Avant que la politique d’Héraclius ne suscitât officiellement l’hérésie monothélite en 619, on s’était déjà occupé dans les deux camps, monophysite et orthodoxe, de la question des opérations et des volontés en Jésus-Christ ; et c’est ainsi que plusieurs des adversaires déjà nommés du monophysisme, Jean de Scythopolis, le moine Eustathe, Éphrem d’Antioche, Léonce de Byzance, le patriarche Eulogius surtout peuvent être mentionnés aussi parmi les adversaires du monothélisme. D’autre part, même après qu’elle eut été condamnée au concile de 680, cette erreur continua d’être combattue par les théologiens venus plus tard, et cette circonstance nous permettrait de compter encore au nombre de ceux qui l’ont réfutée Anastase le Sinaïte et même saint Jean Damascène. Mais c’est dans la période 620-680 surtout que la lutte a été plus vive, et que se rencontrent les vrais champions de l’orthodoxie contre la nouvelle secte. Les deux principaux sont le patriarche de Jérusalem Sophronius et le moine saint Maxime le Confesseur.
Sophronius était originaire de Damas et, devenu moine vers 580, paraît avoir résidé d’abord en Palestine avec le célèbre Jean Moschus dont il fut l’ami intime, et dont il publia plus tard le Pré spirituel. Puis, ensemble, ils visitèrent l’Egypte et ses solitaires, les îles de la Méditerranée, Rome où Moschus mourut. Revenu en Palestine vers 620, Sophronius consacrait ses loisirs à des travaux d’hagiographie et de liturgie quand commencèrent les intrigues monothélites. Il s’efforça aussitôt de s’y opposer et de détourner de leurs projets Cyrus d’Alexandrie et Sergius de Constantinople. Ce fut en vain. Mais, élevé en 634 sur le siège patriarcal de Jérusalem, Sophronius n’implora plus : il jugea et condamna. Malheureusement son épiscopat dura peu. Déjà fort âgé, il mourut en 638, après avoir vu la ville sainte prise par les Arabes.
Sophronius fut un écrivain fécond et varié. Nous l’avons rangé parmi les théologiens : nous aurions pu aussi bien le mettre parmi les hagiographes ou les poètes. Ses œuvres, d’un style généralement boursouflé et prolixe, comprennent des écrits doctrinaux, des discours, des travaux disciplinaires et historiques, des poésies. Aux premiers appartiennent sa Lettre synodale ou intronistique de 634, en faveur du dyothélisme, et un gros dossier patristique (perdu) qui contenait en deux livres six cents témoignages sur le même sujet. Des discours nous avons une douzaine environ sur Notre Seigneur, la Vierge, les saints ou le baptême. Dans la troisième catégorie nous trouvons un écrit Sur la confession des péchés, un fragment Sur le baptême des apôtres, puis un long Éloge des saints Cyrus et Jean (Laudes in ss. Cyrum et Joannem) martyrs sous Dioclétien, un récit de leurs miracles (Eorumdem miracula) et une Vie de sainte Marie Égyptienne. Enfin dans les œuvres poétiques, il faut signaler un recueil de vingt-trois odes anacréontiques (ἀνακρεόντεια) pour les fêtes ecclésiastiques ; quelques hymnes liturgiques (ἰδιόμελα) d’un caractère plus populaire, destinées à être chantées ; un tropaire et deux épitaphes.
Au moment où Sophronius se trouvait à Alexandrie, suppliant le patriarche Cyrus de renoncer à son projet d’union avec les monophysites, il était accompagné d’un autre moine qui partageait ses sentiments et qui devait, mieux et plus longtemps que lui, défendre la foi contre les monothélites : c’était saint Maxime le Confesseur. Maxime était né vers 580 à Constantinople, de parents pieux, et fut d’abord secrétaire et conseiller de l’empereur Héraclius. Puis, à l’âge de cinquante ans, il se retira au monastère de Chrysopolis, en face de Byzance (Scutari), et en devint abbé. En 633, on le trouve avec Sophronius à Alexandrie ; en 640, commence son grand rôle de défenseur de la foi. Il fortifie de ses exhortations et de ses enseignements les évêques d’Afrique ; soutient contre Pyrrhus, le patriarche monothélite de Constantinople, la fameuse discussion de 645 d’où il sort vainqueur ; se rend à Rome vers 646 ou 647, y prend une part importante au concile de 649, et consacre à la composition de ses ouvrages la paix dont il jouit.
Elle dura jusqu’en 653. A ce moment, l’empereur Constant II le fait saisir et conduire à Constantinople. Sur son refus d’accepter le Type que le pape repoussait, on le condamne d’abord à l’exil (655), puis plus tard, en 662, à la mutilation et à un nouvel exil à Lazique, sur les bords de la mer Noire. Il y mourut le 13 août 662. Avec lui souffrirent deux de ses disciples, Anastase l’apocrisiaire et Anastase le moine. Nous avons les Actes de leur jugement et de leur martyre.
Maxime est, avant saint Jean Damascène, le dernier grand théologien de l’Église grecque. Ayant fait de sérieuses études profanes, il s’est formé à la science ecclésiastique par la lecture des Pères du ive siècle (saint Grégoire de Nazianze et saint Grégoire de Nysse), par celle des écrivains plus rapprochés de lui (Léonce de Byzance, Anastase d’Antioche, etc.), mais surtout par la méditation des écrits du Pseudo-Aréopagite dont il a contribué beaucoup à établir l’autorité dans l’Église. Au fond, c’est, comme le Pseudo-Denys, un mystique, mais un mystique doublé d’un métaphysicien et d’un ascète, et qui a acquis, en fréquentant la philosophie aristotélicienne, une rigueur et une précision de pensée que l’on chercherait en vain dans l’Aréopagite. Il lui a manqué d’exposer, dans un grand ouvrage synthétique, sa doctrine et ses vues. Celles-ci se trouvent dispersées en une foule d’écrits sous forme de sentences ou de commentaires ; mais on peut les retrouver aisément, car l’auteur s’est souvent expliqué et répété sur les mêmes sujets.
On peut diviser en six catégories les écrits de saint Maxime :
1° Les ouvrages exégétiques où le saint commente de plus ou moins près des textes scripturaires. Tels sont les Questions à Thalassius ; les Questions et réponses ; l’Explication, du psaume 59 ; L’Explication de l’oraison dominicale ; l’écrit A Théopemptus le Scolastique.
2° Les commentaires de théologie mystique : Sur les œuvres de saint Denys ï’Aréopagite ; Sur divers passages difficiles des saints Denys et Grégoire le Théologien (Grégoire de Nazianze) ; et encore Sur quelques difficultés de saint Grégoire le Théologien (Ambigua in Gregorium Theologum).
3° Les œuvres proprement dogmatiques et polémiques. D’abord toute une série de petits traités compris sous le titre d’Opuscules théologiques et polémiques, généralement dirigés contre le monophysisme et le monothélisme ; puis la Discussion avec Pyrrhus, et un traité De l’âme.c
c – Straubinger signale de plus un traité inédit : Dix sentences (κεφάλαια) sur les volontés et les opérations avec des témoignages patristiques.
4° Les écrits moraux et ascétiques, dont le principal est Le livre ascétique (Liber asceticus) ; puis quatre recueils de sentences (capita) : Sentences sur la charité ; Autres sentences ; Sentences théologiques et pratiques (oeconomica) ; Diverses sentences théologiques et pratiques, ces deux derniers recueils mêlant, comme leur titre l’indique, la théologie mystique à l’ascèse. Un cinquième recueil qui porte le nom de Lieux communs (Loci communes), et qui comprend des extraits de l’Écriture, des Pères et même des écrivains profanes, n’est sûrement pas, en entier du moins, de la plume de saint Maxime.
5° Les œuvres disciplinaires et liturgiques : une Mystagogie, qui explique le symbolisme de l’église et des cérémonies qui s’y accomplissent ; trois hymnes ; un Comput ecclésiastique auquel on peut ajouter une Chronologie succincte de la vie du Christ, simple extrait d’un ouvrage plus considérable.
6° Enfin des lettres, au nombre de quarante-cinq, dont plusieurs constituent de vrais traités théologiques.
Tous ces écrits dénotent un esprit pénétrant et délié, mais sont, en général, d’une lecture difficile. L’auteur y traite de sujets abstraits en un style qui manque de naturel et de simplicité.