Comme nous écrivions la vie du comte de Zinzendorf et non l’histoire de l’église des Frères, nous avons écarté à dessein tout ce qui, dans cette histoire, ne se trouve pas en rapport nécessaire avec lui. Quelques mots sur Herrnhout et sur l’état actuel de l’Unité ne seront pourtant point hors de place à la fin de cet ouvrage.
La petite ville de Herrnhout est située dans la Haute-Lusace, province du royaume de Saxe. Elle n’est qu’à quelques lieues des frontières de la Silésie et de la Bohême. Cette contrée est, sans contredit, une des plus belles de l’Allemagne. Des environs de la ville, la vue s’étend au loin sur de larges coteaux, des champs, des prés, des vergers, des forêts épaisses, de grands et beaux villages ; c’est un de ces vastes paysages classiques où aucun plan n’est sacrifié, où rien ne manque et qui satisfont à la fois le regard et la pensée.
La construction de Herrnhout est assez régulière, sans avoir cependant la symétrie irréprochable et un peu monotone que présentent d’autres communautés moraves et dont Nieski est le type. La rue principale est formée par la grande route qui conduit de Lœbau à Zittau. Vers le milieu se trouve une place carrée, où s’élève la maison commune, à laquelle est adossée la salle de prière. Autour de la place sont le château (Herrschaftshaus), bâti primitivement par Zinzendorf et reconstruit en 1781 ; le logis commun (Gemeinlogis), auberge tenue pour le compte de la communauté, et les maisons des différents chœurs. Un des bâtiments qui composent actuellement la maison des Frères mérite d’attirer l’attention ; c’est la première construction qui se soit élevée dans les bois du Houtberg, c’est la cabane construite en 1722 par les émigrés de Moravie.
Herrnhout compte 128 maisons et environ 900 habitants, dont 829, selon le dernier recensement, appartiennent à l’église des Frères. Dans les temps qui suivirent immédiatement la fondation de Herrnhout, la population s’accrut rapidement. Il comptait en 1727 trois cents habitants, en 1734 six cents, et en 1750 un millier. En 1760, à la mort de Zinzendorf, la population s’élevait à douze cents âmes ; elle décrut un peu au commencement de ce siècle, et elle est depuis longtemps demeurée stationnaire.
Vers le milieu du siècle passé et grâce à un habile négociant, Abraham Duringer, Herrnhout devint un centre pour le commerce des toiles de lin que fabriquent les tisserands de Lusace. Le blocus continental porta au commerce de Herrnhout un coup fatal, dont il s’est relevé, il est vrai, mais sans toutefois reprendre entièrement son importance.
Ce qu’il faut voir avant tout à Herrnhout, c’est le cimetière. Ni ce magnifique Père-Lachaise, du haut duquel les monuments de tant de grandeurs passées contemplent à leurs pieds les monuments de tant de grandeurs passagères, ni la poétique forêt de Scutari, ne produisent sur l’âme une impression aussi profonde et aussi saine que le cimetière de Herrnhout. Aucun ne répond mieux à l’idée d’un champ de repos, ou, suivant la religieuse expression des Allemands, d’un champ de Dieu (Gottesacker). La mort n’y est point babillarde, comme dans nos cimetières ; on n’y voit aucune de ces inscriptions, à la fois fastueuses et banales, qui ôtent à la douleur même ce qu’elle a de grave et de solennel. Il n’y a là ni urnes funéraires, ni flambeaux éteints, ni colonnes brisées ; l’art y épargne à la mort ses lieux communs et ses colifichets.
Une allée d’arbres conduit de Herrnhout au sommet du Houtberga, où se trouve ce cimetière. Ce champ du repos est un vaste carré entouré de hautes charmilles et dans lequel se croisent de belles allées de tilleuls. Sur la face extérieure du portail, on lit ces mots : Christ est ressuscité des morts, et de l’autre côté ceux-ci : Il est devenu les prémices de ceux qui dorment.
a – Ce sommet est peu élevé : la grande place de Herrnhout, où se trouve la maison commune, est à 1054 pieds au-dessus du niveau de la mer ; le sommet du Houtberg, à 1120.
On retrouve ici l’ordre parfait, la simplicité, l’égalité qui règnent dans la communauté morave. C’est bien un cimetière de frères. Ici, comme dans les temples, il n’y a de distinction que celle des deux sexes : d’un côté sont inhumés les hommes, de l’autre les femmes. Les tombeaux ne sont couverts que d’une petite pierre plate, posée à fleur de terre, et sur laquelle est gravé le nom du défunt, avec son âge et le lieu de sa naissance. Ils sont disposés symétriquement en longues lignes parallèles dans de grands carrés de gazon.
Sur la première pierre tumulaire que l’on trouve en entrant, on lit le nom de Christian David, ce charpentier qui abattit le premier arbre pour la construction de Herrnhout. Combien d’autres noms, inconnus dans l’histoire du monde et grands dans celle du règne de Dieu, viennent ensuite frapper les regards ! Au centre, quelques pierres plus grandes et plus élevées que les autres, mais d’une égale simplicité, recouvrent les dépouilles mortelles de Zinzendorf et de quelques membres de sa famille.
Voici comment se font les enterrements à Herrnhout. Après le culte du soir, dans lequel le pasteur lit à l’assemblée un récit de la carrière du défunt, on se réunit en plein air devant la salle de prière. Les hommes se tiennent debout d’un côté, les femmes de l’autre, au milieu est le cercueil tendu d’un drap blanc bordé de rouge, de rose ou de bleu, suivant le chœur auquel appartenait le défunt. Le pasteur fait une prière et le cortège se dirige vers le cimetière, précédé de trombones dont le son éclatant rappelle la trompette qui doit un jour « réveiller de leur sommeil ceux qui dorment dans les sépulcres. » Arrivés au cimetière, tous les assistants se rangent autour de la pelouse, où se trouve une fosse ouverte. Après un service liturgique fort court, on descend le cercueil dans la fosse ; tous entonnent un verset de cantique, les trompettes se font entendre encore une fois, et le cortège s’en retourne.
Pendant ce temps, dans les longues soirées d’été, on voit le soleil disparaître à l’horizon et illuminer de ses derniers feux l’admirable tableau qui s’étale au loin de tous les côtés du Houtberg. Celui qui a été témoin de cette scène ne l’oubliera jamais. C’est une de ces riches harmonies qui donnent à l’âme le pressentiment de ce monde encore voilé que la foi peut seule entrevoir et dans lequel tout est harmonie.
Berthelsdorf n’est qu’à quinze ou vingt minutes de Herrnhout, au pied de l’autre versant du Houtberg. On s’y rend par une belle avenue. C’est un des villages les plus pittoresques et les plus idylliques qui se puissent voir ; on ne trouverait rien en Suisse de plus gracieux et de plus idéalement champêtre que ces chaumières éparses dans les vergers, sur la pente de la colline et sur le bord des ruisseaux.
La population de Berthelsdorf est aujourd’hui de près de 2000 âmes. En 1721, lorsque Zinzendorf acheta cette seigneurie, elle ne comptait encore que 500 habitants ; c’est à la prospérité de Herrnhout que ce village doit la sienne.
C’est à Berthelsdorf que réside la direction générale de l’église des Frères, connue sous le nom de Conférence des Anciens de l’Unité. Elle tient ses séances dans le modeste château qu’y éleva Zinzendorf et qui est encore à peu près tel qu’il le fit construire, On regrette seulement de ne plus retrouver sur la porte l’inscription qu’il y avait placée :
Hier uebernachten wir als Gæste,
Drum ist dies Haus nicht schen und feste.
So kehret euch nun zur Vestung, ihr, die ihr auf Hoffnung gefangen lieget. (Zacharie 9.12) So recht, wir haben noch ein Haus Im Himmel, das sieht anders aus. (2 Corinthiens 5.1-2)
[Nous sommes étrangers et nous ne faisons que loger ici. C’est pourquoi cette maison n’est ni belle ni solide. Retournez à la forteresse, captifs de l’espérance. (Zacharie 9.12) Cela suflit, nous avons dans le ciel une autre demeure plus belle. (2 Corinthiens 5.1-2)]
A part les membres de la Conférence, le village de Berthelsdorf ne contient pas de moraves. La population est luthérienne et le pasteur est choisi parmi les membres du clergé saxon, mais c’est l’Unité des Frères qui le nomme, en vertu de ses droits seigneuriaux.
L’église paroissiale est aussi ce qu’elle était du temps de Zinzendorf. On y voit encore la loge réservée au comte et où il venait entendre les sermons de Rothe.
Mais nous serions trop long si nous voulions décrire Herrnhout et ses environs. Ceux que ce sujet intéresserait trouveront plus de détails dans les ouvrages qui traitent de la communauté des Frères, et spécialement dans les minutieuses monographies de M. Korschelt sur Herrnhout et Berthelsdorf.
Nous ne dirons rien de la direction et de l’administration de l’Unité des Frères et nous nous bornerons à quelques données statistiques.
L’Unité, dont le gouvernement central est à Berthelsdorf, se subdivise actuellement en trois provinces dirigées par les Conférences provinciales. Ces trois provinces, comprenant un nombre à peu près égal de Frères, sont les suivantes : le Continent européen, — l’Angleterre (c’est-à-dire les îles Britanniques) et l’Amérique (c’est-à-dire les États-Unis). Cette dernière se subdivise à son tour en deux départements, l’un du Nord, ayant son centre à Bethléhem en Pensylvanie, l’autre du Sud, ayant pour chef-lieu Salem, dans la Caroline du Nord.
Les communautés qui composent la province de l’Europe continentale sont au nombre de dix-huit. Elles sont situées presque toutes en Allemagne et surtout dans les États prussiens. Herrnhout est demeuré la plus considérable. Comme la plupart ont été fondées du temps de Zinzendorf, il ne sera pas sans intérêt d’en trouver ici les noms, avec la date de leur fondation :
- Herrnhout, dans le royaume de Saxe, fondée en 1722.
- Zeist, dans les Pays-Bas, fondée en 1740.
- Nieski, en Prusse, fondée en 1742.
- et 5. Gnadenberg et Gnadenfrey, id., fondées en 1743.
- et 7. Berlin et Neusalz, en Prusse, fondées en 1744.
- Ebersdorf, dans la principauté de Reuss, fondée en 1746.
- Neuwied, en Prusse, fondée en 1750.
- Kleinwelke, royaume de Saxe, fondée en 1751.
- Neudietendorf, duché de Saxe-Gotha, fondée en 1753.
- Rixdorf, près de Berlin, fondée en 1756.
- Norden, royaume de Hanovre, fondée en 1757.
- Sarepta, en Russie, fondée en 1765.
- Gnadau, en Prusse, fondée en 1767.
- Christiansfeld, dans le duché de Schleswig, fondée en 1772.
- Gnadenfeld, en Prusse, fondée en 1780.
- Kœnigsfeld, grand-duché de Bade, fondée en 1807.
Les communautés de la province anglaise sont au nombre de 34, mais elles sont en général, beaucoup moins considérables que celles du continent. Nous ne citerons ici que celles qui ont été fondées du vivant de Zinzendorf : Londres (1728), Kingswood (1740), Ockbrook (1740), Bedford (1742), Gowersal (1742), Mirfield (1742), Tytherton (1742), Malmesbury (1742), Dukinfield (1743), Dublin, en Irlande (1746), Bristol (1748), Kilwarlin, en Irlande (1751), Gracefield, en Irlande (1751), Ballinderry et Kilkeel, en Irlande (1752), Haverfordwest (1753), Cootehill, en Irlande (1754), Fulneck (1755), Leominster (1755), Gracehill, en Irlande (1755), et Bath (1760).
La province d’Amérique compte 28 communautés. La principale, Bethléhem, a 1222 membres. Voici celles qui ont été fondées du temps de Zinzendorf :
- En Pensylvanie : Bethléhem (1741), Philadelphie (1742), Emmaüs (1742), York (1744), Nazareth (1744), Lancaster (1748), Litiz (1756).
- Dans le Maryland : Graceham (1745).
- Dans l’État de New-York : New-York (1742), Staaten-Island (1747).
- Dans la Caroline du Nord : Béthabara (1753), Béthanie (1759), Friedberg (1759).
D’après le recensement de 1858, le nombre des membres de l’Unité s’élève sur le continent européen à 6340 ; province anglaise, à 5184, et dans la province américaine, à 8237. En joignant à ce chiffre celui des missionnaires et de leurs familles, on peut évaluer à un peu plus de 20 000 le nombre total des membres de l’Unité.
Ce chiffre paraîtra considérable, si l’on songe à ce qu’était l’église morave lorsqu’elle se reconstitua sur les terres de Zinzendorf. Mais qu’il paraîtra petit, si on le compare à la grandeur et à l’étendue de l’œuvre missionnaire entreprise par cette église ! L’histoire des missions des Frères ne peut être traitée dans une note. Sur ce point encore, nous nous contenterons de données statistiques.
Les missions actuelles de l’église des Frères chez les peuples païens sont au Groënland, au Labrador, chez les Indiens de l’Amérique du Nord, dans les îles de Saint-Thomas, de Sainte-Croix et de Saint-Jean, à la Jamaïque, à Antigoa, à Saint-Christophe, à la Barbade, à Tabago, sur la côte des Mosquites, à Surinam, dans le sud de l’Afrique, au Thibet et en Australie (dans la province de Port-Philippe). D’après le recensement de 1864, il y a dans ces divers pays 323 missionnaires moraves (Frères ou Sœurs) répartis dans quatre-vingt-trois stations. Le nombre des païens convertis qui vivent dans les communautés fondées par ces missionnaires dépasse 76 000.
A côté de ces missions étrangères, l’église des Frères continue, comme du temps de Zinzendorf, à travailler pour le règne de Dieu par des œuvres d’évangélisation et par des établissements d’éducation. Elle a des ouvriers en tout pays. Autour de ces ouvriers se groupent souvent de petites sociétés qui, sans faire partie de la communauté morave, soutiennent cependant des relations avec elle et lui sont unies par le lien de l’esprit. Il y a en Europe seulement (sans compter les îles Britanniques) environ soixante sociétés de ce genre ; on en trouve à Strasbourg, à Bâle, à Amsterdam, à Harlem ; à Copenhague, à Altona, à Stockholm, à Saint-Pétersbourg, à Moscou, etc.
Outre leur séminaire théologique, établi maintenant à Gnadenfeld, leur pædagogium de Nieski et l’institution de Kleinwelke, où sont élevés les enfants des missionnaires, les Frères moraves ont actuellement sur le continent européen treize établissements d’éducation pour les jeunes garçons et quinze pour les jeunes filles. L’Angleterre en compte quatorze et l’Amérique quatre. La plupart de ces établissements se trouvent dans les communautés, quelques-uns cependant au dehors : ce sont pour les jeunes garçons celui de Lausanne, fondé en 1837, et pour les jeunes filles celui de Montmirail (près de Neuchâtel), fondé en 1766, et celui de Lindheim en Livonie.