Après les miracles de Jésus-Christ vient sa résurrection, qu’il faut considérer dans l’enchaînement qu’elle a avec ces miracles ; car si cette résurrection est véritable, il est incontestable que ces miracles le sont ; et si ces miracles sont vrais, il sera difficile qu’on doute de la vérité de sa résurrection.
Or, pour ne point conserver de doutes sur la vérité de la résurrection de Jésus-Christ, il ne faut que faire des réflexions sur Jésus-Christ, sur les docteurs juifs, qui prennent des précautions pour empêcher qu’on ne dise après sa mort qu’il est ressuscité, sur le rapport des gardes qu’on met auprès de son tombeau, sur le procédé des apôtres, sur le langage des disciples en général, et sur la disposition de ce grand nombre de Juifs qui se font chrétiens à Jérusalem quelques semaines après la mort de Jésus-Christ, et dans un temps où il était si facile de s’éclaircir de la vérité de sa résurrection.
A l’égard de Jésus-Christ, les évangélistes nous apprennent unanimement qu’il avait plusieurs fois prédit à ses disciples sa mort et sa résurrection. Il est même remarquable que ses prédictions se trouvent assez souvent mêlées ou de circonstances qui ne viennent pas facilement dans l’esprit, ou de circonstances qui ne semblaient point se rapporter les unes avec les autres, et qui par là même paraissent sensiblement n’être point le jeu d’une imagination qui invente des fables composées à plaisir. Il n’y a pas beaucoup d’apparence que les évangélistes aient supposé l’entretien que Jésus-Christ eut avec saint Pierre sur le sujet de ses souffrances en montant à Jérusalem. Il est bon de remarquer que saint Pierre venait de faire une admirable confession de Jésus-Christ en présence des autres disciples, lui disant. Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ; et que Jésus-Christ avait couronné cette belle confession par cette magnifique promesse : Tu es bienheureux, Simon, fils de Jonas ; car la chair et le sang ne t’ont point révélé ces choses, mais mon Père qui est aux deux. Aussi je te dis que tu es Pierre, et sur cette pierre je bâtirai mon Église, et les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle, etc. Immédiatement après, Jésus-Christ prédit la mort qu’il doit souffrir de la part des principaux sacrificateurs et des scribes ; mais il ajoute qu’il doit ressusciter au troisième jour. Saint Pierre l’arrête, et lui dit : Seigneur, ceci ne t’arrivera point ; aie soin de toi-même. Et Jésus-Christ, loin d’approuver cette prétendue marque d’amour en son disciple, foudroie son indiscrétion par ces paroles : Va, Satan, arrière de moi. Tu m’es en scandale, car tu ne comprends point, etc. Cette histoire a un air naturel et sincère. Cet assortiment de circonstances, qui ont apparemment si peu de rapport, ne vient point dans l’esprit. La confession de saint Pierre est belle. La promesse de Jésus-Christ est magnifique ; l’expression a même quelque chose de difficile et de surprenant : mais surtout il semble d’abord que Jésus-Christ censure trop fortement le bon zèle que Pierre lui fait paraître pour sa personne, et il n’est pas naturel que celui qui lui a dit : Tu es bienheureux, Simon, fils de Jonas, et qui lui a promis de le rendre une colonne à son Église, lui dise d’abord après : Va, Satan, arrière de moi. On sent bien, malgré qu’on en ait, que c’est la force de la vérité et non le rapport naturel de ces circonstances qui a obligé l’évangéliste à les joindre dans un même récit, ce qui nous donne nécessairement cette pensée, que Jésus-Christ a véritablement prédit sa mort et sa résurrection avant qu’il ait souffert l’une et que l’autre soit arrivée.
Mais ce qui nous le montre beaucoup mieux, c’est que Jésus-Christ, de sang froid, la veille de sa Passion, fait une chose qui n’avait jamais été faite, et qui ne se fera jamais sans doute, qui est d’établir un mémorial de la mort qu’il est sur le point de souffrir. Jésus-Christ prédit qu’il souffrira la mort de la part des principaux sacrificateurs, des scribes et des docteurs de la loi : il pourrait donc l’éviter, s’il voulait, en s’en allant en un autre lieu. Il censure, ou plutôt il foudroie l’indiscrétion de Pierre qui voulait le détourner de mourir : il regarde donc sa mort comme devant avoir des suites heureuses et salutaires. Et quelles suites heureuses et salutaires pourrait avoir sa mort, si elle ne devait être accompagnée de sa résurrection ?
Jésus-Christ établit un mémorial de sa mort : il la souffre donc volontairement. Il ordonne qu’on en fasse commémoration : il regarde donc sa mort comme nous étant salutaire. Il prévoit qu’on en fera commémoration : il prévoit donc ce qui arrivera infailliblement, et cela dans un temps où il n’y a guère d’apparence que cela arrive. Il ne dit point qu’on doive faire commémoration de sa mort jusqu’à ce qu’il ressuscite, mais jusqu’à ce qu’il vienne : il prévoit donc qu’il ressuscitera bientôt, et qu’après sa résurrection il se retirera pour revenir sur la fin des siècles.
Au reste, il ne saurait tomber dans l’esprit d’un homme sensé, que les évangélistes aient inventé l’histoire de l’institution de l’eucharistie ; car il y a de la différence entre un dogme et une pratique. Un dogme ne peut guère être supposé, quand il faut pour cela le concert de plusieurs personnes ; mais une pratique sensible, un usage, une doctrine parlante le peut être beaucoup moins. Et certainement ce serait une si grande extravagance de supposer qu’une douzaine de pauvres pêcheurs, consternés par la mort de leur maître, et désabusés de l’opinion qu’il dût rétablir le royaume d’Israël, qui ne savent point ce qui doit arriver par la doctrine de ce crucifié, s’aillent aviser d’inventer l’institution de l’eucharistie avec ses circonstances, et fassent dire à Jésus-Christ : Ceci est mon corps rompu pour vous. Ceci est la nouvelle alliance en mon sang ; paroles qui ont quelque chose de nouveau et de surprenant, l’objet de tant de contestations et de différents commentaires ; paroles que saint Paul et les évangélistes rapportent d’un commun accord, mais sans concert, comme cela paraît par la petite diversité qui est dans leur récit. Ce serait, dis-je, une si grande extravagance de s’imaginer que les disciples eussent seulement eu la pensée d’inventer ces paroles ni cette histoire de l’institution de l’eucharistie, qu’il est inutile de s’arrêter plus longtemps à le faire voir. C’est ce que nous avons déjà touché en passant, en un autre endroit et sur un autre sujet. La conséquence que nous en tirons dans celui-ci, est que Jésus-Christ a prévu sa mort, qu’il l’a soufferte volontairement, qu’il s’y est préparé ; et là-dessus je raisonne ainsi :
Si Jésus-Christ a prévu qu’il mourrait, et s’il s’est lui-même offert à la mort, ou il a prévu qu’il ressusciterait, ou il ne l’a point prévu. S’il ne l’a point prévu, de quelle espérance a-t-il consolé ses disciples ? Que leur a-t-il promis ? Que s’est-il proposé lui-même ? Pourquoi n’a-t-il point fui la mort, le pouvant encore lorsqu’il soupait avec ses disciples ? Que veut-il dire en instituant le mémorial de son corps mort, si ce corps mort devait demeurer sous le pouvoir de la mort, être présent aux regards de ses disciples, et pourrir à leurs yeux ?
Que si Jésus-Christ a cru ressusciter après sa mort, comme c’est la pensée la plus raisonnable que l’on puisse avoir sur ce sujet, je dis que Jésus-Christ n’a pu le croire que sur l’expérience qu’il avait déjà faite de cette puissance qui avait rendu la vue aux aveugles, la santé aux malades, la vie aux morts. Jésus-Christ n’a pu croire ses miracles faux, et s’imaginer qu’il ressusciterait véritablement. S’il a cru ressusciter, il a cru ses miracles véritables ; et s’il a cru ses miracles véritables, il faut que ses miracles aient été véritables en effet, parce qu’ils sont d’une nature à ne pouvoir point être susceptibles d’illusion, du moins à l’égard de ceux qui les font. Jésus-Christ n’a pas cru avoir repu cinq mille hommes à une fois, trois mille à une autre, avoir ressuscité le fils de la veuve de Naïm, la fille de Jaïrus, Lazare de Béthanie, avoir fait marcher saint Pierre sur les eaux, etc., si tout cela n’a point été véritable.
Certainement on ne doutera point que Jésus-Christ n’ait prédit qu’il ressusciterait, si l’on considère que ce n’est que sur ce fondement que les docteurs juifs mettent des gardes auprès de son tombeau, et qu’ils en font sceller la pierre. Seigneur, disent-ils à Pilate, il nous souvient que ce séducteur-là, quand il vivait encore, dit : Dans trois jours je ressusciterai. Commande donc que le sépulcre soit gardé jusqu’au troisième jour, de peur que ses disciples ne viennent de nuit et le dérobent, et disent au peuple : Il est ressuscité des morts, dont le dernier abus sera pire que le premier. Pilate leur dit : Vous avez des gardes ; allez, et vous assurez comme vous l’entendez. Eux donc s’en allèrent, et assurèrent le sépulcre avec des gardes, et scellant la pierre. C’est là un fait que les disciples n’auraient pu ni osé supposer contre la notoriété publique, et qui d’ailleurs s’accorde très bien avec les suites de cet événement. Car comment le bruit se répand-il à Jérusalem que les gardes dormaient lorsque les disciples enlevèrent le corps de Jésus, si l’on n’y avait point mis des gardes en effet ? Et pourquoi était-il nécessaire qu’on y mit des gardes, si ce n’est pour empêcher ses disciples de faire courir le bruit qu’il était ressuscité ?
Que si Jésus-Christ a cru ressusciter, il n’a pu le croire que sur la vérité de ses miracles, ni croire ses miracles véritables, à moins que ses miracles n’aient été véritables en effet. Ainsi l’enchaînement de ces circonstances, quand on le considère de près, forme une espèce de démonstration morale, dont il est impossible à un esprit droit et raisonnable de n’être pas convaincu.
Mais ne passons pas si légèrement sur ce fait ; et après avoir vu la disposition de Jésus-Christ, voyons celle des scribes et des pharisiens, et le rapport des soldats qui ont été mis autour du tombeau de Jésus-Christ pour le garder ; car la considération de ces circonstances est bien capable de nous éclairer dans la découverte de ce fait, le plus essentiel et le plus important qui ait été et qui sera jamais.
Premièrement les scribes, les pharisiens, et généralement ceux qui composent le grand conseil, poussés par le même esprit qui les a portés à faire mourir Jésus-Christ, appréhendent que ses disciples n’enlèvent son corps, et qu’ils ne disent ensuite qu’il est ressuscité des morts. Il faut juger de l’intérêt qu’ils croient avoir de l’empêcher par les efforts qu’ils ont déjà faits pour faire mourir Jésus-Christ. Il y a de l’apparence que, comme ce n’est que pendant trois jours qu’il faut garder le tombeau de Jésus-Christ, ils prendront des précautions pour ne pas permettre que les gardes, par négligence ou autrement, laissent emporter ce corps, qu’il leur importe souverainement de conserver.
Mais voyons ce qui en arrive. Les gardes ne peuvent empêcher que ce corps ne sorte hors de son tombeau. Est-ce que ces gardes ont eu peur ? ou est-ce qu’on les a obligés à se taire à force d’argent ? Si les gardes ont été gagnés, on peut croire que ce n’est pas en faveur des disciples ; ils risquaient de perdre la tête pour expier le crime de leur négligence ou de leur trahison. Sont-ils timides ? Mais comment les gardes deviendront-ils timides, lorsque les disciples deviennent tout d’un coup courageux, et qu’ils ont la hardiesse d’entreprendre d’enlever le corps de celui dont ils avaient abandonné la personne vivante ? D’ailleurs, comment des gardes peuvent-ils faire le rapport qu’ils font sans se contredire manifestement ? Car s’ils dormaient, comment savent-ils que ce sont les disciples de Jésus-Christ qui ont enlevé son corps ? Mais pourquoi le sanhédrin, pour son honneur et pour la gloire de la vérité, ne fait-il point mettre ces gardes à la question ? Si cela ne leur vient point dans la pensée sur le champ, n’est-il pas naturel qu’ils le fassent, lorsque quelque temps après ils voient toute la ville de Jérusalem dans le penchant d’embrasser la foi de ce crucifié, et qu’il se trouve jusqu’à six mille personnes qui croient en un jour à ce crucifié cinquante jours après sa mort ? Certainement les gardes étaient encore à Jérusalem ; le grand conseil avait la même puissance et la même autorité. Il importait de punir la négligence de ces gardes, ou de leur arracher le secret de leur perfidie, et de leur faire dire qui c’était qui les avait subornés. Il importait, dis-je, de faire cet examen, et pour justifier la conduite du sanhédrin, et pour empêcher la perte d’une infinité de personnes qui se rangeaient du parti des disciples de ce prétendu imposteur. Je dis bien davantage : lorsque le jour de la Pentecôte, c’est-à-dire cinquante jours après la mort de Jésus-Christ, les apôtres paraissent dans la ville de Jérusalem pour témoigner qu’ils ont vu Jésus-Christ relevé de son tombeau, et qu’après leur être apparu diverses fois, et être monté au ciel, il a répandu sur eux les dons extraordinaires et miraculeux du Saint-Esprit, pourquoi le sanhédrin, qui a un si puissant intérêt à découvrir qui sont les auteurs de cet enlèvement du corps de Jésus-Christ, ne saisit-il les apôtres pour leur faire dire les choses comme elles se sont passées ? Que ne les confronte-t-on avec les gardes ? Que ne mettent-ils Joseph d’Arimathée et ces hommes en prison, jusqu’à ce qu’ils leur aient fait avouer ce qu’ils ont fait de ce corps, avec toutes les autres circonstances de leur imposture.
Déjà il n’y a guère d’apparence que, si les disciples de Jésus-Christ sont venus de nuit, et ont emporté ce corps, ils osent se montrer et paraître hardiment devant tout le peuple, et confesser sans façon qu’ils sont ses disciples. Il est bien plus croyable qu’ils se cacheront après avoir fait ce coup ; et que s’ils prêchent ce sera à des peuples bien éloignés, et non pas dans les lieux où les choses se sont passées, à Jérusalem, aux yeux de ce sanhédrin, qu’ils ont tant craint et tant offensé.
Mais que ce sanhédrin ne fait-il les diligences qu’on a accoutumé de faire pour la découverte des criminels ? On veut bien obliger les apôtres par les tourments et par les menaces à ne point parler en ce nom ; mais ils ne les accusent point d’avoir enlevé le corps de leur Maître pendant que les gardes dormaient. Ils n’osent entrer dans cette discussion ; ils savent ce que les gardes leur ont rapporté, et c’est là ce qui fait leur juste appréhension.
On sait bien de quelle manière les hommes agissent dans ces rencontres. Si la chose s’était passée comme les gardes le rapportent dans la suite, ces gardes n’auraient pas manqué eux-mêmes de chercher par toute la ville de Jérusalem quelqu’un des disciples de Jésus-Christ, pour lui faire confesser la vérité par la force des tourments ; les scribes, les pharisiens et les docteurs de la loi auraient fait une recherche très exacte, et l’on aurait trouvé enfin ou des témoins ou des indices de cet enlèvement. Cela ne leur aurait pas été difficile, puisque c’étaient là les jours d’une fête solennelle ; que le peuple de Jérusalem n’avait jamais été plus attentif à aucun spectacle qu’à celui des souffrances de Jésus-Christ ; et que ce qui venait de se passer au sujet d’un homme si extraordinaire avait rempli tout le monde d’étonnement : témoin ce que l’évangéliste fait dire à un disciple sur le chemin d’Emmaüs, lorsqu’il s’entretient avec Jésus-Christ sans le connaître : Es-tu le seul étranger à Jérusalem qui ne sache point ce qui s’est passé au sujet, etc. ? Comme d’ailleurs ceux qui avaient donné ordre aux gardes de se tenir autour du tombeau de Jésus-Christ, leur avaient sans doute très fortement recommandé d’empêcher que ses disciples ne vinssent de nuit, et n’emportassent son corps hors du sépulcre, il est contre toute raison et contre toute apparence de supposer que la seconde nuit que les gardes ont été là, ils se soient tellement plongés dans le sommeil, qu’on ait osé se hasarder à faire cet enlèvement, ni qu’on ait pu rouler la pierre du sépulcre, rompre le sceau, et qu’on ait eu le temps, le loisir, et assez de liberté et assez peu de crainte pour délier Jésus-Christ, ôter le linceul et le couvre-chef, et tous les linges dont il était enveloppé : car les évangélistes rapportent unanimement que le sépulcre fut trouvé dans cet état.
Cependant ce ne sont pas là les plus fortes preuves que l’on puisse donner de la vérité de ce fait. Il faut passer de la considération des gardes à celle des apôtres de Jésus-Christ. Si les apôtres témoignent qu’ils ont vu Jésus-Christ ressuscité faussement, et sans que cela soit véritable, ou c’est avec concert, ou c’est sans aucun concert qu’ils rendent ce témoignage. Ce n’est pas sans concert ; car l’erreur qui n’est point concertée ne saurait subsister, et il arriverait que l’un dirait que Jésus-Christ est ressuscité, l’autre qu’il n’est point ressuscité ; l’un dirait qu’il est apparu à plusieurs, et l’autre qu’il n’est apparu qu’à un seul, et l’autre qu’il n’est apparu à personne ; l’un dirait la chose d’une manière, et l’autre d’une autre ; et les plus sincères avoueraient franchement qu’il n’y a rien de tout cela.
Que si c’est ici une imposture concertée, il faut donc qu’il y ait ici plusieurs personnes qui conviennent de rapporter constamment et unanimement un fait qu’elles savent et qu’elles conviennent être entièrement faux. Or, cela est tout à fait impossible.
Premièrement, il ne tombe point dans le sens commun qu’un homme veuille s’exposer aux supplices et à la mort pour rendre témoignage à un fait qu’il saura très distinctement être faux. 2° Quand il y aurait une seule personne qui, par un prodige surprenant, fût dans cette disposition, on ne peut, sans extravagance, s’imaginer qu’il y ait un grand nombre de personnes qui prennent tout d’un coup cette dangereuse résolution, surtout après avoir agi d’une manière tout opposée a celle-là, et avoir marqué non seulement de la prudence, mais même de la timidité dans les autres rencontres. 3° Quand une multitude de personnes pourrait s’accorder à rendre ce faux témoignage, on ne pourrait point le penser de ceux qui regardent le mensonge et la trahison comme des crimes incompatibles avec le salut ; de ceux qui ne peuvent convenir que la résurrection de Jésus-Christ est une fiction, sans demeurer d’accord qu’ils n’ont suivi qu’un fantôme de Messie ; ni demeurer d’accord qu’ils n’ont suivi qu’un fantôme de Messie, sans convenir de leur mutuelle extravagance. 4° Ce concert ne peut se faire sans qu’il y en ait quelqu’un qui, pour éviter le supplice, découvre l’imposture aux Juifs, avec toutes ses circonstances, étant sans doute que si Jésus-Christ vivant a été trahi, Jésus-Christ mort le serait encore plutôt. Car on pouvait attendre quelque chose de Jésus-Christ vivant ; mais on ne peut rien attendre de Jésus-Christ mort, que la misère et les supplices, avec la honte et le remords d’avoir suivi un imposteur. 5° Enfin, il n’y a point de doute que les mêmes principes qui avaient rompu le concert de leur fidélité, romprait à plus forte raison le concert de leur perfidie. Si l’amour qu’ils avaient pour leur maître, soutenu de la persuasion qu’ils avaient qu’il était véritablement le Messie, ne peut soutenir ce concert de leur fidélité, qui leur faisait dire, quelque temps auparavant : Allons-y aussi, afin que nous mourions avec lui, de sorte qu’ils s’enfuirent et l’abandonnèrent à ses ennemis ; pourrait-on bien se persuader que, désabusés de l’opinion qu’ils avaient de leur Messie, leur honte, leur crainte et leur abattement pussent à présent soutenir ce concert de perfidie et d’imposture, qui leur fait soutenir un mensonge horrible, pour flétrir leur nation par un crime imaginé, jusque-là qu’aucun ne se dédit, ne se coupe, et que tous unanimement souffrent l’extrémité des tourments pour soutenir qu’ils ont vu ce qu’ils n’ont point vu en effet ?
Au reste, il est infiniment remarquable que ce n’est pas ici un concert entre douze apôtres, mais entre les disciples de Jésus-Christ en général, qui sont en fort grand nombre. Jésus-Christ, après sa résurrection, apparaît tantôt à des femmes, à qui il ordonne de rapporter à ses frères qu’il va devant eux en Galilée, tantôt à Pierre seul, tantôt aux douze. Tantôt il va les trouver lorsqu’ils pêchent sur la mer, et rend leur pêche très abondante. Tantôt il se trouve dans leur assemblée lorsqu’ils s’assemblent pour prier Dieu. Tantôt il se met à table, et mange et boit avec eux. Tantôt il leur donne divers enseignements, et les fait souvenir des choses qu’il leur enseignait avant sa mort. Tantôt il se manifeste à une assemblée de plus de cinq cents disciples. Tantôt il convainc un disciple incrédule, en lui faisant toucher ses pieds et ses mains, en disant : Mets ton doigt ici ; vois mes mains ; etc., et ne sois point incrédule, mais fidèle. Tantôt il apparaît à deux disciples qui allaient à Emmaüs, les entretient et leur explique les Écritures. Tantôt il les assemble et leur ordonne d’enseigner toutes les nations, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit.
Il est bon de considérer la multitude des disciples qui viennent témoigner que Jésus-Christ est ressuscité d’entre les morts. Saint Paul, dans quelque endroit de ses épîtres, dit que Jésus-Christ est apparu à cinq cents frères à la fois, et il ajoute que de ce nombre la plupart sont vivants, et que quelques-uns dorment. Il est certain que saint Paul n’aurait ni osé, ni pu, ni voulu parler de la sorte, s’il n’y avait eu un très grand nombre de disciples qui témoignaient avoir vu Jésus-Christ depuis sa résurrection. Or, je demande s’il est possible qu’un si grand nombre de personnes concertent une imposture aussi énorme que serait celle-ci, si ce fait qu’on met en avant n’était point véritable ? Cela n’est ni humain, ni possible, ni imaginable.
Afin que tant de disciples aient rendu ce témoignage au mensonge, en soutenant contre la vérité qu’ils avaient vu Jésus-Christ ressuscité, il faut faire une supposition la plus violente qui fût jamais. Il faut supposer que ce grand nombre d’hommes n’étaient point des hommes, et qu’après l’avoir été pendant toute leur vie, ils ont cessé de l’être immédiatement après la mort de Jésus-Christ.
Je dis qu’ils avaient été des hommes jusqu’alors. Leur conduite fait voir qu’ils avaient des sentiments assez conformes à ceux que l’amour de nous-mêmes et de notre conservation nous inspire ordinairement. Ils espéraient et ils attendaient quelque chose. Ils ne s’attachent à Jésus-Christ que parce qu’ils attendent de lui ce que les Juifs en général attendaient de leur Messie en idée. Ils craignaient la mort. Ils redoutent le sanhédrin ; ils se flattent de l’espérance de se voir rétablis ; ils demandent à Jésus-Christ de les délivrer du péril qui les menace, lorsqu’ils sont en danger ou exposés à quelque tempête.
Mais, depuis la mort de Jésus-Christ, ils ne sont plus des hommes. Leur esprit et leur cœur ne sont plus faits comme ceux des autres ; ils n’attendent et n’espèrent plus rien. Car qu’attendraient-ils de la profession qu’ils font d’être disciples de Jésus-Christ, s’ils savent que Jésus-Christ n’est point ressuscité comme il le leur avait promis ? Qu’espéraient-ils, si Celui qui leur avait promis la vie éternelle, et qui s’était dit la résurrection et la vie, est demeuré sous le pouvoir de la mort ? Ils craignaient lorsqu’ils espéraient en Jésus-Christ ; et maintenant qu’ils n’espèrent pas en lui, ils cessent de craindre. N’ayant plus rien à espérer de l’autre vie, ils commencent à ne s’intéresser plus dans ce qui regarde celle-ci. Quel est ce renversement ? Lorsqu’ils croyaient faire un service à Dieu en souffrant pour Jésus-Christ, qu’ils croyaient leur Messie, ils se trouvaient et lâches et timides ; et à présent qu’ils savent bien qu’ils ne font aucun service à Dieu en s’attachant à l’Évangile, et qu’au contraire ils ne font que se déshonorer par une véritable imposture, les voilà constants, courageux, intrépides dans les plus grands dangers, invincibles au milieu des plus violentes tentations. Qui le comprendra ?
Ils n’ont pas une étincelle de sens commun s’ils ne voient point qu’une imposture sur un fait aussi palpable et aussi sensible ne peut être concertée entre plusieurs centaines et plusieurs milliers de personnes ; parce que si l’un est d’humeur à mentir, l’autre sera d’humeur à dire la vérité, vu surtout qu’à mentir on ne gagne que les prisons, les tourments et la mort, et qu’à dire la vérité on peut se concilier du crédit, de l’appui, et acquérir du bien, en plaisant à ceux qui sont les maîtres des richesses et des charges de l’État. S’il y en a un qui ait cette pensée que les autres se démentiront, il n’est pas en état par là même d’entrer dans ce concert ; et il est naturellement impossible que cette pensée ne naisse dans l’esprit de tous, et par conséquent il ne se peut qu’il y ait jamais un pareil accord ou un pareil concert, à moins que toute cette multitude ne perde le sens tout d’un coup par un même genre de folie, qui les saisisse à point nommé, lorsque Jésus-Christ a rendu l’esprit.
Encore faut-il qu’ils soient sans affection naturelle, qu’ils soient devenus insensibles aux coups de fouet dont on les déchire, et aux maux dont on les accable ; et il faut non seulement que cette insensibilité et cette extravagance soient générales, il faut qu’elles soient les plus longues et les plus soutenues qui furent jamais.