L'apôtre de la Birmanie, Adoniram Judson, apprit, moins de deux semaines avant sa mort, l'exaucement de prières qu'il avait adressées à Dieu avec ardeur des années auparavant et qui semblaient sans réponse. Longtemps, il avait porté sur son cœur la cause des Juifs, au point de songer à fonder pour eux une mission en Palestine, mais en vain. Et voici, quelques jours avant de mourir, il apprit que quelques Juifs s'étaient convertis à Trébizonde, après la lecture d'un traité qui racontait sa propre vie, et qu'ils avaient fait demander à Constantinople un maître chrétien. Les yeux pleins de larmes, le vieux missionnaire s'écria :
Je n'ai jamais prié avec ardeur, avec zèle, pour une chose quelconque, sans qu'elle me fût accordée. Et cependant, j'ai toujours eu si peu de foi. Que Dieu me pardonne et purifie mon cœur de tout péché d'incrédulité.
Quel riche héritage Hudson Taylor laissait au pays qu'il aimait, à l'Église de Dieu en Chine, pour laquelle il avait donné sa vie !
En un sens, les prières de sa vie entière étaient exaucées. Mais, dans un autre sens, ces prières ne nous indiquent-elles pas encore de vastes possessions dont il nous faut nous emparer ?
Hudson Taylor ne pouvait douter que le Seigneur voulût faire entendre à « toute créature », en Chine, la joyeuse nouvelle du salut. Et sa conviction ne fut ébranlée ni par les obstacles successifs qui surgirent, ni par la crise des Boxers.
Ce travail ne sera pas accompli sans crucifixion, avait-il dit à la Conférence de la Mission à l'Intérieur de la Chine de mai 1890, sans que nous soyons prêts à exécuter à n'importe quel prix le commandement du Maître. Mais, ceci fait, je crois au fond de mon cœur que cet ordre sera exécuté. S'il est une occasion, dans ma vie, où j'ai eu l'assurance d'être conduit par Dieu, c'est bien en écrivant et en publiant les articles dont le premier a paru en novembre dernier.
Les événements indiquaient que les temps n'étaient pas encore venus, mais qui dira qu'ils ne sont pas accomplis maintenant ? Nombre de symptômes montrent que c'est dans cette direction que l'Esprit de Dieu agit. Un récent examen des travaux missionnaires en Chine pendant les dix dernières années, prouve clairement qu'un nouvel esprit d'évangélisation s'empare de l'Église de Chine. Dans la province du Honan, par exemple, peuplée de vingt-cinq millions d'âmes, toutes les Sociétés et Églises sont unies dans un même effort pour prêcher l'Évangile « à toute créature » dans l'espace de cinq années. Ce mouvement commença au début de 1917 ; son but précis était de « faire appel à la collaboration de tous les chrétiens du Honan et de porter l'Évangile à la connaissance de tous les non chrétiens de la province ». Et cet effort, qui réclame les prières et la sympathie de tous ceux qui désirent la venue du règne de Dieu, n'est qu'une partie d'un mouvement plus vaste qui, à des degrés divers, se fait sentir dans toute la Chine.
Des nouvelles aussi encourageantes viennent du Hunan où l'école biblique flottante s'affirme comme une méthode efficace pour préparer des hommes sachant gagner des âmes. Organisé par le Dr Keller, ce mouvement remarquable a pour but « la rapide et complète évangélisation des vingt-deux millions d'habitants de cette province », par de petites troupes itinérantes qui travaillent en accord avec toutes les sociétés missionnaires. Profitant des nombreux canaux, les étudiants de l'École biblique, qui doivent avoir une foi vivante et une vocation sérieuse, passent la plus grande partie de l'année, sous la direction d'un maître chinois exercé et sous la surveillance des surintendants missionnaires, dans un bateau aménagé pour en recevoir une douzaine. Sur l'appel d'un missionnaire, ils se rendent dans un district et y passent tout le temps nécessaire pour atteindre par le message du salut la population entière.
Nous avons maintenant trois groupes à l'œuvre, écrivait le Dr Keller en 1917 et nous espérons en organiser trois autres cette année. Dans des centaines de familles, les gens ont rejeté l'idolâtrie et ont accepté Christ comme leur Sauveur et Seigneur. Des classes bibliques ont été formées, de nouvelles Églises organisées et plusieurs milliers d'hommes qui n'avaient jamais entendu l'Évangile auparavant ont vu leurs préventions se dissiper et leurs cœurs s'ouvrir à l'Évangile.
Une fois par an les groupes se réunissent pendant deux mois, en vue d'une étude spéciale de la Bible, dans les montagnes où un sanctuaire célèbre attire chaque année des centaines de milliers de pèlerins. Là, les étudiants, auxquels se joignent les pasteurs et les évangélistes de toute la province, font une œuvre féconde parmi les pèlerins dont des jeunes gens zélés et religieusement bien disposés forment une bonne part. Beaucoup de conversions du plus haut intérêt ont été enregistrées en 1916. Le Dr Keller estime que cette méthode de travail pourrait être adaptée aux besoins particuliers des autres provinces et contribuerait utilement à résoudre le problème de l'évangélisation de la Chine dans cette génération.
On a trouvé, dans la Bible d'Hudson Taylor, une petite carte de la province du Kweichow qui indiquait, en particulier, les stations où commençait le travail.
Témoin de tant de prières, cette feuille de papier parle de la sollicitude du missionnaire pour ces fils sauvages des montagnes qui, en hostilité perpétuelle avec leurs voisins chinois, adoraient des démons et s'adonnaient aux superstitions les plus grossières. M. J. Adam, qui avait travaillé avec zèle au sein de la tribu des Miaos, près d'Anshun, rencontra Hudson Taylor à Dundee, lors de son premier retour en Europe. L'œuvre était difficile, mais pleine de promesses, et M. Adam ignorait comment il pourrait la poursuivre. Il avait la charge d'une station, aucun collaborateur ne s'offrait : que faire ? Fallait-il renoncer à atteindre ces tribus et se borner à travailler parmi les Chinois ? Ni lui, ni Hudson Taylor, en se séparant à Dundee, ne pensaient à la réponse que leurs prières étaient sur le point de recevoir. Le magnifique mouvement de réveil, commencé dans le district d'Anshun, allait s'étendre à la province voisine, le Yunnan, faisant entrer ces pauvres montagnards par milliers dans le Royaume de Dieu et suscitant parmi eux d'ardents missionnaires pour propager l'Évangile de tribu à tribu, en cercles de bénédictions toujours plus vastes.
« Le soleil ne s'est jamais levé sur la Chine sans me trouver en prière », pouvait dire Hudson Taylor à la fin de ses longues années de travail dans ce pays. Et peut-être aucun de ses travaux n'a plus contribué que ses prières à produire les fruits que nous constatons aujourd'hui. Mais il ne se contentait pas de prier. Ce volume dit quelque chose de l'activité qui accompagnait son intercession.
J'ai besoin, écrivait-il à Mme Taylor, au cours d'une, de leurs nombreuses séparations, de renoncer à moi-même et à toi, pour la vie des Chinois et celle de nos collaborateurs. Remarque dans 1 Cor. 1 .18, comment la Croix est mise en rapport avec la puissance. Bien des vies ne manquent-elles pas de puissance parce qu'elles n'aiment pas la Croix ? Puisse notre vie être remplie de la puissance de Dieu.
Les besoins qui l'émouvaient, l'ordre du Christ — que nous aussi, nous appelons Maître et Seigneur — demeurent les mêmes. De grands changements sont survenus et surviennent encore en Chine. L'œuvre missionnaire réclame, pour s'adapter à de nouvelles situations, de nouvelles méthodes qui sont étudiées et appliquées avec prière. Mais les grands faits qui les nécessitent sont les mêmes. L'idolâtrie n'a point lâché prise. Un membre de la Mission qui écrit de l'extrême Nord-Ouest, en juin 1918, raconte que dans une ville des milliers d'hommes et de femmes sont voués par serment à l'adoration rituelle, à des heures déterminées. Entre autres, quinze cents femmes se sont engagées à se rendre à un certain temple le deuxième et le sixième jour de chaque mois ; là, elles s'agenouillent sur les vérandas et dans la cour, chacune tenant à deux mains et à hauteur de son front une baguette d'encens. Elles doivent garder cette position et réciter des prières jusqu'à ce que la baguette d'encens soit consumée, ce qui est fort long. À chacun de ces jours d'adoration, des offrandes d'argent doivent être faites pour la construction et l'embellissement des temples et la fabrication de nouvelles idoles. Et ce n'est là qu'une ville parmi les centaines où ne réside encore aucun missionnaire. Ces pauvres gens, dans leurs ténèbres, n'ont-ils pas besoin de lumière ? N'est-ce pas aussi pour eux qu'a été répandu le Sang précieux qui seul peut nous purifier du péché et nous rapprocher de Dieu ? Quelle ne sera pas notre responsabilité si, connaissant ces choses, nous ne faisons pas tous nos efforts — par nos prières, nos dons ou notre service direct la vie éternelle ! — pour les amener à la connaissance de la vie éternelle !
Beaucoup a été fait, mais il reste à faire beaucoup plus encore si nous voulons profiter fidèlement de l'occasion présente, la plus glorieuse peut-être qui se soit jamais offerte à des chrétiens. « Quand la Chine bougera, disait Napoléon, cela changera la face du monde. » La Chine a bougé, elle bouge.
Nous devons avancer sur nos genoux, écrivait l'évêque Cassels en considérant les besoins et les possibilités de ce vaste pays. Il faut nous appuyer sur Dieu d'une façon toute nouvelle dans la prière... Je remercie Dieu de ce que la Mission vit par la prière. Mais je dis que Dieu fera une chose nouvelle pour nous quand il y aura un nouvel esprit de prière parmi nous. Dieu fera une chose nouvelle pour nous quand il y aura un nouvel esprit de consécration parmi nous.
Si celui dont nous avons suivi les pas à travers une vie de travail et de sacrifice, mais de joie rayonnante dans la communion de Christ, pouvait nous parler aujourd'hui du sein de la gloire éternelle, ne nous répéterait-il pas ce qu'il disait au milieu du combat :
Il est nécessaire que nous nous donnions nous-mêmes pour la vie du monde, comme Il a donné Sa chair pour la nourriture de ceux qui étaient sans vie et des âmes dont la vie ne peut être entretenue que par le même pain vivant. Une vie facile et sans renoncement à soi-même n'aura jamais de puissance.
Porter du fruit implique porter sa croix. « Si le grain de blé tombé en terre ne meurt, il demeure seul. » Nous savons comment le Seigneur Jésus a porté du fruit — non pas en portant Sa croix, simplement, mais en mourant sur elle. Sommes-nous vraiment en communion avec Lui, à cet égard ? Il n'y a pas deux Christ : l'un, bon marché pour les chrétiens bon marché, l'autre souffrant et sans cesse en travail, pour les croyants exceptionnels. Il n'y a rien qu'un Christ. Voulez-vous demeurer en Lui et, ainsi, porter beaucoup de fruit ?
Qu'il plaise à Dieu de nous faire sentir que l'enfer est quelque chose de si réel que nous ne puissions en avoir de repos, que le ciel est quelque chose de si réel que nous ayons besoin d'y voir les hommes sauvés, que Christ est si réel que notre ambition suprême soit de faire de l'Homme de douleurs, l'Homme de la joie par la conversion d'un grand nombre de ceux pour lesquels Il disait : « Père, je te demande que là où je suis, ceux que tu m'as donnés soient aussi avec moi, afin qu'ils voient ma gloire. »
Pour l'intelligence du récit, il faut se souvenir que ce chapitre a été écrit en 1918 (Note des éditeurs).