Le premier paragraphe de ce chapitre a brièvement énuméré les écrivains grecs qui attaquèrent les décisions du concile de Chalcédoinea. Nous parlerons ici de ceux qui les ont défendues. On les voit apparaître surtout au commencement du vie siècle. Plusieurs d’entre eux, il est vrai, font à leurs adversaires des concessions excessives : dans l’ensemble cependant ils leur opposent des réponses victorieuses, et fournissent sur le problème dogmatique des explications que la théologie ultérieure a ratifiées.
a – Pour avoir une idée plus complète de l’armée des attaquants, il faut joindre aux grecs les monophysites syriens dont il sera question au chapitre suivant, 14.1.
Voici les principaux : le moine palestinien Nephalius, qui composa, avant l’an 508, un discours contre Sévère d’Antioche et une apologie du concile de Chalcédoine ; — le patriarche de Constantinople, Macedonius (496-511), auteur d’un florilège patristique contre le monophysisme ; — Jean le Grammairien, donné parfois comme évêque de Césarée (en Palestine), qui écrivit une critique du Philalète de Sévère (vers 510) et une Apologie du concile de Chalcédoine (vers 515-520) à laquelle Sévère répondit par le Contra Grammaticum ; — Jean de Scythopolis, auteur lui aussi, vers 515-520, d’une longue apologie du concile de Chalcédoine et, plus tard, d’un ouvrage contre Sévère cité par le sixième concile général de 680 ; le moine Jean Maxence, le porte-parole des moines scythes, adversaire à la fois du nestorianisme, du monophysisme et du pélagianisme : on a de lui un mémoire aux légats d’Hormisdas (519), une réponse à la lettre du pape (520), des Dialogues contre les nestoriens, un Livre contre les acéphales (monophysites) et quelques autres menus écrits ; — un autre moine nommé Jobius (première moitié du vie siècle), dont Photius (cod. 222) a signalé un ouvrage contre Sévère et analysé longuement un Commentaire sur l’Incarnation ; — un troisième moine, nommé Eustathe, auteur d’une lettre remarquable contre Sévère Sur les deux natures ; — puis ceux que l’on peut considérer comme les trois précurseurs et maîtres de Léonce de Byzance, de leur temps aussi appréciés que lui : l’évêque de Chalcédoine, Héraclien (commencement du vie siècle), auteur d’un ouvrage contre Sotericus, évêque eutychien de Césarée de Cappadoce, et d’une réfutation du manichéisme en vingt livres que Photius (cod. 85) a louée ; — le patriarche d’Antioche Éphrem (527-545), un des hommes les plus estimés de son époque. Il avait été d’abord comte d’Orient et fut, comme saint Ambroise, élevé ensuite à l’épiscopat. Photius (cod. 228) signale de lui plusieurs volumes dont trois étaient entre ses mains, mais il n’en a analysé que deux. Le premier (cod. 228) était un recueil de lettres dogmatiques, auxquelles faisaient suite huit discours pour différentes fêtes ou circonstances liturgiques. Le second (cod. 229) contenait un ouvrage en quatre livres, ayant tous pour objet — le deuxième excepté — la justification de l’orthodoxie chalcédonienne et la réfutation de Sévère. Éphrem n’a certainement pas composé ces écrits avant de devenir évêque en 527 ; mais il l’a sans doute fait peu après cette date, car, vers 537, il était déjà considéré comme le représentant le plus en vue de l’orthodoxie. — Enfin le troisième précurseur de Léonce de Byzance est l’auteur de la Panoplia dogmatica éditée par Mai, auteur que l’on croit être Pamphile de Jérusalem, l’ami de Cosmas Indicopleustès. L’ouvrage est antérieur à l’an 540 et offre, avec les écrits de Léonce, les ressemblances les plus frappantes d’expressions et d’idées.
Venons à Léonce lui-même. Il était né plus probablement à Byzance, vers l’an 485, d’une famille noble, et de bonne heure embrassa la vie monastique. Un moment, il traversa ou côtoya du moins le nestorianisme : de nouveaux maîtres qu’il rencontra dans ses voyages le ramenèrent à des idées plus saines. On croit qu’il fut un des quatre moines scythes qui, en 519, plaidèrent, auprès des délégués d’Hormisdas, en faveur de la formule Un de la Trinité a souffert dans la chair, et allèrent à Rome trouver le pape. Revenu en Orient, il se retira près de Jérusalem dans la Nouvelle Laure, prit part, en 533, au colloque de Constantinople entre sévériens et orthodoxes et, après un nouveau séjour dans sa laure en 538, revint dans la capitale où il mourut vers 543.
Le cardinal Mai à qui l’on doit, pour une grande partie, la plus ancienne édition des ouvrages de Léonce, le regarde comme le premier de beaucoup des théologiens de son temps : in theologica scientia aevo suo facile princeps. Cet éloge est peut-être exagéré, car il semble bien qu’Éphrem d’Antioche ne lui ait pas été bien inférieur, et qu’il ait même joui, de son vivant, d’une plus grande autorité que la sienne. Le jugement de Mai suppose d’ailleurs authentiques certains écrits que la critique a reconnus depuis n’être pas de Léonce. Mais, ces réserves faites, on doit bien reconnaître dans le moine byzantin un esprit pénétrant, précis et vigoureux, habile à éclaircir les notions et à trouver des formules heureuses, qui profite admirablement des recherches de ses devanciers et les met définitivement au point. Le but de tous ses travaux a été surtout de montrer comment les définitions d’Éphèse et de Chalcédoine s’harmonisaient ensemble, comment on pouvait admettre en Jésus-Christ à la fois deux natures et une seule personne, être chalcédonien sans être nestorien, se rattacher à saint Cyrille sans être monophysite. Ces explications très opportunes allaient à dissiper le malentendu persistant qui existait entre catholiques, nestoriens et sévériens. Elles n’ont pas sans doute réussi complètement à le faire cesser ; mais elles ont du moins apporté à la théologie de l’incarnation des aperçus nouveaux et les éléments d’un réel progrès.
On possède de Léonce de Byzance trois ouvrages certainement authentiques : 1° Trois livres contre les nestoriens et les eutychiens (P. G., lxxxvi, 1, 1267-1396), le premier livre attaquant les deux hérésies à la fois ; le second s’en prenant aux monophysites et surtout aux aphthartodocètes ; le troisième, plus historique, visant les nestoriens et en particulier Théodore de Mopsueste ; 2° une Réfutation des arguments de Sévère (2, 1915-1946) ; 3° Trente thèses contre Sévère (2, 1901-1916) : ces écrits se placent entre 536 et 543. Trois autres écrits, De sectis (1, 1193-1268), Adversus nestorianos (1, 1399-1768) ; Contra monophysitas (2, 1769-1902), seraient, d’après Loofs, des fragments remaniés d’un autre grand ouvrage de Léonce, intitulé Scolies, qui serait en partie perdu. D’autres critiques (Junglas) pensent que ces prétendues Scolies n’ont jamais existé.
[Quant au remarquable traité Adversus fraudes apollinaristarum (2, 1947-1976), le premier écrit où soient dénoncées les manœuvres des apollinaristes pour faire passer les œuvres de leur secte sous le nom de maîtres vénérés (Grégoire le Thaumaturge, Athanase, Jules, etc.), il n’est pas non plus l’œuvre de Léonce, mais d’un auteur anonyme un peu plus ancien que lui.]
Tout près de Léonce et ayant très probablement subi son influence théologique, il faut nommer ici l’empereur Justinien. Justinien (527-565) a été un grand législateur : il a voulu être aussi un théologien ; mais il n’a guère fait, naturellement, que reproduire les doctrines et les formules courantes autour de lui. Entre les ouvrages de théologie qui portent son nom, les principaux sont : en 536, une lettre à Ménas de Constantinople ou Constitution contre Anthime, Sévère, Pierre et Zoaras ; en 542 ou 543, un traité Contre les monophysites ; en 543, un mémoire (λόγος) Contre Origène, suivi, en 553, d’un écrit au sixième concile général sur le même objetb ; en 543 ou 544, un long édit (perdu, sauf quelques phrases) contre les Trois chapitres, sujet repris dans la Confession de foi (Ὁμολογία πίστεως) de 551, dans une ordonnance au concile, du 5 mai 553 (Τύπος πρὸς τὴν ἁγίαν σύνοδον) et dans une réponse aux partisans des Trois chapitres (Πρός τινας γράψαντας κτλ) peut être antérieure au concile. — Evagrius (H. E., 4.39-41) rapporte que, sur la fin de sa vie, Justinien tomba dans l’erreur des aphthartodocètes et promulgua un édit pour en prescrire l’acceptation. Cette pièce a péri.
b – A ces même débats antiorigénistes du vie siècle se rapportent un mémoire de l’évêque Théodore de Scythopolis et un écrit attribué à saint Barsanuphius, tous deux du milieu du vie siècle (P. G., lxxxvi, 1, 231-230 et 891-902).
L’empereur rencontra, à cette occasion, une vive opposition dans le patriarche d’Antioche, Anastase I (559-599), qui dut passer une bonne partie de son épiscopat (570-593) dans l’exil auquel l’avait condamné Justin II. On sait qu’il avait écrit, pendant cet exil surtout, des lettres, des discours et un traité contre le trithéiste Jean Philopon, qui sont, en grande partie, perdus. Il reste néanmoins de lui cinq discours dogmatiques sur la Trinité et l’incarnation (De nostris rectis dogmatibus… orationes quinque, en latin seulement), quatre sermons d’une authenticité douteuse, une Brève explication de la foi orthodoxe et quelques fragments.
C’est principalement à l’intervention de saint Grégoire le Grand auprès de l’empereur Maurice qu’Anastase avait dû d’être rétabli sur son siège en 593. Ce pape fut aussi le correspondant et l’ami du patriarche catholique d’Alexandrie Eulogius (580-607). Nous ne possédons plus aujourd’hui d’Eulogius qu’un discours pour le jour des Rameaux et des fragments, dont un fort important, d’un ouvrage Sur la sainte Trinité et l’incarnation divine. Mais on sait par ailleurs qu’il fut, surtout contre les diverses factions de monophysites qui s’agitaient à Alexandrie, un adversaire redoutable. Photius a connu et analysé de lui : 1° six livres Contre les novatiens et sur l’administration [ecclésiastique] (cod. 182, 208, 280) ; 2° un ouvrage en deux livres contre Timothée et Sévère, qui comprenait une justification de la lettre de saint Léon à Flavien (cod. 225) ; 3° un livre ayant le même objet contre Théodose (d’Alexandrie) et Sévère (cod. 226) ; 4° une invective contre les théodosiens et les gaïanites à propos de leurs dissensions (cod. 227), et enfin 5° onze mémoires (λόγοι), la plupart dogmatiques ou polémiques, sur la Trinité ou l’incarnation (cod. 230). Photius n’apprécie pas beaucoup le style d’Eulogius : il le trouve peu correct ; mais il avoue que, dans l’ensemble, c’est un auteur qui instruit et qui plaît.
L’épiscopat d’Eulogius nous conduit au commencement du viie siècle. C’est à ce moment qu’ont écrit : d’abord le moine Théodore de Raithu, auteur d’un traité De l’incarnation, dirigé contre les diverses hérésies qui attaquent ce mystère, d’une dissertation (De terminis philosophicis) sur le sens des mots qu’on emploie pour le définir, et aussi, pense Junglas, du traité De sectis dont il a été question ci-dessus ; puis l’évêque de Thessalonique, Eusèbe, dont Photius a lu deux réfutations, la seconde en dix livres, d’un certain incorrupticole nommé André (cod. 162) ; puis le prêtre Timothée de Constantinople, à qui l’on doit un petit traité De la réconciliation des hérétiques, très riche en renseignements sur les erreurs de cette époque.
Nous fermerons cette liste des adversaires grecs du monophysisme par le nom d’Anastase le Sinaïte (630-700). Anastase, le nouveau Moïse, comme on l’appela plus tard, était abbé d’un couvent sur le mont Sinaï. C’est une des grandes figures de cette période de décadence. Malheureusement, sa vie est peu connue et son héritage littéraire n’est pas encore nettement et complètement délimité. On possède sous son nom : 1° un grand ouvrage intitulé Le Guide (Ὁδηγός), qui date de 683-688, et qui est dirigé contre les diverses sectes monophysites sévériennes et gaïanites ; 2° un livre de Questions et réponses, au nombre de cent cinquante-quatre (en partie inauthentiques), sur divers sujets doctrinaux ; 3° des Considérations anagogiques (ou spirituelles) sur l’œuvre des six jours, en douze livres. A ces trois grands ouvrages il en faut joindre quelques autres de moindre étendue : un écrit sur la sainte communion ; trois dissertations sur la création de l’homme à l’image de Dieu ; un bref exposé de la foi chrétienne, etc. On est disposé aussi à lui attribuer l’important florilège Doctrina Patrum de incarnatione Verbi, qui est une de nos sources les plus précieuses pour l’histoire de la théologie à cette époque.