QUELQUES-uns de ceux auxquels Julien avait distribué de la sorte ces présents si dangereux, et si funeste, s'étant trouvés depuis à table ensemble, il y en eut un qui ayant le verre à la main, fit dessus le signe de la Croix, avant que de le porter à sa bouche. Un autre l'ayant repris de cette action et lui ayant dit qu'elle était contraire à ce qu'il avait fait un peu auparavant, il lui demanda ce qu'il avait fait qui y fût contraire. L'autre lui ayant répondu qu'il avait présenté de l'encens aux Dieux, et renoncé à sa Religion et que cela était contraire au signe de la Croix, qu'il venait de faire, plusieurs de ceux qui étaient à table se levèrent en criant, en déplorant leur malheur, en s'arrachant les cheveux, et coururent dans les places publiques, et protestèrent qu'ils étaient trompés, qu'ils avaient été trompés par les détestables artifices de l'Empereur, qu'ils détestaient leur action, qu'ils en avaient un très sérieux et très sincère repentir. Ils coururent de la sorte jusques au Palais, où ils déclamèrent contre les fourberies du Tyran, et demandèrent à être brûlées vifs, et à expier par le feu, le crime qu'ils avaient commis par le feu. Ces discours, et d'autres semblables excitèrent si fort la colère du Tyran, qu'il commanda qu'on leur tranchât la tête. Comme on les conduisait hors de la ville, le peuple les suivait en foule, admirant la grandeur de leur courage, et la générosité qu'ils avaient eue de défendre publiquement leur Religion. Lorsqu'ils furent arrivés au lieu du supplice, le plus âgé pria les bourreaux d'exécuter le plus jeune le premier, de peur que la mort de ses compagnons n'ébranlât sa confiance. Le plus jeune s'étant déjà mis à genoux, et l'exécuteur ayant tiré son épée pour lui couper la tête, on apporta leur grâce, et on cria de loin, qu'on ne les fît point mourir. Le plus jeune qui se nommait Romain, étant fâché de recevoir cette grâce, dit en colère : Romain n'était pas digne d'être martyr de Jésus-Christ. Ce ne fut aussi que par la plus maligne de toutes les jalousies, que Julien les garantit de la mort, et parce qu'il leur enviait la gloire du martyre, il ne permit plus néanmoins qu'ils demeurassent dans des villes, mais les relégua aux extrémités de l'Empire.