(20 juillet)
Marguerite naquit à Antioche, où son père, Théodose, était patriarche de la religion païenne. Après sa naissance, elle fut confiée aux soins d’une nourrice chez qui elle s’instruisit de la foi du Christ : de telle sorte que, parvenue à l’âge adulte, elle reçut le baptême, ce qui lui valut la haine de son père. Or, un jour que, âgée de quinze ans, elle s’occupait avec d’autres jeunes filles à garder les brebis de sa nourrice, le préfet Olybrius vint à passer près de l’endroit où elle se trouvait, et, voyant, une jeune fille d’une beauté merveilleuse, ne tarda pas à s’enflammer d’amour pour elle. Il appela donc ses serviteurs et leur dit : « Allez vous emparer de cette jeune fille : si elle est de naissance libre, je la prendrai pour femme ; si elle est esclave, j’en ferai ma concubine. » Et quand l’enfant lui fut amenée, il l’interrogea sur sa condition, son nom et sa religion. Elle répondit qu’elle était de condition noble, qu’elle s’appelait Marguerite, et qu’elle était chrétienne. Alors le préfet : « Les deux premières de ces trois choses te conviennent à merveille, car tout est noble en toi, et il n’y a point de perle (margarita) qui égale ta beauté. Mais la troisième chose ne te convient pas, c’est-à-dire qu’une jeune fille si belle et si noble ait, pour Dieu, un crucifié. » Et elle : « D’où sais-tu que le Christ a été crucifié ? » Et lui : « Je l’ai lu dans les livres des chrétiens ! » Et Marguerite : « Puisque tu as lu ces livres, tu y as vu à la fois le supplice du Christ et sa gloire ; comment donc oses-tu croire à l’un et nier l’autre ? » Après quoi elle lui affirma que le Christ s’était spontanément soumis à son supplice pour notre rédemption, mais que, maintenant, il vivait de la vie éternelle. Et le préfet, irrité, la fit jeter en prison.
Le lendemain, il la manda de nouveau, et lui dit : « Enfant stupide, aie pitié de ta beauté, et adore nos dieux, si tu veux être heureuse ! » Mais elle : « J’adore celui qui fait trembler la terre, qui épouvante la mer et que craignent toutes les créatures ! » Et le préfet : « Si tu ne me cèdes, je ferai lacérer ton corps ! » Mais elle : « Je n’ai pas de souhait plus cher que de mourir pour le Christ, qui s’est condamné lui-même à mourir pour moi ! » Alors le préfet la fit attacher à un chevalet ; et on la battit si cruellement, d’abord avec des verges, puis avec des pointes de fer, que ses os furent mis à nu, et que le sang jaillit de son corps comme d’une source pure. Et tous les assistants disaient : « Ô Marguerite, quelle pitié nous avons de toi ! Oh ! quelle beauté tu as perdue par ton incrédulité ! Mais à présent, du moins, pour conserver ta vie, reviens à la vraie foi ! » Et elle : « Ô mauvais conseillers, éloignez-vous de moi ! Ce supplice de ma chair est le salut de mon âme ! » Puis, s’adressant au préfet : « Chien insatiable et impudent, tu as pouvoir sur ma chair, mais mon âme n’appartient qu’au Christ ! » Cependant le préfet, n’ayant pas la force de voir une telle effusion de sang, se cachait le visage avec son manteau. Il la fit enfin détacher du chevalet, et ordonna qu’elle fût reconduite dans sa prison, qui, aussitôt, s’illumina d’une immense clarté.
Dans sa prison, Marguerite pria le Seigneur de lui faire apparaître, sous forme visible, l’ennemi qui luttait contre elle. Et voici que lui apparut un dragon hideux, qui voulut se jeter sur elle pour la dévorer. Mais elle fit le signe de la croix, et le dragon disparut. Ou encore, comme l’affirme une légende, le monstre la saisit par la tête et l’introduisit dans sa bouche ; et c’est alors qu’elle fit un signe de croix par la vertu duquel le dragon creva, et la vierge sortit de son corps sans avoir aucun mal. Mais cette légende est apocryphe, et on s’accorde à la tenir pour une fable sans fondement.
S’obstinant à vouloir tromper Marguerite, le démon lui apparut sous la forme d’un jeune homme. Et comme elle s’était mise en prières, il s’approcha d’elle, lui prit la main, et lui dit : « Que ce que tu as déjà fait te suffise : cesse maintenant de me tourmenter ! » Mais Marguerite le saisit par la tête, l’étendit à terre, et, posant sur lui son pied droit, elle dit : « Démon orgueilleux, prosterne-toi sous le pied d’une femme ! » Mais le démon criait : « Ô Marguerite, je suis vaincu, et, pour comble de honte, vaincu par une petite fille, et dont le père et la mère ont été mes amis ! »
La sainte le força à lui dire pourquoi il était venu : c’était pour l’engager à obéir aux ordres du préfet. Elle lui demanda ensuite pourquoi il tentait si obstinément les chrétiens. Il répondit que c’était, d’abord, parce qu’il haïssait tous les hommes vertueux, et ensuite parce que, dans sa jalousie, il voulait ôter aux chrétiens un bonheur que, lui-même, il avait perdu. Il ajouta que Salomon avait enfermé dans un vase une foule de démons, mais que, après sa mort, les hommes, en voyant du feu sortir de ce vase, s’étaient figuré qu’il contenait un trésor, l’avaient brisé, et avaient ainsi remis les démons en liberté. Enfin Marguerite, ayant forcé le démon à tous ces aveux, souleva son pied et dit : « Va-t’en, misérable ! » Et aussitôt le démon s’enfuit.
Ayant vaincu le prince, elle n’eut pas de peine à vaincre son ministre. Le lendemain, comme de nouveau elle se refusait à sacrifier aux idoles, elle fut dépouillée de ses vêtements et brûlée avec des torches ardentes ; et tous s’étonnaient qu’une enfant pût supporter tant de supplices divers. Seul, le préfet resta impitoyable : pour aggraver sa douleur par la variété des souffrances, il la fit plonger dans un bassin plein d’eau ; mais aussitôt la terre trembla, le bassin se brisa, et la jeune fille en sortit saine et sauve sous les yeux de la foule. Ce que voyant, cinq mille personnes se convertirent, et furent punies de mort pour le nom du Christ. Enfin le préfet, redoutant d’autres conversions, ordonna qu’elle fût au plus vite décapitée. Mais elle, après avoir obtenu la permission de faire une prière, pria pour elle-même et pour ses persécuteurs, et aussi pour ceux qui, par la suite, invoqueraient son nom. Elle demanda, en particulier, que toutes les fois qu’une femme en couches invoquerait son nom, l’enfant pût naître sans avoir aucun mal. Et une voix du ciel lui dit que toutes ses prières étaient exaucées. Alors, se relevant, elle dit au bourreau : « Mon frère, tire maintenant ton épée et frappe-moi ! » Le bourreau, d’un seul coup, lui trancha la tête ; et c’est ainsi qu’elle reçut la couronne du martyre, le quatorzième jour des calendes d’août, suivant les uns, suivant d’autres le troisième jour des ides de juillet.