ainsi participants des bénédictions spéciales dont il est l’objet. Les Cananéens seuls, auxquels viennent s’ajouter dans Deutéronome 23.4 et sq. , les Moabites et les Ammonites, ne doivent pas être admis à la circoncision. Quant, aux Edomites et aux Egyptiens, leur naturalisation ne peut avoir lieu qu’au bout de la troisième génération ; c’est-à-dire que ce ne sont que les arrière-petits-fils d’Edomites et d’Egyptiens ayant vécu comme étrangers dans le pays d’Israël, qui peuvent recevoir le signe de la circoncision et être mis par là sur le même pied que les descendants d’Abraham. Exode 12.44, recommande positivement aux maîtres Israélites d’incorporer à leur famille les esclaves païens au moyen de la circoncision. Il résulte en effet de Genèse 17.12, comparé à 23, où Abraham est obligé de circoncire tous ses serviteurs nés dans sa maison ou achetés, que ce passage de l’Exode ne renferme pas une permission, mais un ordrek.
k – Nous parlerons au § 111 de la position des esclaves étrangers au service des Israélites.