La loi est l’expression de la volonté de Dieu. C’est par elle que le peuple sait exactement ce que Dieu exige de lui. La sainteté de Dieu en est le principe. « Soyez saints, car je suis saint. » Lévitique 11.44 ; 19.2. « Vous devez vous sanctifier, afin que vous soyez saints, car je suis Jéhovah, votre Dieu. » Lévitique 20.7. Toute la vie des Israélites doit porter le sceau de la consécration à un Dieu saint. Dans toutes les circonstances quelque peu importantes de la vie, l’Israélite se trouve devant une ordonnance divine à laquelle il doit se soumettre. Il doit à tout moment prêter l’oreille à la voix divine qui lui indique ce qu’il a à faire. Aux pans de ses vêtements sont suspendus des phylactères et des bandelettes qui ont pour but de lui rappeler à chaque instant qu’il lui faut écouter les commandements de son Dieu, et non pas les suggestions de son cœur ou de ses yeux. (Nombres 15.38 ; Deutéronome 22.12). Point encore ici de distinction entre la vie intérieure et la vie extérieure ; c’est dans ces deux sphères indistinctement que le peuple doit répondre à sa vocation sainte. On a l’habitude de distinguer entre les lois morales, cérémoniales et politiques. Cette division est assez commode ; elle permet de jeter un coup-d’œil d’ensemble sur toutes les ordonnances théocratiques. Mais, du moment où elle aurait la prétention de répondre à une différence de valeur intrinsèque et de dignité entre les lois morales et les lois cérémoniales ou politiques, elle serait fausse. La défense d’ensemencer son champ de diverses sortes de graines se trouve tout auprès de la parole capitale qui résume toute la seconde table de la loi : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lévitique 19.18-19). Les ordonnances relatives aux animaux purs et impurs (Lévitique 11.44) reposent, aussi bien que le cinquième commandement (Lévitique 19.2), sur l’obligation où se trouve le peuple d’être saint comme son Dieu. C’est même dans les lois cérémoniales que se montre d’une façon tout particulièrement frappante la distance immense qui sépare le paganisme, avec sa tendance à rabaisser Dieu jusqu’à la nature, — du mosaïsme qui veut au contraire sanctifier toutes les relations naturelles et tout consacrer à Dieu. La manière en laquelle Dieu s’exprime est la même pour toutes les lois ; ce sont toujours des ordres absolus et complètement inconditionnels. Avant la conclusion de l’alliance, le peuple a encore le choix ; il peut refuser de s’obliger à l’observation de la loi qui va lui être donnée. Une fois l’alliance conclue, une fois son consentement donné, il n’y a plus de choix possible. La loi étant à ce point objective, comment supposer que Dieu ait laissé à l’homme le soin d’établir une distinction entre tel commandement ou tel autre ? Le législateur seul est en état de le faire. Or, s’il y a des châtiments exceptionnels réservés à ceux qui se livrent à certaines abominations ou qui violent certains préceptes, tels que la circoncision et le sabbatm, il n’en est pas moins vrai que le plus petit commandement a droit au même respect que tout le reste de-la loi : « Maudit est quiconque n’accomplit pas toutes les paroles de cette loi ! » (Deutéronome 27.26).
m – Dont la violation, si elle n’avait pas été sévèrement réprimée, eût compromis l’édifice théocratique tout entier.
On a fait un crime à la loi de Moïse du caractère objectif et extérieur de l’autorité qu’elle prétend exercer. On a dit qu’elle se contente de la légalité et qu’elle ne va pas jusqu’à exiger la moralité. C’est faux. Elle regarde au cœur. « Tu ne convoiteras point ! » « Tu aimeras l’Éternel de tout ton cœur. » « Tu ne garderas point de ressentiment contre les enfants de ton peuple. » Elle exige la circoncision du cœur, c’est-à-dire l’abandon de soi-même à Dieu et une pureté intérieure (Deutéronome 10.16 ; Josué 22.5 ; 23.11). Mais elle exige aussi l’obéissance extérieure. Les deux soumissions, celle du cœur et celle de la vie, doivent marcher de front.
Nous touchons ici à l’un des points les plus remarquables de la pédagogie de l’A. T. Voilà les Israélites qui sont à chaque instant mis en l’ace d’un commandement positif ; qu’il s’agisse pour eux de faire ou de fuir quelque chose, ils ont à obéir à Dieu. Quoi de plus propre à leur faire sentir que ce n’est pas à eux-mêmes à se fixer à leur gré des règles de conduite, mais que cela n’appartient qu’à Celui dont la volonté est parfaitement bonne’ ? Il est vrai qu’ainsi il est fait complètement abstraction de la conscience, et en effet la Loi ne parle jamais de cette autre loi écrite dans le cœur. Mais s’il y a dans ce fait qu’il est tenu à l’observation d’une volonté absolue, supérieure à la nature, et qu’il est obligé de renoncer à sa volonté propre et à ce qui peut lui paraître à lui-même juste et bonn, — s’il y a, dis-je, dans ce fait quelque chose d’humiliant pour le serviteur de l’Éternel ; s’il peut sembler que cela constitue un recul sur le paganisme, où la volonté de l’homme peut prendre un bien plus libre essor ; en y regardant de plus près on doit reconnaître qu’il y a là un progrès décisif. Au contact d’une justice supérieure, la conscience de l’homme s’est réveillée de sa torpeur ; elle a appris à sentir le péché et à soupirer après la réconciliation avec Dieu.
n – L’Israélite, dit Herder, ne peut jamais s’élever à un idéal qui mette en jeu toute son activité et qui lui procure cette joie intime de l’homme qui sent qu’il approche du but qu’il s’est proposé.
Quelques observations encore pour compléter l’aperçu que nous venons de donner du caractère de la législation mosaïque.
1° Toutes les cérémonies auxquelles les Israélites sont soumis à partir de la circoncision, ont un caractère symbolique et sont les types de ce qui doit se passer dans le cœur de l’homme pour qu’il arrive à la saintetéo. Rappelez-vous tant de passages des Prophètes et des Psaumes où il est question des vrais sacrifices, de la vraie purification, des vraies lustrations. « Le sacrifice agréable à tes yeux, etc. »
o – Nous développerons cette pensée plus tard, à propos du sacerdoce, § 95, du culte mosaïque, § 112 et du Naziréat, § 135.
2° Les défenses sont beaucoup plus détaillées dans la loi de Moïse que ne le sont les ordres positifs. Il est vrai que les Rabbins ont trouvé moyen de compter dans le Pentateuque, à côté de trois cent soixante-cinq défenses, pas moins de deux cent quarante-huit ordres positifsp. Mais on s’aperçoit sans peine que, pour ce qui est des devoirs positifs, la loi s’en tient volontiers à des principes généraux ; que même il y a bien des choses auxquelles elle est entièrement favorable, qu’elle voudrait voir se développer, mais qu’elle n’ordonne pas en autant de mots, se bornant à rappeler des faits et à instituer des cérémonies typiques qui soient de nature à porter les Israélites à entrer spontanément et à marcher librement dans la direction désiréeq. Ce n’est que le Judaïsme postérieur qui s’est permis d’empiéter sur ce domaine, que Moïse avait sagement laissé franc de fossés et de barrières, pour que la piété individuelle eût, une fois du moins, l’occasion de se déployer librement.
p – Ils rappellent à ce propos qu’il y a 365 jours dans l’année et 248 membres dans le corps humain, du moins d’après les anatomistes du temps.
q – Moïse se connaissait quelque peu en éducation.
3° Enfin, un point capital, ce sont les considérations sur lesquelles la loi fait reposer elle-même son autorité. Aux yeux de la loi, point de justice chez qui ne croit pas à l’élection et aux promesses de Dieu. « Vous avez vu que je vous ai portés sur des ailes d’aigle et que je vous ai fait venir vers moi », voilà la parole qui ouvre le discours dont l’Éternel fait précéder immédiatement la promulgation de la loi. Exode 19.4.
4° Après la foi, la Loi demande l’amour. Elle compte sur la reconnaissance du peuple envers son Dieu. Elle fait constamment appel à ce sentiment si naturel. Voyez Exode 20.2, et surtout le Deutéronome, où Moïse représente continuellement aux Israélites combien Dieu les aime et combien est excellente la loi qu’il leur a donnée (Deutéronome 4.6-8 ; 30.11-14).
[« Tous les peuples un entendant ces statuts diront : Cette grande nation est le seul peuple sage et intelligent. Quelle est la nation si grande qui ait des lois justes comme celles que je mets aujourd’hui devant vous ? » Voyez encore Psaumes 147.19-20. — Et en effet Israël a exercé une incontestable hégémonie spirituelle sur tous les peuples de la terre.]
Moïse, disons-nous, s’efforce d’amener son peuple à l’amour de Dieu. Mais il sait mieux que personne que le peuple ne peut pas revêtir de semblables dispositions et qu’en définitive ses efforts seront vains (Deutéronome 5.29 ; 31.16).