S’ensuyt la seconde partie de l’authorité de l’Eglise, laquelle les Papistes veulent estre située à imposer loix à leur poste. De ceste source sont venues infinies traditions, lesquelles ont esté autant de cordeaux pour estrangler les povres âmes. Car ils ne font point plus de scrupule que les Scribes et Pharisiens, de mettre sur les espaules du peuple fardeaux importables, lesquels ils ne voudroyent toucher d’un doigt Matt. 23.4 ; Luc 11.46. J’ay desjà remonstré ailleurs quelle et combien cruelle torture contient ce qu’ils commandent à chacun, de confesser tous ses péchez à l’aureille d’un Prestre. Il n’y apparoist pas en toutes leurs autres loix une violence si énorme. Mais celles qui semblent les plus supportables ne laissent point d’opprimer tyranniquement les consciences. Je me déporte de dire qu’elles abastardissent le service de Dieu, et ravissent à Dieu mesme le droict qui luy appartient d’estre seul Législateur. Voyci doncques l’argument que nous avons maintenant à traitter, S’il est licite à l’Eglise d’astreindre les consciences aux loix qu’elle voudra faire. En ceste dispute nous ne touchons point à l’ordre qui sert à la police : mais seulement il est question que Dieu soit purement et deuement servi selon qu’il a commandé, et que la liberté spirituelle nous demeure sauve. L’usage commun de parler est tel, que tous édits procédez des hommes touchant le service de Dieu, soyent nommez traditions humaines. C’est contre telles loix que nous avons à combatre, non pas contre les sainctes ordonnances et utiles, qui servent à garder modestie et honnesteté, ou nourrir la paix. La fin de combatre est de refréner l’empire tant excessif et barbare, que ceux qui veulent estre réputez Pasteurs ont usurpé sur les povres âmes, desquelles ils sont vileins bourreaux. Car ils veulent que les loix qu’ils font soyent spirituelles, et qu’elles appartienent à l’âme : affermans qu’elles sont nécessaires à la vie éternelle. En quoy est assailly et violé le royaume de Christ : et la liberté donnée de luy aux consciences des fidèles, opprimée et abatue. Je laisse maintenant à dire sur quelle impiété ils fondent l’observance de leurs loix, disans que par là nous acquérons rémission des péchez et justice : en mettant en icelles toute la somme de religion. Pour le présent je débatray seulement ce point, qu’on ne doit imposer nécessité aux consciences és choses desquelles elles sont affranchies par Jésus-Christ : et sans laquelle franchise (comme nous avons ci-devant enseigné) elles ne peuvent avoir repos envers Dieu. Il faut qu’elles recognoissent pour leur Roy un seul Christ, et pour libérateur : et qu’elles soyent gouvernées par la seule loy de liberté, qui est la sacrée parole de l’Evangile, si elles veulent retenir la grâce qu’elles ont une fois obtenue en Jésus-Christ : et qu’elles ne soyent assujeties à servitude aucune, ne captivées sous quelques liens.
Ces législateurs font bien semblant que leurs constitutions sont loix de liberté, un joug gracieux et fardeau léger. Mais qui est-ce qui ne voit que ce sont purs mensonges ? Touchant d’eux, ils n’ont garde de sentir la pesanteur de leurs loix : veu qu’ayans rejetté toute crainte de Dieu, ils contemnent aussi hardiment leurs loix que celles de Dieu. Mais ceux qui sont touchez de quelque soin de leur salut, sont bien loing de s’estimer libres ce pendant qu’ils sont estreints de leurs liens. Nous voyons combien songneusement a évité sainct Paul de charger les consciences, jusques à n’oser en une seule chose les lier 1Cor. 7.35. Et non sans cause. Certes il cognoissoit que c’estoit une playe mortelle faite aux consciences, si on leur imposoit nécessité des choses desquelles la liberté leur avoit esté laissée de Dieu. Au contraire, à grand’peine pourroit-on nombrer les constitutions que ceux-ci ont rigoureusement publiées sur peine de damnation éternelle, et lesquelles ils exigent en toute extrémité comme nécessaires à salut. Or il y en a beaucoup fort difficiles à garder : mais si on les amasse en un, l’observation en sera du tout impossible : telle en est la quantité. Comment doncques se pourra-il faire, que ceux qui sont chargez d’un si gros fais et pesant, ne soyent tormentez d’horribles angoisses et perplexité ? Je di doncques derechef que mon intention est de combatre yci contre telles loix qui se bastissent et se mettent sus, pour lier les âmes devant Dieu, et les envelopper de scrupules : comme si tout ce qu’elles contienent devoit estre observé de nécessité.
Plusieurs se trouvent empeschez en ceste question, pource qu’ils ne distinguent pas assez subtilement entre le siège judicial de Dieu, qui est spirituel, et la justice terrestre des hommes. La difficulté leur est encores augmentée, de ce que sainct Paul commande d’obéir aux Magistrats, non-seulement pour crainte d’estre puny, mais aussi pour la conscience Rom. 13.1-5. Dont il s’ensuyt que les consciences sont aussi bien sujettes aux loix civiles. Si ainsi est, ce que nous avons desjà dit au chapitre prochain, et ce qui nous reste à dire touchant le régime spirituel, seroit mis à néant. Pour soudre ce nœud, il nous est besoin de sçavoir en premier lieu, que c’est que Conscience. Ce qui se peut en partie tirer du mot. Car Science est l’appréhension ou notice de ce que les hommes cognoissent, selon l’esprit qui leur est donné. Quand doncques ils ont un sentiment et remors du jugement de Dieu, comme un tesmoin qui leur est apposé pour ne point souffrir qu’ils cachent leurs péchez, mais les attirer et soliciter au jugement de Dieu, cela est nommé Conscience. Car c’est une cognoissance moyenne entre Dieu et l’homme, laquelle ne permet point à celuy qui voudroit supprimer ses fautes, de s’oublier : mais le poursuyt à luy faire sentir qu’il est coulpable. C’est ce qu’entend sainct Paul, en disant que la conscience atteste aussi avec les hommes quand leurs pensées les condamnent ou absoudent devant Dieu Rom. 2.15. Une simple cognoissance et nue pourroit estre en un homme comme estouffée. Parquoy ce sentiment qui adjourne et attire l’homme au siège judicial de Dieu, est comme une garde qui luy est donnée pour l’esveiller et espier, et pour descouvrir tout ce qu’il seroit bien aise de cacher s’il pouvoit. Et voylà dont est venu le proverbe ancien, Que la conscience est comme mille tesmoins. Par une mesme raison sainct Pierre met la response de bonne conscience 1Pi. 3.21 pour un repos et tranquillité d’esprit, quand l’homme fidèle s’appuyant en la grâce de Christ, se présente hardiment devant la face de Dieu. Et l’Apostre en l’Epistre aux Hébrieux, disant que les fidèles n’ont plus de conscience de péché Héb. 10.2, signifie qu’ils en sont délivrez et absous, pour n’avoir plus de remors qui les rédargue.
Parquoy comme les œuvres ont leur regard aux hommes, aussi la conscience a Dieu pour son but : tellement que bonne conscience n’est sinon une intégrité intérieure du cœur. Et c’est à ce propos que sainct Paul dit que l’accomplissement de la Loy est charité, de conscience pure et de foy non feinte 1Tim. 1.5. En un autre lieu il monstre en quoy elle diffère de simple sçavoir, disant qu’aucuns sont décheus de la foy, pource qu’ils s’estoyent destournez de bonne conscience. Car par ces mots il signifie que c’est une affection vive d’honorer Dieu, et un droict zèle de vivre purement et sainctement. Quelquesfois le nom de Conscience s’approprie à ce qui concerne les hommes : comme quand sainct Paul dit aux Actes, qu’il a mis peine de cheminer tant envers Dieu qu’envers les hommes en bonne conscience Actes 24.16 : mais cela s’entend d’autant que les fruits extérieurs qui en procèdent parvienent jusques aux hommes. Mais à parler proprement, la conscience, comme j’ay dit, a son but et addresse à Dieu. Parquoy nous disons qu’une loy lie les consciences, quand elle oblige simplement et du tout l’homme, sans avoir regard aux prochains, mais comme s’il n’avait affaire qu’à Dieu. Exemple : Dieu nous commande non-seulement d’avoir le cœur pur de toute impudicité, mais aussi de nous garder de toutes paroles vilenes et dissolutions tendantes à incontinence. Quand il n’y auroit homme vivant sur la terre, je suis tenu en ma conscience de garder telle loy. Parquoy si je me desborde à quelque impudicité, je ne pèche pas seulement en ce que je donne scandale à mes frères, mais je suis coulpable devant Dieu, comme ayant transgressé ce qu’il m’avoit détendu entre luy et moy. Il y a une autre considération quant aux choses indifférentes : car il nous en faut abstenir entant que nous pourrions offenser nos frères, mais c’est avec conscience franche et libre. Comme sainct Paul le monstre, parlant de la chair consacrée aux Idoles : Si quelqu’un, dit-il, en fait scrupule, n’en mange point à cause de la conscience : non pas de la tiene, mais de celle de ton prochain 1Cor. 10.28-29. L’homme fidèle qui seroit adverty, pécheroit, scandalisant son prochain par son manger : mais combien que Dieu luy commande de s’abstenir pour l’amour de son prochain de manger de telle viande, et qu’il luy soit nécessaire de s’y assujetir, toutesfois la conscience ne laisse pas d’estre tousjours en liberté. Nous voyons doncques comme ceste loy n’impose sujétion sinon à l’œuvre extérieure : et ce pendant laisse la conscience libre.
Revenons maintenant aux loix humaines. Si elles tendent à ceste fin de nous assujetir, comme s’il estoit nécessaire de les observer, voire d’une nécessité simple et précise : nous disons que les consciences sont chargées outre raison, d’autant qu’elles doyvent estre régies et reiglées par la seule Parole de Dieu, comme elles ont à faire à luy et non pas aux hommes. Et de faict, tel a esté le sens de ceste distinction vulgaire qu’on a tenue par toutes les escholes : que c’est autre chose des jurisdictions humaines et politiques, que de celles qui touchent à la conscience. Combien que le monde ait esté plongé en horribles ténèbres d’ignorance, si est-ce que tousjours ceste petite estincelle est demeurée de reste, qu’il y avoit une jurisdiction à part pour la conscience, qui estoit pardessus les hommes. Vray est que ceux qui confessoyent cela en un mot, le renversoyent puis après : si est-ce toutesfois que Dieu a voulu qu’il y demeurast tousjours quelque tesmoignage de la liberté chrestienne, pour exempter les consciences de la tyrannie des hommes. Mais la difficulté que nous avons esmeue ci-dessus n’est point encores solue. Car s’il faut obéir aux Princes non-seulement pour la punition, mais pour la conscience : il s’ensuyt de là, comme il semble, que les loix des Princes dominent sur les consciences pour les tenir bridées. Or si cela est vray, il en faudra autant dire des loix ecclésiastiques. Je respon qu’en premier lieu il convient distinguer entre le genre et les espèces. Car combien que chacune loy en particulier n’oblige point la conscience, toutesfois nous sommes tenus de les garder en général par le commandement de Dieu, qui a approuvé et estably l’authorité des Magistrats. Et voylà sur quoy sainct Paul insiste en toute sa dispute ; c’est qu’il nous faut honorer les Magistrats, d’autant qu’ils sont ordonnez de Dieu Rom. 13.1. Ce pendant il n’enseigne pas que les loix ou statuts qu’ils font appartienent au régime spirituel des âmes, veu que par tout il maintient que le service de Dieu est la reigle de bien et sainctement vivre. Quant à la spiritualité, qu’on appelle, elle est pardessus tout décret et statut des hommes. Il y a un autre second point à noter, qui dépend du premier : c’est que toutes loix humaines (j’enten celles qui sont droictes et justes) ne lient point la conscience, pource que la nécessité de les observer ne gist point aux choses qu’elles commandent, comme si c’estoit péché de soy, faire ceci ou cela : mais que le tout se doit rapporter à la fin générale, c’est qu’il y ait bon ordre et police entre nous. Or toutes loix qui déterminent quelque façon de servir à Dieu outre sa Parole, ou celles qui imposent une nécessité précise, quant aux choses libres et indifférentes, sont bien loing d’une telle fin.
Or telles sont toutes les constitutions qui sont aujourd’huy nommées en la Papauté, Ecclésiastiques, lesquelles ils disent estre nécessaires pour bien honorer et servir Dieu. Et selon qu’elles sont innumérables, aussi ce sont autant de liens pour captiver les âmes. Combien que nous en ayons briefvement touché en exposant la Loy, toutesfois pource que ce lieu est plus propre à en traitter tout au long, je m’estudieray de recueillir en somme ce qui en est, et le déduire par le meilleur ordre que faire se pourra. Et pource que nous avons aussi n’aguères suffisamment parlé de la licence que s’attribuent les faux Evesques, touchant d’enseigner telle doctrine et forger tels articles de foy que bon leur semble : je laisseray pour le présent toute ceste matière, et insisteray seulement à parler de la puissance qu’ils se vantent avoir pour faire loix et constitutions. Voylà doncques la couleur qu’a eue le Pape et tous ses Evesques cornus, de charger les consciences de nouvelles loix : c’est qu’ils sont ordonnez du Seigneur législateurs spirituels, entant que le gouvernement de l’Eglise leur est commis. Et pourtant tout ce qu’ils commandent et ordonnent, ils disent qu’il doit estre nécessairement observé par tout le peuple chrestien. Pourtant que celuy qui y aura contrevenu est coulpable de double désobéissance, entant qu’il est rebelle à Dieu et à l’Eglise. S’ils estoyent vrais Evesques, je leur concéderoye bien quelque authorité en cest endroict : non pas tant qu’ils en demandent, mais autant qu’il en seroit mestier pour entretenir la police de l’Eglise. Mais puis qu’ils ne sont rien moins que ce qu’ils veulent qu’on les répute, ils n’en sçauroyent si peu demander que ce ne soit trop. Toutesfois pource que nous avons jà démonstré quels ils sont, et en quelle estime on les doit avoir, ottroyons-leur pour le présent que tout ce qu’ont les vrais Evesques de puissance leur compète. Mettant ce cas, je nie toutesfois qu’ils soyent ordonnez comme législateurs sur les fidèles, pour constituer reigle de vivre à leur plaisir, ou contraindre le peuple à garder leurs statuts et décrets. Quand je di cela, j’enten qu’il ne leur est nullement licite de commander à l’Eglise d’observer ce qu’ils auront d’eux-mesmes estably sans la Parole de Dieu, en y mettant nécessité. Puis que ceste puissance a esté incognue des Apostres, et que si souvent Dieu l’a interdite par sa propre bouche aux ministres de son Eglise Esaïe 29.14, je m’esbahi comment ils l’ont osée usurper contre la défense de Dieu si manifeste, et encores plus de ce qu’ils l’osent aujourd’hui maintenir.
Le Seigneur a tellement comprins en sa Loy tout ce qui appartenoit à la reigle parfaite de bien vivre, qu’il n’a rien laissé aux hommes à y adjouster : ce qu’il a fait pour deux causes. La première est, que d’autant que toute saincteté et justice est située en cela, que nostre vie soit rangée à sa volonté, comme à une reigle unique de toute droicture, c’est bien raison que luy seul ait la maistrise et le gouvernement sur nous. La seconde est qu’il a voulu monstrer qu’il ne requiert rien de nous plus qu’obéissance. Suyvant ceste raison sainct Jaques dit, Qui juge son frère, il juge la Loy : et qui juge la Loy, il n’en est point observateur, mais en est supérieur. Or il y a un seul Législateur qui peut sauver et damner Jacq. 4.11-12. Nous oyons comment Dieu s’attribue cela comme un privilège particulier, de nous régir sous son empire et par ses loix. Ceste sentence mesme avoit esté dite au paravant d’Isaïe, Le Seigneur est nostre Roy, le Seigneur est nostre Législateur, le Seigneur est nostre Juge, il nous sauvera Esaïe 33.22. Certes en tous les deux passages il est monstré que Dieu seul a la vie et la mort en sa main, d’autant qu’il a l’authorité sur l’âme. Et mesmes sainct Jaques le prononce ainsi tout clairement. Pourtant nul homme ne peut usurper un tel droict. Dont il s’ensuyt qu’il faut tenir Dieu pour le seul Roy de nos âmes, lequel seul ait la puissance de sauver et damner : ou comme chantent les paroles d’Isaïe, il le faut recognoistre pour Roy, Juge, Législateur et Sauveur. Pourtant sainct Pierre en advertissant les Pasteurs de leur office, les exhorte de tellement paistre le troupeau, qu’ils n’exercent point domination sur les héritages 1Pi. 5.2-3. Par lequel mot il signifie le peuple de Dieu, qu’il a acquis comme sa propre possession. Si nous considérons bien ce point, qu’il n’est point licite de transférer à l’homme mortel ce que Dieu s’approprie à soy, nous entendrons que toute l’authorité que s’attribuent ceux qui se veulent eslever pour assujetir l’Eglise à leurs propres statuts, est retranchée par ce moyen.
Or pource que toute ceste question dépend de là, que si Dieu seul est nostre Législateur, il n’est pas licite à l’homme mortel d’usurper ceste dignité, il nous faut avoir en mémoire les deux raisons que nous avons amenées, pourquoy c’est que Dieu s’attribue cela à luy seul. La première est, à ce que sa volonté soit tenue comme une reigle parfaite de toute justice et saincteté : et pourtant, que la science de bien vivre soit de cognoistre ce qu’il luy plaist. La seconde est, que touchant la façon de le bien et deuement servir, il soit recognu pour seul supérieur de nos âmes, ayant l’authorité de commander, et que nostre devoir soit de luy obéir. Quand ces deux raisons seront imprimées en nostre mémoire, il nous sera facile de discerner quelles constitutions des hommes sont contraires à la Parole de Dieu : asçavoir toutes celles lesquelles on dit appartenir à vrayement servir Dieu, et ausquelles garder on astreint les consciences, comme si elles estoyent nécessaires. Qu’il nous souviene doncques de poiser tous les statuts et décrets des hommes en ceste balance, si nous voulons avoir un certain examen et infallible. Sainct Paul en l’Epistre aux Colossiens s’arme de la première raison, combatant contre les faux prophètes qui vouloyent imposer nouvelles charges sur les Eglises Col. 2.8. En l’Epistre aux Galatiens, il insiste plus en la seconde, ayant toutesfois une semblable cause à démener. Il dispute doncques en l’Epistre aux Colossiens qu’il ne faut point prendre des hommes la doctrine du vray service de Dieu, veu qu’il nous a fidèlement et suffisamment instruit comment nous le devons servir. Pour démonstrer cela, il traitte au chapitre Ier comment toute la sagesse laquelle ameine l’homme à perfection devant Dieu, est contenue en l’Evangile. Au commencement du chapitre II, il testifie que tous les thrésors de sagesse et intelligence sont cachez en Christ Col. 2.3. De là il conclud que les fidèles se doyvent bien gardey d’estre distraits du troupeau de Christ par une vaine philosophie, selon les constitutions des hommes. Puis en la fin du chapitre il passe encores outre, condamnant tous services de Dieu volontaires, comme il les appelle, c’est-à-dire que les hommes auront controuvez d’eux-mesmes, ou prins des autres : et en général tous commandemens inventez des hommes pour servir Dieu. Nous avons doncques ce point gaigné, que toutes constitutions : en l’observation desquelles ont fait à croire que le service de Dieu est situé, sont meschantes. Touchant des argumens dont il use en l’Epistre aux Galatiens, pour monstrer qu’il n’est pas licite d’assujetir les consciences, lesquelles doyvent estre gouvernées de Dieu seul Gal. 5.1, chacun les peut entendre en les lisant : principalement je renvoyé les lecteurs au chapitre V.
Mais pource que toute ceste matière sera mieux liquidée par exemples, il sera bon devant que procéder outre, d’accomoder ceste doctrine à nostre temps. Nous disons que les constitutions desquelles le Pape avec sa bande charge l’Eglise, sont pernicieuses et meschantes. Les Papistes les maintienent estre sainctes et utiles. Or il y en a deux espèces : car les unes sont des cérémonies, les autres regardent plus à la discipline. Advisons doncques si nous avons juste cause qui nous meine à les réprouver tant les unes que les autres. Certes il y en a plus que je ne voudroye : premièrement ceux qui les font ne maintienent-ils pas haut et clair que le vray service de Dieu y est comprins ? A quelle fin rapportent-ils leurs cérémonies, sinon à ce que Dieu soit servy par icelles ? Et cela ne se fait point seulement par les idiots et commun populaire, mais par l’approbation de ceux qui sont les gouverneurs et prélats. Je ne touche point encores aux énormes abominations, par lesquelles ils se sont efforcez de renverser toute piété : mais il est certain qu’ils ne feroyent pas des crimes mortels et irrémissibles, d’estre contrevenu à la moindre tradition de celles qu’ils ont forgées, s’ils n’assujetissoyent le service de Dieu à leurs inventions propres. En quoy doncques faillons-nous, si nous ne pouvons aujourd’huy porter ce que sainct Paul dit n’estre point tolérable : asçavoir qu’il ne faut point compasser le service de Dieu au plaisir des hommes : principalement quand ils commandent qu’on le serve en rudimens puériles, c’est-à-dire en choses extérieures Col. 2.20 : ce que sainct Paul dit estre répugnant à Christ. D’avantage, il est assez notoire comment ils astreignent les consciences à observer d’une rigueur extrême tout ce qu’ils commandent. Quand nous contredisons à cela, nous avons sainct Paul adjoinct avec nous en la mesme cause : lequel ne permet nullement que les consciences des fidèles soyent submises à la servitude des hommes Gal. 5.1.
D’avantage il y a encores pis, c’est que depuis qu’on a une fois commencé de constituer la religion en ces vaines traditions, il s’ensuyt incontinent après ceste perversité une autre malédiction exécrable, laquelle Christ reprochoit aux Pharisiens ; c’est asçavoir que le commandement de Dieu est mesprisé et anéanty pour garder les préceptes des hommes Matt. 15.3. Je ne combatray point de mes paroles contre nos législateurs qui sont à présent. Je leur donne la victoire, s’ils se peuvent excuser que ceste accusation de Christ ne s’addresse point à eux. Mais comment s’en excuseroyent-ils, veu que c’est cent fois plus horrible péché en eux, de ne s’estre confessé une fois l’an en l’aureille d’un Prestre, que d’avoir mené meschante vie tout au long de l’année ? avoir touché de la chair au bout de la langue au vendredi, que d’avoir souillé tous ses membres chacun jour par paillardise ? avoir mis la main à quelque ouvrage utile et honneste de soy en un jour de feste dédié à quelqu’un de leurs saints canonisez à leur poste, que d’avoir tout au long de la sepmaine employé tout son corps à meschans actes ? un Prestre estre conjoinct en mariage légitime, que d’estre entaché de mille adultères ? de ne s’estre point acquitté d’un vœu de pèlerinage, que de rompre sa foy en toutes promesses ? n’avoir point employé son argent aux pompes désordonnées de leurs Eglises, que d’avoir délaissé un povre en une extrême nécessité ? avoir passé par-devant une idole sans oster son bonnet, que d’avoir contemné tous les hommes du monde ? n’avoir point barboté à certaines heures longues paroles sans sens, que de n’avoir jamais prié en vraye affection ? Qu’est-ce anéantir le commandement de Dieu pour ses traditions, si cela ne l’est ? c’est asçavoir quand froidement et comme par acquit recommandans l’observance des commandemens de Dieu, ils requièrent une entière obéissance des leurs avec un si grand soin : comme si toute la venu de piété y estoit située ? Quand punissans la transgression de la Loy de Dieu par amendes de légères satisfactions, ils ne punissent de moindre peine la trangression d’un de leurs décrets que par prison, feu, ou glaive ? Quand estans assez faciles à pardonner aux contempteurs de Dieu, ils poursuyvent leurs contempteurs d’une haine inexorable jusqu’à la mort ? Et quand ils instruisent tellement ceux lesquels ils tienent captifs en ignorance, qu’ils aimeroyent mieux veoir toute la Loy de Dieu estre renversée, qu’un seul point des commandemens de l’Eglise, comme ils les appellent ? Premièrement, c’est trop desvoyé du droict chemin, que pour choses légères et (si on s’arrestoit au jugement de Dieu) indifférentes, l’un contemne, condamne et rejette l’autre. Maintenant (comme s’il n’y avoit point assez grand mal en cela) tels élémens frivoles de ce monde (comme sainct Paul les nomme Gal. 4.9) sont plus estimez, que les ordonnances célestes de Dieu. Celuy qui est absous en adultère, est condamné en son manger. Une femme légitime est défendue à celuy auquel est permise une paillarde. Voylà le fruit de ceste obéissance plene de prévarication, laquelle se recule autant de Dieu, qu’elle s’encline aux hommes.
Il y a encores deux autres vices â réprouver en ces constitutions, lesquels ne sont pas petis. Le premier est, qu’elles nous amusent à des observations pour la plus grand’part inutiles, et mesmes quelquesfois sottes et contre raison. Le second est, que la multitude en est si grande, que les consciences fidèles en sont oppressées et estans réduites à une espèce de Juifverie, s’arrestent tellement aux ombres, quelles ne peuvent venir à Christ. Ce que je les appelle inutiles et ineptes, je sçay bien que cela ne sera point croyable à la prudence charnelle. Car le sens naturel de l’homme y prend si grand plaisir, que quand on les oste il luy semble que toute l’Eglise est desfigurée : mais c’est ce que sainct Paul dit, qu’elles ont apparence de sagesse, à cause qu’il semble que Dieu y soit servy, et qu’elles nous exercent à humilité et à discipline Col. 2.23. Par cela il nous donne une admonition très utile, laquelle doit bien estre imprimée en nostre mémoire. Les constitutions humaines, dit-il, ont couleur de sagesse pour nous tromper. Si nous demandons quelle, il respond qu’entant qu’elles sont forgées des hommes, l’entendement humain recognoissant là ce qui est sien, le reçoit plus volontiers que ce qui seroit autrement très-bon, mais ne s’accorderoit pas si bien à sa folie et vanité. Il nous respond secondement, que c’est d’autant que nous pensons avoir en icelles une bonne instruction à humilité. Il respond finalement, que c’est d’autant qu’elles semblent advis appartenir à refréner les délices de la chair, d’autant qu’elles contienent quelque forme d’austérité. Mais quand il a tout dit, les accepte-il ? ou bien use-il de raisons pour descouvrir ceste fausse apparence ? Au contraire, pource qu’il estimoit que ce seul mot estoit suffisant pour les réprouver, que ce sont inventions controuvées des hommes, il ne daigne point les rédarguer plus amplement : ou bien, pource qu’il sçavoit que tous services de Dieu forgez à l’appétit des hommes, sont à rejetter en l’Eglise, et qu’ils doyvent estre d’autant plus suspects aux fidèles, qu’ils ont accoustumé de délecter les hommes : pource aussi qu’il sçavoit qu’il y a telle différence entre la vraye humilité et la fausse imitation d’icelle, qu’il est facile de discerner l’une de l’autre : finalement, pource qu’il sçavoit que ceste austérité dont il parle, ne doit estre tenue que pour un exercice corporel, il a nommé ces choses pour réfuter les traditions humaines entre les fidèles, combien que de là elles prenent toute leur dignité entre les hommes.
En ceste manière aujourd’huy non-seulement le commun populaire, mais ceux qui pensent estre bien sages selon le monde, prenent un merveilleux plaisir à user d’une grande pompe de cérémonies. Touchant des hypocrites et des sottes femmes qui sont bigotes de nature, il leur semble advis qu’il n’y a rien de plus beau ne de meilleur. Mais ceux qui espluchent de plus près, et considèrent mieux à la droicte reigle que c’est que tout cela vaut, entendent que tout cela n’est que fatras, d’autant qu’il n’en vient nul proufit. Secondement que ce sont abus et tromperies, d’autant que les yeux en sont esblouis pour mener l’homme en tout erreur. Je parle des cérémonies ausquelles les Romanisques font à croire qu’il y a de grans mystères cachez. Or nous expérimentons que ce n’est que dérision : et n’est point de merveilles que ceux qui les ont mises sus, sont tombez en ceste folie de s’amuser et décevoir les autres en tels badinages frivoles, veu qu’ils ont prins pour leur patron en partie les folles resveries des Payens, en partie les observations de la Loy mosaïque, lesquelles ne nous appartenoyent non plus que les sacrifices des bestes brutes, et les choses semblables, lesquelles ils ont ensuyvies sans discrétion, comme singes. Certes quand il n’y auroit nul autre argument, si est-ce que d’une fripperie tant mal cousue, on n’en sçauroit rien attendre qui vaille. Et la chose est toute évidente, qu’il y a la pluspart des cérémonies papistiques qui n’ont autre usage que de rendre le peuple stupide, plustost que de l’enseigner. Semblablement les hypocrites ont en grande révérence ces canons nouveaux, et les tienent comme de grande importance, combien qu’ils soyent plus pour renverser la discipline que pour la conserver ; car si on les regarde bien de près, on trouvera que ce ne sont que masques sans vérité.
Pour venir à l’autre point que j’ay mis, qui est-ce qui ne voit qu’il y a eu tant de traditions amassées les unes sur les autres, que la multitude en est creue sans nombre, tellement qu’elle est intolérable à l’Eglise chrestienne ? Car aux cérémonies il y apparoist un vray Judaïsme. Les autres observations sont comme géhennes pour tormenter cruellement les povres consciences. Sainct Augustin se plaignoit de son temps, que desjà pour lors tout estoit si plein de présomption en mesprisant les commandemens de Dieu, que celuy qui avoit marché à pied nud durant l’octave de son Baptesme, estoit plus griefvement reprins que celuy qui s’estoit enyvré. Il se plaignoit semblablement que l’Eglise, laquelle Dieu a voulu estre libre, estoit tellement foullée et grevée d’ordonnances et statuts, que la condition des Juifs avoit esté plus aisée[b]. Si ce sainct personnage vivoit aujourd’huy, quelles quérimonies feroit-il de la malheureuse servitude où nous sommes ? Car le nombre en est augmenté jusques à dix fois autant qu’il y en avoit adoncques : et on insiste cent fois plus rudement en chacun point qu’on en faisoit. Et de faict il en advient tousjours ainsi : c’est que quand les hommes ont une fois occupé l’empire sur les âmes, ils ne cessent de faire nouveaux commandemens et nouvelles défenses, jusques à ce qu’ils se soyent desbordez en toute extrémité. Ce que sainct Paul signifie très-bien quand il dit, Si vous estes morts au monde, comment vous astreint-on par décrets, comme si vous y estiez vivans ? Ne mange point de cela, n’en gouste point, n’y attouche point Col. 2.20-21. Il descrit yci fort bien la procédure des séducteurs, qui commencent par superstition, défendans de manger d’une viande, voire mesmes bien peu. Après avoir gaigné ce point, ils défendent aussi mesmes d’en gouster. Leur a-on accordé cela, ils font à croire qu’il n’est pas licite d’y toucher.
[b] Ad Januar. epist CXIX.
Nous reprenons doncques aujourd’huy à bon droict ceste tyrannie aux traditions humaines : asçavoir que les povres consciences sont merveilleusement tormentées par statuts infinis, à l’observation desquels on oblige estroitement le monde. Touchant des Canons qui appartienent à la discipline, il en a esté dit ci-dessus. Des cérémonies, qu’en diray-je ? lesquelles n’apportent autre proufit, sinon de nous faire revenir aux figures judaïques, ensevelissans à demi nostre Seigneur Jésus ? Le Seigneur, dit sainct Augustin, nous a ordonné peu de Sacremens, excellens en signification, faciles à observer[c]. Or combien répugne à ceste simplicité la multitude et variété des observations dont l’Eglise est enveloppée ? Je sçay bien sous quelle couleur aucuns excusent ceste perversité. Ils allèguent qu’il y en a plusieurs entre nous d’aussi rudes qu’il y en avoit au peuple d’Israël : que pour iceux ceste forme puérile a esté introduite : de laquelle combien que les sçavans et robustes se puissent passer, ils ne la doyvent toutesfois mespriser, puis qu’ils voyent qu’elle est utile à leurs frères. Je respon que nous sçavons bien que c’est que doit un chacun Chrestien à l’infirmité de ses prochains : mais ce n’est pas la façon de s’accomoder à l’infirmité des rudes, en leur imposant un grand tas de cérémonies pour les oppresser. Dieu n’a pas mis sans cause ceste différence entre le peuple ancien et nous, qu’il a voulu instruire iceluy par signes et figures à la façon des petis enfans : et qu’envers nous il use d’une autre simplicité, ayant aboly ceste pompe extérieure : Comme un enfant, dit sainct Paul, est gouverné et tenu en discipline par son pédagogue selon la capacité de son aage : ainsi les Juifs ont esté conduits sous la Loy Gal. 4.1-3. Mais nous, nous sommes semblables aux jeunes gens qui sont sortis d’enfance, et n’ont plus besoin d’estre en curatèle ny en discipline puérile. Certes le Seigneur prévoyoit bien quel seroit le commun peuple de l’Eglise chrestienne, et comment il seroit mestier de le régir selon sa rudesse : toutesfois il a mis ceste discrétion que nous avons dite, entre nous et les Juifs. Ainsi c’est une folle raison à nous de vouloir redresser la façon judaïque pour subvenir aux rudes, laquelle a esté cassée et abolie par Jésus-Christ. Ceste diversité de nous et du peuple ancien est aussi déclairée par les paroles qu’eut le Seigneur Jésus avec la Samaritaine, quanti il luy dit que le temps estoit venu, que les vrais serviteurs de Dieu l’adoreroyent en esprit et vérité Jean 14.23. Cela certes avoit bien esté tousjours fait : mais les fidèles du Nouveau Testament diffèrent en cela des anciens Pères, que l’adoration spirituelle de Dieu estoit couverte du temps de la Loy, de cérémonies, et comme cachée dedans : maintenant nous adorons Dieu simplement, d’autant que le voile du Temple est rompu avec toutes ses appartenances. Pourtant ceux qui confondent ceste différence, renversent l’ordre institué et estably par Jésus-Christ. Quelqu’un demandera, Les rudes doncques n’auront-ils nulles cérémonies pour soulager leur ignorance ? Je confesse qu’il n’est que bon et utile de les aider par ce moyen : mais je di qu’il faut user de mesure, asçavoir que le tout serve à esclarcir la cognoissance de Jésus-Christ, et non pas l’obscurcir. Dieu doncques nous a donné peu de cérémonies et aisées, pour nous représenter Jésus-Christ depuis qu’il nous a esté exhibé. Les Juifs en ont eu d’avantage pour le figurer en son absence. Or je di qu’il leur estoit absent pour lors : non pas quant à sa vertu, mais quant à la façon de le représenter. Pourtant si nous voulons tenir bon moyen en cest endroict, il nous faut garder de multiplier le nombre des cérémonies, lequel doit estre petit selon l’ordonnance de Dieu. Il faut adviser que celles que nous aurons soyent aisées, pour ne point grever les consciences : et qu’en leur signification elles ayent une majesté et évidence telle que dit a esté. Que cela n’ait pas esté fait, qu’est-il mestier de le monstrer plus au long ? car il est notoire à chacun.
[c] Epist. CXVIII, Ad Januar.
Je laisse à dire les fantasies pernicieuses dont on a abruvé le povre monde luy faisant à croire que les cérémonies inventées des hommes sont sacrifices plaisans à Dieu, par lesquels les péchez sont effacez, et par lesquels on acquiert justice et salut. Quelqu’un me dira que si ce sont choses bonnes d’elles-mesmes, elles ne peuvent estre corrompues par ces erreurs survenans, veu qu’il en advient bien autant aux œuvres que Dieu a commandées. Mais cela est plus intolérable, de faire tel honneur aux œuvres controuvées au plaisir des hommes, que de les réputer méritoires de la vie éternelle. Car les œuvres commandées de Dieu, prenent le fondement de leur rémunération, de ce que Dieu les a agréables à cause de l’obéissance. Elles ne sont point doncques estimées pour leur propre dignité ou mérite, mais d’autant que Dieu prise l’obéissance que nous luy rendons. J’enten si quelqu’un faisoit en perfection ce que Dieu commande. Car les œuvres que nous faisons ne sont plaisantes à Dieu que par sa bonté gratuite, d’autant que l’obéissance n’y est qu’à demi. Mais d’autant que nous ne disputons pas yci dont procède nostre justice, laissons ceste question. Quant est de la matière présente, je di derechef que tout ce que les œuvres ont de valeur et estime, elles l’ont au regard de l’obéissance que nous rendons à Dieu, laquelle seule il regarde : comme il dit par son Prophète, Je ne vous ay rien, dit-il, commandé des hosties et sacrifices : mais seulement d’escouter ma voix Jér. 7.22-23. Touchant des œuvres que les hommes font à leur dévotion il en est dit ainsi en un autre passage : Vous employez vostre argent sans acheter du pain Esaïe 55.2 : signifiant que c’est peine perdue. Item, C’est en vain qu’ils m’honorent selon les commandemens des hommes Esaïe 29.13 ; Matt. 15.9. Pourtant nos adversaires ne s’excuseront jamais, en ce qu’ils souffrent que le povre populaire cherche sa justice en ces fatras de traditions humaines, pour pouvoir consister devant Dieu, et obtenir salut. D’avantage, n’est-ce pas un vice digne de grande répréhension, qu’ils usent de beaucoup de cérémonies non entendues, pour amuser le monde comme à une bastellerie et jeu de farce, ou à quelque conjuration d’enchanteurs ? Car il est certain que toutes cérémonies sont perverses et nuisibles, sinon qu’elles meinent les hommes à Christ. Or toutes les cérémonies dont on use en la Papauté, n’ont ne doctrine ne signification, mais sont amusemens de petis enfans. Finalement, comme le ventre est subtil pour inventer choses qui luy soyent à proufit, il y en a eu la pluspart controuvées par les Prestres par pure avarice, pour amener la farine au molin. Mais encores de quelque origine qu’elles procèdent, si on veut purger l’Eglise d’une turpitude manifeste, et qu’il ne s’y exerce point foire ne marchandise vilene, on ne peut autrement faire que d’en retrancher la pluspart, d’autant que ce sont comme attrapes pour attirer l’argent du peuple.
Combien qu’il semble advis que ce que j’ay dit jusques yci des traditions humaines, soit seulement pour nostre temps, afin de réprouver les superstitions papistiques, si est-ce toutesfois qu’on en peut recueillir une doctrine utile pour tous temps. Car toutes fois et quantes que ceste folie pullule, de vouloir servir Dieu par inventions humaines, toutes les ordonnances qu’on fait à ceste fin vienent incontinent à ces abus que nous avons dit. Car ce n’est point pour un temps, mais pour tousjours, que Dieu a dénoncé ceste malédiction, de frapper d’aveuglement et bestise tous ceux qui le serviront par doctrines humaines Esaïe 29.13-14. Cest aveuglement est cause que ceux qui se desvoyent du droict chemin, en mesprisant tant d’admonitions de Dieu, tombent d’une absurdité en l’autre. Toutesfois si quelqu’un désire d’avoir une doctrine générale, sans avoir esgard à la Papauté, quelles sont les traditions humaines, lesquelles doyvent estre en tout temps répudiées de l’Eglise, la détermination que nous en avons mise ci-dessus, est claire et certaine, asçavoir qu’il nous faut mettre en ce rang toutes les loix qui seront faites des hommes sans la Parole de Dieu, à ceste fin d’establir quelque façon de servir à Dieu, ou de lier les consciences par nécessité. S’il y a encores d’autres abus qui s’en ensuyvent, comme quand par la multitude des cérémonies la clairté de l’Evangile est obscurcie, ou bien que ce sont folles observations et inutiles qui ne peuvent édifier, ou bien que ce sont amorses pour escumer l’argent des bourses, ou bien que le peuple en soit grevé outre mesure, ou qu’il y ait des autres meschantes superstitions : tout cela nous devra aider pour facilement discerner combien de mal et de nuisance il y a.
J’enten bien que c’est qu’ils respondent pour eux, asçavoir que leurs traditions ne sont pas d’eux-mesmes, mais de Dieu, d’autant que l’Eglise est régie par le sainct Esprit à ce qu’elle ne puisse errer. Or ils présupposent que l’authorité de l’Eglise réside par-devers eux. Ce point gaigné, il s’ensuyt que toutes leurs traditions sont révélations du sainct Esprit, lesquelles on ne peut mespriser sans mespriser Dieu. Et afin qu’il ne semble advis qu’ils ayent rien follement attenté de leurs testes, ils font à croire que la plus grand’part de leurs ordonnances est venue des Apostres. D’avantage, ils disent qu’un seul exemple peut démonstrer ce que les Apostres ont fait en général : asçavoir quand estans assemblez ils ont déterminé en leur Concile, que les Gentils se deussent abstenir de manger du sang ou de la chair d’une beste suffoquée ou de ce qui auroit esté sacrifié aux idoles Actes 15.20, 29. Nous avons amplement déclairé autre part, combien faussement ils abusent du tiltre de l’Eglise pour approuver leur authorité. Quant à la cause présente, si en rejettant toute feintise et fausseté nous considérons ce qui nous est mestier de regarder, c’est asçavoir quelle Eglise requiert Jésus-Christ, afin de nous ranger, et conformer à sa reigle : il nous sera assez évident que ceste n’est point l’Eglise, laquelle en outrepassant les limites de la Parole de Dieu, s’esbat à faire nouvelles loix, et inventer nouvelle façon de servir Dieu. Car ceste loy qui a esté une fois enjoincte à l’Eglise ne demeure-elle point éternellement ? Tu prendras garde de faire ce que je te commande : tu n’y adjousteras rien et n’en diminueras. Et derechef, Tu n’adjousteras à la Parole du Seigneur, et n’en diminueras : afin qu’il ne t’accuse et que tu ne sois trouvé mensonger Deut. 12.32 ; Prov. 30.6. Puis qu’on ne peut nier que ces choses ne soyent dites à l’Eglise, qu’est-ce que font autre chose ceux qui disent que nonobstant telles défenses elle a osé entreprendre d’adjouster du sien à la Parole de Dieu, sinon qu’ils l’arguent de rébellion contre Dieu ? Mais n’escoutons point leurs mensonges, par lesquels ils font si grande injure à l’Eglise. Plustost cognoissons que le nom de l’Eglise est faussement prétendu, quand on en veut couvrir la folle témérité des hommes qui rompt les limites de la Parole de Dieu pour donner lieu à ses inventions. Ces paroles ne sont pas difficiles ny ambiguës, ny incertaines, par lesquelles il est défendu à l’Eglise universelle d’adjouster ou diminuer de la Parole de Dieu, quand il est question de son service. Ils diront que cela est dit de la Loy seule, après laquelle sont venues les Prophéties : ce que je confesse, moyennant qu’ils entendent qu’icelles tendent plus à accomplir la Loy, qu’à y adjouster ou en retrancher. Or si le Seigneur ne souffre point qu’on adjouste au ministère de Moyse, ou qu’on en diminue, combien qu’il fust plein d’obscureté, jusques à ce qu’il donne plus claire doctrine par les Prophètes ses serviteurs, et finalement par son Fils bien-aimé : pourquoy n’estimerons-nous estre plus rigoureusement défendu d’adjouster à la Loy, aux Prophéties, aux Pseaumes et à l’Evangile ? Le Seigneur certes n’a point changé de vouloir : lequel a jadis déclairé qu’il ne peut estre plus griefvement offensé, que quand les hommes le veulent servir par leurs inventions propres. Comme nous en avons les excellens tesmoignages aux Prophètes, qui nous devoyent estre assiduellement devant les yeux. En Jérémie, quand j’ay conduit vos Pères hors de la terre d’Egypte, je ne leur ay point commandé de m’offrir hosties et sacrifices : mais je leur ay donné ce mandement, disant, Escoutez ma parole, et je seray vostre Dieu, et vous serez mon peuple, et cheminerez aux voyes que je vous monstreray Jér. 7.23. Item, En adjurant j’ay adjuré vos Pères, Escoutez ma Parole Jér. 11.7. Il s’en lit plusieurs autres semblables : mais principalement cestuy-ci qui s’ensuyt est notable, lequel est escrit en Samuel : Le Seigneur demande-il hosties et sacrifices, et non pas plustost qu’on obéisse à sa voix ? car obéissance est meilleure que sacrifice : et, vaut mieux escouter que d’offrir hosties bien grasses. Car répugner à Dieu est comme sorcellerie : et n’acquiescer point à luy, est comme idolâtrie 1Sam. 15.22-23.
Parquoy puis qu’on ne peut excuser d’impiété toutes les inventions qu’on défend sous l’authorité de l’Eglise : il est facile d’inférer que faussement elles sont imputées à l’Eglise. A ceste cause nous combatons hardiment contre ceste tyrannie des traditions humaines, qui sont obtenues sous le tiltre de l’Eglise. Car nous ne mesprisons point l’Eglise, comme nos adversaires pour nous rendre odieux nous reprochent faussement : mais nous luy attribuons la louange d’obéissance, laquelle est la plus grande qu’elle sçauroit désirer. Eux-mesmes sont outrageusement injurieux contre l’Eglise, la faisant rebelle contre son Seigneur : d’autant que selon leur dire, elle a transgressé le commandement de Dieu. Encores que je ne mette en avant que c’est une grande impudence et malice à eux, d’objecter continuellement la puissance de l’Eglise, et ce pendant laisser derrière et dissimuler quel mandement elle a de Dieu, et quelle obéissance elle luy doit. Mais si nous désirons comme il appartient de consentir avec l’Eglise, il nous faut plustost regarder et considérer ce qui nous est commandé de Dieu, et à toute l’Eglise pareillement, afin que d’un commun accord nous luy obéissions. Car il ne faut aucunement douter que n’accordions très-bien avec l’Eglise, si en tout et par tout nous nous rendons obéissans à Dieu. Touchant ce qu’ils disent l’origine de leurs traditions estre descendue des Apostres, ce sont pures tromperies : veu que toute la doctrine des Apostres tend à ce but, que les consciences ne soyent chargées de nouvelles traditions : et que la religion chrestienne ne soit contaminée par nos inventions. Et s’il faut croire aux histoires anciennes, ce qu’ils attribuent aux Apostres ne leur a pas seulement esté incognu, mais jamais n’en ouyrent parler. Et ne faut qu’ils babillent, que beaucoup de constitutions des Apostres ont esté receues par usage, qui ne furent jamais escrites, c’est asçavoir des choses qu’ils ne pouvoyent entendre devant la mort de Jésus-Christ, lesquelles ils ayent apprinses depuis son ascension par révélation du sainct Esprit nous avons desjà ci-dessus exposé ce passage. Quant est pour le propos que nous traitions, ils se font bien ridicules, quand en voulant déclairer quels sont ces grans mystères qui ont si long temps esté incognus aux Apostres, ils proposent en partie des cérémonies prinses et meslées de celles lesquelles au paravant avoyent esté vulgaires entre les Juifs et Gentils, en partie des folles singeries et sottes cérémonies, lesquelles des asnes de Prestres, qui ne sçavent n’aller ne parler, sçavent toutes par cœur : et mesmes lesquelles les fols et les enfans contrefont si proprement, qu’on diroit qu’ils en ont toute la science en leur teste. Si nous n’avions nulles histoires, toutesfois il n’y a homme de sain jugement qui ne jugeast qu’une telle multitude de cérémonies n’est point venue tout d’un coup en l’Eglise, mais que petit à petit elle a esté introduite. Car comme ainsi soit que les bons Evesques preschans du temps des Apostres, eussent fait aucunes sainctes ordonnances appartenantes à l’ordre et à la police, leurs successeurs estans gens inconsidérez et convoiteux de choses nouvelles, y ont voulu adjouster chacun son loppin l’un après l’autre : les derniers ont tousjours voulu surmonter leurs prédécesseurs. D’avantage, pource qu’il y avoit danger que leurs inventions, par lesquelles ils vouloyent acquérir bruit et renommée, ne s’en allassent incontinent à val l’eau, ils ont usé de grande rigueur que ne faisoyent point les premiers, pour contraindre le peuple à les observer. Ceste folle imitation et perverse, où chacun a voulu estre aussi vaillant que son compagnon à forger quelque nouveauté, nous a engendré la plus grand’ part des cérémonies que nos Papistes du jourd’huy veulent qu’on tiene pour ordonnances apostoliques. Mais, comme nous avons dit, les histoires nous en rendent suffisant tesmoignage.
Afin que nous ne soyons trop longs à en faire un long récit, contentons-nous d’un exemple. Les Apostres ont usé d’une grande simplicité en administrant la Cène de nostre Seigneur : les prochains successeurs, pour orner la dignité du mystère ont adjousté quelques façons de faire, lesquelles n’estoyent point du tout à condamner. Mais depuis sont survenus d’autres singes, qui ont eu une folle affectation de coudre pièce sur pièce : et ainsi ont composé tant les accoustremens du Prestre que les paremens de l’autel, et le badinage et jeu de farce que nous voyons à présent à la Messe avec tout le reste du bagage. Mais les Papistes ont encores une objection, que de toute ancienneté on a eu cela pour résolu, que ce qu’on tenoit en l’Eglise universelle d’un commun accord, estoit procédé des Apostres, comme sainct Augustin le testifie. Je ne leur bailleray autre solution que de la bouche de sainct Augustin : Toutes les choses, dit-il, qu’on garde en tout le monde, il est à juger qu’elles ont esté ordonnées par les Apostres ou par les Conciles universels, desquels l’authorité est très-utile en l’Eglise : comme ce qu’on célèbre annuellement la mémoire de la passion et résurrection de nostre Seigneur : Item, son ascension au ciel, et la Pentecoste : et s’il y a encores quelque chose semblable qui se garde en toute l’Eglise, par tout où elle a son estendue au monde[d]. Puis qu’il allègue tant peu d’exemples, n’est-il pas facile de veoir qu’il n’a pas voulu authoriser les observations qui estoyent pour lors, sinon celles qui estoyent sobrement instituées et en petit nombre, et lesquelles estoyent utiles pour conserver l’ordre de l’Eglise avec simplicité ? Or c’est bien loing de ce que prétendent les Romanisques, qu’il n’y ait si petit fatras de cérémonies entre eux, qui n’ait esté estably par l’authorité des Apostres.
[d] Epist. CXVIII.
Pour cause de briefveté je produiray seulement un exemple. Si quelqu’un leur demande dont ils ont leur eau bénite : ils respondront incontinent, que c’est des Apostres. Comme si les histoires ne racontoyent point que çà esté un Pape qui en a esté le premier inventeur : lequel s’il eust appelé les Apostres à son conseil, n’eust jamais contaminé le Baptesme par ceste ordure, voulant faire un mémorial du Sacrement, qui n’a point esté ordonné sans cause pour estre une fois receu. Combien que ce ne m’est pas chose vray-semblable que l’origine en soit si ancienne que les histoires en font mention. Car sainct Augustin dit qu’aucunes Eglises de son temps réprouvoyent la cérémonie de laver les pieds le jour de la Cène, de peur qu’il ne semblast que cela apparteinst au Baptesme. En quoy il signifie qu’il n’y avoit lors nulle espèce de lavement laquelle eust quelque similitude avec le Baptesme[e]. Quoy qu’il en soit, je n’ay garde de concéder que cela soit jamais procédé de l’esprit des Apostres, d’user d’ablution quotidienne pour réduire en mémoire le Baptesme, qui vaut autant à dire comme le réitérer. Et ne me chaut de ce que sainct Augustin en un autre passage attribue aussi bien aux Apostres d’autres observations. Car puis qu’il ne fait que deviner par conjectures, quel jugement pourroit-on asseoir là-dessus, mesmes de choses si grandes ? Finalement, encores que j’accorde que les choses qu’il dit soyent descendues du temps des Apostres, si est-ce qu’il y a grande différence entre ordonner quelques exercices dont les fidèles puissent user en liberté ou s’en abstenir, et faire des statuts pour lier estroitement les consciences. Toutesfois quiconques en ait esté l’autheur, puis qu’elles ont esté tirées en si grand abus, nous ne faisons nul déshonneur à iceluy en les abatant, à cause de la corruption qui y est survenue : d’autant qu’elles n’ont jamais esté instituées à ceste intention qu’elles fussent perpétuelles.
[e] Epist. CXVIII, Ad Januarium.
L’exemple des Apostres qu’ils allèguent pour donner authorité à leur tyrannie, ne fait de rien mieux à propos. Les Apostres, disent-ils, et les Anciens de l’Eglise primitive ont fait une ordonnance outre le mandement de Christ : par laquelle ils défendoyent aux Gentils de ne manger des choses immolées aux idoles, de la chair de beste suffoquée, ne du sang Actes 15.20. S’ils ont eu raison de ce faire, pourquoy ne pourroyent leurs successeurs les ensuyvre toutes les fois que mestier est ? Je voudroye qu’ils les ensuyvissent tant en ceci qu’en autres choses. Car je nie que les Apostres en cela ayent institué ou ordonné rien de nouveau ; comme il m’est facile de prouver. Car puis qu’en ce lieu là mesme sainct Pierre afferme que c’est tenter Dieu d’imposer quelque charge sur les disciples : il renverseroit après sa sentence, s’il souffroit que quelque charge leur fust imposée. Or ce seroit certainement une charge, si les Apostres décernoyent par leur authorité, qu’il fust défendu aux Gentils de ne manger des sacrifices des idoles, ne de la chair de beste suffoquée, ne de sang. Néantmoins il demeure tousjours un scrupule : c’est qu’il semble advis qu’ils l’ayent défendu. Mais quand on regardera de près au sens de leur ordonnance, la solution sera facile. Le premier et principal point est, qu’il faut laisser aux Gentils leur liberté : sans leur faire fascherie, ne les inquiéter des observations de la Loy. Jusques yci elle nous favorise directement. L’exception qui s’ensuyt après touchant les sacrifices, la chair estouffée, et le sang, n’est pas une nouvelle loy faite par les Apostres : mais c’est le commandement éternel de Dieu de garder charité. Et ne diminue en rien la liberté des Gentils : mais seulement les advertit comment ils se doyvent accomoder à leurs frères, pour ne les scandaliser en l’usage de leur liberté. Notons doncques que ceci est le second point : c’est asçavoir que la liberté des Gentils ne soit nuisante, ny en scandale à leurs frères. Si quelqu’un persiste encores, disant qu’ils ordonnent quelque certaine chose : je respon que seulement ils monstrent, selon qu’il estoit expédient pour le temps, en quelles choses les Gentils pouvoyent scandaliser leurs frères, afin qu’ils s’en gardent : toutesfois ils n’adjoustent du leur rien de nouveau à la Loy de Dieu éternelle, laquelle défend le scandale.
Comme si aujourd’huy és pays où les Eglises ne sont pas encores bien ordonnées, les bons Pasteurs dénonçoyent à ceux qui sont desjà bien instruits, qu’ils n’ayent à manger chair au Vendredi, ou labourer en jour de feste publiquement, jusques à tant que les débiles en la foy, par plus certaine doctrine devienent plus fermes. Car combien que ces choses, la superstition ostée, soyent de soy indifférentes : toutesfois quand elles se commettent avec scandale des frères infirmes, elles ne sont sans péché. Et le temps est aujourd’huy tel, que les fidèles ne sçauroyent faire ces choses en présence de leurs frères infirmes, sans navrer griefvement leurs consciences. Qui seroit celuy qui oseroit dire, s’il ne vouloit grandement calomnier, qu’en ceste manière tels bons Pasteurs feroyent une nouvelle loy, veu qu’il appert qu’ils ne feroyent sinon obvier aux scandales, lesquels sont assez clairement défendus de Dieu ? On en peut autant dire des Apostres, desquels l’intention n’a esté autre que de maintenir la Loy de Dieu, laquelle est d’éviter les scandales ; comme s’ils eussent dit, Le commandement de Dieu est, que vous n’offensiez point vos frères infirmes. Vous ne pouvez manger les choses offertes aux idoles, ne de la chair estouffee, ne du sang, sans les offenser : nous vous commandons doncques par la Parole de Dieu, de n’en manger avec scandale. Que telle ait esté l’intention des Apostres, sainct Paul en est tesmoin : lequel accordant à leur ordonnance escrit ainsi : Touchant des viandes qui sont sacrifiées aux idoles, nous sçavons bien qu’il n’y a idole au monde qui soit rien. Mais aucuns en mangent avec ceste conscience, comme si elles estoyent dédiées aux idoles, et leur conscience infirme est violée ; voyez que ceste vostre liberté ne tourne en scandale aux imbécilles 1Cor. 8.1, 9. Celuy qui considérera ces choses, ne sera point ci-après facilement abusé par ces trompeurs, qui veulent faire à croire que les Apostres par ceste ordonnance ont commencé à restreindre la liberté de l’Eglise. Mais encores afin qu’ils ne puissent plus fuir ne caviller que ce que je di ne soit la pure vérité : qu’ils me respondent en quelle authorité ils ont cassé et anéanty ce décret des Apostres. Ils ne peuvent autre chose alléguer, sinon qu’il n’y a plus de danger touchant les scandales et dissentions, ausquelles les Apostres vouloyent remédier. Et ainsi, puis que la cause est ostée, que la loy ne doit plus durer ny avoir sa vigueur. Puis doncques que ceste loy a esté faite en considération de charité, selon leur confession mesme, et qu’on ne la transgresse point, sinon en contrevenant à charité : par cela ils confessent que ce n’a point esté une addition nouvelle faite à la Loy de Dieu, faite de la teste des Apostres : mais qu’ils ont purement et simplement accomodé à leur temps, ce que nostre Seigneur nous commande à tous par sa Parole.
Mais jà soit, disent-ils, que les loix ecclésiastiques soyent cent fois iniques et injustes, si est-ce qu’il y faut obéir d’autant qu’il n’est pas yci question que consentions aux erreurs, mais seulement que nous, qui sommes sujets, obéissions aux commandemens rigoureux de nos supérieurs, lesquels il ne nous est pas licite de rejetter. Mais nostre Seigneur par la vérité de sa Parole nous défend très-bien contre ceste cavillation, et nous délivre de servitude, pour nous maintenir en la liberté laquelle il nous a acquise de son sacré sang. Car il n’est pas vray (comme malicieusement ils veulent faire à croire) qu’il ne soit yci question sinon de porter quelque dure oppression en nostre corps mais leur fin est de priver nos consciences de leur liberté : c’est-à-dire du fruit qu’elles reçoivent par le sang de Christ, et de les tormenter servilement et misérablement. Toutesfois nous laisserons ce point, comme s’il estoit de petite importance. Mais pensons-nous que ce soit chose de petite conséquence, de ravir à Dieu son royaume, lequel il se veut sur toute chose est reconservé ? Or il luy est ravy toutes fois et quantes qu’il est servy par loix d’inventions humaines : veu qu’il veut estre le seul Législateur de son honneur et service. Et afin qu’aucun ne pense que ce soit chose de légère importance, qu’il escoute combien nostre Seigneur l’estime : Pourtant, dit-il, que ce peuple-ci m’a servy selon les mandemens et doctrines des hommes : voyci, je le feray esmerveiller par un miracle grand et merveilleux : car la sapience périra des sages, et l’entendement des prudens sera anéanty Esaïe 29.13-14. En un autre passage, ils me servent en vain, enseignans pour doctrines commandemens d’hommes Matt. 15.9. Et de faict, ce que les enfans d’Israël se sont contaminez en plusieurs idolâtries, la cause de tout le mal est assignée à ce meslinge, qu’en transgressant les commandemens de Dieu, ils se sont forgé des services estranges. Et à ce propos l’histoire saincte récite, que les nouveaux habitans de Samarie qui avoyent là esté envoyez par le Roy de Babylone, estoyent journellement dévorez par les bestes sauvages, pource qu’ils ne savoyent point les statuts du Dieu de la terre. Encores qu’ils n’eussent commis nulles fautes aux cérémonies, si est-ce que Dieu n’eust point approuvé toutes leurs vaines pompes : mais ce pendant, si a-il voulu punir ceste profanation de son service : c’est que les incrédules et Payens le vouloyent servir à leur poste. Et pourtant, il eut adjouté puis après, qu’ils apprindrent de suyvre, quant à l’extériorité, ce que Dieu avoit ordonné en sa Loy : mais pource qu’ils n’adoroyent pas encores purement Dieu, il est répété par deux fois, qu’ils l’ont craint et qu’ils ne l’ont pas craint 2Rois 17.24-34. Dont nous avons à conclurre, qu’une partie de la révérence que nous luy portons, gist à ne rien mesler de nos inventions propres parmi le service qu’il a commandé en sa Parole. Dont les bons Rois et fidèles sont louez souvent en l’Escriture, d’avoir observé quant à la religion, ce qui estoit enjoinct en la Loy, sans décliner à dextre ny à gauche 2Rois 22.1-2. Je passe encores plus outre ; combien qu’en un service controuvé, l’impiété n’apparust pas du premier coup, qu’elle ne laisse point d’estre asprement condamnée, puis qu’on a décliné du commandement de Dieu. L’autel d’Achaz duquel il avoit fait apporter le patron de Samarie, pouvoit estre estimé un bel ornement pour augmenter la dignité du Temple 2Rois 16.10 : veu mesmes que l’intention de ce meschant Roy n’estoit autre, que de sacrifier là au Dieu vivant : ce qu’il pensoit faire plus magnifiquement qu’en l’autel ancien. Nous voyons néantmoins comment le sainct Esprit déteste une telle audace, voire pour ceste seule raison, que toutes inventions humaines, quelque belle apparence qu’elles ayent, ne font qu’infecter et corrompre le service de Dieu. Et d’autant plus que la volonté de Dieu nous est clairement monstrée, tant moins l’outrecuidance de rien attenter par-dessus est excusable. Aussi le crime de Manassé est fort aggravé par ceste circonstance, d’avoir édifié un autel en Jérusalem, duquel lieu Dieu avoit prononcé qu’il y mettroit son nom 2Rois 21.4. Car quand on ne se contente point de ce qu’il approuve, c’est rejetter son authorité comme de propos délibéré.
Plusieurs trouvent estrange pourquoy nostre Seigneur menace si asprement de faire choses merveilleuses sur le peuple, duquel il estoit servy par mandemens et doctrines des hommes ; et pourquoy il déclaire que tel honneur est vain. Mais s’ils regardoyent que c’est dépendre de la seule bouche de Dieu en matière de religion, c’est-à-dire en matière de sapience céleste : semblablement ils verroyent que la raison n’est pas petite, pourquoy nostre Seigneur a en telle abomination les services mal reiglez, qui luy sont faits selon le sot appétit des hommes. Car combien que ceux qui le servent ayent quelque espèce d’humilité, s’assujetissans aux loix des hommes à cause de luy, toutesfois ils ne sont nullement humbles devant Dieu, auquel mesme ils imposent ces mesmes loix qu’ils observent. C’est la raison pourquoy sainct Paul requiert tant diligemment que nous nous gardions d’estre abusez par les traditions des hommes Col. 2.23, 8 : usant d’un mot grec bien propre, qui nous signifie un service volontaire ; c’est-à-dire inventé du vouloir des hommes sans la Parole de Dieu. Certainement il est ainsi, qu’il faut que tant la sapience de tous les hommes que la nostre nous soit faite folle, afin que permettions un seul Dieu estre sage. De laquelle voye sont bien loing ceux qui luy pensent complaire par observations forgées au plaisir des hommes : et luy jettent au visage, comme par force et maugré qu’il en ait, une obéissance perverse, laquelle ils rendent aux hommes non à luy. Comme il a esté fait longtemps par ci-devant, et de nostre mémoire mesmes : et se fait encores aujourd’huy aux pays où la créature est en plus grande authorité que le Créateur. Lesquels pays ont une religion (si digne elle est d’estre appelée Religion) brouillée de plus de superstitions et plus folles qu’idolâtrie payenne qui fut oncques. Car que sçauroit les sens de l’homme produire, sinon choses charnelles et folles, et qui vrayement monstrent de quel autheur elles sont venues ?
Quant à ce que les advocats des superstitions allèguent ce que Samuel a sacrifié en Ramalha 1Sam. 7.17, et combien que cela se feist contre la Loy, que l’acte a pleu à Dieu : la solution est facile, asçavoir qu’il n’a point basty un second autel pour l’opposer au premier qui estoit fondé sur la Parole de Dieu : mais pource qu’il n’y avoit point encores de lieu certain destiné au tabernacle, qu’il a mieux aimé dédier aux sacrifices la ville de sa demeure, comme le lieu le plus commode. Pour certain l’intention du sainct Prophète n’a pas esté de rien changer à la façon du service divin, où Dieu avoit si estroitement défendu de ne rien adjouster ne diminuer. Quant à l’exemple de Menoha père de Sanson Jug. 13.19 je di qu’il a esté extraordinaire et singulier. Car il estoit homme privé : ainsi il ne luy estoit pas licite de sacrifier sans inspiration secrette de Dieu. Ce qui ne s’estend pas plus loing qu’à luy, d’autant que les autres ne seroyent pas approuvez de mesmes. A l’opposite, Dieu a donné un enseignement notable pour tout jamais en la personne de Gédéon, combien il déteste les services que les hommes luy controuvent de leur propre sens : car l’Ephod qu’il appéta d’une folle dévotion, tourna à ruine non-seulement à luy et à sa famille, mais à tout le peuple Jug. 8.27. En somme toute invention estrange par laquelle les hommes prétendent de servir à Dieu, n’est autre chose que pollution de la vraye saincteté.
Pourquoy doncques, disent-ils, Christ a-il voulu qu’on portast les charges importables qu’imposent les Scribes et Pharisiens Matt. 23.4 ? Mais je leur demande au contraire, Pourquoy luy-mesme en un autre lieu a-il voulu qu’on se gardast du levain des Pharisiens, appelant leur levain (comme l’interprète l’Evangéliste saint Mathieu Matt. 16.6, 12) tout ce qu’ils mesloyent de leur doctrine propre, à la pure Parole de Dieu ? Que voulons-nous d’avantage, quand il nous est commandé de fuir, et de nous garder de toute leur doctrine ? Dont il nous est très-manifeste, qu’en l’autre passage nostre Seigneur n’a pas voulu que les consciences des siens fussent chargées des propres traditions des Pharisiens. Et les paroles mesmes (si on ne les cavilloit point) n’approchent en rien de ce sens. Car par icelles nostre Seigneur n’a voulu autre chose, sinon que proposant de parler aigrement contre la mauvaise vie des Pharisiens, il enseignoit paravant ses auditeurs, que combien qu’ils ne veissent rien aux mœurs des Pharisiens digne d’estre ensuyvy, toutesfois qu’ils ne délaissassent point ce qu’ils enseignoyent par parole, quand ils estoyent assis en la chaire de Moyse, c’est-à-dire quand ils exposoyent la loy. Il n’a doncques voulu autre chose, sinon de prévenir ce danger, que le peuple ne fust point induit par la mauvaise vie de ses gouverneurs, à mespriser la doctrine de Dieu. Mais pource qu’aucuns ne s’esmeuvent pas beaucoup pour quelque raison qu’on leur ameine, mais cherchent tousjours authorité : j’allégueray les paroles de sainct Augustin, ausquelles il donne une mesme interprétation que j’ay fait. Le bercail du Seigneur, dit-il, a des Pasteurs, partie ses enfans, partie mercenaires. Les Pasteurs qui sont enfans de Dieu, sont les vrais Pasteurs : toutesfois escoute comme les mercenaires aussi sont utiles. Car plusieurs ministres en l’Eglise cherchans leur proufit terrien preschent Jésus-Christ, et la voix de Christ est ouye de leur bouche : et les brebis suyvent non point le mercenaire, mais le Pasteur par le mercenaire. Escoutez comment le Seigneur nous a démonstré les mercenaires. Les Scribes, dit-il, et Pharisiens sont assis en la chaire de Moyse : faites ce qu’ils vous disent, mais ce qu’ils font, ne le faites point. C’est autant comme s’il disoit : Escoutez la voix du Pasteur par les mercenaires : car estans assis en ceste chaire, ils enseignent la Loy de Dieu. Pourtant Dieu enseigne par eux : mais s’ils veulent rien amener de leur propre, ne les oyez point, et ne faites pas ce qu’ils vous disent[f].
[f] August. In Joan. tract., XLVI.
Mais pourtant qu’aucuns simples, quand ils entendent que les consciences des fidèles ne se doyvent lier par traditions humaines, et que Dieu est en vain par icelles servy, pensent que ce soit une mesme raison des reigles qui sont mises pour tenir ordre en l’Eglise : il faut yci obvier à leur erreur. Certes il est facile de s’abuser en cest endroict, pourtant qu’il n’appert pas de prime face quelle différence il y a entre ces deux espèces : mais nous despescherons le tout si clairement que nul ne sera d’oresenavant déceu par la similitude. Ayons premièrement ceste considération, c’est que si nous voyons estre nécessaire qu’en toutes compagnies des hommes il y ait quelque police pour entretenir paix et concorde entre eux : si en toutes choses il faut qu’il y ait quelque ordre pour conserver une honnesteté publique, et mesmes une humanité entre les hommes, que ces choses se doyvent principalement observer aux Eglises, lesquelles premièrement sont maintenues par bon ordre, et par discorde sont du tout dissipées. Parquoy si nous voulons très-bien prouvoir à la conservation de l’Eglise, il faut mettre diligence, que tout se face décentement et avec bon ordre, ainsi que le commande sainct Paul 1Cor. 14.40. Or puis qu’il y a si grandes répugnances d’esprits et de jugement entre les hommes, nulle police ne sauroit consister en eux, si elle n’est arrestée par quelques certaines loix, et nul ordre ne s’y pourroit bien conserver, sans quelque certaine forme. Tant s’en faut que nous réprouvions les loix qui tendent à ceste fin, que mesmes nous affermons que sans icelles les Eglises seroyent incontinent dissipées et déformées. Car autrement il ne se pourroit faire (ce que sainct Paul requiert) que tout s’y feist décentement et par ordre, si l’ordre et l’honnesteté n’estoit conservée par quelque certaine forme. Néantmoins il faut tousjours songneusement prendre garde en telles observances, qu’elles ne soyent estimées nécessaires à salut, pour lier les consciences : ou qu’on n’y constitue l’honneur et service de Dieu, comme si la vraye piété y estoit située.
Nous avons doncques une bonne marque et certaine, pour discerner entre les maudites constitutions, desquelles nous avons dit que la vraye religion est obscurcie, et les consciences abysmées, et entre les sainctes ordonnances de l’Eglise, lesquelles tendent tousjours à l’un de ces buts, ou de garder quelque honnesteté en la compagnie des fidèles, ou d’entretenir paix et concorde entre eux. Or depuis qu’on a une fois cognu qu’une loy est mise pour reigle d’honnesteté, la superstition en est desjà ostée, en laquelle trébuschent ceux qui constituent le service de Dieu aux inventions humaines. D’avantage, puis qu’on a entendu qu’elle ne tend sinon au commun usage des hommes, et pour conserver entre eux charité : la fausse opinion d’obligation et de nécessité est renversée, laquelle tormente horriblement les consciences : quand on estime les traditions estre nécessaires à salut. Car pour avoir ceste cognoissance que venons de dire, on voit qu’il n’est question sinon de nourrir entre nous charité, en servant les uns aux autres. Mais il est expédient d’exposer encores plus clairement que c’est qu’emporte ceste honnesteté : item cest ordre dont parle sainct Paul. La fin de l’honnesteté tend à cela, que quand on institue des cérémonies pour donner révérence et majesté aux Sacremens le peuple soit esmeu comme par une aide, à honorer Dieu. Secondement, qu’il y apparoisse une gravité et modestie. Quant à l’ordre, le premier point est, que les Prélats et Pasteurs sçachent quelle est la reigle de bien gouverner, et que le peuple soit exercé à obéissance et discipline. Le second est d’entretenir l’Eglise en bonne concorde, l’ayant disposée en bon estat.
Nous n’appellerons doncques Honnesteté, quand il n’y a qu’un spectacle frivole pour donner plaisir aux hommes, comme nous en avons l’exemple en toute la pompe dont usent les Papistes en tout le service de Dieu, qu’ils appellent. Car ils n’ont qu’une masque d’une belle apparence, laquelle est inutile et une superfluité sans fruit. Mais nous tiendrons pour honnesteté ce qui sera tellement reiglé pour donner révérence aux saincts mystères de Dieu, que le peuple en soit exercé à dévotion vrayement chrestienne, ou bien que l’acte auquel cela doit servir, en soit orné décentement : et qu’en tout on regarde l’édification, c’est asçavoir que les fidèles soyent admonestez par ce moyen en quelle modestie, crainte et révérence ils se doyvent disposer à servir Dieu. Or les cérémonies ne sont point autrement exercices de piété, sinon qu’elles conduisent le peuple comme par la main à Jésus-Christ. Semblablement il ne nous faut point constituer l’ordre en ces pompes inutiles, qui n’ont rien qu’une vaine apparence : mais en une bonne police, laquelle oste confusion, contemnement et tous débats. De la première espèce nous en avons les exemples en sainct Paul, quand il défend de mesler des banquets profanes avec la sacrée Cène de nostre Seigneur. Item, que les femmes ne se monstrent point en public à teste descouverte 1Cor. 11.22, 5. Et en avons beaucoup d’autres quotidiens entre nous : comme de prier publiquement à genoux, de ne traitter les Sacremens de nostre Seigneur irrévéremment, et d’une façon sordide et déshonneste, de ne jetter les corps des hommes trespassez comme charongnes de bestes, mais les enterrer honnestement, après les avoir ensevelis. Les exemples de la seconde espèce sont, d’avoir heures arrestées pour les prédications et oraisons publiques, et Sacremens : d’avoir aussi les lieux destinez à cela : les chants ou Pseaumes : item, le silence qui doit estre pour donner audience à la Parole, et que les femmes, suyvant la défense de sainct Paul, ne présument d’enseigner 1Cor. 14.34, et autres semblables. Principalement il nous faut mettre en ce rang les ordonnances qui concernent la discipline : comme le Catéchisme, les corrections, la façon d’excommunier, les jusnes communs, et autres telles. Et ainsi toutes constitutions de l’Eglise qu’on doit recevoir pour bonnes et sainctes, se peuvent rapporter à deux articles : c’est que les unes appartienent aux cérémonies, les autres à la discipline et concorde.
Mais pource qu’yci il y a danger d’un costé, que les Evesques cornus ne prenent occasion d’excuser leurs loix meschantes et tyranniques, comme ayans quelque couleur par ce que nous avons dit : de l’autre costé, qu’il n’y en ait d’aucuns, lesquels de peur de retomber en la malheureuse servitude où nous avons esté, ne rejettent clairement toutes ordonnances ecclésiastiques, quelques bonnes et sainctes qu’elles soyent : il me faut protester que je n’enten point d’approuver autres constitutions que celles qui sont fondées en l’authorité de Dieu, et tirées de l’Escriture, tellement qu’on les puisse totalement appeler Divines. Prenons exemple en la coustume de nous agenouiller quand on fait les prières solennelles : sçavoir est si nous devons tenir cela pour tradition humaine, laquelle il soit loisible à chacun de mespriser ou rejetter. Je di qu’elle est tellement humaine, qu’elle est aussi divine. Elle est de Dieu, entant qu’elle est partie de ceste honnesteté laquelle l’Apostre nous recommande 1Cor. 14.40 : elle est des hommes, en tant qu’elle nous monstre spécialement et par exprès, ce qui avoit seulement esté touché en général par l’Apostre. Par cest exemple nous pouvons estimer ce que nous devons juger de tout le reste. La somme est, Puis que Dieu a fidèlement comprins en sa Parole, et nous a plenement déclairé quelle est toute la vraye reigle de justice, toute la façon de le bien servir, et tout ce qui estoit nécessaire pour nostre salut, il le faut avoir pour nostre seul Maistre en cela. Quant à la discipline externe et aux cérémonies, il ne nous a point voulu ordonner en particulier, et comme de mot à mot comment il nous faut gouverner : d’autant que cela dépendoit de la diversité des temps, et qu’une mesme forme n’eust pas esté propre ny utile à tous aages. Doucques il nous faut avoir recours à ces reigles générales que j’ay dites : c’est asçavoir que tout se face honnestement et par ordre en l’Eglise. Finalement, pource que Dieu n’en a rien dit par exprès, d’autant que ce n’estoyent point choses nécessaires à nostre salut, et qu’il est mestier d’en user en diverses sortes selon la nécessité, pour édification : nous avons à conclurre qu’on les peut changer, et en instituer de nouvelles, et abolir celles qui ont esté, selon qu’il est expédient pour l’utilité de l’Eglise. Je confesse bien qu’il ne faut pas innouver tout ce qu’on voudroit bien à chacunes fois ny à tout propos pour légère cause : mais la charité nous monstrera très-bien ce qui pourra nuire ou édifier, par laquelle si nous souffrons d’estre gouvernez, tout ira bien.
Or l’office du peuple chrestien est, de garder les ordonnances qui auront esté faites à ceste fin, et compassées à ceste reigle, non point par superstition, mais en liberté de conscience, et toutes fois se submettant volontiers à l’observation d’icelles. Or si c’est mal fait de les mespriser par nonchalance, ce seroit beaucoup pis de les violer par contumace et rébellion. Mais quelle liberté de conscience, dira quelqu’un, pourra-on avoir quand on sera ainsi tenu de les observer ? Je di que la conscience ne laissera point d’estre libre et franche, quand on réputera que ce ne sont point ordonnances perpétuelles, ausquelles on soit astreint, mais que ce sont aides externes de l’infirmité humaine : desquelles combien que nous n’ayons pas tous besoin, toutesfois il nous en faut tous user, d’autant que nous sommes tous obligez les uns aux autres mutuellement d’entretenir charité : ce qui se pourra bien appercevoir aux exemples ci-dessus mis. Quoy ? y a-il quelque si grand mystère en la coiffure d’une femme, que ce soit un grand crime de sortir en la rue nue teste ? Le silence luy est-il tellement commandé, qu’elle ne puisse parler sans grande offense ? Y a-il une telle religion à fleschir le genouil, ou envelopper un corps mort, qu’on ne puisse laisser ces choses sans crime ? Non certes : car si la nécessité de son prochain la pressoit tellement qu’elle n’eust le loisir de se coiffer, elle ne pèche en rien si elle accourt nue teste pour luy aider : et l’heure arrive quelquesfois, qu’il luy vaudroit mieux parler que se taire. Et n’y a nul empeschement qu’un malade qui ne se peut agenouiller, ne prie tout droict. Finalement, s’il n’y a point de drap pour ensevelir un mort, il vaut mieux l’enterrer nud, que de le laisser sans enterrer. Néantmoins pour nous gouverner bien en ces choses, nous avons à suyvre la coustume et les loix du pays où nous vivons, et une certaine reigle de modestie, laquelle nous monstre que c’est qu’il faut suyvre ou éviter. En quoy si quelqu’un faut par oubliance ou inadvertance, il n’y a nul péché : si c’est par contemnement, son obstination est à réprouver. Pareillement il ne peut chaloir quels sont les jours et les heures, quel est le bastiment de l’édifice, lesquels Pseaumes on chante en un jour ou en l’autre : mais il convient néantmoins que les jours et les heures soyent certaines, et le lieu capable pour recevoir tout le monde, si on a esgard à entretenir paix et concorde. Car quelles noises engendreroit la confusion de ces choses, s’il estoit loisible à chacun de changer à son plaisir les choses qui appartienent à l’ordre publique ? veu que jamais n’adviendroit qu’une mesme sentence pleust à tous, si les choses estoyent laissées incertaines au vouloir d’un chacun. Si quelqu’un vient répliquer, et veut estre plus sage qu’il ne faut, qu’il regarde s’il peut avoir raison devant Dieu. Touchant de nous, la parole de sainct Paul nous doit contenter, que nous ne sommes point adonnez à contention, ne les Eglises de Dieu 1Cor. 11.16.
Il faut doncques avec bonne diligence prendre garde que quelque erreur ne surviene qui obscurcisse ou pollue la pureté de cest usage. Ce qui se pourra faire, si toutes les cérémonies desquelles on usera, emportent quelque utilité manifeste : si on n’en reçoit guères, et principalement si le Pasteur veille à fermer la voye par bonne doctrine à toutes fausses opinions. Or ceste cognoissance fera, que chacun de nous aura sa liberté entière en toutes ces choses : et néantmoins que chacun volontairement imposera quelque nécessité à sa liberté, d’autant que l’honnesteté de laquelle nous avons parlé, ou la charité le requerra. D’avantage, elle sera cause que nous observerons lesdites choses sans quelque superstition : et ne contraindrons les autres trop rigoureusement à les observer, que nous n’estimerons point le service de Dieu mieux valoir pour la multitude des cérémonies : qu’une Eglise ne contemnera point l’autre, pour la diversité de l’extérieure forme de faire : finalement qu’en ne nous establissant point une loy perpétuelle, nous rapporterons à l’édification de l’Eglise toute la fin et usage des cérémonies : selon l’exigence de laquelle édification nous soyons prests d’endurer, non-seulement que quelque cérémonie soit changée, mais que toutes celles qu’aurions eues au paravant, soyent ostées et abolies. Car le temps présent nous donne expérience certaine, que selon l’opportunité du temps il est très-bon de mettre bas aucunes observations, lesquelles de soy n’estoyent ne mal convenables, ne meschantes. Car il y a eu au temps passé tel aveuglement et ignorance, que les Eglises se sont arrestées aux cérémonies avec une opinion si corrompue et un zèle si obstiné, qu’à grand’peine on les pourroit bien purger des horribles superstitions ausquelles elles ont esté ensevelies, sans que beaucoup de cérémonies ne soyent ostées, lesquelles possible n’avoyent pas esté jadis instituées sans cause, et lesquelles de soy ne sont point à condamner d’impiété notable.