Exode 20.1-17 et les trois chapitres suivants forment le Livre de l’alliance, dont il est parlé Exode 24.7, et qui renferme la Loi proprement dite. Le Décaloguea forme à son tour la partie centrale, le noyau du Livre de l’alliance. Ces dix paroles ont ceci de particulier qu’elles ont été prononcées par Dieu lui-même, tandis que c’est par Moïse que le reste de la loi a été communiqué au peupleb. C’est pour cela que Moïse peut s’exprimer comme il le fait dans Deutéronome 4.13, où il dit au peuple : « Dieu vous fit entendre son alliance, savoir les dix paroles… » Ce passage est encore remarquable à un autre point de vue : le mot d’alliance s’y trouve appliqué au Décalogue tout seul.
a – Le Décalogue, les dix paroles (Exode 34.28 ; Deutéronome 4.13 ; 10.4). Les Pères de l’Église grecs l’appellent ἡ δεκάλογος, sous-entendu βίβλιος ou νομοθεσία ; les Latins, decalogus, sous-entendu liber.
b – Voyez déjà Philon, de Decal. § 5.
Les dix paroles étaient gravées sur deux tables de pierre écrites de çà et de là (Exode 32.15). Comme elles étaient le centre de la Loi, elles furent gardées dans l’arche au centre du sanctuaire (Exode 25.21).
Le nombre dix indique un tout bien complet. La suite du Pentateuque présente d’autres séries d’ordonnances également au nombre de dixc. Le Décalogue se trouve répété dans Deutéronome 5.6 et sq., avec quelques variantes, dont les deux principales sont que le quatrième commandement est motivé, dans l’Exode, par le repos de Dieu après la création, dans le Deutéronome par le souvenir de la servitude d’Egypted ; puis que dans le dixième commandement la femme, et non pas la maison, comme dans l’Exode, est mentionnée spécialement à côté des autres objets de convoitise.
c – Ce nombre avait l’avantage que les commandements pouvaient être comptés sur les doigts. Bertheau a cherché à prouver que les lois de Moïse peuvent se grouper en 7 décalogues. Il a écrit sur ce sujet un ouvrage fort intéressant, mais où il se livre trop à son imagination : Les sept groupes de lois mosaïques. 1840.
d – Ce qui du reste est bien conforme au caractère plus subjectif du Deutéronome.
[Dans Deutéronome 5.21, Moïse emploie, pour désigner la convoitise des divers objets qui peuvent appartenir au prochain, un autre verbe que lorsqu’il parle de la convoitise qui a la femme pour objet. Les Septante ont aussi mis la femme à part dans l’Exode. Mais le Pentateuque samaritain et les autres autorités les plus antiques témoignent en faveur du texte masorétique.]
Que faut-il regarder comme le premier et comme le dixième commandement ? D’après la manière dont on répond à cette double question, on a trois Décalogues, celui des Catholiques et des Luthériens, celui des Juifs modernes et celui des Grecs, des Réformés et des Sociniens.
Les Catholiques et les Luthériens, suivant en cela St-Augustin, considèrent Exode 20.2-6 ; Deutéronome 5.6-10, comme le premier commandement : « Moi l’Éternel, je suis ton Dieu, qui t’ai tiré du pays d’Egypte, de la maison de servitude. Tu n’auras point d’autres dieux devant ma face. Tu ne feras point d’images taillées, ni aucune ressemblance, etc. » Le neuvième commandement se compose de ces seuls mots : « Tu ne convoiteras point la maison de ton prochain », et le dixième, du reste du Décalogue. Cependant. St-Augustine préférait la version du Deutéronome et faisait de ces mots : « Tu ne convoiteras pas la femme de ton prochain », le neuvième commandement, tandis que le dixième était ainsi conçu : « Tu ne convoiteras point la maison de ton prochain, ni son serviteur, etc. »
e – Non pas toujours, mais dans le principal endroit où il traite cette question : Quæst. in Exode 71.
Les deux autres manières de diviser le Décalogue ont ceci de commun entre elles qu’elles ne font qu’un seul et même commandement des défenses relatives à la convoitise. Mais les Juifs modernesf voient le premier commandement dans ces seuls mots : « Je suis l’Éternel ton Dieu qui t’ai tiré du pays d’Egypte, de la maison de servitude. » Ils y trouvent l’ordre de croire en Dieu comme en l’Etre le plus parfait qu’on puisse imaginer. Le deuxième commandement, v. 3 à 6, se rapporte à la foi en l’unité de Dieu et défend l’idolâtrie. Les Grecs en revanche, les Réformés et les Sociniens font du v. 2 la préface, du v. 3, le premier commandement, et des v. 4, 5 et 6, le second.
f – Josèphe ni Philon ne connaissent encore cette division du Décalogue, qui sans doute ne doit son origine qu’au désir des Juifs de faire autrement que les chrétiens. La première trace s’en trouve dans la Gemara babylonicum du traité Mackoth, 24 a.
Cette dernière division a pour elle les plus antiques témoignages. Elle se retrouve chez Philon et chez Josèphe. Origène lui a donné son nom, bien qu’il connaisse aussi un premier commandement renfermant les v. 2-6g. Et dans le fait, cette manière de fixer le premier commandement repose aussi sur une ancienne tradition juive, car, des deux accentuations du Décalogue, dont l’une, celle de dessous, indique la division massorétique par versets, l’autre, celle de dessus, la manière de lire dans les assemblées du culte, — il est à remarquer que la seconde groupe en un seul paragraphe les cinq versets 2-6, ce qui montre qu’on les considérait comme intimement liés ensemble. Une remarque encore plus importante, c’est que la division romaine et luthérienne concorde avec les paraches. Les v. 2-6 forment un petit parache ; le v. 7 un parache ouvert ; les v. 8-11 vont ensemble ; puis de nouveau v. 12, et ainsi de suite. Cependant, les plus anciens manuscrits n’ont pas le Séthuma destiné à séparer en deux les commandements relatifs à la convoitise. Il résulte de ce qui précède que les témoignages extérieurs sont incapables de trancher la question et qu’il faut pour cela avoir recours à la critique interne.
g – En revanche, Origène ne connaît pas le partage en deux commandements de la défense relative à la convoitise.
Pour ce qui est d’abord de la manière de voir des Juifs modernes, qui font du v. 2 la première des dix paroles, elle a contre elle le fait que ce verset n’a point la forme d’un précepteh. Il n’est pas non plus probable que ce verset doive être considéré, ainsi qu’on l’a proposé quelquefois, en même temps comme une préface et comme la première des dix parolesi. En outre quand on sépare le v. 2 du v. 3, on a l’impression qu’on sépare là des choses étroitement unies. Le v. 2 a deux fins. D’une part il sert d’introduction à tout le Décalogue (Lévitique 18.2 ; 19.2), en montrant au peuple combien il a de raisons pour obéir à Dieu. D’autre part il motive tout spécialement la défense d’avoir d’autres dieux à côté de Jéhovah. Israël a pu voir lors de sa délivrance d’Egypte la fidélité de son Dieu, ainsi que sa supériorité sur les dieux des païens ; pourquoi donc s’attacher à des divinités qui ne peuvent qu’être inférieures à l’Éternel ?
h – Origène dit fort bien à cet égard : hic sermo nondum sermo mandati est, sed quis sit, qui mandat, ostendit.
i – Voyez la Gazette d’Erlangen, 1858.
Quant aux quatre versets suivants, de 3 à 6, ce qui favorise l’idée luthérienne qu’ils ne forment qu’un seul commandement, c’est qu’évidemment la menace et la promesse du v. 5 ne se rapportent pas au v. 4 exclusivement, mais aussi au v. 3. Cependant, comme on est obligé alors, pour avoir encore dix commandements, d’opérer dans le v. 17 une coupure qui ne peut pas se justifier d’une manière satisfaisante, je préfère séparer le v. 3 du v. 4. En effet, ces deux défenses ne reviennent point au même. L’ordre d’avoir l’Éternel seul pour Dieu ne renferme point encore la défense de l’adorer sous des imagesj. Quand Jéroboam institua son culte séparatiste, il ne pécha pas contre le premier commandement, v. 3 ; car son veau d’or était destiné à représenter Jéhovah, le vrai Dieu. Mais il enfreignit la défense du v. 4 en faisant adorer l’Éternel sous une image. (Voyez encore Deutéronome 4.15.)
j – Les Luthériens ont souvent soutenu, mais bien à tort, que le v. 4 n’ajoute au v. 3 que l’indication subsidiaire que les idoles sont comprises parmi les dieux qu’il ne faut pas avoir devant la face de l’Éternel. Ainsi Gerhard (Loci) : primum præceptum deos alienos in genere prohibet, præceptum de sculptilibus certam speciem deorum alienorum exprimit.
La séparation du v. 17 en deux commandements n’a pour elle que le Deutéronomek. L’Exode, à laquelle il convient à tous égards de s’en tenir, ne fait aucune différence entre les deux genres de convoitise qu’on a voulu distinguer ; elle mentionne d’abord la maison du prochain, puis ensuite elle détaille tout ce qui s’y trouve. Qu’on lise Marc 10.19 ; Romains 13.9, et qu’on dise si ces passages favorisent l’idée de deux commandements relatifs l’un et l’autre à la convoitise. Luther lui-même, dans son Catéchisme, s’est vu forcé par la nature des choses à ne faire qu’un seul chapitre de ses neuvième et dixième commandements.
k – Oui favorise la distinction entre la cupiditas impuræ voluptutis et la cupiditas inordinati lucri.
[Il s’est trouvé des théologiens qui ont prétendu que le 9e commandement luthérien parle de la concupiscence actuelle, le 10e de la concupiscence originelle ! — Quant au reste du Décalogue, la seule chose à remarquer, c’est que les Septante, dans Exo. ch. 20 seulement, et non dans Deut. ch. 5, ont changé la place des 6e, 7e et 8e commandements : 6e Tu ne commettras point adultère. 7e Tu ne déroberas point. 8e Tu ne tueras point. On aura voulu suivre la marche naturelle des idées et rapprocher l’un de l’autre deux commandements relatifs à la vie de famille, le 5e et le 7e, devoirs des enfants et devoirs des époux. Dans Philon, Clément d’Alexandrie, Romains 13.9 ; Luc 18.20 et peut-être Marc 10.19, le 7e commandement précède le 6e et le 8e. Voyez encore Matthieu 19.19, où le 5e commandement est cité le dernier.]