Précis de Patrologie

15
Les Latins

15.1 — Gallo-romains et gallo-francs. Théologiens, homélistes et moralistes. Saint Césaire d’Arles.

On a vu, à 12.11 de cet ouvrage, comment le monastère de Lérins avait été, dans la première moitié du ve siècle, en Provence, une pépinière d’écrivains remarquables en même temps qu’une des forteresses du semi-pélagianisme. C’est de cette retraite que sortit l’évêque de Riez, Fauste. Il était breton (Bretagne insulaire) d’origine et, après de bonnes études de philosophie et de rhétorique, embrassa, jeune encore (vers 426), la vie monastique à Lérins. En 433, il y devint abbé et, en 452 environ, fut élu évêque de Riez. Dans sa nouvelle situation, Fauste conquit très vite une exceptionnelle autorité par l’austérité de sa vie, la force de sa parole et par son zèle pour le bien spirituel et temporel de son troupeau. Banni, vers 478, par le roi arien Eurich pour ses attaques contre l’arianisme, il put rentrer dans son diocèse à la mort de ce prince en 485. On ignore l’époque où il mourut lui-même.

Les écrits de Fauste ont été fort nombreux, mais ne sont pas tous connus. De ceux que nous avons le plus important est le traité De la grâce (De gratia libri duo), écrit à la demande de Léonce d’Arles pour réfuter l’erreur prédestinatienne du prêtre Lucidus, vers 474. L’auteur y a glissé des propositions semi-pélagiennes. On possède encore un traité Du Saint-Esprit, longtemps attribué au diacre Paschasius et édité sous son nom, et un traité De ratione fidei, dont les deux parties assez dissemblables doivent probablement être identifiées avec les deux livres indiqués par Gennadius, Contre les ariens et les macédoniens et Contre ceux qui disent qu’il y a dans les créatures quelque chose d’incorporel : Fauste y soutient que les anges et les âmes humaines sont corporels en quelque façon. De sa correspondance il s’est conservé dix lettres, quelques-unes dogmatiques. Quant à ses discours, nous ne les avons certainement pas tous et, d’autre part, il en est, parmi ceux que la plus récente édition de ses œuvres (Engelbrecht) lui attribue, qui ne sont pas de lui. Le départ est souvent difficile à faire entre ce qui lui appartient en propre et ce qu’ont ajouté ou modifié à ses sermons ceux qui les lui ont empruntés.

L’erreur semi-pélagienne, à laquelle Fauste n’avait pas échappé, se vit définitivement condamnée en 529 par le second concile d’Orange dont le président et, on peut dire, l’âme fut saint Césaire, archevêque d’Arles. Saint Césaire a été, pendant la première moitié du vie siècle, une des personnalités les plus en vue de l’épiscopat gallo-romain. Né à Chalon-sur-Saône en 470, il entra, comme Fauste, au monastère de Lérins vers 490, mais dut en sortir pour venir à Arles cinq ou six ans plus tard. L’évêque d’Arles, Eone, l’ordonna d’abord diacre et prêtre et, en 503, le choisit pour lui succéder. L’épiscopat de Césaire dura quarante ans : il mourut en 543. Pendant tout ce temps il ne cessa d’exhorter son peuple, de secourir les pauvres, de veiller à la discipline, de restaurer la régularité et la piété dans les monastères, de maintenir autant qu’il le put l’ordre matériel et moral au milieu des bouleversements politiques dont la Provence fut le théâtre. Au point de vue littéraire, il est surtout célèbre comme orateur : non pas orateur châtié et élégant, bien que son style soit relativement correct, mais orateur populaire, sachant parler à son auditoire un langage simple, clair, vif, émaillé d’images et de comparaisons familières, un langage ému aussi et plein de cœur. Son éloquence n’a rien de recherché ni de convenu : elle est spontanée, et tire sa force du désir de l’orateur, qui paraît partout, de faire du bien à ceux qui l’écoutent.

Les sermons de saint Césaire ne nous sont pas tous parvenus, il s’en faut de beaucoup ; et l’on attend encore une édition critique et un peu complète de ceux qui existent. On en compte actuellement environ cent cinquante ; mais ce chiffre augmentera certainement. La plupart s’adressent aux simples fidèles ; quelques-uns sont destinés aux moines. On y trouve des homélies proprement dites, d’un langage plus relevé, sur l’Écriture et sur les mystères chrétiens ; d’autres, plus nombreux, sont de simples admonitiones d’une allure toute pratique. Le grand modèle que suit Césaire est saint Augustin : il l’a souvent copié et toujours imité dans le tour de causerie facile que l’évêque d’Hippone donnait à ses instructions.

En dehors des discours, les œuvres de saint Césaire comprennent deux règles monastiques, l’une pour les hommes (Ad monachos), l’autre pour les femmes (Ad virgines), celle-ci en deux rédactions. Elles comprennent encore quelques courts écrits sur la grâce et la liberté humaine destinés à combattre le semi-pélagianisme, trois ou quatre lettres et un Testament en forme de lettre à son successeur. Plusieurs des canons promulgués par les conciles qu’il a présidés (ceux du concile d’Agde, les Statuta ecclesiae antiqua) sont aussi de la plume de Césaire. Quelques critiques lui attribueraient volontiers le symbole Quicumque vult.

On a signalé ci-dessus l’opinion de Fauste sur la corporéité de l’âme. Cette erreur fut énergiquement réfutée, dans un écrit intitulé De la nature de l’âme (De statu, animae), par le prêtre Claudien Mamert († vers 474), frère de saint Mamert, évêque de Vienne en Dauphiné. L’ouvrage, composé entre les années 467 et 472, est divisé en trois livres, dont les deux premiers développent les preuves philosophiques et d’autorité de la spiritualité de l’âme, et le troisième combat les objections que Fauste y faisait. En plus de ce traité, on a de Claudien Mamert deux lettres. Une hymne que Sidoine Apollinaire (Epist. iv, 3) le félicite d’avoir écrite, n’a pu être identifiée. Les autres poésies qu’on lui attribue sont probablement ou même sûrement inauthentiques.

L’évêque Mamert eut pour second successeur à Vienne, Alcimus Ecdicius Avitus, de famille sénatoriale et parent peut-être de l’empereur Avitus. Avite naquit vers le milieu du ve siècle, et de bonne heure renonça à ses biens pour embrasser la vie monastique. Mais sa réputation de science et de sainteté devint bientôt si grande que, à la mort de son père Isicius ou Hésychius, évêque de Vienne, il fut choisi pour lui succéder (490). Dès lors, toute son activité se dépensa au service de l’Église. Par ses soins, le roi burgonde Sigismond (516-523), à qui Vienne était soumise, se convertit de l’arianisme au catholicisme, les hérésies nestorienne, eutychienne, semi-pélagienne furent combattues, la discipline fut restaurée, l’autorité du pape plus fermement reconnue : il n’est pas jusqu’au schisme entre Rome et l’Orient auquel il ne tâchât de remédier. Avite fut vraiment un grand évêque, dont l’influence dépassa de beaucoup les limites de son diocèse. Conseiller des prélats et des princes, il montra quelques-unes des qualités de gouvernement qu’avait montrées saint Ambroise à Milan, et qu’il semble qu’il tînt de son origine sénatoriale. Il mourut en 518.

L’héritage littéraire de saint Avite comprend d’abord un long poème de 2552 hexamètres, intitulé Libelli de spiritalis historiae gestis, et divisé en cinq livres : De la création du monde, Du péché originel, De la sentence de Dieu, Du déluge, Du passage de la mer Rouge. C’est, comme on le voit, une mise en vers des récits bibliques, mais traités avec une grande liberté. Un second poème, Eloge consolant de la chasteté (De consolatoria castitatis laude), en 666 hexamètres, est adressé à sa sœur, la moniale Fuscina. Les vers de l’auteur sont corrects, souvent bien venus, et le style en est relativement pur et élégant. Ses ouvrages en prose sont bien inférieurs. On a de lui sous forme de lettres une réfutation des hérésies de Nestorius et d’Eutychès, de l’année 512 ou 513, et une réfutation de l’arianisme. Ses autres lettres, quatre-vingt-deux environ, sont des lettres exégétiques, disciplinaires ou familières. De sa prédication il s’est conservé deux homélies entières et d’assez nombreux fragments ou citations.

Si, de Vienne, nous descendons les rives du Rhône, nous trouvons à Marseille un des plus remarquables apologistes et moralistes du ve siècle, le prêtre Salvien. Il dut naître, à la fin du ive siècle, aux environs de Trêves ou de Cologne et épousa une païenne, Palladia, dont il eut une fille. Sous son influence cependant, sa femme se convertit et les deux époux, d’un commun accord, vécurent même dans la continence. Vers l’an 424, Salvien fut ordonné prêtre et se retira à Lérins. Plus tard, il s’établit à Marseille et y parvint à l’extrême vieillesse. En 480 il vivait encore, entouré de l’estime universelle et salué par Gennadius du titre de maître des évêques (episcoporum magister). C’était évidemment une âme très forte, austère et légèrement impérieuse, ayant sur les choses et les événements des opinions tranchées, avec une pointe d’exagération et d’amertume qui rappelle Tertullien.

Des huit ou neuf ouvrages de Salvien que Gennadius avait lus et qu’il a énumérés (Vir. ill., 67) on a conservé seulement neuf lettres, les quatre livres Contre l’avarice et les huit livres Du gouvernement de Dieu. Les lettres ont un caractère intime et familier ; l’écrit Contre l’avarice est une chaleureuse exhortation, d’une doctrine un peu outrée, à l’aumône et au dépouillement effectif des richesses ; le traité Du gouvernement de Dieu, écrit entre 439 et 451, et dédié à l’évêque Salonius, est l’œuvre maîtresse de Salvien. Il y veut répondre aux impies et aux âmes faibles qui, en voyant les maux qui accablaient les meilleurs citoyens, et l’empire romain, devenu chrétien, succomber sous les coups des barbares païens ou hérétiques, accusaient la Providence divine et déclaraient que Dieu est injuste ou qu’il se désintéresse des affaires humaines. L’auteur les réfute d’abord par la raison, par l’expérience et par l’autorité ; puis, entrant plus avant dans son sujet, il montre que les calamités dont souffrent les chrétiens et les sujets de l’Empire tout entier sont la juste punition de leurs vices et de l’intolérable contradiction qui existe entre leur conduite et leur foi. Les barbares sont plus vertueux que les soi-disant disciples du Christ, et c’est pourquoi Dieu leur donne la victoire. Cette victoire, au lieu de former une objection contre l’existence de la Providence, fournit une preuve de sa justice.

L’ouvrage de Salvien est précieux pour les renseignements qu’il fournit sur la vie sociale et privée au ve siècle. Il est remarquable par la pureté du style, qui rappelle Lactance, et aussi par l’élan oratoire qui emporte la composition et entraîne le lecteur. L’auteur malheureusement manque souvent de mesure ; il ne sait pas toujours s’arrêter à temps ni donner à ses invectives une juste borne : il lui arrive d’être déclamatoire et diffus.

Après avoir traité de Salvien, quelques mots nous suffiront pour mentionner les autres écrivains moralistes et ascétiques de la Gaule à cette époque. Le prêtre Julien Pomère, africain d’origine, qui fut pendant quelque temps, à Arles, le maître de saint Césaire vers l’an 500, avait composé, d’après Gennadius (Vir. ill., 95), huit livres sur l’âme et des ouvrages de spiritualité. Il reste de lui un beau traité intitulé De la vie contemplative, qui, en réalité, s’occupe aussi de la vie active et de la pratique des vertus chrétiennes. — L’évêque Aurélien d’Arles (546-551 ou 553) retoucha et développa les deux règles Aux moines et Aux vierges de saint Césaire. — De saint Rémi de Reims (459-533) on a conservé quatre lettres, un Testament (dont on a mis en doute l’authenticité) et une inscription métrique. La collection de ses sermons est perdue. — Les deux évêques Ferréol d’Uzès († 591) et Sedatus de Béziers (vers 589) ont laissé, le premier, une Règle pour les moines, le second, quelques homélies.

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