Il est difficile de faire ressortir la différence entre ces mots, même lorsqu’on la sent instinctivement. On les trouve sans cesse unis l’un à l’autre (Plato, Phileb. 52, d ; Eusebius, Præp. Ev. 15.15, 4), et les mots qui s’associent avec l’un s’associent constamment avec l’autre.
Εἰλικρινής ne se présente que deux fois dans le N. T. (Philippiens 1.10 ; 2 Pierre 3.1) ; une fois aussi dans les Septante (Sagesse 7.25) ; εἰλικρίνεια, trois fois (1 Corinthiens 5.8 ; 2 Corinthiens 1.12 ; 2.17). Son étymologie, comme celle de « sincère », qui en est la meilleure traduction, est douteuse, et l’incertitude en cette matière cause aussi de l’incertitude dans l’esprit. Quelques-uns, comme Valkenaer (voy. Stallbaum ; Plato, Phæd. 66 a, note), rattachent le mot à ἴλος, ἴλη (globus) de εἴλειν, volvere, de sorte qu’il signifie ce qui est nettoyé par beaucoup de roulement et de ballottement dans un crible ; « volubili agitatione secretum atque adeo cribro purgatum ». Une autre étymologie plus familière et plus belle, si seulement on pouvait avoir confiance en elle, est celle qu’indique Lösner : « dicitur de iis rebus quarum puritas ad solis splendorem exigitur », ὁ ἐν τῇ εἵλῃ κεκριμμένος, suspendu aux rayons du soleil et par eux éprouvé et approuvé. Certainement, les emplois que l’on fait d’εἰλικρινής, en tant qu’ils fournissent une preuve (car il y a un sentiment instinctif et traditionnel qui guide dans l’emploi correct d’un mot), sont beaucoup en faveur de la première étymologie. Ce n’est pas tant ce qui est clair, transparent, que ce qui est purifié, qui a traversé le crible, qui n’est pas mélangé, comme le prouvent les mots avec lesquels il est continuellement uni : ἀμιγής (Plato, Menex. 245 d ; Plutarch., Quæst. Rom. 26), ἄμικτος (Id. De Def. Or. 34 ; cf. De Isid. et Os. 61), ἄκρατος (Id, De An, Proc. 27), ἀκέραιος (Clemens Romanus, Ep. ad Cor. 2) ; et comp. Philon, De Opif. Mun. 8 : Plutarch., Adv. Col. o ; De Fac. in Orb. 16 : « πάσχει τὸ μιγνύμενον ; ἀποβάλλει γὰρ τὸ εἰλικρινές : de la même manière l’Etymologicum magnum : εἰλικρινὴς σημαίνει τὸν καθαρὸν καὶ ἀμιγῆ ἑτέρου. Il est vrai qu’on pourrait produire divers passages où prédomine la notion de clarté, ainsi dans Philon (Quis Rer. Div. Hær. 61) l’εἰλικρινὲς πῦρ est opposé au κλίβανος καπνιζόμενος ; mais ces passages sont bien plus rares que les autres et pourraient bien n’être que secondaires et surajoutés.
L’usage moral d’εἰλικρινής et d’εἰλικρίνεια se fait sentir au premier abord dans le N. T., car cet usage est tout à fait étranger aux auteurs grecs classiques. Théophylacte définit bien l’εἰλικρίνεια comme étant καθαρότης διανοίας καὶ ἀδολότης οὐδὲν ἔχουσαι συνεσκιασμένον καὶ ὔπουλον ; et Basile le Grand (in Reg. Brev. Int.) : εἰλικρινὲς εἶναι λογίζομαι τὸ ἀμιγές καὶ ἄκρως κεκαθαρμένον ἀπὸ παντὸς ἐναντίου. Le mot s’accorde avec ce sens qui est son idée mère, aussi souvent qu’il apparaît dans le N. T. Les Corinthiens doivent se purifier du vieux levain, afin qu’ils puissent garder la fête avec le pain non fermenté de la sincérité (εἰλικρινείας) et de la vérité (1 Corinthiens 5.8), Saint Paul se réjouit de ce qu’en simplicité et dans la sincérité qui vient de Dieu (ἐν εἰλικρινείᾳ Θεοῦ), non dans la sagesse charnelle, il s’est conduit dans ce monde (2 Corinthiens 1.12) ; il déclare aussi qu’il n’est pas de ceux qui falsifient (καπηλεύοντες) la parole de Dieu, mais qu’en sincérité (ἐξ εἰλικρινείας) il parle de Christ (2 Corinthiens 2.17).
Καθαρός, dans son sens le plus ancien (Homère n’en connaît point d’autre), signifie ce qui est propre, et cela, dans un sens qui n’est pas éthique ; il est opposé à ῥυπαρός, sale. Ainsi καθαρὸν σῶμα (Xenoph., Œcon. 10.7), c’est le corps qui n’est pas barbouillé de peinture ou enduit d’huile parfumée ; et dans cette acception, il est souvent employé dans le N. T. (Matthieu 27.59 ; Hébreux 10.22 ; Apocalypse 15.6). Mais déjà dans les poètes tragiques le mot avait obtenu un sens moral, qui n’est pas rare dans les Septante, où il signifie souvent pureté de cœur (Job 7.6 ; Psaumes 33.4), quoique bien plus souvent encore, une pureté simplement extérieure ou cérémonielle. On ne peut nier que καθαρός ne glisse fréquemment sur le terrain qu’on a cherché à conserver pour εἰλικρινής. Nous le trouvons de même associé à ἀμιγής (Philo, De Mund. Opif. 8), à ἄκρατος (Xenoph., Cyrop. 8.7, 20 ; Plutarch., Æmil. Paul. 34), à ἀκήρατος (Plato, Crat, 396 b) ; καθαρὸς σῖτος signifie le blé débarrassé de sa balle (Xenoph., Œcon. 18.8, 9) ; καθαρὸς στρατός, une armée délivrée de ses malades et de ses hommes inutiles (Herodot., 1.211 ; cf. 4.135), ou, d’après Xénophon, qui a la même expression, une armée formée des meilleurs éléments, qui n’est pas affaiblie par un mélange de mercenaires ou de lâches ; la fleur de l’armée, tous les ἄνδρες ἀχρεῖοι ayant été mis de côté (Appian., 8.117). En général cependant, καθαρός indique ce qui est pur, ce que l’on envisage comme net, exempt de souillure et de tache ; ainsi θρησκεία καθαρὰ καὶ ἀμίαντος (Jacques 1.27) ; comparez l’usage constant de la phrase καθαρὸς φόνου, et d’autres semblables.
Disons donc en terminant que, le chrétien étant εἰλικρινής, la sainteté ne tolérera chez lui ni duplicité ni cœur partagé (Jacques 1.8 ; 4.8), ni œil qui n’est point simple (Matthieu 4.22), ni hypocrisie quelconque ; en tant qu’il est καθαρὸς τῇ καρδίᾳ, il bannira les μιάσματα (2 Pierre 2.20 ; cf. Tite 1.15) ; le μολυσμός (2 Corinthiens 7.1), et la ῥυπαρία du péché (Jacques 1.21 ; 1 Pierre 3.21 ; Apocalypse 22.11). Considéré comme εἰλικρινής, le chrétien ne connaît pas le mensonge ; est-il καθαρός ? il est exempt des souillures du péché et du monde. Si l’idée d’absence de tout mélange étranger appartient aux deux cas, dans εἰλικρινής cependant cette idée a quelque chose de plus essentiel, caché probablement dans l’étymologie du mot ; dans καθαρός, la notion est plus secondaire.