(19 juin)
I. Gervais et Protais, frères jumeaux, étaient fils de saint Vital et de sainte Valérie. Ayant donné tous leurs biens aux pauvres, ils vivaient avec saint Nazaire, qui se construisait un oratoire près d’Embrun, et à qui un enfant nommé Celse [Jacques de Voragine ajoute que cet enfant ne pouvait pas, vu les dates, être saint Celse, qui ne se joignit à saint Nazaire que beaucoup plus tard.] apportait des pierres. Puis, lorsque les trois saints furent conduits vers l’empereur Néron, le petit Celse les suivait en se lamentant : et comme un des soldats lui avait donné un soufflet, Nazaire le gronda de sa cruauté : sur quoi, les soldats furieux, l’accablèrent de coups de pied, l’enfermèrent dans un cachot, et finirent par le jeter à l’eau. Gervais et Protais furent conduits à Milan, où ils furent bientôt rejoints par Nazaire, miraculeusement sauvé.
Or, dans le même temps, vint à Milan le comte Astase, qui partait en guerre contre les Marcomans ; et les païens accoururent à lui, lui déclarant que leurs dieux se refusaient à les protéger aussi longtemps que Gervais et Protais n’auraient pas été immolés. Les deux chrétiens furent donc sommés de sacrifier aux idoles. Et comme Gervais disait que toutes les idoles étaient sourdes et muettes, et que seul son Dieu pouvait donner la victoire, Astase, furieux, le fit frapper à mort de lanières plombées. Puis il fit venir Protais et lui dit : « Malheureux, évite de périr misérablement comme ton frère ! » Et Protais : « Qui de nous deux est malheureux, moi, qui ne te crains pas, ou toi qui me crains ? » Et Astase : « Eh ! misérable, comment peux-tu dire que je te craigne ? » Et Protais : « Tu crains que je ne te nuise, si je refuse de sacrifier à tes dieux : car si tu ne craignais pas cela, tu n’essaierais pas à me contraindre à ce sacrifice ! » Alors Astase le fit étendre sur un chevalet. Et Protais : « Je n’ai point de colère contre toi, comte, car je sais que les yeux de ton cœur sont aveugles ; mais plutôt j’ai pitié de toi, parce que tu ignores ce que tu fais. Continue donc à me supplicier, afin que je puisse partager avec mon frère la faveur de notre Maître ! » Astase lui fit trancher la tête. Et Philippe, serviteur du Christ, vint avec son fils, la nuit, prendre les corps des deux martyrs, qu’il ensevelit secrètement chez lui dans un sarcophage de pierre, déposant sous leurs têtes un écrit qui indiquait leur origine, leur vie, et les circonstances de leur mort. Et leur martyre eut lieu sous l’empereur Néron.
II. Les corps des deux saints restèrent longtemps cachés : ils furent découverts au temps de saint Ambroise, et de la façon que nous allons rapporter. Donc Ambroise se trouvait, une nuit, dans l’église des saints Nabor et Félix ; et comme, après avoir longtemps prié, il était tombé dans un état intermédiaire entre la veille et le sommeil, deux beaux jeunes gens vêtus de blanc lui apparurent, priant avec lui, les bras étendus. Alors Ambroise demanda que, si c’était là une illusion, elle s’évanouît, et que, si c’était une réalité, elle se révélât de nouveau à lui. Et les deux jeunes gens lui apparurent de nouveau au chant du coq ; et, la nuit suivante, ils lui apparurent une troisième fois, mais cette fois en compagnie d’une autre personne, en qui il reconnut l’apôtre saint Paul. Et saint Paul lui dit : « Tu vois là deux jeunes gens qui, dédaignant tous les biens de la terre, ont fidèlement suivi mes leçons. Leurs corps habitent le lieu où tu te trouves. À douze pieds sous terre tu trouveras un coffre de pierre contenant leurs restes, ainsi qu’un écrit où tu apprendras leurs noms et l’histoire de leur fin. » Aussitôt saint Ambroise convoqua les évêques voisins : puis, creusant la terre, il entra le premier dans la fosse, et y trouva tout ce que lui avait dit saint Paul. Et bien que trois siècles et plus se fussent écoulés depuis la mort des deux saints, leurs corps étaient aussi intacts que s’ils n’étaient là que depuis la veille. Et une odeur délicieuse s’en exhalait. Et un aveugle, ayant touché le cercueil, recouvra la vue, et bien d’autres malades furent guéris pur l’intercession des deux saints.
C’est le jour anniversaire de leur fête que fut rétablie la paix entre les Lombards et l’Empire romain. En souvenir de quoi le pape Grégoire ordonna que, dans l’introït de la messe et dans les autres offices, le jour de leur fête, fussent introduites des allusions à cette heureuse paix.
III. Au vingtième livre de sa Cité de Dieu, saint Augustin raconte que, en sa présence et en celle de l’empereur, un aveugle recouvra la vue, à Milan, devant le tombeau des saints Gervais et Protais. Mais si cet aveugle était ou non celui dont nous avons parlé plus haut, c’est ce que nous ne saurions dire. Nous lisons dans le même livre qu’un jeune homme qui baignait son cheval dans un fleuve, près d’Hippone, fut attaqué par un démon et jeté à l’eau, à demi mort. Mais comme, le soir, on chantait dans l’église des saints Gervais et Protais, non loin de là, le jeune homme entra dans l’église et se cramponna à l’autel, d’où personne ne pouvait l’arracher. En vain le démon l’adjurait de s’éloigner de l’autel : il menaçait de se couper les membres, si on le faisait sortir. Et lorsque enfin il sortit, ses yeux jaillirent de l’orbite, et ne restèrent plus attachés que par une veine : mais, peu de jours après, par les mérites des saints Gervais et Protais, le jeune homme recouvra la santé ; et ses yeux, qu’on avait rentrés tant bien que mal dans les orbites, se rouvrirent à la lumière.