Consternation dans Zurich – Violence de la populace – Douleur et détresse – Le deuil d’Anna Reinhard – Thomas Plater – Oraison funèbre – Armée de Zurich – L’armée des Réformés s’accroît – Elle prend l’offensive – Bataille nocturne du Goubel – Inactivité de Berne – Plan de Charles-Quint – Fin de la guerre – Traité de paix – Restauration de la Papauté – Bremgarten – Rapperschwil – Soleure
De douloureuses angoisses agitèrent Zurich pendant la nuit qui succéda à la désolante journée de Cappel. Il était sept heures du soir quand la première nouvelle du désastre y parvint… Des bruits vagues, mais effrayants, se répandent avec une grande rapidité. On sait qu’un coup terrible vient d’être porté, on ne sait lequel. Mais bientôt quelques blessés, qui arrivent du champ de bataille, dévoilent cet affreux mystère. Alors, dit Bullinger, que nous laissons parler, il s’éleva tout à coup un grand et horrible cri, des plaintes, des larmes, des hurlements, des lamentations et des gémissements. La consternation était d’autant plus profonde, que nul ne s’était attendu à ce désastre. — Il n’y a pas pour un déjeuner, avait dit l’un. —D’un coup de main, avait dit un autre, nous serons maîtres des Cinq-Chalets. — Bientôt, avait ajouté un troisième avec un sourire dédaigneux, bientôt nous aurons dispersé ces cinq fumiers de vache. Les plus sages, convaincus que Zurich combattait pour la bonne cause, n’avaient pas douté que la victoire ne restât à la vérité… » Aussi à la première stupéfaction succéda l’éclat d’un violent orage. Des hommes que la fureur aveugle accusent les chefs, et accablent d’injures ceux mêmes qui ont défendu la patrie au prix de leur sang. Une foule immense, agitée, pâle, égarée, remplit toutes les rues de la cité. On s’entre-choque, on se questionne, on se répond, on se questionne encore, et l’on ne peut se répondre, parce que des cris de tristesse ou d’horreur étouffent les voix. Ceux des conseillers qui étaient demeurés à Zurich se hâtent de se rendre à l’hôtel de ville. Le peuple, qui s’y est déjà rassemblé, les regarde d’un œil farouche. Des accusations de trahison sortent de toutes les bouches, et les patriciens sont signalés à l’indignation générale. Il faut des victimes. « Avant que de combattre les ennemis qui étaient sur les frontières, s’écrie la populace, il fallait se défendre contre ceux qui sont dans nos murs. » L’angoisse, la crainte, exaltent les esprits ; cet instinct sauvage du peuple, qui, dans de grandes calamités, le porte, comme la bête féroce, à avoir soif de sang, se réveille avec puissance. Une main désigne du milieu de la foule la salle du Conseil, et une voix rude et haineuse s’écrie : « Faisons voler les têtes de quelques-uns des hommes qui siègent dans ces salles, et que leur sang aille au ciel crier miséricorde pour ceux qu’ils ont fait périr ! »
Mais cette colère n’est rien encore en comparaison de celle qui se porte sur Zwingle, sur tous ces hommes d’église qui ont causé, dit-on, la ruine de la patrie. Heureusement, le glaive des Waldstettes les avait soustraits aux vengeances de leurs concitoyens. Néanmoins, il en restait encore qui pouvaient payer pour les autres. Léon Juda, que la mort de Zwingle allait mettre à la tête des affaires religieuses, relevait à peine d’une grave maladie. C’est à lui qu’on s’attache. On le menace, on le poursuit ; quelques honnêtes bourgeois l’enlèvent, et le cachent dans leurs maisons. La rage des furieux n’en est point apaisée. Ils ne cessent de répéter qu’il faut expier le carnage de Cappel par un carnage plus affreux encore dans les murs mêmes de la cité. Mais Dieu mit un frein dans la bouche de la bête féroce, et la dompta.
Tout à coup la douleur succède à la rage, et des sanglots étouffent la voix des plus égarés. Ceux dont des parents ont marché sur Cappel s’imaginent que les leurs sont au nombre des victimes : des femmes, des enfants, des vieillards, s’avancent dans les ténèbres, à la lueur des flambeaux, l’œil hagard et la marche précipitée ; et aussitôt que quelque blessé arrive, ils s’enquièrent d’une voix tremblante de ceux qu’ils cherchent. « Je l’ai vu tomber sous mes yeux, répond-on aux uns. Il était entouré de tant d’ennemis, répond-on à d’autres, qu’il n’y avait plus pour lui aucune chance de saluta. » A ces mots, les flambeaux tombent et s’éteignent, et la famille éperdue remplit les airs de sa désolation.
a – Dermassen umbgaben mit Fygenden, dass kein Hoff nung der rettung uberig. (Bull. 3, p. 163.)
Anna Zwingle avait entendu de sa maison les coups redoublés de l’artillerie. Épouse et mère, elle avait passé dans l’attente de longues heures d’angoisse, en poussant vers le ciel d’humbles soupirs. Enfin, coup sur coup, les nouvelles les plus terribles lui parviennent.
Au milieu des scènes de désespoir qui se passent sur la route de Cappel, se trouvait Oswald Myconius, demandant avec anxiété ce que son ami était devenu. Bientôt il entend un des malheureux, échappés du massacre, raconter à ceux qui l’entourent que Zwingle a périb. « Zwingle n’est plus ! Zwingle est mort ! » Le cri se répète, se répand avec la rapidité de l’éclair, et arrive enfin à sa malheureuse veuve. Anna embrasse ses enfants, tombe à genoux avec eux, et s’écrie, en les tenant serrés contre son sein : « O Père ! non ma volonté, mais la tiennec ! » Mais ce n’est pas assez de la mort de son mari ; Dieu l’a frappée d’autres coups. Des messagers, qui se suivent à de courts intervalles, viennent annoncer à Anna la mort de son fils Gérold de Knonau, de son frère le bailli Reinhard, de son gendre Antoine Wirz, de Jean Lutschi, l’époux de sa sœur bien-aimée, la mort de ses plus intimes amis. Cette femme reste seule ; seule avec ses enfants en bas âge, qui, en voyant ses larmes, versent aussi des pleurs ; seule avec son Sauveur, auprès duquel elle avait appris de Zwingle à chercher toute consolation. C’était, mais autrement peut-être que ne l’avait pensé le Réformateur, « après l’heure des ténèbres la bénédiction. »
b – Ut igitur mane videram exeuntem, ita sub noctem audio nuntium, pugnatum quidem acriter, tamen infeliciter, et Zwinglium nobis periisse. (Myc. Vit. Zw.)
c – Anna Reinhard, par Salomon Hess, p. 147.
Soudainement le tocsin se fait entendre. Le Conseil, partagé entre les avis les plus contraires, a enfin résolu d’appeler tous les citoyens sur l’Albis. Le bruit des cloches retentissant dans les ténèbres, les récits lamentables des blessés et les cris de douleur des familles éperdues, augmentent l’épouvante. Un grand concours de citoyens se précipite sans ordre sur la route de Cappel. Parmi eux se trouve le Valaisan Thomas Plater. Il rencontre ici un homme qui n’a qu’un brasd, là d’autres hommes qui soutiennent de leurs deux mains leur tête ensanglantée ; plus loin, un soldat dont les entrailles sortent de son corps. Devant ces malheureux marchent des paysans munis de flambeaux, car la nuit est profonde. Plater veut retourner, mais il ne le peut ; des sentinelles postées sur le pont de la Sihl laissent sortir de Zurich, mais ne permettent à personne d’y rentrer.
d – Ettlich kamen, hatten nur eine hand. (Lebensbeschreibung Plateri, p. 297.)
Le lendemain, la nouvelle de l’indigne traitement fait au cadavre de Zwingle réveilla toute la colère des Zurichois ; ses amis, relevant la tête, s’écrièrent, d’une voix entrecoupée de pleurs : « Que les hommes se jettent sur son corps, qu’ils allument leurs bûchers et flétrissent son innocence… Il vit, il vit éternellement, cet invincible héros, et il laisse après lui un monument impérissable de gloire, qu’aucune flamme ne saurait consumere. Dieu, à l’honneur duquel il a travaillé au prix même de son sang, rendra sa mémoire perpétuelle. — Et moi, ajoutait Léon Juda, moi sur lequel il a répandu tant de bienfaits, je m’efforcerai, après tant d’autres, de défendre sa renommée et d’exalter ses vertus. » Ainsi Zurich consacrait à Zwingle une oraison funèbre composée de larmes, de soupirs, de reconnaissance et de cris. Jamais il n’y en eut de plus éloquente.
e – Vivit adhunc, et æternum vivit fortissimus heros. Leonis Judæ exhort. Ad Chr. Sect. Enchiridio Psalm. Zwinglii præmissa.
Zurich ralliait ses forces. Jean Steiner avait ramené sur l’Albis quelques débris de l’armée, pour en défendre le passage. On bivaquait près des feux sur le sommet de la montagne, mais tout y était dans la confusion. Plater, transi, c’est lui-même qui le raconte, avait posé sa chaussure pour réchauffer ses pieds à la flamme du bivac. Tout à coup on sonne l’alarme, la troupe se range à la hâte, et tandis que Plater se prépare, un trompette, échappé du combat, lui enlève sa hallebarde ; Plater la ressaisit, et se place dans les rangs ; devant lui se trouvait le trompette, sans souliers ni chapeau, un grand échalas à la main. Telle était l’armée de Zurich.
Le capitaine en chef Lavater rejoignit l’armée au point du jour. Peu à peu les alliés arrivèrent ; quinze cents Grisons, sous les ordres du capitaine général Frey de Zurich, quinze cents Thurgoviens, six cents Tockenbourgeois, et d’autres auxiliaires encore, portèrent bientôt l’armée à douze mille hommes. Tous, jusqu’aux enfants mêmes, accoururent sous les armes. Le Conseil ordonna que l’on renvoyât toute cette jeunessef, afin qu’elle s’occupât, avec les femmes, des soins domestiques.
f – Jungen fasels (jeune couvée). (Bull. Chr., III, p. 176.)
Mais un nouveau revers vint augmenter les désolations de la Réforme. Tandis que les troupes de Zurich, accrues de celles de Berne, de Bâle et de Bienne, formaient une armée redoutable de vingt-quatre mille hommes, qui se réunissait à Bremgarten, les cinq autres cantons se retranchaient à Baar, près de Zug. Les Réformés étaient les plus forts ; mais Zwingle manquait : or sa parole puissante eût été seule capable d’enflammer tout ce peuple, sa main seule assez forte pour le retenir et le guider. Un coup de vent ayant renversé quelques sapins dans la forêt où campaient les Zurichois, et causé la mort de quelques soldats, on ne manqua pas d’y voir le signe de nouveaux malheurs. Ils ne se firent pas attendre : une défaite nocturne devait augmenter tant de désastres.
Frey, qui semblait avoir hérité du courage du Réformateur, si ce n’est de sa sagesse, demandait la bataille. L’armée s’ébranla, entra sur le territoire de Zug, et campa non loin de Baar et de Blickenstorf. Les cinq cantons, après quelques escarmouches, abandonnèrent Baar, et vinrent s’établir au pied du mont de Zug. Les villes résolurent d’entourer l’armée ennemie, afin de pouvoir ensuite fondre sur elle avec avantage. Un détachement se porta sur Chaam, vers le lac de Zug, du côté de Lucerne ; et le hardi Frey, à la tête de quatre mille hommes de Zurich, de Schaffouse, de Bâle et de Saint-Gall, tourna le camp des Waldstettes, repoussa les arquebusiers qui voulaient l’arrêter près de Sihlbruck, et vint s’asseoir sur la montagne du Goubel, non loin du canton de Schwitz, d’où il dominait l’armée des cantons forestiers. Alors ses imprudents soldats, se croyant sûrs de la victoire, agitent fièrement leurs drapeaux, pillent les maisons et les églises, enlèvent le bétail ; puis, plaçant des fromages au bout de leurs piques, ils boivent, ils crient, ils dansent ; enfin, fatigués de la marche et de leurs excès, il s’endorment d’un pesant sommeilg.
g – Aassend und trunkend… viel schlieffend. (Bull., III, p. 196.)
Les habitants de ces montagnes, chassés de leurs demeures, étaient accourus au camp des Waldstettes. « On nous pille, on dévaste tout autour de nous, s’était écrié Chrétien Ity, d’vEgeri, qui était à leur tête. Fidèles confédérés, venez à notre aide ! » Les cinq cantons, qui voyaient le grand corps d’armée de Zurich, près de Baar, prêt à les attaquer, s’y refusèrent. Alors Ity fit un appel à tous les gens de cœur ; plusieurs centaines d’hommes se joignirent à lui, et s’approchèrent du Goubel pendant la nuit. Les chefs des Waldstettes se décidèrent à les appuyer, et un corps de quatorze cents hommes partit du camp pour se joindre à ces volontaires.
Ity envoie des espions pour reconnaître, à la clarté de la lune, la position des Zurichois sur le Goubel. A peine sont-ils de retour et ont-ils fait leur rapport, que tous ces montagnards s’écrient avec entrain : « Ils dorment ! Ayons bon courage ! En avant ! Dieu les a livrés entre nos mains ! »
Le 24 octobre, à deux heures après minuit, ces hommes mettent sur leurs habits des chemises blanches, afin de pouvoir se reconnaître dans l’obscurité. Ils prennent pour mot d’ordre « Marie, mère de Dieu ; » et, après avoir fait la prière, ils se glissent mystérieusement dans une forêt de sapins voisine du lieu où étaient campés les Réformés, et dans laquelle pénétraient quelques rayons brisés de la lune. Les gens préposés à la garde du camp zurichois ayant aperçu l’ennemi, courent aux feux pour appeler les leurs ; mais ils n’ont pas atteint le troisième feu, que les Waldstettes s’élancent, poussant un horrible crih : « Har…, har…, har…, har…, où sont-ils ces sacrilèges et ces hérétiques ? Har…, har…, har…, har… » Les soldats des villes font d’abord une vigoureuse résistance, et plusieurs des chemises blanches tombent couvertes de sang ; des coups terribles se portent dans les ténèbres ; les fers s’entrechoquent, et la lumière en jaillit ; mais ce n’est pas long. Les soldats des villes, surtout quand la lutte est transportée dans les bois, ne peuvent discerner s’ils ont affaire à des amis ou à des ennemis. Les plus braves, et le vaillant Frey à leur tête, ayant mordu la poussière, la fuite devint générale, et huit cent trente hommes demeurèrent sur le champ de bataille. Le canton de Zug a fait récemment (1846) construire un monastère sur la hauteur du Goubel. Le souvenir de cette victoire a décidé sans doute le choix de la localité.
h – Mit einem grossen grusamem geschrey. (Bull., p. 201.)
Après ces désastres, les Bernois rentrèrent dans leur immobilité. François Kolb, qui, malgré sa vieillesse, était parti comme aumônier du contingent bernois, reprocha lui-même aux siens, dans un sermon, leur négligence et leur lâcheté. « Vos ancêtres, leur dit-il, auraient franchi le Rhin à la nage, et vous… ce ruisseau (la Lorze) vous arrêtei ! Ils entraient en campagne pour un mot ; et vous, l’Évangile même ne saurait vous émouvoir ! Il ne nous reste plus qu’à recommander notre cause à Dieu. » Plusieurs voix s’élevèrent contre l’imprudent vieillard, mais d’autres prirent sa défense ; et le capitaine Jacques May, indigné, comme le vieux aumônier, des délais de ses concitoyens, tira son épée, la passa à travers les replis du drapeau bernois, et, perçant l’ours qui y était représenté, il s’écria en présence de l’armée : « Martin ! Martin ! ne veux-tu donc pas montrer tes onglesj ?… » Mais l’ours ne bougea point.
i – Nitt über den kleinen Bach. (Bull., III, p. 213.)
j – Bëtz, Bëtz, wilt dann nicht kretzen ? (Bulling., III, p. 215.)
Ce n’était pas seulement Zurich et la Suisse qui étaient en cause dans les tristes événements que nous venons de raconter ; c’était la Réformation tout entière. Dès que le roi Ferdinand eut appris la défaite de Cappel, il avait mandé en toute hâte cette grande nouvelle à Charles-Quint. « Voici la première des victoires destinées à relever la foi, » lui dit-il. Après la défaite du Goubel, il écrivit de nouveau que, si l’Empereur n’était pas si près, il n’hésiterait pas, lui, quelle que fût sa faiblesse, à s’élancer, le glaive à la main, pour terminer une si sainte entreprise. Rappelez-vous, disait-il à Charles, que vous êtes le chef de la chrétienté, et que jamais il ne s’offrira une plus belle occasion de vous couvrir de gloire. Les sectes allemandes sont perdues, si la Suisse hérétique cesse de les appuyerk. » — Oui, répondit Charles ; la dignité impériale dont je suis revêtu, la protection que je dois à la chrétienté et à l’ordre public, enfin le salut de la maison d’Autriche, tout m’appelle. » Vaincre l’Allemagne en Suisse, tel était le plan des politiques de l’Empire.
k – Que se pudo desear i camino para remediar las quiebras de nuestra fe y ser Va Md. Senor de Alemanna. (Ferdinand à Charles-Quint, 1er novembre 1531.)
Déjà environ deux mille hommes de troupes italiennes, envoyés par le Pape et commandés par le Génois d’Isola, avaient déployé leurs sept étendards, et rejoint près de Zug l’armée des cinq cantons. Troupes auxiliaires, négociations diplomatiques, convertisseurs même, rien n’était épargné. L’évêque de Veroli arriva en Suisse, afin d’y ramener les Luthériens à la foi romaine, au moyen de ses amis et de ses deniersl. Enfin, cette audacieuse Réformation allait être comprimée. Au lieu de la grande délivrance que Zwingle avait rêvée, l’aigle impérial, lâché par la Papauté, allait s’abattre sur toute l’Europe, et l’étouffer dans ses serres. La cause de la liberté avait péri sur l’Albis.
l – Con proposita di rimover Lutheriani dalla loro mala opinione, con mezzo di alcuni suoi amici e con denari. (Rapport de Basadonna, Archives de Venise, Ranke.)
Mais l’espérance des Papistes était vaine ; la cause de l’Évangile, quoique humiliée à cette heure, devait remporter finalement un glorieux triomphe. Un nuage peut éclipser un instant le soleil, mais le nuage passe et le soleil reparaît. Jésus-Christ est toujours le même, et le fer des guerriers, qui triompha dans les champs de Cappel, ne peut prévaloir contre son Église.
Néanmoins, tout semblait alors s’acheminer vers une grande catastrophe. L’armée était démoralisée ; plusieurs disaient qu’ils ne voulaient plus de cette guerre de prêtresm. Les Tockenbourgeois firent leur paix, et se retirèrent ; les Thurgoviens les suivirent, puis ceux de Gaster. L’armée évangélique se débandait peu à peu. A ces discordes vint se joindre la rigueur de la saison : des pluies et des vents continuels chassaient les soldats dans leurs foyers.
m – Pfaffen-Krieg.
Alors les cinq cantons se jetèrent, avec les bandes indisciplinées d’Isola, sur la rive gauche du lac de Zurich. Les paysans, au son du tocsin, coururent en foule vers la ville, avec leurs femmes éplorées, leurs enfants épouvantés, et leurs troupeaux qui remplissaient les airs de sombres mugissements. « Si l’on n’accepte pas promptement nos conditions, dirent les cantons, nous allons tout mettre à feu et à sang. » Les paysans déclarèrent que si la ville se refusait à traiter, ils traiteraient pour leur propre compte.
Dès lors le parti de la paix prévalut dans le Conseil. On nomma des négociateurs. « Avant tout, sauvez l’Évangile ; puis, s’il est possible, l’honneur ! » Telles furent leurs instructions. Le 16 novembre, les députés, Escher, le nouveau commandant de l’armée, vieillard brave, brusque, éloquent et estimé de tous, et une suite nombreuse, passèrent l’Albis et arrivèrent dans une prairie, sur les bords pittoresques de la Sihl, où les représentants des cantons les attendaient. Tous restèrent à cheval. On délibéra. Hélas ! l’honneur de la Réforme fut foulé aux pieds, et elle dut subir les expressions les plus humiliantes. Au nom de la très louable, sainte et divine Trinité, fut-il dit dans le traité. Premièrement, nous, Zurichois, devons et voulons laisser nos féaux et chers confédérés des cinq cantons, leurs chers combourgeois du Valais et tous leurs adhérents ecclésiastiques et laïques, dans leur vraie et indubitable foi chrétiennen, renonçant à toute mauvaise intention, ruse et finesse. Et, de notre côté, nous des cinq cantons, nous voulons laisser nos confédérés de Zurich et les leurs dans leur foio. » Ainsi l’Eglise de Rome, que des docteurs humains ont toujours tenue sous leur dépendance, semblait être la véritable Église de Jésus-Christ, tandis que l’Église évangélique, qui n’a jamais relevé que de la Parole du Seigneur, devait se résoudre à paraître n’avoir qu’une foi inventée par les hommes. En même temps Rapperschwil, Gaster, Wesen, Bremgarten, Mellingen et les bailliages communs étaient abandonnés aux cinq cantons et au Pape.
n – By ihren wahren ungezwyffiten christenlichen glauben. (Tschudi, p. 247.)
o – By ihren Glauben. (Ibid.)
Zurich avait sauvé sa foi ; c’était tout. Le traité ayant été lu et approuvé, les plénipotentiaires descendirent de cheval, se mirent à genoux, et invoquèrent le nom de Dieup. Puis, le capitaine général des Zurichois, Escher, se relevant, dit, en tournant vers les Waldstettes des yeux mouillés de pleurs : « Dieu soit béni de ce que je puis de nouveau vous nommer chers confédérés ! » et s’approchant, il serra successivement la main à Golder, Hug, Troger, Rychmut, Marquart Zellger, Dooss, les terribles vainqueurs de Cappel. Tous les yeux étaient pleins de larmesq. Chacun prit la gourde suspendue à son côté, et en donna à boire à l’un des chefs du parti contraire. Le 24 novembre, un traité semblable fut conclu entre Berne et les cinq cantons.
p – Knuwet mencklich wider und battet. (Bull. 3, p. 253.)
q – Und luffend ihnen allen die Augen uber. (Tschoudi, p. 245.)