« Mais ce ne sont pas seulement les poètes que notre admirable dieu a divinisés dans ses oracles, il a fait rendre les mêmes honneurs à des athlètes qui combattaient à la lutte ou au pugilat. Voyons encore à ce sujet ce que dit notre auteur. Voici comme il traite le fameux oracle :
« Ô toi, qui sais le nombre des sables de la mer et sa vaste étendue, qui connais les pensées d’un muet, et qui entends la voix de celui qui ne parle pas ! »
que n’ignores-tu tout cela ? que ne sais-tu plutôt que le pugilat n’est pas un art différent de celui de conduire avec l’aiguillon une bête de somme, que par conséquent il faut mettre les ânes au rang des immortels ou bien qu’il n’y faut point placer l’athlète Cléomède comme tu l’as fait par cet oracle.
« Le dernier des héros est Cléomède d’Assypale : offrez-lui des sacrifices ; car ce n’est plus un mortel. »
Pourquoi donc, interprète naturel de la religion des Grecs, as-tu fait un dieu d’un tel homme ? Est-ce parce qu’aux Jeux olympiques il frappa d’un seul coup son adversaire, lui ouvrit le côté, puis y plongeant sa main, en arracha le poumon ? Exploit bien digne d’un dieu en effet, ô Apollon ! Ou bien est-ce parce que, condamné pour cela à une amende de 4 talents, il ne put digérer cet affront, mais dans son indignation et sa douleur, il déchargea sa bile sur des enfants qui étaient dans une école, en arrachant la colonne qui soutenait l’édifice. C’était pour cela sans doute que toi, qui fais des dieux à ton gré, tu as jugé Cléomède digne des honneurs divins ? Ou bien n’ajouteras-tu point encore à ces traits une autre preuve de son courage et de la bienveillance des dieux à son égard ? C’est qu’il s’enferma dans un coffre sacré, fit retomber le couvercle sur lui, et il fut impossible à ceux qui le poursuivaient de le retirer de là, malgré tous leurs efforts. Ô Cléomède ! tu n’es donc plus un mortel ? Qu’elle est admirable la voie par laquelle tu as conquis l’immortalité. Les dieux furent tellement touchés de tes exploits, qu’ils t’élevèrent au ciel comme les dieux d’Homère avaient enlevé Ganymède ; celui-ci, c’était à cause de sa beauté, et toi c’est à cause de ta force, et surtout à cause du bon usage que tu en as fait. Oui, je le répète, admirable devin, que ne sais-tu plutôt quel cas il faut faire de l’exercice du pugilat, au lieu de connaître l’étendue de la mer et le nombre des grains de sable qui couvrent ses rivages ? Tu aurais mis au rang des dieux les ânes qui se battent, et les ânes sauvages seraient à ce prix les plus grands des dieux, et l’oracle suivant s’appliquerait mieux à un âne sauvage qu’à ton athlète :
« Le plus grand des dieux est un âne sauvage, et non pas Cléomède ; c’est lui que vous devez honorer par vos sacrifices, parce qu’il n’est plus au rang des mortels. »
Et ne sois pas surpris qu’un âne sauvage réclamât ainsi l’immortalité, pourvu, comme il l’est, de qualités vraiment divines, et qu’aussitôt qu’il aurait eu connaissance de ton projet, il ne pût le souffrir, mais qu’il menaçât Cléomède de le précipiter à coups de pied au fond, et de ne jamais permettre qu’il montât au ciel ; car il se jugerait plus digne que Cléomède des honneurs divins puisqu’il serait prêt à combattre non seulement avec ce même Cléomède armé de gantelets de fer, mais encore avec l’athlète de Thasos, ou plutôt avec tous les deux ensemble, avec ce fameux Thasien dont la statue violée excita la colère des dieux, au point qu’ils frappèrent de stérilité la terre des Thasiens, suivant le témoignage non pas d’un homme, mais du dieu lui-même. J’ai dû comprendre, d’après tout cela, qu’il y avait dans le pugilat quelque chose de divin, ce qu’ont ignoré la plupart de ceux qui sont cependant décorés du nom de sages ; car s’ils l’avaient su, ils auraient assurément abandonné la recherche du beau et du bien pour se livrer aux exercices de l’athlète de Thasos : car si les dieux ne lui ont pas donné comme à Cléomède l’immortalité, ils lui ont donné d’autres preuves de leur extrême bienveillance. Il avait une statue d’airain qui avait cela de particulier, qu’il y était représenté tombant, non pas sans doute sans une disposition divine, sur son ennemi qui le fouettait. Mais les Thasiens insensés, et étrangers aux choses divines, s’indignèrent de l’action de l’athlète ; ils s’en prirent à sa statue et vengèrent sur elle le prétendu crime, en la précipitant dans la mer ; mais ils n’échappèrent point au châtiment que méritait leur audace ; car les dieux leur apprirent quel crime ils avaient commis, en leur envoyant une famine affreuse, ministre des vengeances divines. Toutefois ils ne comprirent pas toute l’intention des dieux, dans ce châtiment ; car ils envoyèrent te consulter et réclamer ton assistance ; et toi, le plus humain des dieux, tu leur fis, selon la coutume, cette admirable réponse :
« Rappelez les exilés dans leur patrie, et vous aurez d’abondantes moissons. »
Dans leur simplicité, les Thasiens s’imaginèrent que ces exilés qu’il fallait rappeler étaient des hommes qui étaient relégués loin du sol de leur patrie. Erreur ; les dieux aiment trop peu les hommes pour se montrer si soucieux de faire rappeler des exilés : encore s’il s’agissait de faire relever une statue ! Aussi, le sol ne devint pas plus fertile ; le fléau continua à le désoler jusqu’à ce qu’un homme des plus sages et des plus avisés comprît que, dans la pensée des dieux, l’exilé était la statue abîmée dans la mer. Il avait raison. La statue n’eut pas plutôt été relevée, que la terre commença à se couvrir de verdure et de fleurs, et Cérès à donner de riches moissons. N’est-ce pas là une preuve frappante que les honneurs divins sont légitimement dus à l’art des athlètes ? car toute cette colère des dieux avait été excitée par l’injure faite à la statue du vainqueur des cinq combats. Les Locriens furent aussi victimes du même fléau que les Thasiens, jusqu’à ce que ton oracle vînt, par cette réponse, porter remède à leurs maux :
« Rends les honneurs à celui que tu en as privé, et tu laboureras tes champs. »
Les Locriens ne comprirent pas non plus la pensée divine. Il fallait que tu en fusses toi – même l’interprète. Ils avaient jeté dans les fers un vainqueur des cinq combats, Entyclès, qui était accusé d’avoir reçu des présents des ennemis de ta patrie ; et, non contents de cela, ils avaient été jusqu’à insulter ses statues après sa mort. Mais les dieux ne purent supporter une pareille conduite ; ils châtièrent les coupables par une famine des plus affreuses, qui les aurait tous consumés, si tu ne fusses venu à leur secours, en leur disant qu’il fallait honorer les hommes remarquables par leur obésité, parce que les dieux ne les aiment pas moins que les bœufs engraissés à la farine d’orge. C’est qu’en effet vous vous laissez fléchir par le sacrifice de ces hommes engraissés : et une preuve qu’ils vous sont aussi agréables, pour ne pas dire plus, que les bœufs gras, c’est qu’on vous a vus souvent sévir contre une ville, une nation entière, parce que quelques particuliers avaient maltraité ces hommes ainsi engraissés. Il fallait donc, noble devin, te faire maître de gymnase, au lieu de rester devin ou plutôt il fallait être à la fois devin et maître de gymnase, afin que, comme nous avons un oracle de Delphes, nous eussions aussi un gymnase de Delphes. En effet, un gymnase pythien ne serait pas déplacé à côté des Jeux pythiens. »
Je crois devoir ajouter ici d’autres accusations du même auteur, dans lesquelles il reproche aux dieux dont nous parlons de se plaire à flatter les tyrans.