Contre Marcion

LIVRE IV

Chapitre II

Voilà en quelques mots notre réponse aux Antithèses. Je passe maintenant à la démonstration que l’évangile, dirai-je hébreu ? non assurément, que l’évangile pontique est falsifié. Ce sera comme le préambule de notre argumentation.

Nous établissons en principe que l’Evangile a pour auteurs, les apôtres, en vertu de l’ordre qu’ils avaient reçu du Seigneur lui-même, d’aller promulguer la bonne nouvelle. Les apôtres, disons-nous, ou, avec eux et après eux, les hommes apostoliques. Car la prédication des disciples aurait pu être soupçonnée de vaine gloire, si elle n’avait eu pour appui l’autorité des maîtres, je me trompe, l’autorité du Christ, qui avait délégué ses pouvoirs aux apôtres. Parmi les apôtres, Jean et Matthieu nous enseignent la foi. Parmi les hommes apostoliques, Luc et Marc répètent les enseignements de leurs devanciers, partent des mêmes principes, proclament avec eux un seul Dieu créateur, et Jésus-Christ son fils, né d’une vierge, consommation de la loi et des prophètes. Que l’enchaînement de leur narration diffère, peu importe, pourvu qu’ils s’accordent sur les dogmes fondamentaux, concordance qui ne se trouve point chez Marcion. Marcion, au contraire, n’assigne point d’auteur à l’Evangile, c’est-à-dire à celui qu’il s’est forgé, comme s’il n’avait pu supposer un litre à l’œuvre après avoir osé attaquer tout le corps de l’œuvre. Je pourrais m’arrêter là. C’en est assez pour récuser un ouvrage qui ne lève pas la tête au grand jour, qui ne présente aucune garantie, ni par l’authenticité de son titre, ni par la déclaration légitime de son auteur. Mais nous aimons mieux suivre l’ennemi dans toutes ses attaques, nous qui n’ayons dans nos livres ni impostures, ni réticences.

Entre tous nos écrivains évangéliques, Marcion paraît s’être attaché à Luc pour le mettre en pièces. Or Luc n’était pas un apôtre, ruais un homme apostolique ! Ce n’était pas un maître, mais un disciple ; inférieur, par conséquent, à son maître ; on ne lui contestera pas d’être venu le second, puisqu’il fut le disciple du second apôtre, de Paul indubitablement. Ainsi quand même Marcion eût introduit son évangile sous le nom de Paul lui-même, dénuée de l’appui des devanciers, cette œuvre isolée manquerait de litre pour se faire recevoir. Ou la confronterait avec l’Evangile que Paul a écrit, auquel il a donné créance, et avec celui auquel il s’est empressé de conformer le sien. En effet, « il monte à Jérusalem pour connaître les apôtres, et se concerter avec eux, de peur d’avoir couru sans fruit dans la lice, » c’est-à-dire de peur que sa foi et sa prédication ne fussent différentes. Puis, aussitôt qu’il eut conféré avec les fondateurs du christianisme, et qu’ils furent d’accord sur les règles de la foi, « ils se prirent la main, » et se partagèrent les fonctions de la prédication : aux apôtres les Juifs ; à Paul les Juifs et les nations. Par conséquent, si celui qui fut le flambeau de Luc voulut fortifier sa foi et sa prédication de l’autorité de ses prédécesseurs, à plus forte raison demanderai-je à l’Evangile du disciple de s’appuyer sur l’autorité du maître. Mais combien l’obligation redoublera encore si le mystère de la religion chrétienne passe du disciple de Paul jusqu’à Marcion ! Qu’autrefois il soit descendu de Paul à Luc, rien de mieux. L’Evangile de Luc a pour lui un témoignage qui le recommande.

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