Depuis la fameuse nuit où Israël a été préservé de l’ange exterminateur et délivré de la cruelle servitude d’Egypte, tout premier-né mâle, tant des hommes que des bêtes, appartient à l’Éternel, Exode ch. 13. Mais (Nom.3.11,45), les Lévites et leur bétail sont prism par l’Éternel à la place des premiers-nés du reste du peuple. Il s’agit maintenant de savoir quels sont les premiers-nés dont les Lévites prennent ainsi la place, puis quelle est la nature de cette substitution. On a répondu assez diversement à ces deux questions :
m – L’Éternel les prend, et en même temps il les considère comme un don qui lui est fait par le peuple (Nombres 8.16). — D’après Nombres 3.43 il y avait 22 273 premiers-nés et seulement 22 000 Lévites. Ces 273 furent rachetés au prix de 5 sicles par tête, v. 46 à 51. En additionnant les trois nombres de v. 22, 28, 34, on arrive au chiffre de 22 300 ; il y a probablement là une erreur, ou bien peut-être ces 300 Lévites de surplus étaient-ils eux-mêmes des premiers-nés.
1° En effet, il y avait chez les Juifs deux sortes de premiers-nés : le fils premier-né du père et de n’importe quelle mère, que celle-ci eût ou non d’autres enfants (Deutéronome 21.17, בכיר לנחלה, primogenitus hereditatis) ; et le premier-né de la mère (Exode 13.1, בכיר לכהן, primogenitus saccrdotis), les prémices de toute maternité. Or la plupart des Rabbins estiment que l’Israélite qui avait plusieurs femmes devait racheter le premier-né de chacune de ses femmes, mais que son premier-né à lui ne payait pas la capitation s’il n’était en même temps le premier-né de sa mère. De cette manière les Lévites auraient été choisis par l’Éternel pour tenir la place de tous les mâles, enfants premiers-nés de leurs mères. C’est l’opinion de Kurtz. Elle a pour soi le sens littéral de Nom.3.12 ; 18.15, et il est certain que chez les animaux il ne pouvait être question que de la primogéniture maternelle ; mais elle ne tient compte ni de Exode 22.29 : « Tu me donneras le premier-né de tes fils, » et non pas : « les premiers-nés de tes femmes, » ni de Nom.8.17, où l’allusion aux premiers-nés des Egyptiens fait nécessairement penser aux fils aînés des pères (Exode 12.29 ; Psaumes 78.51 ; 105.36). Je crois donc avec Lundn et Keilo qu’il est question dans tous ces passages des garçons qui étaient les premiers-nés de leur père et de leur mère à la fois. Ainsi s’explique leur nombre relativement peu considérable (Nom.3.43)p.
n – « Anciens sanctuaires juifs, » p. 622.
o – Dans l’Introd. à l’A. T. de Hævernick, I, 425, 2o éd.
p – Il est probable aussi que les aînés d’une famille qui étaient déjà mariés eux-mêmes et qui avaient des enfants, n’étaient plus obligés de payer la capitation.
2° Quant à la substitution des Lévites aux premiers-nés, nous allons nous trouver de nouveau en présence de deux opinions différentes.
Les Lévites ont-ils été choisis par l’Éternel pour officier dans le sanctuaire à la place des premiers-nés de chaque famille, dont c’était primitivement la tâche en tant qu’ils représentaient leurs maisons ? Ou bien la substitution des Lévites aux premiers-nés doit-elle être considérée comme un sacrifice ?
Nous n’acceptons pas cette alternative. Voici plutôt comment nous nous représentons la chose. De même que les Egyptiens ont été punis de leur endurcissement en la personne de leurs premiers-nés, qui sont tombés, véritables victimes expiatoires, sous des coups dont le peuple tout entier aurait justement pu être atteint, de même les Israélites que Dieu a choisis par libre grâce et qu’il vient de retirer à main forte de la maison de servitude, doivent à Dieu tout ce qu’ils sont et tout ce qu’ils ont, et, pour prouver leur juste reconnaissance, ils offrent du moins à l’Éternel, en la personne de leurs fils aînés, les prémices des biens dont ils lui sont redevables. Mais la consécration d’êtres humains ne se fait pas par immolation : Anne n’immole pas Samuel, elle le voue au service du sanctuaire. Voilà donc tous les fils aînés des Israélites appelés à servir Dieu dans son temple à la place de tout le peuple. Première substitution.
Mais, seconde substitution, Dieu met une tribu à part. Il la dispense des soins ordinaires de la vie et la charge de ceux du culte à la place des premiers-nés. Il fait des Lévites des médiateurs entre lui et le reste de son peuple. D’une part donc, les Lévites sont un sacrifice vivant que les Israélites offrent au Dieu qui leur a rendu la vie ; et d’autre part, comme ils officient en lieu et place du peuple tout entier, qui le devrait faire en la personne de ses premiers-nés, mais qui ne le fait pas à cause de son état d’impureté (Nombres 18.22), les Lévites servent à couvrir (לכפר, Nom.8.19) le peuple devant la sainteté divine, lorsqu’il s’approche du sanctuaire. Mais cette vivante offrande qui lui est présentée, Dieu ne la garde pas pour lui ; il la cède à son tour aux prêtres en pur don (Nombres 18.6, 19 ; 3.19), ce qui ne doit aucunement nous surprendre, car ce ne sont point là les seules prémices dont les prêtres aient la jouissanceq. Puis il faut observer aussi que les Lévites ne constituent que la première base du système représentatif du peuple, dont le second degré est formé par les prêtres de la famille d’Aaron, et le sommet par le souverain sacrificateur. Ils participent en quelque mesure à la dignité de médiateurs qui appartient aux prêtres (Nombres 16.10). Vis-à-vis du reste du peuple, ils jouissent de certaines prérogatives indiscutables ; ainsi ils campent avec les prêtres tout autour du Tabernacle, afin qu’il n’y ait point d’indignation sur l’assemblée des enfants d’Israël (Nombres 1.53) ; mais ils ne doivent pas se considérer comme les égaux des prêtres.
q – Dans Nom.18.2, comparé à Nom.18.4 il y a un jeu de mots : Les Lévites doivent s’attacher (Illavou, ילבו) aux prêtres et les servir. Lévi signifie : uni, attaché.
On comprend après ceci que l’Exode, le Lévitique et les Nombres puissent insister sur l’infériorité des Lévites relativement aux prêtres de la famille d’Aaron, — sans pour cela se trouver en contradiction avec le Deutéronome, qui nous présente plutôt les Lévites et les prêtres comme formant une classe à part au sein du peuple.
[C’est ce qui ressort déjà du fait que le Deut. appelle les prêtres : Enfants de Lévi (Deutéronome 21.5 ; 31.9), ou : prêtres lévitiques, Deutéronome 7.9,18 ; Josué 3.3 ; — et non plus : Enfants d’Aaron. — Autre remarque : Le Deut. applique aux Lévites des expressions qui sont ordinairement réservées aux prêtres, ainsi : servir au nom de l’Éternel, se tenir devant l’Éternel, etc. (Deutéronome 18.7 ; 21.5 ; 17.12) Enfin, dans sa bénédiction (Deutéronome 33.8 et sq.), Moïse considère évidemment toute la tribu de Lévi comme une tribu de prêtres. Comparez Malachie 2.5, où toutes les grâces faites aux prêtres sont présentées comme une alliance avec Lévi.]
L’on est allé beaucoup trop loin quand on a dit que le Deutéronome ignore toute différence entre les Lévites et les prêtres. Toutes les fois qu’il parle de Lévi ou des Lévites, il a en vue ce que nous appelons, nous aussi, les Lévites, à l’exclusion de la famille d’Aaron. Voyez surtout Deutéronome 18.6-8, comparé à Deutéronome 18.3-5.