Histoire de la Réformation du seizième siècle

16.2

Underwald veut rétablir la messe – Zwingle veut y maintenir la liberté – Guerre – Zwingle part – Armement des cinq cantons – Médiation du landamman Æbli – Intervention de Berne – Opposition de Zwingle – Cordialité suisse – Discipline zurichoise – Une conférence – Traité de paix – Le traité avec l’Autriche déchiré – Hymne et tristesse de Zwingle – Des femmes disent la messe

Le samedi 5 juin 1529, sept jours après le martyre de Keyser, tout Zurich était en mouvement. Le moment était venu où Underwald devait envoyer un gouverneur aux bailliages communs, et les images ayant été brûlées dans ces contrées, Underwald avait juré d’en tirer une éclatante vengeancea. Aussi l’épouvante était-elle générale. « Le bûcher de Keyser, pensait-on, va se rallumer dans tous nos villages. » Plusieurs habitants accouraient à Zurich, et, sur leurs figures émues, effrayées, on eût cru voir se refléter les flammes qui venaient de consumer le martyr.

a – Den Götzenbrand, an inen mitt der Hand zü rächen. (Bull. Chron. II, p. 153.)

Ces malheureux trouvèrent dans Zwingle un puissant avocat. Le réformateur pensait enfin être arrivé au but qu’il n’avait cessé de poursuivre, la libre prédication de l’Évangile dans toute la Suisse. Donner un dernier coup suffisait, selon lui, pour mener à bonne fin cette entreprise. D’avides pensionnaires, dit Zwingle aux Zurichois, profitent de l’ignorance du peuple des montagnes, pour ameuter ces hommes simples contre les amis de l’Évangile. Sévissons donc contre des chefs orgueilleux. La douceur de l’agneau ne ferait que rendre le loup plus vorace encoreb. Proposons aux cinq cantons de laisser prêcher librement la parole du Seigneur, de renoncer à leurs iniques alliances, et de punir les fauteurs des pensions étrangères. Quant à la messe, aux idoles, aux rites et aux superstitions, que personne ne soit contraint à les abandonner. C’est à la parole de Dieu seule à disperser de son souffle puissant toute cette vaine poussièrec ! Soyez fermes, nobles seigneurs ! et, malgré certains chevaux noirs, aussi noirs à Zurich qu’ils le sont à Lucerned, mais dont la malice ne pourra parvenir à faire verser le char de la Réforme, nous franchirons ce passage difficile, et parviendrons à l’unité de la Suisse et à l’unité de la foi. » Ainsi Zwingle, en réclamant l’emploi de la force, ne voulait pour l’Évangile que la liberté ; mais il voulait une prompte intervention, pour que cette liberté lui fût assurée. Œcolampade pensait de même. « Ce n’est pas l’heure des délais, disait-il ; ce n’est pas le moment de la parcimonie et de la pusillanimité. Tant que le venin ne sera pas entièrement ôté de ce serpent, réchauffé dans notre sein, nous serons exposés aux plus grands périlse. »

b – Lupus lenitate agni, magis magisque vorax fit. (Zwing. Epp. II, p. 296.)

c – Dei verbum enim hos pulveres omnes facile flatu suo disperget. (Ibid.)

d – Les pensionnaires. Exceptis aliquot nigris equis. (Ibid., p. 298.)

e – Venenum a domestico illo colubro. (Ibid.)

Le Conseil de Zurich, entraîné par le réformateur, promit aux bailliages de maintenir la liberté religieuse ; et à peine eut-il appris qu’Antoine Ab-Aker d’Underwald se rendait à Bade avec une armée, qu’il ordonna à cinq cents hommes de partir pour Bremgarten, avec quatre pièces d’artillerie. C’était le 5 juin, et le soir même l’étendard zurichois flottait sur le couvent de Mouri.

La guerre de religion était commencée. Le cor des Waldstettes retentit aussitôt dans les montagnes ; partout on se mettait sous les armes, et des messagers allaient en hâte invoquer le secours du Valais et de l’Autriche. Trois jours après (le mardi 8 juin), six cents hommes de Zurich, sous le commandement de Jacques Werdmuller, partaient pour Rapperschwil et le pays de Gaster ; et le lendemain, quatre cents hommes se rendaient à Cappel, sous le commandement du vaillant capitaine George Berguer, auquel on avait donné Conrad Schmidt, pasteur de Kussnacht, pour aumônier. « Nous ne voulons pas, dit à Zwingle le bourgmestre Roust, que vous alliez à la guerre ; car le Pape, l’archiduc Ferdinand, les cantons romains, les évêques, les abbés, les prélats, vous haïssent mortellement. Restez avec le Conseil ; nous avons besoin de vous. — Non, répondit Zwingle, qui ne se reposait sur personne d’une entreprise si importante ; quand mes frères exposent leur vie, je ne demeurerai pas tranquillement assis auprès de mes foyers. D’ailleurs, l’armée aussi a besoin d’un œil vigilant, qui se porte sans cesse tout à l’entour d’elle. » Puis, prenant une brillante hallebarde qu’il avait, dit-on, portée à Marignan, et la plaçant sur son épaule, le Réformateur sauta sur son cheval, et partit avec l’arméef. Les murailles, les tours, les créneaux, étaient couverts d’une foule de vieillards, d’enfants, de femmes, parmi lesquelles se trouvait Anna, la femme d’Ulrich.

f – Sondern sass auf ein Ross, und fuhrte eine hubsche Helparten auf den Achseln. (Füssli Beytre. 4, p. 103.

Zurich avait réclamé le secours de Berne ; mais Berne, dont le peuple montrait peu de goût pour une guerre religieuse, et qui d’ailleurs ne voyait pas avec plaisir l’influence croissante de Zurich, répondit : « Puisque Zurich a commencé la guerre sans nous, qu’il la finisse de même ! » Les États évangéliques se montraient désunis au moment de la lutte.

Les cantons romains ne faisaient pas ainsi. C’était Zug qui avait fait entendre le premier cri d’appel ; et les hommes de Schwitz, d’Uri, d’Underwald s’étaient aussitôt mis en marche. Dès le 8 juin, la grande bannière flottait devant la maison de ville de Lucerne ; et le lendemain, l’armée partait au son des antiques cors que Lucerne prétend avoir reçus de l’empereur Charlemagne.

Le 10 juin, les Zurichois, établis à Cappel, envoyèrent à Zug, au point du jour, un héraut chargé, selon l’usage, de dénoncer aux cinq cantons la rupture de l’alliance. Aussitôt Zug se remplit de détresse et d’alarme. Ce canton, le plus petit de la Suisse, n’ayant point encore reçu tous les contingents confédérés, était hors d’état de se défendre ; on courait çà et là ; on envoyait des messagers ; on se préparait précipitamment à la bataille ; les guerriers essayaient leurs armes ; les femmes versaient des pleurs ; les enfants poussaient des cris.

Déjà le premier corps de l’armée zurichoise, composé de deux mille hommes, sous le commandement de Guillaume Thöming, placé près de la frontière, au-dessous de Cappel, s’apprêtait à partir, lorsqu’on aperçut, du côté de Baar, un cavalier qui, pressant les flancs de son cheval, accourait aussi vite que le lui permettait la montagne qu’il avait à gravir. C’était Æbli, le landamman de Glaris. « Les cinq cantons sont prêts, s’écria-t-il en arrivant ; mais j’ai obtenu d’eux de s’arrêter, si vous consentez à faire de même. C’est pourquoi, pour l’amour de Dieu et le salut de la Confédération, je supplie Messeigneurs de Zurich et tout le peuple de suspendre maintenant leur marche. » En disant ces mots, le brave Helvétien versait des larmesg. « Dans peu d’heures, continua-t-il, je serai de retour. J’espère, avec la grâce de Dieu, obtenir une paix honorable, et empêcher que l’on ne remplisse nos chalets de veuves et d’orphelins. »

g – Das redt er mitt weynenden Ougen. (Bull. 2, p. 169.)

On connaissait Æbli pour un homme plein de loyauté, ami de l’Evangile, ennemi des guerres étrangères ; aussi son discours émut-il les capitaines zurichois, qui résolurent de s’arrêter. Zwingle seul, debout, inquiet, le regard en avant, voyait dans l’intervention de son ami les machinations des adversaires. L’Autriche, occupée à repousser les Turcs, ne pouvant secourir les cinq cantons, les avait exhortés à la paix : c’était là, selon Zwingle, le motif des propositions apportées par le landamman de Glaris. Aussi, au moment où Æbli tournait bride pour se rendre à Zugh, Zwingle, s’approchant, lui dit-il énergiquement : « Compère Landamman, vous rendrez compte à Dieu de tout ceci. Nos adversaires se voient dans le sac ; c’est pourquoi ils vous donnent de bonnes e paroles ; mais plus tard ils fondront sur nous à l’improviste, et alors personne ne nous délivrera. » Paroles prophétiques, et dont l’événement devait dépasser toutes les prévisions. « Cher compère, répondit le Landamman, j’ai cette fiance en Dieu que tout ira bien. Faisons chacun de notre mieux. » Et il partit.

h – Alls nun der Amman wiederumm zu den 5 Orten ryten wollt. (Bull. Chr. II, p. 170.) Zwingle était parrain d’un enfant d’Æbli.

Alors, au lieu de marcher sur Zug, l’armée zurichoise se mit à dresser ses tentes sur la lisière de la forêt et le long de la rive du torrent, à quelques pas des sentinelles des cinq cantons. Zwingle, assis dans la sienne, silencieux, préoccupé et morne, attendait d’heure en heure quelque fâcheuse nouvelle.

Elle ne se fit pas longtemps attendre ; ce furent des députés du Conseil de Zurich qui l’apportèrent. Berne, soutenant le rôle qu’il avait si souvent rempli de représentant de la politique fédérale, déclara que si Zurich ou les Cantons ne voulaient pas faire la paix, on saurait les y contraindre ; en même temps ; cet État convoquait une diète à Arau, et mettait cinq mille hommes en campagne sous le commandement de Sébastien de Diesbach. Zwingle fut consterné.

Le message d’Æbli, appuyé par celui de Berne, était renvoyé à l’armée par le Conseil ; car, selon les principes du temps : « Là où flotte la bannière, là se trouve Zurich. — Ne nous laissons point ébranler, s’écria le réformateur, toujours ferme et décidé ; notre avenir dépend de notre courage. Aujourd’hui on supplie, on mendie ; et dans un mois, quand nous aurons posé les armes, on nous écrasera. Demeurons fermes en Dieu. Avant tout, soyons justes : après cela viendra la paix. » Mais Zwingle, transformé en homme d’État, commençait à perdre l’influence qu’il avait gagnée comme serviteur de Dieu. Plusieurs ne pouvaient le comprendre, et se demandaient si c’était bien là le langage d’un ministre du Seigneur. « Ah ! disait celui de ses amis qui l’a peut-être le mieux connu, Oswald Myconius, Zwingle a été certainement un homme intrépide dans les dangers ; mais il eut toujours horreur du sang, même de celui de ses plus mortels ennemis. La liberté de la patrie, les vertus de nos pères, et surtout la gloire de Christ, ont été le but unique de tous ses desseinsi. Je dis la vérité comme en la présence de Dieu, » ajoutait Myconius.

i – Libertas pastriæ, virtutes avitæ, et imprimis gloria Christi. (Osw. Myc. De vita Zw.)

Pendant que Zurich envoyait des députés à Arau, les deux armées recevaient des renforts. Des Thurgoviens et des Saint-Gallois venaient associer leurs bannières à celle de Zurich ; des Valaisans et des hommes du Saint-Gothard se joignaient aux cantons catholiques. Les avant-postes étaient en présence à Thann, à Leematt, à Goldisbrunnen, sur les revers délicieux de l’Albis.

Jamais peut-être la cordialité suisse ne brilla mieux de son antique éclat. Les soldats s’appelaient amicalement, se serraient la main, se disaient qu’ils étaient des confédérés et des frères. « Nous ne nous battrons pas, ajoutaient-ils. Une tempête a passé sur nos têtes, mais nous prierons Dieu, et il nous préservera de tout mal. »

La disette désolait l’armée des cinq cantons, tandis que l’abondance régnait dans le camp de Zurichj. Quelques jeunes Waldstettes affamés dépassèrent un jour les avant-postes ; les Zurichois les firent prisonniers, les conduisirent au camp, puis les renvoyèrent chargés de provisions, avec plus de bonhomie encore que n’en montra Henri IV au siége de Paris. Un autre jour, quelques braves des cinq cantons ayant posé sur les frontières un seau plein de lait, crièrent aux Zurichois qu’ils n’avaient point de pain. Ceux-ci arrivèrent aussitôt, et coupèrent leur pain dans le lait de leurs ennemis ; puis les soldats des deux partis se mirent en plaisantant à manger à la gamelle, les uns deçà, les autres delà. Les Zurichois trouvaient plaisant que, malgré la défense de leurs prêtres, les Waldstettes mangeassent avec des hérétiques. Quand quelqu’un de la troupe prenait un morceau qui se trouvait du côté de ses adversaires, ceux-ci, en riant, le frappaient de leur cuiller, et lui disaient : « Ne dépasse pas la frontière ! » C’est ainsi que ces bons Helvétiens se faisaient la guerre ; aussi le bourgmestre Sturm de Strasbourg, l’un des médiateurs, s’écriait-il : « Vous autres confédérés êtes de singulières gens ! Quand vous êtes désunis, vous êtes pourtant toujours d’accord, et votre antique amitié ne sommeille jamaisk. »

j – On avait une mesure de blé pour un florin, et une de vin pour un demi-batz (un sou et demi de France). (Bull. Chron. II, p. 182.)

k – Wenn ihr schon uneins sind, so sind ir elms. (Ibid. 183.)

L’ordre le plus parfait régnait dans le camp de Zurich. Tous les jours Zwingle, le commandeur Schmidt, ou quelque autre ministre, y prêchaient. On n’entendait parmi ces soldats ni jurement ni dispute ; toute personne déshonnête était repoussée du camp ; on priait avant et après les repas, et chacun obéissait à ses chefs. Point de dés, point de cartes, point de jeux propres à exciter les querelles ; mais des chants, des cantiques, des hymnes nationaux, des exercices du corps, des luttes, et des jets de pierres : telles étaient les récréations militaires des Zurichoisl. L’esprit qui animait le Réformateur avait passé dans cette armée.

l – Sondern sang, sprang, wurf und Stiess die Steine. (Füssli Beyt. 4, p. 108.)

L’assemblée d’Arau, transportée à Steinhausen, dans le voisinage des deux camps, arrêta que chacune des armées entendrait les plaintes du parti contraire. La réception des députés des cinq cantons par les Zurichois fut assez tranquille ; il n’en fut pas de même dans l’autre camp.

Le 15 juin, cinquante Zurichois, entourés d’une foule de campagnards, se rendaient à cheval vers les Waldstettes. Le son des trompettes, le bruit des tambours, des salves redoublées d’artillerie, annonçaient leur arrivée. Près de douze mille hommes des petits cantons, en bon ordre, la tête levée, le regard arrogant, se trouvaient sous les armes. Escher de Zurich parla le premier, et plusieurs hommes de la campagne articulèrent après lui des griefs que quelques Waldstettes trouvèrent exagérés. « Quand donc vous avons-nous refusé le droit fédéral ? s’écrièrent ceux-ci. – Oui, oui, reprit vivement Funk, ami de Zwingle ; nous savons comment vous l’exercez. Ce malheureux pasteur (Keyser) l’a invoqué, et vous l’avez renvoyé au bourreau ! — Funk, tu eusses mieux fait de te taire, » dit un de ses amis. Mais le mot était lâché ; un affreux tumulte s’éleva soudain ; toute la foule des Waldstettes s’agitait ; les plus prudents supplièrent les Zurichois de se retirer promptement, et protégèrent leur départ.

Enfin le traité fut conclu le 26 juin Zwingle n’obtenait pas tout ce qu’il avait désiré. Au lieu de la libre prédication de la parole de Dieu, le traité ne stipulait que la liberté de conscience. Il arrêtait que les bailliages communs pourraient se prononcer pour ou contre la Réforme, à la pluralité des suffrages. Sans décréter l’abolition des pensions, il la recommandait aux cantons catholiques ; l’alliance formée avec l’Autriche était abolie ; les cinq cantons devaient payer les frais de la guerre, et Mourner rétracter ses propos injurieux ; une indemnité était assurée à la famille de Keyserm.

m – Le traité se trouve en entier dans Bull., II, p. 185, et Ruchat, II.

Un succès incontestable venait de couronner la démonstration belliqueuse de Zurich. Les cinq cantons le sentaient. Mornes, aigris, rongeant en silence le frein qu’on plaçait en leur bouche, leurs chefs ne pouvaient se décider à livrer l’acte de leur alliance avec l’Autriche. Zurich rallia aussitôt son armée ; les médiateurs redoublèrent d’instances, et les Bernois s’écrièrent : « Si vous ne livrez pas ce document, nous irons nous-mêmes en procession le prendre dans vos archives. » On l’apporta enfin à Cappel le 26 juin, à deux heures de la nuit. Toute l’armée s’assembla à onze heures avant midi, et l’on commença à lire le traité.

Les Zurichois regardaient avec étonnement sa largeur, sa longueur démesurée, et les neuf sceaux dont il était muni, et dont un était en or. A peine en eut-on lu quelques mots, qu’Æbli, saisissant le parchemin, s’écria : « C’est assez ! — Lisez, lisez ! dirent les Zurichois ; nous voulons connaître leur trahison. » Mais le landamman de Glaris répondit fièrement : « Je me laisserais hacher en mille morceaux plutôt que de le permettre. » Puis, donnant un coup de couteau dans le parchemin, il le mit en pièces en présence des soldats et de Zwinglen, et en jeta les morceaux au secrétaire pour les livrer aux flammes. « Ce papier n’était pas suisse, » dit Bullinger avec une sublime simplicité.

n – Tabellæ fœderis a prætore Pagi Glaronensis gladio concisæ et deletæ, id quod ipse vidi. (Zw. Epp. 2, p. 310.)

Aussitôt on leva les bannières. Ceux d’Underwald s’en retournaient avec colère. Ceux de Schwitz juraient qu’ils garderaient à jamais leur antique foi ; tandis que les bandes de Zurich rentraient en triomphe dans leurs foyers. Mais les pensées les plus contraires agitaient l’esprit de Zwingle. « J’espère, disait-il en se faisant violence, que nous rapportons dans nos maisons une paix honnête. Ce n’est pas pour faire du carnage que nous étions partiso. Dieu a de nouveau montré aux grands qu’ils ne peuvent rien contre nous. » Mais quand il s’abandonnait à son penchant naturel, un tout autre ordre de pensées s’emparait de son esprit. On le voyait marchant à part, abattu, et prévoyant le plus sombre avenir. En vain était-il entouré des cris de joie du peuple : « Cette paix, disait-il, que vous regardez comme un triomphe, vous vous en repentirez bientôt en vous frappant la poitrine. »

o – Cum non cædem factum profecti sumus. (Ibid.)

Ce fut alors que, pour épancher sa douleur, il composa, en descendant l’Albis, un chant célèbre, souvent répété au son des instruments dans les campagnes de la Suisse, au milieu des bourgeois des villes confédérées, et jusqu’à la cour des rois. Les cantiques de Zwingle et de Luther jouent le même rôle, dans la Réformation allemande et suisse, que les Psaumes dans celle de la France.

O Seigneur, de ton char prends toi-même les rênes !
Sans ta main il se brise, et nos courses sont vaines.
  Vois et regarde où nous ont mis
  Les ruses de nos ennemis !

O bien-aimé pasteur qui rachetas nos vies,
Réveille par ta voix tes brebis endormies.
  Accours, et de tes bras puissants
  Enchaîne ces loups dévorants.

Du milieu de nos monts bannis toute amertume ;
Que l’esprit des vieux temps parmi nous se rallume,
  Et que notre fidélité
  Célèbre à jamais ta bonté.

Un édit publié au nom des confédérés ordonna de faire partout renaître la vieille amitié et la concorde fraternelle ; mais les édits sont impuissants pour de tels miracles.

Ce traité de paix fut néanmoins favorable à la Réforme. Sans doute elle rencontra encore en plusieurs lieux une vive opposition. Les religieuses du val Sainte-Catherine, en Thurgovie, abandonnées de leurs prêtres et excitées par quelques gentilshommes d’outre-Rhin, qui les nommaient, dans leurs lettres, « femmes chevaleresques de la maison de Dieu, » chantèrent elles-mêmes la messe, et établirent l’une d’elles prédicateur du couventp. Des députés des cantons protestants ayant eu avec elles une entrevue, l’abbesse et d’autres religieuses traversèrent de nuit, secrètement, le fleuve, en emportant les titres du monastère et les ornements de l’église. Mais ces résistances isolées étaient inutiles. Déjà, en 1529, Zwingle put tenir en Thurgovie un synode qui y organisa l’église, et ordonna que les biens des couvents seraient consacrés à instruire dans les saintes lettres des jeunes hommes pieux. Ainsi la concorde et la paix semblèrent enfin se rétablir dans la Confédération.

p – J. J. Hottinger, III, p. 527.

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