La conversion de la Grande Arménie au christianisme date de la fin du iiie siècle. Elle fut l’œuvre combinée du roi Tiridate (201-317) et d’un arménien élevé en Cappadoce, Grégoire surnommé l’illuminateur. Grégoire, consacré évêque à Césarée de Cappadoce et revenu dans son pays, instruisit ses compatriotes, organisa le culte et fonda des Églises. A ce moment, il n’existait point encore, peut-on dire, de littérature arménienne. L’arménien s’écrivait avec des caractères grecs, syriaques ou persans : ce n’est qu’au ve siècle que fut inventée pour lui une écriture spéciale, et que l’on put parler proprement d’une littérature nationale. Créée par des gens d’Église et cultivée par eux, elle fut d’abord et est restée exclusivement chrétienne. Mais, parvenue très vite à son apogée au ve siècle, elle eut aussi dans l’antiquité un déclin rapide. Sa décadence commença dès le vie siècle, et le viie qui fit de l’Église arménienne une Église monophysite vit diminuer de plus en plus son activité et sa fécondité intellectuelle.
Grégoire l’illuminateur mourut vers 332. On lui a attribué une collection de lettres et d’homélies comprenant vingt-trois numéros : il est fort douteux que ces écrits lui appartiennent. Quant à son histoire et à celle de la conversion de l’Arménie, elle a été racontée, sous le litre d’Histoire du règne de Tiridate et de la prédication de saint Grégoire l’Illuminateur, par un certain Agathange qui se dit témoin oculaire et chargé par Tiridate de composer sa relation, relation écrite par conséquent dans le premier quart du ive siècle. Mais c’est là évidemment une prétention inacceptable. L’Histoire du règne de Tiridate n’est pas antérieure à l’an 450 environ, bien qu’elle ait utilisé des écrits plus anciens, et nous ne savons au juste quel écrivain se cache derrière le pseudonyme d’Agathangea.
a – L’œuvre d’Agathange qui existe sous deux formes, en grec et en arménien, se trouve dans V. Langlois, Collection des historiens anciens et modernes de l’Arménie, i, Paris, 1867, p. 97-193.
En somme, nous ne nous trouvons, pour la littérature arménienne, sur un terrain solide qu’à partir du ve siècle. Alors deux hommes apparaissent qui en sont les initiateurs : ce sont le catholicos Sahag (Isaac) le Grand (vers 300-440) et Merbod († 441). Tous deux possédaient, avec leur langue maternelle, les langues grecque et syriaque. Un de leurs premiers soins fut de chercher pour l’arménien un alphabet spécial avec lequel on le pût écrire. Cette invention fut particulièrement l’œuvre de Mesrob. Vers 410, une traduction de toute la Bible faite sur le syriaque, et due au travail concerté du catholicos, de Mesrob et de quelques-uns de leurs disciples, parut écrite en caractères nouveaux. Elle fut révisée vers 432 d’après le texte grec des Septante et du Nouveau Testament. — A Sahag personnellement on attribue de plus un manuel liturgique et des hymnes. Trois lettres de lui à Théodose II, au patriarche Atticus et au maître de milice, Anatolius ont été reproduites par Moïse de Khorène (Histoire d’Arménie, iii, 57). — Quant à Mesrob, il est l’auteur probable des homélies mises sous le nom de Grégoire l’Illuminateur et mentionnées ci-dessus, d’hymnes de pénitence pour le carême, et certainement aussi de plusieurs traductions en arménien d’ouvrages grecs et syriaques, traductions qui datent du ve siècle, mais qu’il est impossible de déterminer d’une façon plus précise. Sa vie fut écrite, vers l’an 445-451, par son disciple Gorioun, évêque en Géorgie.
Mesrob en effet avait fait école, et les meilleurs écrivains du ve siècle ou ont été formés par lui, ou ont subi son influence. Nous ne savons que peu de chose des deux traducteurs Chosrovig et Ananias, mais Eznig est mieux connu. Il était originaire de Coghp et fut envoyé par Mesrob à Édesse pour y traduire en arménien les écrits syriaques. De là il passa à Constantinople, y étudia le grec de 426 à 432 environ, et en rapporta les actes du concile d’Éphèse et des manuscrits grecs de la Bible qui servirent à la première révision de la version arménienne faite vers 432. Nommé ensuite évêque de Pakrévant, il assista, en cette qualité, au concile d’Aschdiseliad en 449 : on ignore la date de sa mort.
Eznig est un des meilleurs écrivains de l’Arménie, et son style passe, dans sa langue natale, pour un modèle d’élégance classique. Il contribua à la révision de la Bible arménienne dont on vient de parler, composa des homélies (perdues) et sans doute des traductions du grec et du syriaque. Mais son ouvrage principal — que nous avons encore — est la Réfutation des sectes, en quatre livres. Le premier s’attaque aux païens et notamment aux dualistes qui admettaient un premier principe mauvais ; le second est une réfutation du parsisme ; le troisième combat la philosophie grecque et, en particulier, ses théories astronomiques ; le quatrième est dirigé contre Marcion et contre ses prétentions à posséder une explication secrète du christianisme. — A la suite des éditions de la Réfutation, on trouve généralement un petit recueil de quatre-vingt-treize maximes attribuées à Eznig : elles ne sont que la traduction d’un recueil grec qui passe pour l’œuvre de saint Nilb.
b – La Réfutation des sectes a été traduite fort médiocrement en français par Levaillant de Florival, Paris, 1853 ; mieux en allemand par J. M. Schmidt, Wien, V. Langlois a donné, dans sa Collection, ii, 369-382, la traduction française d’un extrait du livre ii.
Mesrob eut un autre disciple célèbre dans Elisée le Docteur, qui vécut quelque temps au service du général Vartan le Mamigonien, puis devint peut-être évêque dans la satrapie des Amadouni et, comme tel, assista avec Eznig au concile de 449. A la fin, il abandonna son évêché et termina sa vie dans la solitude vers 480. On a édité sous son nom de nombreux ouvrages dont l’authenticité n’est pas toujours sûre : des commentaires sur Josué et les Juges, une explication du Pater, une épître (certainement authentique) aux moines d’Arménie, des canons pour le traitement des possédés, de multiples homélies. Son ouvrage le plus remarquable est, avec l’Épître aux moines, son Histoire de Vartan et de la guerre des Arméniens, dans laquelle il raconte, avec un sentiment chrétien et patriotique intense, la lutte héroïque soutenue de 449 à 451 par Vartan et les Arméniens contre les Perses.
Nommons encore, au ve siècle, David l’Arménien, traducteur d’écrits aristotéliciens et platoniciens, et auteur lui-même de traités philosophiques ; — puis Lazare de Pharbe, surnommé le Rhéteur, auteur d’une Histoire d’Arménie va de l’an 388 à l’an 485, et qui fait suite, dit-il, aux récits d’Agathange et de Faustus de Byzance : son style est déjà moins pur et a subi l’influence grecque ; — et enfin le catholicos Jean Mandakuni († vers 498) à qui on attribue une série de sermons, des prières liturgiques et un canon pénitentiel.
Il nous reste à parler du plus connu peut-être, mais aussi du plus hypothétique des historiens de l’ancienne Arménie, Moïse de Khorène.
Nous possédons, sous le nom de Moïse de Khorène, trois ouvrages principaux : une Histoire d’Arménie, une Géographie de l’Arménie et un traité de rhétorique appelé aussi Livre des Chries. Le plus important est l’ Histoire, divisée en trois livres. Le premier livre va des origines du monde à l’an 149 avant Jésus-Christ, date de l’avènement des princes Arsacides ; le deuxième continue le récit jusqu’à la mort de Tiridato et de saint Grégoire l’illuminateur, vers 332 ; le troisième prend fin avec la chute des Arsacides en 428. Un quatrième livre, que nous n’avons plus, racontait encore les événements depuis cette date jusqu’au règne de l’empereur Zénon (474-491). Si l’on en croit l’auteur de ces ouvrages — car il est évidemment le même pour tous, — cet auteur aurait été, au ve siècle, le disciple de Mesrob ; il aurait, sur l’ordre de Sahag le Grand, visité Édesse, Antioche, Alexandrie, Byzance, Athènes et Rome et, à son retour, aurait composé son Histoire d’Arménie sur la demande de Sahag le Bagratide, mort en 482. Mais il est clair, d’après les derniers travaux critiques, que ces assertions sont insoutenables. La famille des Bagratides, par exemple, qui donna en 885 un roi à l’Arménie, n’a commencé à devenir célèbre qu’à partir du viie siècle, et l’un des buts de notre auteur, dans son Histoire, est évidemment d’en exalter les vertus et les gloires. Le Pseudo-Moïse n’a donc pas écrit en réalité avant le viiie ou le ixe siècle. Nous avons affaire, en lui, à un auteur inconnu qui, pour se donner de l’autorité, a antidaté ses livres et les a présentés sous le nom d’un évêque du ve siècle. Ces livres ne sont pas pour cela entièrement dénués de valeur historique. Le faussaire, sans doute, y a traité fort librement ses documents, il y a fait à la poésie et à la légende une large place, mais il n’a pas absolument dénaturé les événements. On en peut encore tirer des renseignements utiles.