L’incrédulité ne forme pas moins de doutes sur les miracles de Jésus-Christ que sur sa personne, parce que de toutes les preuves qui établissent la vérité de sa religion, il n’y en a point qui frappe davantage que celle qui est prise des vrais miracles.
1° Elle dira d’abord que Jésus, fils de Marie, a pu opérer deux ou trois guérisons par hasard, ou par la vertu des causes secondes, et que ce bon succès a pu lui acquérir la réputation de prophète par l’ignorance du peuple, qui attribue à des causes surnaturelles tout ce qu’il ne connaît point. On répond qu’il s’agit ici d’un grand nombre de miracles de différente espèce, de miracles sensibles, et qui, par leur nature, sont au-dessus de toute imitation et de toute fourberie, tels que sont la résurrection des morts, la guérison des aveugles, des boiteux, des paralytiques, etc.
2° On a peut-être des témoins apostés pour attester des miracles fabuleux. Comment cela, puisque Jésus-Christ n’avait ni argent à donner, ni dignités à promettre, et que l’habileté, le raffinement, la politique, les richesses et le crédit étaient entièrement du côté des scribes, des pharisiens, des docteurs de la loi, ses ennemis implacables, qui ne perdaient aucune occasion de lui nuire, et dont il censurait hautement l’hypocrisie en toutes rencontres ?
3° Jésus-Christ avait cette prudence, dit-on, de ne faire ses miracles que devant trois disciples choisis, Pierre, Jacques et Jean. Qui sait si ces trois disciples, gagnés par l’ambition de leur maître, n’attestaient pas comme véritables des miracles qui ne l’étaient point ?
Il ne faut, pour perdre ce soupçon, que faire réflexion sur tant de miracles que Jésus-Christ a faits en la présence de ses autres disciples.
Il ressuscite le fils de la veuve de Naïm, comme on le portait dans le sépulcre. Il relève Lazare de son tombeau en présence de plusieurs Juifs, qui étaient venus là pour consoler les sœurs de ce mort. Il attend quatre jours, afin qu’on ne puisse point dire qu’il n’était pas véritablement décédé. Il permet que Lazare converse parmi ceux de sa connaissance après sa résurrection, et que les Juifs, aveuglés de rage, conspirent de renvoyer au tombeau celui que le tombeau leur envoie pour les convertir.
4° Mais est-il possible que des miracles, si grands qu’ils sont sans exemple, fassent si peu d’impression sur les esprits ! Les hommes sont bien méchants et bien remplis de préjugés aujourd’hui ! Cependant, quel éclat ne ferait point la résurrection d’un mort ! Combien de gens y aurait-il qui voudraient s’instruire de ce fait ! Combien peu qui doutassent après en avoir connu la vérité ! Je réponds que de ceux qui ouïrent ce miracle, la plupart ne le crurent point ; les autres l’attribuèrent à la puissance de Béelzébut ; les autres à quelque autre cause ; les autres ne surent qu’en penser, et refusèrent de s’en instruire ; les autres crurent que Lazare et Jésus-Christ étaient de concert pour séduire le peuple, et c’était vraisemblablement la disposition de ceux qui cherchaient après Lazare pour le mettre à mort ; les autres, qui étaient en beaucoup plus petit nombre, en prirent occasion de donner gloire à Dieu. Or, afin qu’on ne soit pas surpris du peu d’impression que ce miracle fit sur des hommes préoccupés et superstitieux, il suffira qu’on fasse deux réflexions sur ce sujet : la première, qu’il y a eu des Juifs qui ont avoué les miracles de Jésus-Christ, sans cesser d’être incrédules, aimant mieux les attribuer superstitieusement à je ne sais quelle prononciation du nom de Jéhova, que de les rapporter à leur véritable cause ; ce qui fait voir que l’évidence des miracles ne suffit pas pour vaincre l’endurcissement des esprits préoccupés ; la seconde est, que la superstition est allée quelquefois jusqu’à anéantir toutes les lumières de la raison, et à révoquer en doute ce qu’on voit, pour ne pas renoncer à ses préjugés. Mais il n’est pas nécessaire de pousser plus loin cette dernière pensée.
On trouvera donc des gens qui, par préoccupation, ou révoqueront en doute des vérités palpables, ou rapporteront à des causes bizarres et extravagantes des faits véritablement miraculeux ; mais vous n’en trouverez point qui veuillent mourir pour soutenir qu’ils ont vu ce qu’ils n’ont pas vu en effet, lorsqu’ils font profession de croire que l’imposture est un crime digne de mort, et lorsqu’ils peuvent être démentis par un si grand nombre de témoins, que ce serait une pure folie que de prétendre imposer aux hommes à cet égard. Les docteurs juifs avaient assez de crédit et d’autorité sur le peuple pour étouffer en partie la connaissance de ces faits, ou, ne pouvant les étouffer, pour en donner des raisons qui flattaient la passion démesurée que tous les Juifs avaient d’avoir, non un Messie triste et humble, mais un Messie glorieux et triomphant. Mais les disciples étaient trop faibles pour soutenir la rigueur des tourments, s’ils avaient été des imposteurs, et n’étaient pas assez insensés pour se mettre dans l’esprit qu’ils pourraient persuader des faits tels que la résurrection de Lazare ; car pour vouloir cacher un fait de cette nature, il ne faut que de la prévention et de la méchanceté ; mais pour vouloir le faire accroire, il faut une folie et une extravagance dont on ne saurait apporter d’exemple.
5° Mais, direz-vous, quelque opinion que les Juifs eussent des miracles de Jésus-Christ, est-il possible qu’ils n’en eussent un peu mieux conservé la mémoire, et que Josèphe, par exemple, qui rapporte les moindres événements, et qui n’oublie point de faire mention des séducteurs qui avaient paru de temps en temps avant lui, ne fasse pas mention des miracles de Jésus-Christ ? On suppose que le fameux témoignage qu’il lui rend est une fraude pieuse, ou une invention des siècles suivants : si cela est, ou si cela n’est pas, c’est ce que nous n’examinons pas maintenant. Nous voulons bien prendre la chose au pis, et il nous reste trois réponses à faire à l’objection qu’on peut prendre du silence de Josèphe : la première est, que ceux qui auront inséré dans les écrits de cet auteur le célèbre passage qui fait le sujet de la critique des savants, peuvent, par une suite de leur dessein, en avoir effacé ce que Josèphe en avait véritablement rapporté, et qui était peut-être moins avantageux à notre cause, mais suffisant pour montrer que Jésus-Christ avait passé pour faire des miracles ; la seconde, que Josèphe étant pharisien de secte, a pu taire les merveilles de la vie de notre Sauveur par la haine qu’il avait pour notre religion ; et la dernière, que comme cet homme avait fait sa cour à Vespasien, en lui prédisant qu’il serait empereura, et qu’il lui avait appliqué les oracles de l’Ancien Testament, qui promettaient que le roi viendrait d’Orient, il est très probable que cet auteur courtisan ni voulut point, par complaisance pour Vespasien et pour ses enfants, faire mention d’un homme qui avait prétendu être le Messie, et auquel quelques-uns appliquaient ces fameux oracles, dont il avait fait sa cour à l’empereur. Et certainement il n’y a aucune apparence qu’un homme qui avait rapporté jusqu’aux moindres circonstances de la vie d’Hérode le Grand, eût oublié le meurtre des enfants de Bethléem, si, en découvrant la cause de ce meurtre, il n’eût eu peur de découvrir la crainte qu’Hérode avait eue de la naissance d’un Messie, et l’opinion qu’on avait parmi les Juifs que le Messie devait naître à Bethléem.
a – Joseph., de Bello judaico, lib. 3, c. 27
Il est certain, en effet, que cet auteur n’a pu taire de pareils événements que par ignorance ou par politique. Ce n’est point par ignorance. L’incrédulité même n’oserait penser que Josèphe ignorât que Jésus-Christ avait été mis à mort à Jérusalem, accusé de séduire le peuple ; qu’il avait eu plusieurs disciples ; que le nombre s’en augmentait tous les jours de son temps ; et qu’il y avait eu à Jérusalem même une fort nombreuse Église composée de personnes de cette secte. Et comment n’y aurait-il point eu de chrétiens dans la Judée, puisque sous l’empire de Claude il y en avait un nombre assez considérable à Rome, comme l’on peut le recueillir de l’histoire de Suétoneb. Il faut donc que ce soit par politique que Josèphe n’en a point fait mention ; et l’on ne le soupçonnera point du dessein de cacher du voile de son silence les imposteurs qui s’étaient élevés parmi les Juifs, puisqu’il fait mention de tous les autres ; ni de celui d’épargner quelque honte et quelque confusion à sa nation, puisqu’il s’est si particulièrement attaché à découvrir la fureur et les débordements de ce peuple. Que l’on considère bien toutes ces choses, et l’on avouera que la politique qui fait le silence de Josèphe, ne peut être qu’avantageuse à notre cause.
b – Suet. in Vita Claud.
6° Mais enfin, direz-vous, il n’y a rien de si commun que de voir des gens qui veulent faire accroire des miracles qui n’ont jamais été. On sait quel a été de tout temps l’entêtement du peuple à cet égard, et quelle facilité il y a à lui imposerc. Tacite rapporte que Vespasien étant à Alexandrie, guérit deux aveugles, et que ce fait serait incroyable, si toute la cour n’en avait été le témoin.
c – Tacit., lib. 5, Hist., c. 13.
On répond qu’il y a assez de vraisemblance que Vespasien voulut paraître faire des miracles, pour se rendre plus conforme aux oracles qui lui promettaient l’empire de l’univers, selon la fausse application que lui en avait fait Josèphe. Il trouva bon d’abord que ce Juif le flattât par cette agréable promesse ; mais ensuite, étant à Alexandrie, comme il vit ses affaires en bon train, il crut qu’il lui importait de persuader au peuple qu’il était divinement appelé à l’empire ; et c’est sans doute dans ce dessein qu’il se fit amener de faux aveugles pour faire de faux miracles sur leur sujet. Mais prenant l’objection dans une plus grande étendue, je réponds qu’il n’y a point de miracles que je ne croie véritables, et qui ne me paraissent devoir être reçus sans contradiction, s’ils ont ces dix caractères qu’on peut remarquer dans les miracles des apôtres. 1. Si, comme ces premiers, ils ont été prédits dans les anciens oracles. 2. S’ils sont fréquents, en grand nombre, divers et sensibles. 3. S’ils sont opérés par des personnes simples et désintéressées, qui n’aient évidemment ni assez de malice pour vouloir tromper, ni assez de lumière pour le pouvoir, ni assez de hardiesse pour l’entreprendre, ni assez de crédit pour le soutenir. 4. Si ces miracles sont éprouvés par l’habileté et la prudence des plus habiles hommes du monde, qui, ne pouvant en nier tout à fait la vérité, sont obligés de les rapporter à diverses causes bizarres. 5. S’il y a une foule de témoins qui meurent, et se réjouissent de mourir, pour attester, non pas qu’ils les ont ouï dire, mais qu’ils les ont vus et opérés. 6. Si ces miracles tendent, non à flatter la cupidité, mais à sanctifier les hommes, et à régler leurs mœurs. 7. S’ils sont attestés et reçus par des personnes qui, d’un côté, ne paraissent avoir en vue que leur salut et le salut de leurs frères, et qui, de l’autre, sont persuadés que le salut est incompatible avec l’imposture. 8. Si ceux qui les attestent offrent d’en faire de pareils ; s’ils prétendent communiquer à plusieurs les dons miraculeux, et si, par cette voie sensible et cette preuve, qu’ils appellent la démonstration de l’esprit, ils font de plus grands progrès que les conquérants les plus heureux n’en ont fait par la force des armes. 9. Si, à moins que de recevoir ces faits miraculeux, on tombe dans une infinité de contradictions palpables ; comme de croire que les plus sages des hommes soient les plus fous, et que les plus constants soient les plus fourbes. 10. Si tous ces faits sont si étroitement liés ensemble, qu’on ne peut avouer l’un sans convenir de l’autre, et si enchaînés avec d’autres faits incontestables, qu’on ne peut les révoquer en doute sans renoncer au bon sens ; et enfin, s’ils sont terminés par la résurrection d’un homme qu’on cherche en vain dans son tombeau après sa mort, encore que son sépulcre eût été scellé et environné de gardes ; d’un homme que plus de cinq cents témoins disent avoir vu, et qui a conversé avec ses disciples pendant quarante jours après sa résurrection, comme ils le déposent unanimement, nonobstant tous les supplices ; il faut qu’on nous montre que nous nous sommes trompés en attribuant tous ces caractères aux miracles de Jésus-Christ, ou qu’on cesse de faire toutes ces comparaisons.