Depuis 439, l’Afrique romaine était tombée tout entière au pouvoir des Vandales. Ceux-ci étaient ariens, et leurs rois Geisérich († 477), Hunérich (477-484), Thrasamund (496-523), les deux premiers surtout, persécutèrent durement les catholiques. De là, dans la littérature chrétienne d’Afrique à cette époque, un renouveau de polémique contre l’arianisme. On le constate par les écrits de l’évêque de Carthage, Eugène (480-505), de l’évêque de Castellum en Maurétanie césarienne, Cerealis (vers 485), de l’évêque de Cirta en Numidie, Antoninus Honoratus, des évêques Victor de Cartenna (Gennadius, De vir. ill., 77), Asclepius (ibid., 73) et Voconius de Castellum (ibid., 78). Les œuvres de ces deux derniers ont péri : on possède peut-être de Victor son traité Sur la pénitence publique et sa Lettre de consolation à Basile.
A ce même cycle appartiennent aussi les écrits de Vigile, évêque de Thapse, qui assista, le 1er février 484 à Carthage, à la conférence contradictoire entre ariens et catholiques. On a imprimé sous son nom neuf traités dont deux seulement sont sûrement de lui : un Dialogue contre les ariens, les sabelliens et les photiniens et cinq livres Contre Eutychès ; mais on sait par lui-même qu’il avait composé de plus deux traités, qu’on n’a pu jusqu’ici identifier, Contre l’arien Marivadus et Contre l’arien Palladius.
A cette même controverse encore on peut rapporter en grande partie les ouvrages de celui qui fut, au vie siècle, le meilleur théologien de l’Occident, saint Fulgence.
Saint Fulgence était né en 468 à Thélepte, dans la Byzacène, d’une famille riche : son éducation fut très soignée. Déjà il avait commencé à s’occuper des affaires séculières quand se développa peu à peu en lui le désir de la vie monastique. Il la pratique d’abord en Afrique dans plusieurs couvents, puis essaye en vain de passer en Egypte, aborde en Sicile et, par Rome, revient en Afrique où il fonde un nouveau monastère. C’est là qu’on vient le prendre pour en faire, malgré lui, un évêque de Ruspe (507 ou 508). Il n’y reste que peu de temps. Exilé en Sardaigne par Thrasamund avec plus de soixante autres évêques de la Byzacène, il forme avec eux une sorte de conseil théologique permanent, mais ne peut revenir définitivement en Afrique et recouvrer son siège qu’à l’avènement de Hildérich (523). Sa mort se place en 533.
Saint Fulgence est un esprit pénétrant, net, vigoureux, capable d’exposer les questions les plus abstraites et d’y porter la lumière, solidement instruit de l’Écriture et de la Tradition, et sachant les faire valoir pour appuyer ses solutions. Il possédait à fond saint Augustin, et en a si fidèlement reproduit la doctrine sur les matières de la grâce qu’on a pu l’appeler lui-même « un saint Augustin abrégé ». Ce n’est toutefois qu’un talent de second ordre, et il n’a joui de tant d’estime de son temps et dans les siècles suivants que parce que ce temps et ces siècles étaient eux-mêmes fort pauvres en hommes vraiment supérieurs. Son style est moins pur et moins châtié que celui des écrivains du ive siècle, mais il est clair et facile ; sa composition est souvent longue et diffuse.
On possède de saint Fulgence des traités théologiques, des lettres et des sermons.
Ses traités théologiques se rapportent presque tous à trois questions : la question trinitaire contre les ariens, la question de la grâce contre les semi-pélagiens et la question de l’incarnation, cette dernière souvent étudiée avec une des deux autres.
Contre les ariens, saint Fulgence a écrit, vers 515, le traité Contre les ariens, réponse à dix demandes d’éclaircissements que Thrasamund lui avait faites ; puis les trois livres A Thrasamund, roi des Vandales, réponse à de nouvelles objections du roi, qui paraissent avoir été tirées du mystère de l’incarnation. A cette même époque appartiennent encore un traité (perdu) Contre Pinta et un petit commentaire Sur le Saint-Esprit, dont il reste deux fragments. Plus tard, saint Fulgence composa le livre De la Trinité au notaire Félix, le livre A Victor, contre le discours de l’arien Fastidiosus et les dix livres Contre Fabien dont il s’est conservé trente-neuf morceaux importants. L’ouvrage A Scarila, sur l’incarnation du Fils de Dieu et sur le créateur des petits animaux expose aussi la doctrine trinitaire, mais ne vise pas directement les ariens.
Ce sont les plaintes des moines scythes contre l’enseignement de Fauste de Riez qui amenèrent d’abord saint Fulgence à traiter de la question de la grâce. Consultés par eux, les évêques exilés en Sardaigne répondirent (vers 521) par la plume de l’évêque de Ruspe : c’est l’épître xvii, plus connue sous le titre de Livre de l’incarnation et de la grâce de Notre Seigneur Jésus-Christ. En Sardaigne encore et vers la même époque, Fulgence écrit les trois livres A Monime dont le premier s’occupe de la prédestination, et les sept livres (perdus) Contre Fauste. De retour en Afrique (après 523), il compose les trois livres De la vérité de la prédestination et de la grâce de Dieu, adressés à Jean et à Venerius, et enfin l’épître xv, écrite au nom d’un synode de douze évêques, et qui est dirigée toujours contre les semi-pélagiens.
Restent, en dehors de ces cadres, deux ouvrages à signaler : deux livres Sur la rémission des péchés à Euthymius, dans lesquels l’auteur établit qu’on ne peut faire pénitence qu’en cette vie ; et le Livre à Pierre ou De la règle de la vraie foi, petit exposé, clair et précis des vérités qu’il faut croire pour appartenir à l’Église.
On possède de saint Fulgence treize lettres, dont plusieurs — on en a cité deux déjà — sont de petits traités. Six touchent au dogme ; les sept autres s’occupent de questions de morale. — Des sermons qu’on lui attribue dix seulement sont regardés comme authentiques : ils ont pour objet les mystères de Notre Seigneur ou les vertus des saints.
La controverse arienne se ralentit naturellement en Afrique lorsque Bélisaire eut défait les Vandales et rendu cette province à l’Empire (533). Mais, à ce moment-là même, la politique de Justinien mettait à l’ordre du jour une autre question théologique, celle des Trois chapitres. Après bien des résistances et des discussions, le cinquième concile général de 553 et le pape Vigile la résolurent en condamnant la personne et les écrits de Théodore de Mopsueste et certains écrits de Théodoret et d’Ibas. Les Africains, en général, firent échec tant qu’ils le purent à cette condamnation dans laquelle ils croyaient voir une mesure contraire à la tradition et peu respectueuse du concile de Chalcédoinea. C’est ce que soutiennent notamment Fulgence Ferrand, Victor de Tunnunum, dont nous parlerons ci-après, puis l’évêque Facundus d’Hermiane, pamphlétaire vigoureux, dans son ouvrage en douze livres Pour la défense des Trois chapitres, dans son Livre contre Mocianus le scolastique et dans son Épître de foi catholique pour la défense des Trois chapitres, ces deux derniers écrits de l’an 571 environ. C’était aussi le sentiment de l’évêque Pontianus (on ignore son siège) dans sa Lettre à Justinien ; de Verecundus évêque de Junca dans la Byzacène († 552), auteur d’Extraits des actes du concile de Chalcédoine, de Neuf livres de commentaires sur les cantiques de l’Ancien Testament, et d’un poème Sur la satisfaction pénitentielle, en deux cent douze hexamètres, et enfin du diacre Libérat de Carthage, qui écrivit, entre 560-566, son Abrégé (Breviariun causae nestorianorum et eutychianorum), une des meilleures sources pour l’histoire du nestorianisme et du monophysisme de 428 à 553.
a – Sur cette attitude des Africains, voir H. Leclercq, L’Afrique chrétienne, Paris, 1904, ii, 258 et suiv.
L’évêque d’Hadrumète, Primasius († avant 567), qui se trouvait à Constantinople en 553, parut, de son côté, partager d’abord le même avis, car il signa le premier Constitutum de Vigile du 14 mai 553 : plus tard cependant il se rallia à la décision du concile. Il n’a d’ailleurs rien écrit sur la question et n’est connu que comme exégète. On a de lui un commentaire sur l’Apocalypse où sont largement cités saint Augustin et le donatiste Tyconius ; et l’on sait qu’il usa de son influence sur Junilius pour l’amener à composer ses Instituta regularia divinae legis. Junilius était un laïque africain d’origine qui remplissait à Constantinople les fonctions de quaestor sacri palatii. Ses Instituta forment une introduction à l’étude de l’Écriture. Il les donne comme une traduction remaniée d’un ouvrage de Paul de Nisibe, mais tout le fond et les conclusions reproduisent en réalité l’enseignement scripturaire de Théodore de Mopsueste. Par sa clarté méthodique, ce petit volume obtint en Occident un succès très vif.
De saint Fulgence on peut rapprocher le diacre Fulgence Ferrand de Carthage, son disciple, peut-être son parent et, pense-t-on aussi, son biographe. Ferrand († avant 547) passait pour un des meilleurs théologiens de l’Afrique. Outre une Vie de saint Fulgence, il a laissé une douzaine de lettres, dont sept sur des matières théologiques, et un Abrégé des canons (Breviatio canonum) dans lequel, sous deux cent trente-deux titres, il donne, d’après les canons des conciles grecs et africains, un résumé de toute la discipline ecclésiastique. Ce travail de Ferrand, le premier de ce genre que l’Afrique ait connu, fut cité et complété plus tard par un certain Cresconius, évêque africain pense-t-on, qui composa, en trois cents articles, une Concorde des canons (Concordia canonum) basée sur les textes de Denys le Petit. Cet ouvrage est sûrement antérieur au viiie siècle, mais on n’en saurait fixer la date d’une façon plus précise.